La chenille de la Fausse teigne, Galleria mellonella, bien connue des apiculteurs dont elle parasite les ruches est proposée par une start-up comme nouveau « modèle » pour réaliser des expérimentations animales notamment en toxicologie. Est-elle un « biotest éthique » comme l’affirme cette entreprise ?


Voici le passage du texte d’Alain Fraval de l’INRA qui fait l’apologie de cette « avancée » scientifique dans la revue OPIE-Insectes. Les Épingles entomologiques de Juillet. C’est à partir d’un commentaire (très) critique de ce texte que je vais argumenter une réponse négative à cette question. Biotest peut-être, éthique sûrement pas. 

« La qualité principale qui devrait voir cette chenille [Galleria mellonella] prochainement embauchée en masse sur les paillasses, c’est qu’on est absolument indifférent à ce qui peut lui arriver. Une tête qui ne ressemble à rien et n’exprime pas plus, aucun cri, un cerveau si rudimentaire qu’elle ne souffre pas, et c’est juste un insecte (pas beau). En plus, ce n’est pas demain la veille que les »législateurs réglementeront son usage. Tout pour se voir qualifier de prometteur biotest éthique. »

Ce biotest est un bon moyen pour tenter de se débarrasser des empêcheurs d’expérimenter en rond, les antivivisections et autres défenseurs des animaux. Il fallait trouver un animal pour lequel les gens n’éprouveront aucune empathie. C’est le cas de celui-ci qui de plus est un ravageur. On ne se contentera plus de le tuer mais on va le supplicier dans l’indifférence générale. C’est de cela en fait qu’il s’agit lorsque l’on fait de cette chenille un « biotest » éthique.

Galleria mellonella aurait un cerveau si rudimentaire qu’elle ne souffrirait pas. Pas de quoi donc inquiéter les véganes néowelfaristes ou abolitionnistes puisqu’à la fameuse question « souffre-t-elle ? » la réponse serait « Non » selon l’auteur du texte. Sa tête n’exprime rien, affirme-t-il. Il devrait avoir au moins l’humilité de relativiser : elle n’exprime rien « pour nous ». De plus si elle n’exprime rien avec sa tête, elle exprime sans doute avec son corps. Elle ne crie pas mais les poissons non plus (d’où l’intérêt du « poisson zèbre » préposé au même emploi). Il y a bien d’autres animaux dans le même cas. D’ailleurs aucun insecte ne crie de douleur ou de joie et pourtant, faut-il le rappeler, les insectes sont des animaux, peut-être les plus nombreux sur la Planète. Mais en l’absence d’expression évidente de la douleur et de cri, il est très facile de ne pas s’apitoyer sur leur sort. Je ne sais pas lire la souffrance de la chenille sur son corps et dans son comportement. Donc elle ne souffre pas. Bravo, le sophisme. Il est gros mais permet d’avoir plus facilement bonne conscience qu’en torturant un chat ou un singe.

Et pourtant Galleria mellonella est capable de ressentir de la douleur (comme tout être vivant sans doute). Il est étonnant que l’on puisse lire que ce n’est pas le cas sous la plume d’un entomologiste alors que depuis le début du siècle dernier, on a démontré expérimentalement que les chenilles pouvaient ressentir de la douleur, c’est-à-dire de souffrir.

Qu’importe car voilà l’argument massue : c’est juste un insecte pas beau. Admettons tout d’abord que si l’on devait tuer tous les affreux ou se désintéresser de leur sort, ça ferait beaucoup de monde dans les charrettes conduisant à l’échafaud ou torturé dans les geôles ou crevant de faim, etc., …. En outre, une créature jugée belle aujourd’hui ne sera peut-être plus considérée comme telle demain ou dans une culture différente de la nôtre, que cette créature soit un homo dit sapiens sapiens mâle ou femelle, une plante, un insecte, une forêt ou tout autre forme de vie. Et qui nous dit que cette créature vaguement répugnante pour nous n’est pas jugée appétissante et belle, comme un beau fruit aux yeux du merle qui grattouille dans le gazon.
 
Allons maintenant à l’essentiel : « c’est juste un insecte ». Ce n’est qu’un insecte, même pas un vertébré, même pas un mammifère, alors, pourquoi se gêner ! Si une telle affirmation n’est pas spéciste, alors aucune de l’est. Tout ce qui est vivant est également respectable et s’efforce de persévérer dans son être : c’est son essence même. Toutes les choses vivantes méritent un égal respect mais aucune d’elle, n’a un droit imprescriptible à vivre. Tel est l’antispécisme que j’ai exposé et que je défends dans un autre article  que l’on peut lire [ici ].

C’est ainsi que la chenille en question étant un « ravageur » occasionnant des dégâts considérables dans les ruches, l’apiculteur doit défendre les abeilles de ses ruches contre elle, donc, la tuer (encore que les méthodes de prévention soient les plus efficaces mais en cas d’infection, il faut bien agir). L’apiculteur le doit aux abeilles de ses ruches qui lui fournissent contre protection et gite  le miel en excédent qu’elles ont produit: un lien de mutualisme le lie à son rucher, n’en déplaise aux véganes qui n’y connaissent rien. Tuer cette chenille est une chose, empêcher son papillon de se reproduire est une chose, la torturer en testant sur elle des molécules à visées thérapeutiques ou non en est une autre très différente.

Notons que, contrairement à ce qui est affirmé de façon un peu exagérée dans l’article, l’utilisation de cette chenille dans les études toxicologiques sur les nouvelles molécules thérapeutiques, cosmétiques, ou autres ne remplacera pas in fine l’utilisation de rats, de souris, ou de lapins dans les études dites pudiquement « précliniques ». Elle permettra de réduire le nombre de vertébrés torturés. Pour les propagandistes de l’expérimentation animale, ce serait une façon de respecter le premier R de la fameuse et controversée règle des trois R concernant l’utilisation des animaux dans des expériences (réduire-raffiner-remplacer). Il s’agirait donc de diminuer le nombre d’études sur des mammifères en augmentant le nombre d’études préalables sur un insecte. Là encore le spécisme de cette façon de voir est évident. En remplaçant les vertébrés par des chenilles de telle ou telle espèce, on ne réduit rien. Bien plus comme ces textes le montrent à l’évidence, on va augmenter le nombre d’individus utilisés dans ces expérimentations : nul ne se soucie de leur sort. Dans les labos, on pourra leur faire subir les pires sévices sans qu’il y ait à s’inquiéter d’un règlement quelconque. Les labos feront des économies même si l’utilisation de ces chenilles est massive et même si elles sont utilisées pour des études futiles ou saugrenues.  Elles sont très bon marché ( 50 £ le lot de 50 contre 7 à 30 € pièce pour le rat de laboratoire), faciles à conserver et à élever à peu de frais également. 
Un anti-spécisme tel que celui qui sous-tend cet article ne peut admettre que l’on torture un animal, fut-il un insecte répugnant à nos yeux, car tout être vivant mérite d’être respecté et torturer un de ces êtres, en le considérant comme quantité négligeable, c’est lui manquer du respect le plus élémentaire, ce qui est le cas dans ces expérimentations. Selon cet antispécisme, cela n’est pas le moins du monde éthique.

Si les chenilles de l’espèce Galleria mellonella destinées à devenir des biotest n’ont aucune aide  à attendre du grand public pour que ce triste sort leur soit évité, elles trouveront peut-être un secours inattendu du côté des apiculteurs car les « expérimentateurs » ne se contenteront pas de ces chenilles telles que la nature les a faites. Ils veulent bricoler des Galleria mellonella transgéniques en leur ajoutant des gènes de méduses. Diable… Et si une de ces chenilles bricolée venait à accomplir sa métamorphose et se transformer en papillon ? Il s’agit d’un petit papillon d’une envergure de 3 à 4cm capable de grimper sur des surfaces en verre et de se faufiler dans le moindre interstice, donc tout à fait apte à s’échapper et aller se reproduire à l’extérieur. N’est-ce pas dangereux pour l’apiculture de bricoler de tels monstres ? Déjà que dans sa version originale et naturelle cette chenille est redoutable…. Risquer que de tels monstres s’échappent dans la nature, n’est-ce pas faire courir un danger aux écosystèmes et aux populations d’abeilles domestiques ou sauvages déjà bien mal en point.
 
Il n’y a rien d’éthique, rien d’écologique en fin de compte dans la promotion de ce biotest. La seule éthique en la matière, serait la mise au point de méthodes de substitution à l’expérimentation animale et pas le remplacement de mammifères par des insectes. Quant à la prolifération de molécules nouvelles à visées thérapeutiques demandant ces expérimentations, il ne faut pas être dupe. Pour les firmes pharmaceutiques, Il s’agit dans la majorité des cas de remplacer celles qui sont devenues des génériques et du coup ne génèrent plus de royalties. Le bénéfice thérapeutique de leur remplacement par des nouvelles peut s’avérer nul ou même négatif parfois mais il est toujours lucratif pour ces firmes. Quant au business des cosmétiques autres gros consommateurs de test de toxicité …

Conclusion

Voir une avancée éthique dans la fourniture de chenilles Galleria mellonella issues de lignées bien calibrées en attendant d’être transgéniques n’est qu’un slogan publicitaire pour tenter de faire adopter ce nouveau « modèle» à ces « scientifiques » qui pratiquent des expérimentations animales.
 

Jeudi 3 Août 2017 Commentaires (2)

Dans un cas particulier, France Nature Environnement a choisi les faucons tandis que la LPO qui recense les cadavres aux pieds des tueuses pour le compte d’EDF-EN se tait. Elle est pourtant « opérateur » du plan national concernant la protection de cet oiseau.
Dans son édition du 27/07/2017, le journal Le Monde indique que France nature environnement (FNE) a engagé une action en justice contre EDF-EN pour destruction d’espèces protégées, le 30 juin.


Faucons crécerellettes ou éoliennes tueuses de rapaces, il va falloir choisir…
Cette entreprise gère sur le causse d’Aumelas, dans le département de l’Hérault, un parc éolien de 31 aérogénérateurs sur environ 800 hectares entre deux zones de protection spéciale. Ces éoliennes tuent des espèces protégées et notamment  des faucons crécerellettes rares en France qui bénéficient d’un plan national de protection. Pour renforcer le faible effectif de cette espèce, il a même été procédé à des réintroductions d’individus dans l’Aude.

En 2008 la LPO-PACA écrivait  : « Dans  les  années  1980  -  1990,  voir  un  Faucon  crécerellette  en  France  relevait  de  l’exploit :  seuls  deux  couples étaient présents en 1983. L’espèce était tout simplement menacée de disparition. Depuis, grâce à l’action conduite par  la  Ligue  pour  la  Protection  des  Oiseaux  (LPO)  dans  le  cadre  des  programmes  LIFE  financés  par  l’Union Européenne et du plan national de restauration soutenu par le Ministère de l’Ecologie, les effectifs ont fortement augmenté : 194 couples en 2008 ! Mieux, la mise en œuvre d’une opération de réintroduction dans le département de l’Aude a permis l’installation d’une nouvelle colonie qui compte maintenant 5 couples ! Cependant, tout n’est pas gagné pour autant… »

Elle ne croyait pas si bien dire car c’était sans compter sur la construction d’éoliennes, avec l’accord de cette même LPO, sur le causse dans des sites favorables à ce petit faucon et qu’il fréquente. 33 cadavres ont été découverts par la LPO de l’Hérault qui est prestataire de service rémunéré pour EDF-EN (en même temps qu’elle est opérateur départemental du plan national d’action pour les faucons crécerellettes, plan qui a pour objectif d’en augmenter la population !). « « Potentiellement, on pourrait avoir trois fois plus de cas de mortalité que ceux que nous trouvons » selon Nicolas Saulnier, directeur de la LPO-Hérault cité par le Monde.

Bref d’un côté on finance la protection et le renforcement de populations de faucons crécerellettes et de l’autre on finance (avec notre argent via la CSPE) le développement d’éoliennes qui les déciment et mettent de nouveau l’espèce en danger.

EDF-EN a doté ses appareils de dispositifs de protection qui se sont avérés inefficaces. Elle n’a pas pour autant déposé de dossier de demande de dérogation pour destruction d’espèces protégées comme elle aurait dû le faire et elle continue de tuer des faucons crécerellettes ainsi que d’autres espèces comme le Busard cendré en poursuivant l’exploitation de ce parc de l’Aumelas.

Si elle n’a pas déposé cette demande, c’est qu’elle avait une très bonne raison de ne pas le faire. Dans le dossier de dérogation, EDF-EN aurait dû indiquer la « raison impérative majeure » qui justifiait la construction du parc éolien dans cette zone. En d’autres termes, il aurait fallu qu’elle prouve que le parc n’aurait pas pu être aménagé ailleurs comme le souligne Le Monde qui ajoute à juste titre que « ce dossier pourrait remettre en question son existence ».

Eoliennes contre Faucons crécerellettes, Busard cendrés (et chauve-souris), les protecteurs de la Nature et les vrais écologistes ont choisi. C’est maintenant à la justice de trancher.

Affaire à suivre.  
 

Dimanche 30 Juillet 2017 Commentaires (0)

Nature - environnement

Le printemps silencieux qui nous menace ne sera pas seulement dû aux pesticides généreusement déversés dans la nature par des exploitants agricoles qui n’ont plus rien des paysans. Il sera dû aussi aux éoliennes, ces hachoirs à oiseaux de plus en plus démesurés dont les artisans d’une transition énergétique qui n’a rien d’écologique et les hystériques climato-catastrophistes veulent hérisser le territoire. En Juin est paru un rapport de la LPO intitulé Le parc éolien français et ses impacts sur l’avifaune. Il est accablant. C’est à l’analyse de ce rapport qu’est consacré cet article.


Roitelet triple bandeau. Les oiseaux de cette espèce sont parmi les plus petits d'Europe. Ils sont massacrés en grand nombre par les pales des éoliennes lors de leur migration automnale.
Roitelet triple bandeau. Les oiseaux de cette espèce sont parmi les plus petits d'Europe. Ils sont massacrés en grand nombre par les pales des éoliennes lors de leur migration automnale.
Des données fragmentaires mais consternantes

● En prenant comme estimation 7,2 oiseaux tués par an par éolienne, le parc en 2016 constitué d’environ 6000 éoliennes en tuerait donc 42 000 par an.

● Le Décret n° 2016-1442 du 27 octobre 2016 relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) fixe comme objectif pour 2023 un parc de 10 000 à 12 000 éoliennes, c’est-à-dire en l’état actuel des choses, la mort de 72 000 à 86 000 oiseaux par an.

● Quant au « scénario Négawatt »/ADEME avec ses 18 000 éoliennes, il tuerait 121 000 oiseaux/an.
Bien qu’ayant de fervents partisans parmi certains « écologistes » climato-catastrophistes dont le Ministre de l’écologie actuel, il semble peu probable selon ce rapport que ce scénario se réalise. Heureusement….

En accord avec la politique de la LPO, voulant ménager la chèvre et le chou, l’éolien industriel (dont elle est un prestataire ) et la protection des oiseaux, les auteurs du rapport ne font pas ces multiplications simples. Les chiffres qui en résultent sont un argument à charge d’un trop grand poids contre le développement de l’éolien terrestre ou maritime. Ils se déduisent pourtant mécaniquement de leurs estimations
 
Il est possible que le changement climatique impacte les oiseaux de diverses espèces de différentes façons avec des gagnants et des perdants. Il est certain que « la lutte contre le changement climatique » au nom de laquelle on hérisse les territoires de ces hachoirs leur coûte déjà très cher. Cela est vrai en tout premier lieu pour les espèces fragiles. Malgré des suivis de mortalité scandaleusement insuffisants, effectués sans rigueur, voire carrément absents pour de nombreuses installations, les auteurs du rapport notent que : «Vingt espèces d’oiseaux inscrites à l’Annexe I de la Directive Oiseaux ont, à ce jour, été retrouvées sous les éoliennes françaises. Il s’agit d’espèces menacées de disparition, d’espèces vulnérables à certaines modifications de leur habitat, d’espèces considérées comme rares (population faible ou répartition locale restreinte), et d’espèces nécessitant une attention particulière à cause de la spécificité de leur habitat, ainsi que d’espèces migratrices dont la venue est régulière. » (p. 70)
 

Par exemple, « 23 Faucons crécerellettes ont été retrouvés entre 2011 et 2015 sous un seul et même parc de l’Hérault situés en ZSC, à environ 1 km de la ZPS « Plaine de Villeveyrac-Montagnac ». Au regard du nombre extrêmement réduit de couples nicheurs en France (436 suivant les données LPO 2014) cela en fait une des espèces les plus impactées par les éoliennes en France. D’autant, rappelons-le, qu’il est ici question des cas constatés et non de la mortalité réelle (estimée entre 32 et 82 individus pour la période 2011 - 2014). » (p.49)

« On notera également une très forte sensibilité des Laridés (mouettes et goélands) aux éoliennes. Ils constituent, en effet, une part non négligeable des cadavres alors même qu’ils ne sont concernés que par un nombre très réduit de parcs littoraux. » À ce constat le rapport ajoute ce vœu pieux « Ceci devra être pris en compte dans le cadre du développement des parcs éoliens en mer. » (p.75).
 
Il faut noter aussi que ces estimations, si elles souffrent d’une grande incertitude, ce n’est hélas pas à la baisse qu’elles seront affinées. Ainsi, dans les protocoles de suivis, le rayon de prospection est fixé à 50 mètres autour de la machine mais «si le rayon de prospection, fixé à 50 m, semble adapté pour les chauves-souris, il est possible qu’il soit insuffisant pour découvrir l’ensemble des cadavres d’oiseaux que l’on retrouve globalement plus loin du mât de l’éolienne. » (p.31) En outre le rapport note qu’il s’agit d’un rayon théorique. En fait, les réalités du terrain ne permettent pas toujours de le respecter.
 
L’ampleur exacte des dégâts sur l’avifaune reste méconnue

Les estimations doivent être prises avec précaution. En fait, il est difficile de connaître précisément l’ampleur des dégâts sur l’avifaune. Cela tient à deux raisons.

Tout d’abord l’insuffisance des données et leur manque de « robustesse » rendent incertaines les estimations. « Souvent difficiles à obtenir, insuffisants dans leur méthodologie (surface prospectée réduite, nombre de visites limité, absence de test d’efficacité de détection ou de persistance des cadavres, etc.) et peu précis dans leur retranscription (date des visites, largeur des transects, surface réellement prospectée, données brutes, etc.), les suivis de mortalité que nous avons pu réunir sont également peu nombreux au regard du nombre total de parcs exploités en France. » (p. 74)

(Source : LPO Juin 2017 Le parc éolien français et ses impacts sur l’avifaune)
(Source : LPO Juin 2017 Le parc éolien français et ses impacts sur l’avifaune)
Seules les données concernant 645 éoliennes ont des suivis de mortalité qui ont pu être utilisés par la LPO dans ce rapport. Ces 645 éoliennes représentent seulement 12,5 % des éoliennes en exploitation en France. (p. 30). Il y a une absence de données pour près de 80% du parc et sur les 21% restants, 13% seulement ont des « rapports de suivi de mortalité protocolés ». C’est dire le peu de cas que font de l’avifaune tant les pouvoirs publics que les promoteurs de l’éolien.

Bien peu d’écologistes s’insurgent devant cet état de chose, obnubilés qu’ils sont par l’effet de serre ou la transition énergétique avec la promotion d’un fameux « mix décarbonné ». Tant pis pour les petits passereaux, roitelets à triple bandeaux, grives musiciennes, rougegorges familiers et tant pis aussi pour les martinets noirs, espèces dont les éoliennes font des hécatombes.

À ce manque de données sûres en quantité suffisantes s’ajoute le peu de fiabilité des formules permettant d’extrapoler le nombre d’oiseaux tués par une éolienne à partir du nombre de cadavres trouvés à ses pieds dans un rayon – sans doute trop faible – de 50m. Beaucoup de variables sont à prendre en compte outre les persistances des cadavres avant prédation. De plus, ces formules ont été conçues, à l’origine, pour quantifier la mortalité des chauves-souris et ont été adaptées aux oiseaux, en particulier par le choix de leurres et de cadavres témoins adaptés pour la réalisation des tests d’efficacité de l’observateur et de persistance des cadavres. (p. 56)

En résumé, on en sait suffisamment pour dire que les dégâts sont considérables, même si on n’en sait pas assez pour les estimer avec précision. 

Telle est du moins la conclusion que devrait tirer de ce rapport toute personne qui n’a pas son jugement obnubilé par le mirage des ENR qui si elles exploitent des énergies qui sont de flux et donc en droit inépuisables, le font à l’aide de transformateur d’énergie – les éoliennes – qui utilisent pour leur fabrication des ressources qui ne le sont pas (métaux, terres rares, etc.). Cette conclusion la LPO ne la tire pas explicitement.

Exclure une partie du territoire de toute implantation d’éolienne mais de quelle étendue ?

Le rapport préconise que toutes les zones classées ZPS (Zone de Protection Spéciale) soient exemptes de toute éolienne. Ce qui implique implicitement, car non écrit dans le rapport, que les 5 % des éoliennes se trouvent en ZPS pour une puissance installée de 435 MW ne soient pas remplacées au bout des 15 ans de leur durée de vie. Cette préservation totale des ZPS représente 43 800 km², soit 8 % du territoire métropolitain. Elle serait selon le rapport compatible avec le développement de l’éolien prévu par la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie)(p. 76).

Cette préconisation oublie opportunément une importante conclusion du rapport. À savoir : il est nécessaire de prévoir autour de ces zones classées ZPS, des « zones tampon » qui, elles aussi, doivent être préservées de l’implantation d’éoliennes ; ces zone devant correspondre « à l’espace vital des espèces ayant justifié ce classement (au moins 1 km et parfois bien plus) ; c’est particulièrement vrai pour les rapaces (Faucon crécerellette, Milan noir, Milan royal, Busard cendré, Bondrée apivore, Balbuzard pêcheur, etc.). 

En effet, toujours selon ce rapport « « Les données dont nous disposons ne permettent donc pas de conclure que les plaines agricoles présenteraient un risque moins important que les autres habitats en termes de nombre de collisions aviaires avec les éoliennes. » (p. 66). Donc « « Au final, même si 2 espèces de rapaces emblématiques (Faucon crécerellette et Busard cendré) ont été essentiellement retrouvées hors plaine agricole, il est bien difficile de départager ces deux groupes de parcs en fonction du risque de mortalité par collision qu’ils font courir aux espèces patrimoniales (inscrites en liste rouge ou à l’Annexe I). Le facteur habitat, au sens « CORINE Land Cover » du terme, ne permet donc pas, à lui seul, de conclure à un moindre impact des parcs situés en plaine agricole par rapports aux autres parcs. » (p. 68, souligné par moi). Il en résulterait que la superficie des zones à éviter serait bien plus grande et qu’il ne suffit pas d’implanter les parcs éoliens en zone d’agriculture intensive.

D’ailleurs le rapport préconise aussi d’autres restrictions d’implantation : « A ce jour, aucun suivi n’a permis de démontrer l’efficacité de dispositifs techniques visant à réduire leur mortalité [des rapaces] par collision avec les éoliennes. La seule solution efficace, à ce jour, pour éviter la mortalité directe des rapaces par collision avec les éoliennes consiste à éviter de les implanter dans le rayon d’action des sites de reproduction et à préserver leurs espaces vitaux.
C’est particulièrement vrai pour des espèces comme le Faucon crécerellette ou le Busard cendré. » (p. 76) Des restrictions identiques doivent frapper les voies de migration diurne ou nocturnes ; ces dernières n’étant pas assez bien identifiées et prises en compte.

Au final il y aurait donc une bien plus grande superficie de territoire à préserver que les 8% occupés par les ZPS. Cela ne serait d’ailleurs pas suffisant pour préserver l’avifaune de l’impact délétère qu’exerce sur elle le développement de l’éolien. Comme le remarque à juste titre ce rapport «« Les espèces plus sensibles au dérangement et qui évitent les parcs éoliens [sont] également moins sujets aux collisions que celles qui les traversent chaque jour. Cet évitement peut toutefois se faire au prix d’une perte d’habitat et peut donc se traduire par un impact beaucoup plus important sur les populations que celui résultant de la perte de quelques individus par collision. » (p. 52, souligné par moi, JFD). 

Nous laisserons de côté les autres préconisations du rapport, pour intéressantes qu’elles soient comme par exemple, le non remplacement des éoliennes « les plus impactantes ». Elles manquent, en général de radicalité. La moindre des choses serait que ces éoliennes-là soient démontées sans délais. De même, il ne suffit pas de déterminer ce que doit être un « suivi de mortalité » correct et la nécessité de diffusion de tels suivis. Il faut encore préciser qui les payera et qui désignera le bureau d’étude devant les réaliser.

Conclusion                                                                  
La leçon qu’il faut tirer de ce rapport doit être plus radicale : entre le déploiement de l’éolien terrestre ou maritime et la préservation de l’avifaune (espèces et effectifs des populations), donc, in fine, de la biodiversité terrestre, il faut choisir car il y a entre ces deux options une incompatibilité manifeste.

Les défenseurs inconditionnels de l’éolien argueront que les oiseaux ont à affronter d’autres périls plus graves que celui que fait peser sur eux le déploiement de l’éolien sans que cela condamne toujours l’activité qui est source de ce péril, comme les déplacements motorisés, voitures, trains, avions, les poteaux mal bouchés, l’urbanisation, les modifications des pratiques d’élevage, l’épandage de pesticides, cette dernière cause d’atteinte à l’avifaune étant sans doute plus grave que le développement de l’éolien. Ces arguments et autres de la même eau sont purs sophismes (ou en termes plus familiers mais aussi plus parlants : ils sont foireux !) : comme si les maux déjà existants pouvaient en justifier un nouveau ! Plus grave, cette nouvelle pression sur des espèces aux effectifs réduits peut les achever.

Quant à la « lutte » contre le changement climatique, il est certain que 42 000 oiseaux la payent d’ores et déjà de leur vie en attendant, peut-être, de souffrir demain de ce changement lui-même. La double peine, en somme.

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Référence :

LPO, Juin 2017 – Le parc éolien français et ses impacts sur l’avifaune - Etude des suivis de mortalité réalisés en France de 1997 à 2015. Rédaction : Geoffroy MARX, Service SEPN.

Photo : Opaluna
 

Dimanche 30 Juillet 2017 Commentaires (3)

Au quotidien

Macron a bénéficié et bénéficie d’un soutien éhonté des médias de toute catégorie mais ceci ne suffit pas à expliquer les succès électoraux hélas prévisibles de ses candidats groupies, futurs député(e)s godillots


Comment peut-on voter pour donner une majorité à un type qui veut continuer en l’aggravant la politique d’un Hollande qu’il a conseillé et dont il a été un des principaux inspirateurs ? Comment les gens peuvent-il voir en lui un renouvellement ? Comment peut-on se faire berner à ce point par un type qui veut casser tous les « acquis sociaux » obtenus de haute lutte au cours des deux siècles précédents ? Car c’est l’immense majorité des gens qui seront concernés dans tous les aspects de leur vie quotidienne. Comment peut-on voter pour donner les pleins pouvoirs à un type qui prend fait et cause pour les « patrons » « qui peuvent tout perdre eux » et qui méprise les salariés, simples pions du vaste Monopoly de la finance.

Sur l’A2 les clips de campagne défilent le soir après le 20h. Celui de LREM, le mouvement de Macron,  est d’une affligeante vacuité, une litanie de candidats répétant qu’ils sont le renouveau issu de la société civile. Point de programme si ce n’est donner une majorité à Macron. Pour quoi faire ? Tondre la laine sur le dos des gens ordinaire pour la fourguer aux riches.

La vague Macron, la macronite, c’est une sorte de lubie pour adulte en âge de voter qui ressemble à celle du « slime » qui frappe actuellement  les gamin(e)s dans les écoles primaires. Pour ceux qui l’ignoreraient, il s’agit d’une pâte gluante et informe à base de colle liquide incolore et de divers ingrédients. De « tendance », ce truc est devenu « viral » dixit le Nouvel Obs. Pourquoi ? Mystère. De même Macron, le doublement chanceux, sur qui personne n’aurait misé un sou, émerge et la macronite devient « virale » chez les électeurs. La macronite, c’est finalement un truc aussi gluant et informe mais beaucoup plus toxique que le slime et l’engouement en est tout aussi irrationnel.  

Mais la mode du slime passera aussi vite qu’elle est venue et les mômes auront une autre lubie. La macronite risque de passer encore plus vite mais il restera Macron et ses sbires pour faire plonger la France dans la dérégulation ultralibérale. Le réveil sera douloureux. Il ne restera plus que la rue pour faire échec à ce malfaisant. Une période troublée faite de violences sociales et policières s’annonce. Décidemment, le suffrage universel tire les mauvais numéros dans des genres très différents certes. Il fallait Bernie Sanders, ce fut Trump. Il fallait Mélanchon, ce fut Macron. Le suffrage universel a tiré les mauvais numéros hier, mais il reste encore un espoir pour demain.

Votons et faisons voter pour les candidats de La France Insoumise

« Καὶ σὺ τέκνον » (Toi aussi mon fils) aurait dit César qui s’exprimait en grec (et non en latin) lorsque parmi ses assassins, il vit s’avancer Marcus Brutus qu’il considérait comme son fils. Parmi ceux qui empêchèrent Hollande de se représenter soit par des manœuvres plus ou moins basses, soit par des défections il y avait le sire Macron. À l’instar de César Hollande aurait pu lui dire Καὶ σὺ τέκνον puisqu’il le considérait à juste titre comme son fils spirituel.

Vous avez aimé Hollande : vous allez adorer Macron !

Dimanche 4 Juin 2017 Commentaires (0)

Maître Aliboron était un âne au sens figuré avant d’en devenir un au sens propre mais qu’était ou qui était aliboron à l’origine ? Une plante : l’hellébore. Mais de quel hellébore s’agit-il ? C’est à ces questions qui n’ont pas de réponse simple qu’est consacrée la dernière partie de cette étude sur les hellébores.


Hellébore ou ellébore ? Quelle hellébore?
1 – La Fontaine et les ellébores

(a) Maître Aliboron ou l’ellébore est fait homme avant de devenir un âne.

C’est dans une fable pas très connue « Les voleurs et l’âne » que La Fontaine baptise ce sympathique quadrupède « Maître Aliboron » : «  Arrive un troisième Larron / Qui saisit Maître Aliboron ». Il s’agit d’une sorte de plaisanterie puisque cette expression était censée désigner un humain, en mauvaise part à l’époque où écrivait le fabuliste mais ce ne fut pas toujours le cas.

Dans la première édition du dictionnaire de l’Académie française publié en 1694, un an avant la mort du poète, « Maîstre aliboron » est défini ainsi : « un homme qui veut se mesler de tout, qui fait le connoisseur de tout » écho du titre d’un monologue en vers Les Ditz de maistre Aliborum qui de tout se mesle et sçait faire tous mestiers, et de tout rien « composé peu de temps après la bataille de Fornove (1495) et popularisé par l’imprimerie dans les premières années du XVIe siècle. » (Antoine Thomas, 1919, p. 328 : c’est l’article de cet auteur qui est l’une des sources principales de cette partie).

Thomas montre qu’avant de désigner un sot ignorant l’expression désignait au contraire un savant, un « chirurgien » au service des princes et des rois. Selon Thomas, ce serait Anatole de Montaiglon qui avait réédité Les Ditz qui eut le premier l’idée de rattacher ‘aliboron’ à ‘ellébore’ à partir du latin elleborum corrompu en ‘aliboron’ dans un passage du Roman de Renart. Donc avant d’avoir signifié un âne grâce à La Fontaine, l’expression aurait désigné un homme, d’abord en bonne puis en mauvaise part mais à l’origine aliboron était le nom d’une plante : l’ellébore.

Il reste cependant à comprendre le pourquoi de ces métamorphoses et en particulier le passage de la plante à l’homme. Comment le terme désignant une plante en est venu à désigner un homme ?

Pour A. Thomas, cela est dû à une erreur d’interprétation commise Jean Scot Érigène, un érudit, philosophe et théologien du IXe siècle, dans son commentaire de ce qui fut l’une des encyclopédies les plus utilisées pendant tout le Moyen-Âge Les Noces de Mercure et de la Philologie de l’écrivain latin Martianus Capella. Dans un passage où il traite de la dialectique, Capella écrit « Carneadesque parem vim gerat elleboro.» Comme le note A. Thomas, pour comprendre ce vers, il faut connaître une particularité du régime auquel se soumettait Carnéade, philosophe sceptique, le dixième successeur de Platon à l’Académie. Lorsqu’il devait affronter le stoïcien Chrysippe dans une joute oratoire, il se purgeait à l’ellébore. Aussi selon A. Thomas, doit-on traduire ce vers ainsi « « Et Carnéade, aussi fort que Chrysippe grâce à l’ellébore. » (p. 334) alors que Scot Érigène comprit ce vers comme affirmant que « Elléboron » était un philosophe grec de la même secte (parem vim) que Carnéade.

Pour A. Thomas « Cette erreur monstrueuse ne tarda pas à porter ses fruits. Dès la génération suivante, un autre commentateur de Martianus Capella, Rémi d’Ausserre, fondateur de la première école d’enseignement supérieur qui ait fleuri à Paris, emboîta résolument le pas, et, avec une imperturbable confiance, il écrivit : « En dialectique, les philosophes qui obtinrent le premier rang sont Aristote, Chrysippe, Carnéade et Elléboron » » (p. 334). Ainsi s’expliquerait la métamorphose de la plante en homme. Et c’est là que serait l’origine de l’expression « Maître Aliboron ». Ainsi pour A. Thomas, « il y a de l’ellébore dans le nom de maître Aliboron ; je dirai plus : qu’il n’y a que de l’ellébore, que maître Aliboron est proprement l’ellébore fait homme. » (p.333).

Cette étymologie proposée par A. Thomas n’explique pas comment l’expression en est venu à désigner non plus un savant, égal d’Aristote, Chrysippe et Carnéade mais un « sot » « qui de tout se mesle et sçait faire tous métiers, et de tout rien ». Un auteur postérieur Gunnar Tilander s’appuie sur cette insuffisance pour revenir à l’explication qu’avait proposée Eugène Rolland dans sa Flore populaire (que cite d’ailleurs A. Thomas) « « À une certaine époque l’helleborum, corrompu en aliboron, était la panacée par excellence, préconisée par les charlatans. Par suite, on a pu appeler maître Aliboron un charlatan, un mauvais médecin, un ignorant, un âne, au figuré d’abord et finalement au propre » (t. I (1896), p. 77, note 4). Contrairement à Thomas qui rejette l’emploi figuré de l’expression pour l’homme comme contraire « aux lois de l’esprit humain », Tilander (1946) s’efforce de montrer que cette métaphore est chose courante en prenant des exemples analogues dans différentes langues pour une autre panacée « l’onguent blanc » qui comme la panacée vendue sous le nom d’aliboron serait bonne à tout mais ne soignerait rien. En suédois, cet onguent « qui ne fait ni bien ni mal » désigne au sens figuré « une « personne faible, trop conciliante, niaise » « ignorante » (p. 180). En allemand l’onguent blanc serait devenu proverbial à cause de son inefficacité. En espagnol, une expression populaire à propos d’une personne dont on veut se moquer serait : « Él es como el ungüento blanco que se usa para todo y no sirve para nada.» qui est comme le décalque de la définition de Maître Aliboron. Il serait donc inutile d’avoir recours au contresens de Jean Scot Érigène pour rendre compte du passage de la plante à l’homme. Selon Tilander « Le parallélisme des langues française, espagnole, allemande et suédoise suffit à lui seul à démontrer l'évolution de sens de maître Aliboron, car il montre de quelle façon une panacée comme l'ellébore peut « être fait homme » pour citer les propres paroles de Thomas » (p. 183).

Hellébore ou ellébore ? Quelle hellébore?
Pour que le parallèle entre l’ellébore et l’onguent blanc tienne, il faut supposer que les préparations à base d’ellébore ne feraient « ni bien, ni mal » et seraient totalement inefficaces. Or, ce n’est pas le cas, ou du moins pas toujours, ni même le plus souvent : les effets plus ou moins drastiques dépendent du degré de dessiccation de la plante comme l’ont souligné par la suite bien des auteurs de traités de « matière médicale » qui ont aussi regretté que sous le nom d’ellébore soient confondues et vendues des racines d’autres renonculacées voire d’apiacées comme Astrantia major. (cf. citations et références dans la partie consacrée à la rose de Noël). En outre mal administrée, l’ellébore de n’importe quelle espèce peut entraîner des accidents graves, voire mortels.

D’ailleurs dans les passages du Roman de Renart où il est question d’ellébore, celle-ci n’est pas du tout considérée comme sans effet, au contraire puisque administrée par Renart au Roi Lion, elle le guérit en le purgeant. Tilander cite d’ailleurs le texte où sont décrits les effets purgatifs et sternutatoires de l’ellébore sur le Roi Lion. Le roi parvient à éternuer, péter, suer puis se trouve guéri et reconnaissant à Renart, qu’il nomme conseiller et à qui il fournit une escorte pour sa sauvegarde lors de son retour chez lui. Il faut donc supposer que Renart avait su trouver (ou voler) la bonne plante, celle qui produit les effets désirés.

Enfin les expressions populaires concernant l’ellébore, ne sous-entendent pas que la plante est inefficace.

Quant au présupposé que l’ellébore était une « panacée » que seuls auraient proposée ou utilisée les charlatans, elle est fausse également. La première école de médecine du Moyen Age se développe à Salerne, en Italie. Elle a eu une énorme influence sur la pensée et la pratique médicale du IXe au XIVe siècle. L’enseignement se fondait sur l’étude de textes anciens latins, grecs et arabes qui font grand cas de médications à base d’ellébore (voir à ce sujet les textes cités dans la partie de cette étude consacrée à la rose de Noël).

Hellébore ou ellébore ? Quelle hellébore?
Il faut enfin souligner ou rappeler que « Les moines, les cocus et les médecins étaient, depuis le Moyen Âge, d’excellents objets de moquerie et de franche rigolade, sur les planches comme dans les fabliaux. » (Minard, 2006). C’est cela qui pourrait expliquer à la fois que l’expression puisse désigner un médecin réputé et sa caricature. C’est cette dernière, véhiculée par la littérature et le théâtre qui est restée.

Selon nous, l’objection que Tilander soulève contre la thèse de Thomas est facilement surmontable et sa propre interprétation qui suppose que seuls « les charlatans » proposèrent et/ou utilisèrent de l’ellébore est fausse comme est fausse la présupposition que cette plante est sans effet, présupposition qui légitime la comparaison avec « l’onguent blanc ». Faut-il pour autant se satisfaire de l’explication de Thomas ?

Rappelons que pour Jean Scot Érigène comme pour Rémi d’Ausserre, Aliboron, Platon et d’Aristote sont considérés comme les meilleurs philosophes dialecticiens et que les « Maîtres Aliborons » sont des médecins, chirurgiens ou pharmaciens. Comment donc un maître dialecticien a-t-il pu se transformer en un maître chirurgien ?

Une partie de la réponse se trouve, à notre avis, dans la façon dont étaient enseignées la médecine et toutes les disciplines, en particulier dans un type d’exercices auquel étaient soumis les étudiants : la disputatio. Sur une question donnée, maîtres et élèves devaient présenter et soutenir des arguments contradictoires, en général devant un public, donnant ainsi lieu à un débat qui ressemblait aux joutes dialectiques entre orateurs. On trouve de telles « disputatio » mises en scène en général pour les tourner en ridicule comme dans L’amour médecin de Molière. Pour triompher dans ce genre d’exercice, il fallait donc non seulement bien connaître les textes de anciens et notamment ceux d’Aristote mais aussi être un bon dialecticien, la disputatio étant le mode d’enseignement et de recherche utilisé pour toutes les matières et à tous les niveaux. En définitive être un bon médecin, c’était certes avoir une bonne pratique mais c’était aussi et peut-être surtout être un bon dialecticien comme le furent, selon Scot Erigène et Rémi d’Ausserre, Platon, Aristote et ….Aliboron !

(b) Le lièvre et la tortue
 

Hellébore ou ellébore ? Quelle hellébore?
Nous connaissons tous ce passage de la fable « Le lièvre et de la tortue » :« Ma commère, il faut vous purger / Avec quatre grains d’ellébore ». On sait qu’un «grain» est une unité de mesure équivalant à environ 0,05 gr. Mais qu’en est-il de l’ellébore ? Quelle est donc cette plante qui se métamorphosa en homme à cause du contre-sens d’un érudit puis en âne par la grâce d’un poète facétieux ? 

Pour la botaniste Aline Raynal-Roques, l’ellébore de la fable « le lièvre et la tortue » serait en fait le (ou la) vérâtre (Veratrum album L.) de la famille des liliacées qu’il faut bien distinguer des Hellébores avec un h) qui appartiennent au genre Helleborus de la famille des renonculacées : « Les hellébores appartiennent au genre helleborus (Renonculacées). L’ellébore de la fable de La Fontaine est un nom vulgaire du Veratrum (Liliacées). » (1994, p. 208, note 1)

Elle s’accorde ainsi, au moins en ce qui concerne l’orthographe, avec Gaston Bonnier et Georges de Layens qui utilisent les mêmes graphies selon qu’il s’agit des Helleborus ou des Veratrum. Est-ce à dire pour autant que dans le cas de la fable, il s’agit bien de racine de vérâtre, partie de la plante utilisée en herboristerie ?

Littré mentionne comme premier sens d’ ‘ellébore’ : «Plante, dite dans l'Avranchin herbe enragée, très usitée dans la médecine des anciens comme cathartique et qui passait pour guérir la folie. Le plus célèbre des ellébores venait des campagnes d'Anticyre, île de la mer Égée dans le golfe Maliaque. L'ellébore des anciens est regardé comme appartenant aux veratrum (colchicacées). » Pour illustrer ce sens il propose les citations suivantes : «  "Il n'est point d'ellébore assez en Anticyre...." [Régnier, Sat. X] ; "Ma commère, il vous faut purger Avec quatre grains d'ellébore", [La Fontaine, Fabl. VI, 10] ; "Y aurait-il assez d'ellébore pour une si étrange maladie ?" [Voltaire, Phil. ignorant, 50] »
Il mentionne ensuite que l’expression « avoir besoin d’ellébore » donc de vérâtre, signifie « avoir l’esprit troublé ». Et il propose pour en illustrer le sens les citations suivantes « "Vous le voyez, sans moi vous y seriez encore ; Et vous aviez besoin de mon peu d'ellébore", [Molière, Sgan. 22] ; "Elle a besoin de six grains d'ellébore ; Monsieur, son esprit est tourné", [Molière, Amphit. II, 2] ;"Il aurait bien besoin de deux grains d'ellébore", [Regnard, Distr. II, 12] »

Mais Littré donne comme second sens à ‘ellébore’ : « genre de plantes renonculacées, dont une espèce d’Europe (helleborus niger) sert en médecine. » Il mentionne pour ce second sens un usage en médecine vétérinaire : « Quand on met un exutoire aux animaux, on fait au bas de la panse ou sur la cuisse une incision dans laquelle on introduit un petit morceau de racine d'ellébore. »

Aline Raynal-Roques s’accorde avec Littré sur la plante à laquelle réfèrerait le passage de la fable mais pour Littré, le nom ‘ellébore’ sans ‘h’ réfère également aux renonculacées membres du genre Helleborus qu’Aline Raynal-Roques écrit avec un ‘h’. Un même nom donc pour deux plantes très différentes.

Si l’on s’en tient au dictionnaire de l’Académie. Il faudrait tirer une conclusion différente.

Hellébore ou ellébore ? Quelle hellébore?
Le dictionnaire de l’Académie (dernière édition) ne désigne sous le nom d’ellébore que les plantes appartenant à la famille des renonculacées et ne mentionne pas celles appartenant à la famille des liliacées. L’Académie fait remonter cet usage au XIIIème siècle : « n. m. XIIIe siècle, elebore. Emprunté du latin (h)elleborus, du grec helleboros. BOT. Plante herbacée vivace de la famille des Renonculacées, dont une variété était employée autrefois en médecine comme purgatif, et que l'on croyait propre à guérir la folie. L'ellébore noir est aussi appelé rose de Noël. »

Selon les académiciens, le lièvre préconise donc de la racine de rose de Noël à la tortue comme médecine pour la guérir de ce qu’il croit être sa folie. Il l’invite même à en prendre le double de la dose habituelle. Il trouve donc  la tortue complètement folle !

Que conclure : Vérâtre, Rose de Noël voire même une autre plante ?

Il faut d’abord remarquer qu’en ce qui concerne le nom vernaculaire, il règne aujourd’hui encore parmi les botanistes une grande confusion.
Nombreux sont ceux qui acceptent indifféremment les deux graphies ‘hellébore’  et ‘ellébore’ pour toutes les espèces d’ Helleborus. Par exemple dans leur flore, Lambinon et all. (2008), p. 66. D’autres, par contre, utilisent la seule graphie ‘Hellébore’ pour toutes les espèces du genre Helleborus, excepté pour Helleborus niger  (H)ellébore noir ou Rose de Noël, ainsi André Gonnard (2010), p. 218 qui donne « hellébore » et « ellébore » comme autres noms de cette plante, qui sont donc des synonymes vernaculaires équivalents du nom linnéen Helleborus niger.

Dans la Flore forestière française, tome 2, le nom vernaculaire de Veratrum album est orthographié ‘hellébore blanc’ avec pour synonyme Varaire, Varaire Blanc (1993), p. 2163.

Selon Tela botanica  les noms vernaculaires « ellébore noir », « hellébore noir » et « Rose de Noël » sont également recommandés et typiques concernant Helleborus niger tandis que pour Veratrum album est recommandé en premier lieu comme nom vernaculaire « Vérâtre blanc » tandis que « Ellébore blanc » est considéré comme secondaire.

En Français contemporain, le nom d’(h)ellébore avec ou sans h désigne plus couramment les plantes appartenant à la famille des renonculacées et il semble préférable de leur réserver cette dénomination quelle que soit la façon dont on l’orthographie (avec ou sans ‘h’).
Cela ne résout pas pour autant la question initiale, la nomenclature vernaculaire étant dans ce cas source de confusion.

Les apothicaires utilisaient les rhizomes sous forme de poudre qu’il fallait peser avec le plus de précision possible, compte tenu de la dangerosité de la plante que celui-ci soit du(ou de la) vérâtre blanc ou de l’hellébore noir. Si les racines de vérâtre et les rhizomes d’hellébore ne se ressemblent guère à l’arrachage, il n’en est plus de même lorsqu’ils sont préparés pour la vente aux apothicaires. En outre, ils sont aussi toxiques l’un que l’autre, s’attaquent aux mêmes organes (cœur, tube digestif, système nerveux). Les symptômes de l’intoxication qu’ils provoquent sont eux aussi semblables avec la même issue fatale pour de très petites quantités.

L’intoxication par ingestion d’une partie quelconque d’une quelconque espèce d’hellébore se traduit par des grincements de dents, un pouls faible et intermittent, des difficultés respiratoires, des tremblements et convulsions. Le poison déclenche une gastro-entérite hémorragique avec salivation  et vomissements. La diurèse est augmentée et on note des troubles de l’équilibre.

Dans le cas du Vérâtre, on observe également des troubles cardiaques avec un pouls faible, ralenti et irrégulier, des efforts de vomissements et des nausées accompagnés de salivation, des coliques avec diarrhées, des troubles respiratoires et des troubles nerveux : paresthésie de la langue et des lèvres, incoordination, ataxie. (source, inter alia : le site d’ Antoine Casteignau http://www.vegetox.envt.fr). Cependant dans le cas du vérâtre, il ne semble pas qu’il y ait augmentation de la diurèse.

En outre il y a « le fait que les indications communes sont nombreuses : épilepsie, mélancolie, dérangement mental, maladie des reins, maux de tête, etc. …  qui invitent à la confusion » Deroux, 1976 qui renvoie en note à la table des matières de l’édition d’Hippocrate par Littré (Volume X), Dioscoride, Περὶ ὕλης ἰατρικῆς ou De Materia Medica (4, 148 et 162), Pline, Naturalis Historia (Histoire Naturelle)(25, 54 – 55 et 160).

Hellébore ou ellébore ? Quelle hellébore?
On comprend dès lors qu’il est fort possible que les apothicaires aient utilisé indifféremment  les rhizomes de l’une ou l’autre de ces plantes et peut-être même d’autres ayant le même aspect et les mêmes effets. Les historiens de la pharmacie citent d’autres espèces du genre : H. foetidus, H.viridis et d’autres renonculacées  dont les racines étaient connues pour avoir des propriétés analogues notamment purgatives « par le haut et par le bas » notamment Adonis vernalis, Trollius europaeus, Actaea spicata, Astrantia major. Elles auraient été également utilisées sous la dénomination ‘ellébore’.
Enfin pour corser l’affaire, certains historiens philologues et botanistes refusent même l’indentification habituellement faite entre l’ellébore blanc des grecs et Veratrum album L.. C’est notamment le cas de Albert Carnoy dans son Dictionnaire étymologique des noms grecs des plantes (p. 159, cité par Deroux, 1976).
Il est donc à peu près certain que ni les profanes, ni la plupart des apothicaires ne devaient faire la distinction entre Veratrum album et Helleborus niger. En effet selon la plupart des auteurs, le (ou la) vérâtre est appelé ‘ellébore blanc’. Quant aux Helleborus, ils sont dénommés ‘ellébore noirs’  alors que dans l’expression courante on ne mentionne pas l’épithète comme c’est d’ailleurs aussi le cas dans de nombreuses occurrences des traités de « matière médicale » reprenant les médications des anciens grecs et latins et comme c’est aussi le cas chez ces auteurs eux-mêmes.
Il faut donc conclure que la question est indécidable ou plus exactement que la question n’a pas lieu d’être sous cette forme car dans l’expression reprise par La Fontaine « se purger avec quatre grains d’ellébore », le mot ‘ellébore’ ne renvoie pas à une plante mais à une drogue, un médicament exactement comme lorsque nous utilisons aujourd’hui le terme ‘aspirine’ par exemple, une préparation pharmaceutique dont seuls les spécialistes connaissent l’origine et la formule chimique précise.

2 - A la recherche de l’hellélébore noir
 
Peut-on aller plus loin et tenter de dépasser cette conclusion quelque peu décevante en reformulant notre question initiale : quelle est la plante que la tradition médicale ancienne prescrivait sous le nom d’hellébore noir, capable de guérir certaines formes de folies et de bien d’autres choses encore ? Il y a en fait trois prétendants principaux : Helleborus niger L. (hellébore noir, rose de Noël), Helleborus orientalis Lam.(rose de Carême), Helleborus cyclophyllus (A. Braun) Boissier.
 
 
(a) Les voyages au Levant : Pierre Belon et Joseph Pitton de Tournefort

Pour des raisons pratiques – la médecine – et aussi théoriques – la connaissance du monde végétal, le besoin de savoir quelles étaient exactement les  « plantes des anciens » est à l’origine en 1700 du voyage de Joseph Pitton de Tournefort en Grèce et en Asie, voyage qui devait se poursuivre en Afrique mais fut abrégé à cause d’une épidémie de peste qui sévissait en Egypte. Il était accompagné d’un médecin  Allemand, M. Gundelscheimer et du peintre Aubriet : « Ce fut un bonheur pour les Sciences que l'ordre que M. de Tournefort reçue du Roy en 1700 d'aller en Grèce, en Asie & en Afrique, non seulement pour y reconnoistre les Plantes des Anciens, & peut-être aussi celles qui leur auront échappé» (Fontenelle, Éloge de Joseph Pitton de Tournefort, 1708, orthographe non modifié).
 

Hellébore ou ellébore ? Quelle hellébore?
De ce voyage, Tournefort rapporta de nombreux échantillons de plantes : « Il rapportoit, outre une infinité d'Observations différentes, 1356 nouvelles Especes de Plantes, dont une grande partie venoient se ranger d'elles-mesmes sous quelqu'un des 673 Genres qu'il avoit établis : il ne fut obligé de créer pour tout le reste que 15 nouveaux Genres, sans aucune augmentation des Classes, ce qui prouve la commodité d'un sisteme, où tant de Plantes étrangères, & que l'on n'attendoit point, entroient si facilement. Il en fit son Corollarium Instutionum Rei Herbariæ, imprimé en 1703. » (Fontenelle, 1708)

Ainsi que le rappelle Fontenelle dans son éloge, il devait lors de ce voyage: « écrire le plus souvent qu'il pourroit à M. le Comte de Pontchartrain, qui luy procuroit tous les agrémens possibles dans son Voyage, & de l'informer en détail de ses découvertes & de ses avantures. » C’est ce qui explique que l’ouvrage est le recueil des 22 lettres que Tournefort avait écrites au Comte. Seul le premier tome de de ses relations minutieuses et détaillées de ce voyage fut publié de son vivant : écrasé contre un mur par une charrette dans la rue Lacépède à Paris en 1708, Tournefort devait décéder des suites de cet accident quelques mois plus tard, à cinquante-six ans. Les tomes suivants furent édités à titre posthume.

Lors de son voyage, Pitton de Tournefort ne trouva pas de spécimen de la fleur que l’on nomme aujourd’hui, à la suite de Linné H. niger mais en abondance ceux d’une autre espèce dont aujourd’hui le nom valide est Helleborus orientalis, Lam. que l’on appelle « Rose de Carême » pour la distinguer de la « Rose de Noël ». Selon lui, c’est cette espèce qui était désignée sous le vocable d’hellébore noir par les anciens herboristes et médecins grecs:
« Ils [deux herboristes rencontrés à Pruse (aujourd’hui Bursa) au pied du mont Olympe de Mysie] nous fournirent des racines du véritable Ellébore noir des anciens, autant que nous voulûmes pour en faire l'extrait. C’est la même espèce que celle des Anticyres et des côtes de la mer Noire. Cette Plante — que les Turcs appellent Zopléme et qui est très commune — au pied du mont Olympe, a pour racine un trognon, gros comme le pouce, couché en travers, long de trois ou quatre pouces, dur, ligneux, divisé en quelques racines plus menuës et tortuës. Toutes ces parties poussent des jets de deux ou trois pouces de long, terminez par des œilletons ou des bourgeons rougeâtres ; mais le trognon et les subdivisions sont noirâtres en dehors, et blanchâtres en dedans. Les fibres qui les accompagnent sont touffuës, longues de huit ou dix pouces, grosses depuis une ligne jusques à deux, peu ou point du tout cheveluës. Les plus vieilles sont noirâtres en dedans, d’autres brunes ; les nouvelles sont blanches; les unes et les autres ont la chair cassante, sans âcreté ni odeur, et sont traversées d’un nerf roussâtre. » (Pitton de Tornefort, 1727, lettre XXI)
Que cette espèce H. orientalis soit l’une des deux espèces que les Anciens botanistes et médecins grecs et latins appelaient « ellébore noir » est une hypothèse partagée encore aujourd’hui par de nombreux hellénistes et historiens de la botanique. Il s’agirait de celle mentionnée par Théophraste comme l’hellébore « du Pont » (ancien état sur la mer Noire dans le NE de la Turquie actuelle), qui ferait partie des quatre de « qualité supérieure, ou du moins des plus utilisés » (Recherche sur les Plantes, Livre IX 10 – 3, trad. fr. Suzanne Amigues, p. 354)
 

Hellébore ou ellébore ? Quelle hellébore?
L’autre espèce serait Helleborus cyclophyllus qui a pour aire naturelle les Balkans et qui y est l’espèce la plus répandue. C’est principalement sur ce critère de répartition ainsi que sur des correspondances entre les descriptions anciennes et les caractères morphologiques de H. cyclophyllus que se fonde cette identification entre l’ellébore noire des anciens Grecs et cette espèce. La rose de Noël quant à elle est originaire d’Europe centrale, dans les forêts de pente des Alpes centrales et orientales entre 300 et 1800 m d’altitude. La plupart des auteurs en ont donc conclu que H. niger ne pouvait être en fait l’hellébore noir des anciens Grecs. Ainsi Deroux (1976) adopte la position dominante lorsqu’il écrit : « En Grèce ἐλλέβορος μέλας ne désignait pas Helleborus niger L. qui n’existait pas dans cette région, mais vraisemblablement Helleborus orientalis L. (sic) ou Helleborus cyclophyllus R. Br » (note 5, p. 876 / les noms d’auteurs sont incorrects : pour H. orientalis, il s’agit de Lamarck (Lm.) et non de Linné (L.) et pour H. cyclophyllus, il s’agit de Boissier, botaniste Suisse ((A. Braun) Bois.).

Dire que H. niger n’existait pas dans cette région (la Grèce, les îles grecques et l’Asie mineure), c’est tenir pour nul le témoignage de Pierre Belon.  

En 1547 lors d’un voyage dans les mêmes contrées que celles visitées par Tournefort un siècle et demi plus tard, Pierre Belon avait trouvé des plants de H. niger sur le Mont Olympe (Olympe de Mysie ou Olympe de Bithynie) et dans les vallées du Mont Athos.
Belon voyageait dans l’empire Turc en qualité d’accompagnateur d’une mission diplomatique envoyée par François 1er auprès de l’empereur Soliman le Magnifique. Belon avait un grand projet : traduire les grands textes anciens, en particulier Dioscoride et Théophraste en établissant une concordance entre les dénominations anciennes et les modernes dans les trois règnes : végétal, animal et minéral. Dans ses nombreux voyages, il essaie de retrouver les noms grecs et latins attribués aux végétaux et animaux en comparant les descriptions latines et grecques avec ses observations et il tente de donner l’équivalent en français, en italien et en langues régionales françaises de ces dénominations.

Dans son ouvrage paru en 1553 relatant ses observations lors de ce voyage intitulé Les observations de plusieurs singularités & choses mémorables, trouvées en Grèce, Asie, Judée, Égypte, Arabie, & autres pays étranges, rédigées en trois livres il mentionne l’hellébore noir dans trois passages. Il indique qu’il ne l’a pas trouvé sur l’ile de Crète : « Ayant expressément cherché l’hellébore noir en Île de Crète, je n’en ai onc su trouver » (p. 99). Par contre au Mont Athos en Grèce « Hellébore noir y croît en plusieurs vallées » (p. 143). Enfin sur le Mont Olympe de Mysie : « L’hellébore y produit librement la fleur rouge et y croît en grande quantité. Ce fut le premier lieu où je le visse porter la fleur rouge » (p. 514).

Ces informations sont précises et circonstanciées. La remarque concernant la couleur de la fleur est à souligner. En effet après l’anthèse les sépales pétaloïdes de H. niger s’accroissent et deviennent verts s’il pousse à l’ombre, rouges s’il pousse au soleil (voir dans la troisième partie de cette étude sous la rubrique observation, texte, photo et référence). Cette remarque montre deux choses. Tout d’abord que Pierre Belon est un botaniste attentif et compétent, donc digne de foi et ensuite qu’il connaissait bien la plante mais avec une fleur blanche, d’où son étonnement. Il faut donc en conclure que contrairement à ce qui est répété de notes en notes et d’articles en articles, il y avait bien des stations de H. niger en Grèce et en Asie mineure (Bithynie, Pont) même si Pitton de Tournefort n’en a pas trouvé et si on en trouve plus.

En fait, les critères portant sur la morphologie et sur la présence ou l’absence de l’espèce à un moment donné ne sont pas très fiables. En ce qui concerne la morphologie, les descriptions des auteurs anciens sont bien trop imprécises et peuvent cadrer avec de nombreuses espèces du genre. Quant à la distribution, elle peut varier considérablement au cours du temps pour des raisons diverses et cela est particulièrement vrai pour l’environnement, le climat et la flore méditerranéenne. Parmi ces changements, on peut citer les variations climatiques naturelles ou induites, les variations d’altitude de l’étage nival, la déforestation, l’anthropisation, l’épuisement et l’érosion des sols, la disparition de plantes à cause de prélèvement excessifs, etc. de telle sorte que comme le soulignent Olivieri et al. (2016) on court un risque certain d’anachronisme en tentant d’identifier une plante citée par des sources anciennes à partir de la flore actuelle.

En bref, que l’on ne trouve pas d’H. niger aujourd’hui en Grèce et dans l’ancien état de Bithynie ou du Pont ne prouve pas qu’il n’y en avait pas à l’époque d’Hippocrate, de Platon ou de Théophraste. Que Pitton de Tournefort n’en ait pas trouvés dans la région où Belon en avait signalés un siècle et demi plutôt ne permet pas de rejeter les identifications de ce dernier.

(b) Le verdict de la phytochimie

Olivieri et al. (2016) proposent une nouvelle approche du problème : déterminer les propriétés pharmacologiques des plantes et comparer leurs effets médicaux avec les textes anciens. C’est à partir de la relation de l’hellébore avec le mythe de la guérison des Prœtides par Mélampus qu’ils vont argumenter.
Pour ces auteurs rattacher l’origine de l’utilisation de l’hellébore pour soigner des troubles mentaux et comportementaux à un mythe, montre que «the Greeks themselves traced the discovery of the neurological properties of hellebore as far back as to their own prehistory and considered the herb an age-old medicament for madness. (Les grecs eux-mêmes ont fait remonter la découverte des propriétés neurologiques de l’hellébore aussi loin que leur propre préhistoire et ils ont considéré la plante était un médicament contre la folie vieux comme le monde)» (Olivieri et al. p. 8). En outre les auteurs s’attachent à montrer que dans ce mythe, la description du comportement et des symptômes des Prœtides n’est pas « a pastiche of outlandish psychic conditions and outrageous actions (un pastiche de conditions psychiques étranges et d’actions scandaleuses) » mais sont la description littéraire de symptômes et de comportements de la vie réelle (real-life). Pour eux ces symptômes et comportements permettent de supposer que les Prœtides étaient atteintes de psychose maniacodépressive ; plus précisément on serait en présence d’un épisode maniaque dans un trouble bipolaire (bipolar disorder, anciennement nommé psychose maniacodépressive).

L’examen phytochimique comparé de Helleborus niger L., Helleborus orientalis Lam., Helleborus cyclophyllus (A. Braun) Boissier montre que les trois espèces sont toxiques mais que les deux les plus toxiques sont, à égalité, H. cyclophyllus et H. orientalis tandis que H. niger l’est bien moins. A la différence des deux autres, elle ne contient pas d’hellébrine, un composé hautement cardiotoxique et cytotoxique. H. niger et H. cyclophyllus ont des propriétés anti-inflammatoires mais H. niger est la seule à posséder des composés qui lui confèrent un effet hypnotique en plus des propriétés émétiques et laxatives communes au genre. Surtout elle seule contient des sarsasapogénines, composants qui ont des propriétés antipsychotiques et antidépressives (Olivieri et al., 2016).
Quant à H. orientalis, cette espèce est celle qui est la moins intéressante d’un point de vue pharmacologique. Non seulement elle est fortement cyto et cadiotoxique mais elle n’a par ailleurs que les propriétés émétiques et laxatives dues à des composés communs à tout le genre. (Olivieri et al. 2016, p.12).

Pour Olivieri et al., c’est donc H. niger qui doit être retenue comme l’espèce désignée par le vocable ellébore noir (ἐλλέβορος μέλας, μελαμπόδιον) dans les textes de l’antiquité grecque et latine lorsque la plante est citée pour ses bienfaits et lorsqu’elle fait partie d’un traitement contre la folie. Les auteurs supposent aussi que H. cyclophyllus devrait être la bonne identification pour les textes où l’accent est mis sur les effets débilitants de l’administration de la plante ou dans ceux où la plante est jugée trop dangereuse pour être utilisée.

On pourrait ajouter que ces analyses phytochimiques et pharmacologiques éclairent un passage du récit de Tournefort dans lequel il teste les propriétés de la plante qu’il pense être l’hellébore des anciens : « Trois Armeniens a qui nous en donnâmes, se plaígnirent tous d’avoir ete ſatiguez par des nausées, des tiraillemens d’entrailles, d’une impression de feu , & d’acreté dans l'estomac , le long de l’esophage, dans la gorge & au fondement; de crampes, de mouvemens convulsifs, joints à des élancemens violens dans la tête, qui venoient comme par fusées, & qui se renouvelloient quelques jours après. Ainsi nous commençames par rabbattre la moitie de l’estime que nous avions pour ce grand remede. » (p. 348). [Curieux texte tout de même où ces Arméniens servent de cobayes et qui conduit à s’interroger sur les pratiques de l’époque en matière de recherches médicales.] Quelques lignes plus bas, Tournefort cite un médecin qui déclare ne plus l’utiliser « à cause des accidens qu'elle cause aux malades. »
Il est tentant de suivre les conclusions d’Olivieri et al. car on peut supposer que l’espèce abondante jadis a disparu de la région pour une raison inconnue. Il y a un autre exemple de plante célèbre disparue au temps de Néron bien que très utilisée dans les périodes antérieures et citée dans les textes médicaux  longtemps encore après sa disparition: le silphium même si la distribution très restreinte de cette espèce et, semble-t-il, l’impossibilité de la cultiver en fait un cas très particulier. Il montre néanmoins qu’une telle disparition est possible d’autant qu’il n’est jamais question dans les textes médicaux anciens de cultiver l’hellébore noir mais toujours d’arracher des spécimens sauvages puisque la partie la plus utilisée était la racine.

Références
Complément aux références citées dans les trois premières parties de cette étude
 
Belon du Mans P., 1553. Voyage au Levant, texte établi et présenté par Alexandra Merle,  2001, Editions Chandeigne – Librairie Portugaise, Paris.

Carnoy Α., 1959 Dictionnaire étymologique des noms grecs des plantes. (Bibliothèque du Muséon, vol. 46). Louvain. In-8°, xi-277 p.

Deroux C., 1976. « Notes de lectures » Latomus, T. 35, Fasc. 4 (Oct./Déc. 1976) Société d'Études Latines de Bruxelles, pp. 875 – 878. http://www.jstor.org/stable/41533629

Foucaud A. Sur l'ellébore des Anciens. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 48ᵉ année, n°165, 1960. pp. 328-330.
doi : 10.3406/pharm.1960.6710
http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1960_num_48_165_6710

Minard, M., 2006. « Le roman de la médecine », Sud/Nord, no 21(1), p.p. 11-18. doi:10.3917/sn.021.0011.

Olivieri M. F., Marzari F., Kesel A. J., Bonalume L., Saettini F., 2016. « Pharmacology and psychiatry at the origins of Greek medicine : The myth of Melampus and the madness of the Proetides », Journal of the History of the Neurosciences, DOI: 10.1080/0964704X.2016.1211901, https://www.researchgate.net/publication/308075028

Pitton de Tournefort J., 1727. Relation d’un voyage au levant fait par ordre du roi, tome 3, Chez les Frères Bruyset, Lyon.

Raynal-Roques A., 1994. La botanique redécouverte, Belin, Paris.
Rolland Eugène, 1896. Flore populaire ou Histoire naturelle des plantes dans leurs rapports avec la linguistique et le folklore, tome 1, Librairie Rolland, Paris.

Starobinski J., 2012. L'Encre de la mélancolie, Le Seuil, Paris.
Thomas, Antoine « L'origine de l'expression Maître Aliboron », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et belles-lettres Année 1918 Volume 62 Numéro 2, p. 123 http://14-18.institut-de-france.fr/1919- discours-antoine-thomas.php#note284

Tilander G., 1946. « Maître Aliboron », Studia Neophilologica, 19:1, p.p. 169-183. DOI : 10.1080/00393274608586987

Tucakov J., 1979 – « L'usage de divers Hellébores en médecine vétérinaire et médecine populaires serbes à travers les âges » Bulletin T. LXVII de l'Académie Serbe des Sciences et des Arts – 1979 Classe des Sciences médicales, JNo 11 p. 15 – 30.
 
Illustrations
 
Page de l’album des Fables de La Fontaine du chocolat Menier ; Wikimedia ; Renart devant la justice du Roi Lion, enluminure du XIXe siècle ; Scan www.mincoin.com  ; scan image de classe échangée contre 10 bons points ; Chaumeton : Flore médicale, tome 5, planche 156 ; Helleborus orientalis Kenpei/Wikimedia Commons ; Helleborus cyclophyllus Peter Billinghurst/ Wikiméedia Commons.
 

Vendredi 19 Mai 2017 Commentaires (6)

La première partie de cette étude concernait les caractéristiques générales du genre et l’hellébore la plus commune en France continentale, Helleborus foetidus. Helleborus viridis plus rare a fait l’objet de la seconde partie. Cette troisième partie sera consacrée à Helleborus niger, la rose de Noël, sans doute la plus connue des jardiniers et des anciens apothicaires et herboristes mais occasionnelle à l’état sauvage dans la plupart de nos régions.


Les hellébores [ou ellébores], 3e partie : la rose de Noël, l'hellébore noir.
Helleborus niger L. -- Sp. Pl. 1: 558. 1753
                  
Noms français
 :
Hellébore noir ; Rose de Noël ; Rose d'hiver ; Hellébore a fleurs roses.

Le premier cité est la transposition en français du nom latin attribué en référence à la couleur de sa racine et en opposition à celle de l’Hellébore blanc ; les deux suivants renvoient à la période de floraison, le troisième à une des couleurs des sépales. On aura l’occasion de revenir sur quelques-unes de ses appellations anciennes.
              
 
Répartition
Aujourd’hui selon Gonard (2010) cette espèce ne serait spontanée que dans de rares stations des Alpes-de-Haute-Provence (sans plus de précision) et dans les Alpes‑Maritimes (vallon de la Brendola). Flora gallica (2014) la considère comme très rare et donne comme indication « Vallée de la Roya » (dans les Alpes‑Maritimes) vers 800 m et estime qu’il s’agit probablement de plantes naturalisées. Dans cette flore, l’espèce est considérée comme occasionnelle ailleurs. Elle n’est pas décrite dans la Flore forestière, ni dans le tome 2 (Montagne), ni dans le tome 3 (Région méditerranéenne).
Costes (1909) la signalait dans les « Basses‑Alpes » (Alpes‑Maritimes) sans précision et les Hautes‑Alpes où il ne semble pas qu’on l’y ait retrouvée depuis si ce n’est comme occasionnelle. Rouy (1893-1913) mentionne qu’elle a été signalée à Colmars­‑les‑Alpes : lac d’Allos et cols environnants (c.-à-d. à plus de 2 000m d’altitude) mais qu’elle n’avait pas été retrouvée par la suite. Il doute que cette espèce appartienne à la flore de France. Ils se référaient sans doute à Grenier et al. (1848-1856) qui avaient cité les mêmes lieux selon les mêmes sources que ceux rapportés par Rouy. Il semble donc que ces stations n’aient jamais été retrouvées par la suite. Des indications dans les Pyrénées se sont révélées incorrectes.

Il peut être utile de connaître ses noms allemands, italiens, roumains, slovènes et bien sûr grecs dans la mesure où c’est dans ces pays qu’elles sont les plus nombreuses à l’état sauvage spontané.
▪ Allemand : schwarz Nieswurz, weiße Christrose ; italien : rosa di natale, roumain : negru spanz, crăciun roz ; slovène : črni teloh ; en grec moderne : ελλέβορος, κάρπη. (En anglais : christmas rose, black hellebore).

Les hellébores [ou ellébores], 3e partie : la rose de Noël, l'hellébore noir.
Description

Helleborus niger L. subsp. niger est la sous-espèce présente en France. C’est elle qui sera décrite ici.

L’autre sous-espèce [H.niger L. subsp. macranthus (Freyn) Schiffner – Bot. Jahrb. Syst. 1890] pousse en Illyrie (rive orientale de l'Adriatique, Ouest de la Croatie, de la Slovénie, de la Bosnie-Herzégovine, du Monténégro, de l'Albanie et du Kosovo).

H. niger est calcicole. Il se plait dans les bois clairs au sol rocailleux, les lisières forestières arbustives et, dans son aire naturelle, les garrigues.

Il fleurit de Janvier à Avril.

- plante vivace, haute de 13 à 20 cm,
- rhizome noirâtre d'où partent des fibres épaisses et charnues,
- feuilles toutes à la base, coriaces, robustes, longuement pétiolées, vert foncé sur le dessus, vert plus clair au-dessous, pédalées pennatiséquées divisée en 7 – 9 folioles lancéolés à sub-ovés cunéiformes, plus larges dans la partie supérieure, marges dentées seulement sur le haut et à l’apex,
- fleurs actinomorphes, 1 – 2 (3) par pied de 5cm de large environ, tépales largement ovés, blancs, verdissant après l’anthèse, généralement 7 carpelles,
- follicules mûrs d’environ 3 cm de long, plus longs que larges, soudés à la base, becs droits égalant la longueur.

N. B. : A partir de cette plante, les horticulteurs obtenteurs ont réalisé et continuent de réaliser une multitude de cultivars. Il n’est donc pas du tout certain que les plantes achetées en pépinières ou dans les jardineries, voire observées dans un jardin botanique, possèdent les caractéristiques décrites ci-dessus.

Dans la nature aussi H. niger montre de grandes variations, surtout dans la sous-espèce considérée ici. Ces variations concernent toutes les parties de la plante. Mais évidemment, les plus spectaculaires concernent les sépales pétaloïdes dont la couleur varie selon le degré de maturation de la fleur, son exposition, la température ambiante. Avant anthèse elle va du blanc pur au rose en début de floraison pour virer ensuite au jaune puis au jaune orangé voire au rouge avec des nuances infinies selon les individus pour enfin devenir entièrement vert … ou rouge, couleur typique de l’autre sous-espèce ! Les sépales entièrement verts en fin de floraison sont plutôt arborés par les sujets ayant poussé à l’ombre, tandis que ceux ayant été exposés au soleil ont des sépales de couleurs plus variées. La couleur d’un même pied peut même changer avec la température : plutôt blanc lavé de rose quand il fait froid, d’un blanc pur lorsque la température remonte ! (Cf. Bavcon 2014, pp. 54–55.

Il reste que le caractère distinctif entre les deux sous-espèces est la forme des feuilles et celle-ci est stable pour l’une comme pour l’autre.

●→Devant cette variabilité, il faut préciser le matériel à partir duquel la description donnée ici a été élaborée : un spécimen sauvage naturalisé (au pied du Puy du Var (Cébazat 63), côté Nord-Ouest à ~ 365 m d’altitude, en fleurs 3ième semaine de mars), exemplaires en jardinerie, scans Photoflora, iconographie Téla Botanica, scan du lectotype, Bavcon (2014), Rottensteine (2016), photographies d’exemplaires slovènes et roumains. Les flores consultées sont celles citées en bibliographie.

Pollinisation & dispersion

Comme les autres espèces d’hellébores, celle-ci est entomogame et sa dispersion myrmécochore.
 

Les hellébores [ou ellébores], 3e partie : la rose de Noël, l'hellébore noir.
Observation
 
La Rose de Noël est une fleur originaire des montagnes alpines du centre de l’Europe. C’est une montagnarde parée pour faire face aux conditions les plus rudes de la vie à des altitudes élevées en hiver et au début du printemps. Comme Minerve naissant déjà toute armée du crâne de Jupiter, le bouton sort de terre déjà formé et sa taille ne fera que doubler avant qu’il se fane. Il arrive même parfois, lors d’hivers longs et rigoureux, qu’elle émerge de la neige fondante ses fruits déjà formés, résultat d’une autofécondation probable. Certes, elle est hermaphrodite et protogyne comme les autres espèces du genre et elle est d’ordinaire fécondée par  des hyménoptères et diptères dans un processus de fécondation croisée. Mais comme les autres espèces étudiées ici, l’auto-compatibilité et le chevauchement partiel des stades ♀ et ♂ par allongement de la réceptivité des stigmates assurent la pollinisation en cas d’échec pour une raison ou une autre de la fécondation croisée, par exemple le manque de pollinisateurs dans le cas où le développement de la plante se déroule sous la neige à cause de la longueur de l’hiver et d’un printemps pourri et froid.

Une curieuse particularité : le changement de couleur des sépales pétaloïdes

Comme c’est le cas pour H. foetidus et H. viridis, les sépales pétaloïdes de H. niger croissent après l’anthèse lors de la fructification. Cependant, H. niger subsp. niger a une curieuse particularité : ses sépales non seulement croissent mais changent de couleur, de blanches elles deviennent vertes et donc propre à réaliser la photosynthèse. Ce type de phénomène n’existe que dans peu d’espèces. Citons pour ce qui concerne la flore de la France hexagonale, Chrysosplenium alternifolium L. et Chrysosplenium oppositifolium L., deux petits saxifrages qui poussent dans des stations humides (bords des ruisseaux, sources...) (Cf. Sitte 1974, cité par Salopek-Sondi et al. 2000)

En ce qui concerne les sépales des roses de Noël, ils passent du blanc au jaune-vert (vert clair) peu de temps après la fertilisation, puis au vert dans les derniers jours de la maturation des fruits. Les fleurs qui sont exposées à la lumière directe du soleil au milieu de la journée peuvent accumuler en plus des pigments anthocyaniques de telle sorte que les sépales pétaloïdes de ces fleurs sont roses à l’anthèse et passent du rouge sombre au violet au cours de la maturation des graines dans le fruit. (Salopek-Sondi et al. 2000). Ces derniers sont beaucoup moins performants photosynthétiquement.

De nombreux articles sont consacrés à l’examen de ce processus et de la façon dont il est déclenché et quelles sont les hormones qui sont mises en jeu, le locus de leur production. (Brcko et al. 2012, Salopek-Sondi et al. 2000, 2002, 2007, 2011, Tarkowski et al. 2006, Schmitzer et al. 2013…). Des expérimentations et observations in situ, il en ressort que ce serait la maturation du fruit qui déclenche le processus de verdissement ainsi que celui de l’élongation de la hampe florale, que ce verdissement permet une amélioration du budget carbone de la plante pour supporter le coût énergétique du développement du fruit et de la maturation des graines. Ces phénomènes ne se produisent pas en cas d’absence de fruit due soit à une dépistilisation expérimentale, soit à une absence de fécondation naturelle bien que les structures reproductives des pieds non fécondées aient la même durée de vie que celles fécondées. Trois groupes principaux d’hormones végétales seraient en jeu  (cytokines, gibbérellines et auxines, pour le détail voir les articles cités). Le développement du fruit et surtout des graines constitue une riche source de ces groupes d’hormones et c’est l’interaction complexe de celles-ci qui coordonne le développement des autres parties de la fleur.

Les pièces florales – périanthes et enveloppe du fruit –  peuvent-elles être relativement autotrophes par rapport au reste de la plante ?

C’est ce que suggère la manière dont se déroule le développement annuel de la plante. Les feuilles de l’année précédente qui ont passé l’hiver ne sont guère opérationnelles ni lors du développement de la nouvelle pousse, ni pendant l’anthèse car elles sont recouvertes de neige ou de débris et  de plus, elles disparaissent vers le moment où le fruit commence à se former. Quelques jours plus tard, de jeunes feuilles apparaissent mais elles ne sont pas encore complétement développées au moment de la maturité des graines. Il ressort donc de ce déroulé des opérations que la seule source d’obtention d’assimilats est le périanthe vert si l’on excepte le recours aux stocks contenus dans le rhizome. Comme la plante réussit tout de même à produire des graines, on peut supposer que les pièces florales peuvent être auto-suffisantes en ce qui concerne leurs besoins en carbone. ( Salopek-Sondi et al. 2007)

L’ablation des sépales immédiatement après l’anthèse donne des résultats contradictoires : pratiquement pas de graines produites une année et pas de différence l’année suivante (Salopek-Sondi et al. 2002, 2007). Dans l’article de 2007 les auteurs émettent l’hypothèse que la différence des résultats serait due au fait que dans le premier cas, il n’y avait pas de feuilles alors qu’elles étaient présentes dans le second. Ils en concluent que « les sépales verts sont la source d’assimilats la plus rapprochée et la plus sûre mais elle n’est pas nécessairement la seule mise en jeu dans le développement des graines de la rose de Noël. Cette flexibilité devrait être un avantage compétitif pour une espèce exposée durant la fructification à des conditions météorologiques stressantes, en perpétuels changements, les conditions météorologiques des hivers et débuts de printemps de l’Europe du Sud. (The green sepals are the closest and most reliable, but not necessarily the only, source of assimilates for the developing Christmas rose seeds. This flexibility should be a competitive advantage for a species exposed, during fruit set, to the stressful, ever changing, weather conditions of a South-European winter and early spring.)» (2007, p. 154) Peut-être cette conclusion pourrait-elle être étendue à H. viridis (voir dans la deuxième partie la discussion concernant le rôle des sépales dans cette espèce).

Usages
 
H. niger est une plante mellifère décorative et ornementale.

Les hellébores [ou ellébores], 3e partie : la rose de Noël, l'hellébore noir.
À ce titre elle a de nombreux cultivars. Elle est utilisée comme fleurs coupées, fleurs tombales, pour les massifs, les bordures, les rocailles. Outre son aspect général, la longévité de sa floraison, et la beauté de ses fleurs et feuilles, c’est sa floraison précoce qui a fait son succès en horticulture. En pleine terre, elle ne fleurira pas à Noël dans nos contrées mais plutôt pour les plus précoces en Janvier. Ce n’est qu’en intérieur que l’on peut obtenir une floraison pour Noël.

La Rose de Noël est une plante de demi-ombre rustique, peu exigeante. Elle supporte des températures basses jusqu’à -18° – -20 ; si elle n’aime pas la sécheresse la première année, les plantes bien installées supportent bien par la suite les sécheresses estivales. Par contre les limaces raffolent de ses boutons et elle est sensible aux maladies cryptogamiques comme la maladie des « taches noires » qui peut être mortelle pour elle. Elle pousse très lentement : il faut compter deux ans avant la première floraison. Enfin il faut bien calculer ses emplacements avant plantation car elle n’aime pas être déplacée : elle risque de ne plus fleurir après une transplantation.

En définitive, c’est une plante assez difficile à cultiver au moins au début de son implantation. Elle peut néanmoins s’échapper des jardins et se naturaliser si elle trouve un endroit à son goût.

La poudre de racines d’H. niger et viridis interdite comme poudre à éternuer par l’UE

À l’annexe XVII, n° 9 b du règlement (CE) No 1907/2006 du Parlement Européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), la poudre de racine d’Helleborus viridis et d’Helleborus niger : « 1. Ne peuvent être utilisées dans les farces et attrapes ou objets destinés à être utilisés comme tels, par exemple comme constituants de la poudre à éternuer et des boules puantes. 2. Le paragraphe 1 ne s'applique cependant pas aux boules puantes d'un contenu ne dépassant pas 1,5 ml de liquide » (sic). H. viridis et niger ne sont concernées que pour la poudre à éternuer. (Pour les boules puantes, il s’agit d’une autre substance mentionnée au n° 9 a).

Mis à part le côté courtelinesque que le paragraphe de cette annexe partage avec une multitude d’autres textes du même acabit pondus par les instances de l’UE, on notera que s’il faut interdire cet usage sternutatoire de la poudre de racine de ces hellébores, c’est qu’il devait exister. Cette propriété de la poudre de racine d’H. viridis et H. niger est commune à d’autres espèces du genre et était connue depuis l’Antiquité.

Usage médicinal

Outre son utilisation pour traiter les troubles mentaux qui est son usage le plus connu, cet hellébore était utilisé pour ses vertus purgatives : « C’est probablement à l'ellébore qui croissait en abondance dans les iles Anticyres, plutôt qu'à la prétendue guérison d'Hercule devenu furieux, opérée par un habitant de ces contrées, que ces îles durent leur antique célébrité pour la guérison de la folie. Navigare Anticyras est le précepte que l'on donnait parmi les Grecs à ceux qui avaient perdu la raison. L'ellébore n'était pas moins estimé des anciens par ses propriétés vomitive et purgative, et l'on voit à chaque instant dans les ouvrages d'Hippocrate combien ce grand homme y avait fréquemment recours. » (Chaumeton 1830 p. 183). Cet auteur dresse une liste, non exhaustive mais déjà impressionnante, des usages traditionnels de la plante : « les auteurs de matière médicale s'accordent à lui accorder (sic !) des propriétés vomitive, purgative, diurétique, emménagogue, sternutatoire, altérante, anthelminthique, apéritive, antiphtisique, etc. » (ibid.). L’hellébore noir a aussi été employé comme cardiotonique et pour agir sur les artères et les nerfs dans l’antiquité jusqu’à la période Byzantine (Maior et al. 2013). Plus tard, Il entra dans la composition de l’ « élixir de longue vie » de Paracelse. Il a aussi été utilisé contre les rhumatismes, notamment aux XVIe et XVIIe siècle (Cf. Adams et al. 2009).

À l’origine de ces usages : la légende de Mélampous et des Prœtides.

L’origine de l’utilisation de l’Hellébore noir comme plante médicinale se perd dans la nuit des temps. Les Grecs anciens la font remonter à un personnage mythique guérisseur et devin : Mélampous ou Mélampus, en grec ancien Μέλαμπους, « aux pieds noirs » (μέλας (mélas) « noir » ; πούς (poús) «pied»).

C’est d’ailleurs pourquoi cet hellébore est nommé en grec ancien μελαμπόδιον (mélampodion) : « On   appelle parfois l’hellébore noir « la découpe de Mélampous », parce que ce personnage l’aurait pour la première fois découverte et coupée » (Théophraste, Recherche sur les plantes, (Livre IX, 10, 4) trad. f. p. 354). Ou peut-être est-ce l’inverse : « Pour l’hellébore à rhizome noir, [le découvreur] ne pouvait être qu’un certain Mélampous, littéralement « l’homme aux pieds noirs » » (Amigues, p. 354).

Entre autres exploits, Mélampous aurait guéri de la folie les trois filles de Προῖτος (Prœtos) le roi d’Argos, connues sous le nom des ‘Prœtides’. Lorsqu’elles furent en âge de se marier, ces trois jeunes filles offensèrent Héra selon certaines versions, Dionysos selon d’autres, qui les punirent en les rendant folles. Elles quittèrent leur palais et s’enfuient dans la montagne « aux forêts touffues en poussant des cris terribles, laissant la ville de Tirynthe et ses rues bâties par les dieux » (Bacchylide, Epinicies, XI). Elles se prenaient pour des vaches et mugissaient. Hésiode mentionne que pendant cette fuite et cette errance elles font preuve de lubricité (μάχλος). Courant nues et en furie à travers les bois «Leur odieuse impudeur a fané leur tendre jeunesse» d’autant que selon le poète elles furent frappées d’une maladie qui fit blanchir leur peau (vitiligo ?) et tomber leurs cheveux (Hésiode, Catalogue des femmes, fragment 130 M-V).

Mélampous était certes un devin et un guérisseur renommé mais ses honoraires étaient plutôt  élevés. Pour prix de la guérison de ses trois filles, il demandait à Prœtos le tiers de son royaume. Prœtos refusa. Cependant la situation empira lorsque la folie de ses trois filles devint contagieuse et frappa aussi les autres femmes du royaume qui quittaient leur maison, tuaient leurs propres enfants et fuyaient dans la nature. Le roi se résolut à faire de nouveau appel à Mélampous qui demanda alors les deux tiers du royaume – un tiers pour lui et un tiers pour son frère, Bias – et de choisir l’une des trois sœurs pour épouse. Prœtos accepta.

Mélampous fit usage à la fois de ses dons de devin et de guérisseur pour soigner et guérir les Prœtides par « ses enchantements et par ses herbes » selon l’expression d’Ovide dans les Métamorphoses (XV, 326-327). Il mêla danses rituelles, prières, fumigations et purifications par des ablutions ou des bains dans des ruisseaux ou des sources dont la localisation varie selon les versions et leur fit prendre de l’hellébore noir. Selon Apollodore il aurait été le premier à concevoir un traitement avec des médicaments et des purifications (Bibliothèque, 2.2.2).

Ce sont surtout les botanistes et les médecins qui insistèrent sur le recours à l’Hellébore noire. Outre Théophraste déjà cité, on peut mentionner Pline l’Ancien qui, concernant ce mythe, écrivit dans son Naturalis Historia (Histoire naturelle) (XXI, 1) : « On connaît la réputation de Mélampus (VII, 33) dans les arts de la divination ; il a donné son nom à une espèce d'ellébore, le mélampodion. Quelques-uns attribuent la découverte de cette plante à un berger de ce nom, qui remarqua que les chèvres étaient purgées quand elles en avaient mangé, et qui guérit la folie des filles de Proetus en leur donnant le lait de ces chèvres.» (Trad. f. Emile Littré).
À ces deux auteurs on peut ajouter Hippocrate (Lettres, 16), Dioscoride, De Materia Medica ou Περὶ ὕλης ἰατρικῆς (4.162.1) Galien, De atra bile ou Περὶ της μελαίνηϚ χολῆϚ (Sur la bile noire) 7; Oribase, ἸατρικώϚ συναγώγων (Collection médicale) (7.26.42).

À l’origine de la guerre chimique ? Le siège de Cirrha ou comment prendre une ville en purgeant drastiquement ses défenseurs.

Une utilisation peu médicale des vertus purgatives de l’Hellébore noir  « par le bas » est due à l’inventivité de Solon si l’on en croit Plutarque (Vie des hommes illustres – Vie de Solon) et Pausanias, un historien géographe de la deuxième moitié du IIe siècle (Voyage historique de la Grèce, Livre X, 37[8])

Dans les années 590 à 600 avant J. C. éclata en Grèce la première « guerre sacrée » menée par la Ligue amphictyonique, la coalition des cités co-gestionnaires du Sanctuaire d’Apollon à Delphes. Selon Pausanias, les habitants de Cirrha, le port de Delphes, s’étaient approprié un terrain appartenant au temple d’Apollon. La Ligue amphictyonique fit venir Solon pour prendre ses conseils et déclara la guerre aux Cirrhéens.
 

Les hellébores [ou ellébores], 3e partie : la rose de Noël, l'hellébore noir.
Le siège de Cirrha s’éternisait sans que rien de décisif ne soit acquis de part et d’autre. Solon eut  alors l’idée d’un stratagème. Il avait découvert un aqueduc caché qui était un bras du fleuve Plistus, et qui fournissait d'eau la ville de Cirrha. Il le détourna dans un canal qu'il fit creuser ; mais voyant que les habitants bien munis de puits et de citernes, continuaient à se défendre, il fit remplir ce nouveau canal de racines d'Ellébore dont il se faisait un grand commerce dans le pays d’après Plutarque. Quand ces racines eurent communiqué à l'eau leur vertu purgative, Solon ouvrit le cours de l'aqueduc. Les Assiégés burent avidement de ces eaux nouvelles, ce qui leur causa une diarrhée si violente qu'ils abandonnèrent leurs remparts. « Les Amphictyons maîtres de la Ville punirent leur impiété ; Cirrha devint le port et l'arsenal de Delphes. » La punition fut rude : les hommes furent passés au fil de l’épée et les femmes et les enfants vendus en esclavage.

L’Obs. a republié le 15 avril 2005 un article « ahurissant » et « hallucinant » selon les mots mêmes du journal. Il avait été publié pour la première fois dans Le Nouvel Observateur n° 21 du 8 avril 1965, quarante ans plus tôt. Il est ahurissant et hallucinant tout simplement parce qu’il s’agit d’un texte dans lequel un général américain, J.H. Rothschild se livre à un plaidoyer froidement argumenté en faveur des armes chimiques et bactériologiques. Pour lui, le stratagème de Solon est un exemple d’utilisation d’arme chimique et peut-être le début de l’utilisation de ce type d’armes. Il cite pratiquement in extenso le paragraphe que Pausanias consacre à cet événement à l’appui de son apologie des armes chimiques. Selon nos standards actuels, Solon, l’homme qui aurait introduit la démocratie à Athènes aurait été à l’origine d’un type d’armes qui rend coupable de crime de guerre le chef d’état qui ordonnerait d’y recourir.

Du quasi abandon au regain d’intérêt.

L’usage de l’hellébore noir a été peu à peu abandonné en médecine traditionnelle. Incertitudes sur les plantes utilisées, résultats incertains, effets secondaires parfois graves, voire mortels. Déjà Pinel (1792) dans ses articles sur le genre et ses espèces se montre réservé.

Selon Chaumeton (1830) ses prescriptions doivent être très restreintes par rapport à toutes celles qui ont eu cours. Néanmoins pour cet auteur  les résultats aléatoires obtenus, la diversité des dosages et des méthodes d’administration ne remettent pas en cause les vertus de la plante. Il les attribue à deux causes : les différences d’état de conservation de ses parties utiles et notamment du rhizome qui est celle la plus souvent utilisée  et l’incertitude sur la nature réelle des produits commercialisés. Concernant le premier point il écrit : « Il faut se rappeler que la manière d'agir de cette plante héroïque varie selon son ancienneté, selon les lieux où elle a pris naissance, et selon les préparations qu'on lui a fait subir. Récente, elle est acre, vénéneuse, et produit la rubéfaction et la vésication de la peau : modérément desséchée, elle fait vomir, elle purge, elle détermine l’éternuement, elle excite la sécrétion des urines, elle provoque l'écoulement menstruel, celui des hémorroïdes, et augmente en un mot la contractilité insensible de nos organes : mais après avoir été entièrement desséchée, elle conserve à peine une légère vertu purgative. C'est faute d'avoir donné à ces différentes circonstances l'attention convenable, que les observateurs ont tant varié d'opinion sur la manière d'agir de l'ellébore, et que les résultats de son administration ont été si souvent contradictoires. » (p. 184).

Quant à ce que l’on trouve dans le commerce sous le nom d’hellébore noire, Chaumeton constate que : « soit par ignorance, soit par cupidité, la racine de l'ellébore noir est souvent confondue et presque toujours mêlée avec plusieurs autres racines qui lui sont ainsi substituées dans les prescriptions, à l'insu du médecin. Telles sont celles de l’Elleborus fœtidus, de l’E. viridis, de l’Adonis, vernalis, de l’apennina, du Trollius europœus, d’Actea spicata, de l’Astrantia major, et de l’Aconitum napellus. Cette sophistication est encore une des causes de la différence des résultats obtenus sur l'action de l'ellébore noir et de l'extrême diversité qui règne dans la détermination des doses auxquelles il convient de l'administrer. » (p. 185).

Mérat et De Lens (1837) constatent que H. niger n’est pratiquement plus employée et le regrettent : « Ce médicament, qu'Hippocrate employait journellement, qu'il prescrit à chaque page de ses ouvrages, est aujourd'hui tombé dans le plus grand oubli ; on ne peut pas dire que ce soit à cause de son inactivité. Cet abandon nous semble devoir être attribué à plusieurs causes. 1° A l'incertitude du médicament qu'on emploie. On pense que nous n'avons pas l'hellébore des anciens, et dès lors on ne prescrit pas cette racine dans la crainte que celui que nous donnons n'ait pas les mêmes vertus. Nous avons dit plus haut qu'il n'était pas prouvé qu'ils n'employassent pas H. niger, et que d'ailleurs en nous servant de H. orientalis Lam., nous userions du même qu'eux. 2° La racine que nous employons est d'un effet très inégal, soit par sa vétusté, soit par son altération. Effectivement on la mélange souvent avec celles d’Adonis, de Trollius europoeus L., de Veratrum album, L., d’Actea spicata, L. , d’Astrantia major L., d'Aconit, etc. ; substitutions inaperçues, dit M. de Candolle, et qui prouvent l'extrême analogie de toutes ces racines (Essai, 69), mais qui doivent toutefois produire des résultats variables. 3° On l'a donné, d'après les indications des anciens, dans des cas où elle a dû souvent être nuisible, ce qui aura éloigné de l'employer. 4° Enfin on a craint d'administrer une substance aussi active, mais alors il ne s'agit que d'en diminuer la dose. Aujourd'hui des expériences directes, faites avec la racine fraîche ou sèche, bien préparée, de Helleborus viridis, seraient utiles à répéter, et nous ne doutons pas qu'on obtiendrait des effets très-marqués de cette racine énergique, et qu'on pourrait en faire, suivant l'expression d'Hérophilo au sujet des médicaments importants, une des mains de Dieu. Ces expériences, du reste, devraient être faites avec précaution ; car nous tenons de M. Henry, chef de la pharmacie centrale, qu'un vin d'hellébore préparé d'après la méthode de Parmentier, essayé jadis par Bosquillon, à l'Hôtel-Dieu, a causé des accidents redoutables. »

On remarquera une incertitude rémanente chez les auteurs concernant à la fois la plante il faut administrer et  la plante que l’on administre en fait. On notera aussi que les auteurs de ce texte passent d’une espèce à une autre, d’Helleborus niger au début du texte à H. viridis à la fin. Aux incertitudes s’ajoutent une confusion sur les espèces qui semble avoir existé dès le début avec Théophraste et perduré tout au long des siècles et jusqu’à une époque récente.
C’est ainsi qu’en 1943 W. Karrer avait mis en évidence la présence d’hellébrine dans Helleborus niger ce qui ne fut pas confirmé par des recherches ultérieures qui, au contraire, ont clairement exclu la présence de cet hétéroside cardiotonique chez cette espèce. On pense qu’il est vraisemblable que W. Karrer a en fait isolé l’hellébrine de plants d’Helleborus purpurascens pris à tort pour des plants d’H. niger… La botanique étant aujourd’hui le parent pauvre de la biologie, il est à redouter que des confusions de ce type se produisent de nouveau entre plantes d’espèces d’un même genre, voire même de genres différents, faute de déterminateurs compétents !

De nos jours c’est en médecine non conventionnelle qu’Helleborus niger est utilisé. En homéopathie, sa racine fraîche est employée pour son action sur les reins en cas de néphrite aiguë massive et en cas de troubles du comportement : dépression profonde, obnubilation, dépression après l'arrêt des règles, mélancolie maniaco-dépressive.

Il est aussi utilisé en Allemagne comme traitement adjuvant pour diverses tumeurs en médecine anthroposophique (Büssing and Schweizer 1998).

En médecine conventionnelle allopathique, des extraits aqueux de plantes entières se sont révélés posséder des propriétés anti-cancéreuses en provoquant la mort des cellules malignes notamment dans les leucémies infantiles (Jesse et al. 2009).

À la différence de celle des temps anciens, l’herboristerie d’aujourd’hui a donc peu recours aux plantes du genre Helleborus. Par contre c’est à leurs composants chimiques que la recherche pharmacologique actuelle s’intéresse. À la lumière de celle-ci il apparait que beaucoup des indications des anciens Grecs et notamment celles concernant les troubles du comportement n’étaient pas aussi absurdes qu’on l’a parfois un peu rapidement déclaré. De manière générale, les études sur des extraits des espèces d’hellébores ont montré qu’elles possédaient des composés chimiques ayant un potentiel médical élevé. Des composants isolés récemment sont considérés comme des remèdes prometteurs tant pour des maladies graves comme les cancers, les diabètes que pour des affections plus légères comme le mal de dent, l’eczéma, les rhumatismes. Maior et al. 2013 dressent un panorama de ces récentes découvertes sur ces composés et leurs potentialités thérapeutiques.

Mais quelle est donc cette plante ?

Dans le recensement des usages médicinaux traditionnels des différentes espèces d’Hellébores que dressent en début de leur article Maior et al. (2013), ces auteurs écrivent que si les diverses espèces du genre Helleborus ont été utilisées depuis la plus haute antiquité et même sans doute antérieurement, il reste que parmi ces espèces, ce fut sans doute l’Hellébore noir qui fut le plus employé. C’est aussi l’avis d’auteurs des siècles précédents comme par exemple Chaumeton (1830) qui estime même que parmi les plantes médicinale, c’est celle qui a eu la plus grande réputation : « Aucune plante, peut-être, n'a joui de plus de réputation » (p. 183).  

Cependant il n’est pas du tout certain que cet Hellébore noir qu’utilisaient les médecins grecs anciens soit bien l’espèce désignée par le binôme linnéen Helleborus niger dont la sous espèce niger est l’objet de notre présent propos. Par contre, il semble que ce soit lui qui ait été utilisé (ou crû l’avoir été) le plus souvent dans la médecine traditionnelle comme en médecine populaire en Europe sans doute dès le Moyen Âge.

Le lecteur attentif aura remarqué que pour ce qui concerne les usages traditionnels ou anciens nous avons utilisé le terme ‘hellébore noir’ et non le binôme linnéen ‘helleborus niger’. Nous voulions réserver ainsi la possibilité que les dénominations vernaculaires n’aient pas toujours pour référent les hellébores appartenant à l’espèce que désigne ce binôme. Cette question mérite de plus amples développements et fera l’objet de la partie suivante de cette étude intitulée « Ellébore ou Hellébore ? »

Légende

L’histoire de Mélampous est un mythe et celle du siège de Cirrha est peut-être en grande partie une légende. Aussi dans ce paragraphe, on n’en racontera une seule, propre à faire justice à cette belle fleur.

Depuis le Moyen Âge, cette fleur est placée dans certaines crèches. Savez-vous pourquoi ? Parce qu’elle symbolise la pureté bien entendu mais aussi pour une tout autre raison.
La nuit de la naissance de Jésus-Christ, Madelon, une pauvre bergère voit une caravane de bergers et Rois Mages traverser son champ enneigé pour aller offrir leurs cadeaux au nouveau-né. Elle aussi voudrait bien se joindre à eux et apporter un cadeau mais elle est si pauvre qu’elle n’a vraiment rien à offrir. Alors, elle se met à pleurer. Un ange voit ses larmes sur la neige. Il les effleure et fait éclore son cadeau, une fleur blanche ombrée de rose : la rose de Noël.
 

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Références
Complément pour H.niger  aux références citées dans la première et deuxième partie de cette étude


Adams M., Berset C., Kessler M., Hamburger M., 2009. « Medicinal herbs for the treatment of rheumatic disorders—A survey of European herbals from the 16th and 17th century », Journal of Ethnopharmacology 121 (2009) 343–359

Aschan G., Pfanz H., 2003. Non-foliar photosynthesis – a strategy of additional carbon acquisition, Flora 198, p.p. 81– 97.

Aschan G., Pfanz H., Vodnik D., Bati F. 2005. Photosynthetic performance of vegetative and reproductive structures of green hellebore (Helleborus viridisL. agg.).  Photosynthetica  43, p.p. 55-64.

Bavcon J., 2014.  « Helleborus diversity in Slovenia », European Botanic Gardens in a Changing World: Insights into EUROGARD VI,Thessaloniki http://www.botanicgardens.eu/eurogard/eurogard6/bavcon_helleborus.pdf

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Sitte P., 1974. « Plastiden-Metamorphose und Chromoplasten bei Chrysosplenium.» Zeitschrift für Pflanzenphysiologie 73(3) , p.p. 243-265. DOI: 10.1016/S0044-328X(74)80157-1

Tarkowski P., Tarkowská D., Novák O., Mihaljević S., Magnus V., Strnad M., and Salopek-Sondi B., 2006.  « Cytokinins in the perianth, carpels, and developing fruit of Helleborus niger L. » Journal of Experimental Botany, Vol. 57, No. 10, p.p. 2237–2247, doi:10.1093/jxb/erj19 ;  Available from: https://www.researchgate.net/publication/7016094_Cytokinins_in_the_perianth_carpels_and_developing_fruit_of_Helleborus_niger_L

Vesprini J. L., Pacini E., 2005. « Temperature-dependent floral longevity in two Helleborus species » Plant Systematics and Evolution, April 2005, 252 (1), p.p. 63–70.

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Illustrations

Žiga / Wikimedia Commons ; Planche 13 de A. Masclef Atlas des plantes de France ; B. Hutta/ Wikimedia Commons ; Eugène Grasset « Décembre – La belle jardinière » 1896 Museum für Kunst und Gewerbe, Hamburg ;  la carte des environs de Delphes est extraite d’une traduction en ligne du texte de Pausanias à lire  ici : http://www.mediterranees.net/geographie/pausanias/livre10g.html
 
N.B. :  Sur le site Méditerranées cité ci-dessus, on trouve en ligne des traductions d'œuvres grecques et latines, ainsi que sur le site de Philippe Remacle  « L'antiquité grecque et latine du moyen âge » http://remacle.org/  . La plupart des ouvrages anciens cités sont consultables en ligne, numérisés par Google ou la Bnf.

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Philippe Remacle est décédé en 2011, ses enfants ont maintenu son site. Qu’il me soit permis ici de les en remercier.
 

Lundi 24 Avril 2017 Commentaires (0)

La première partie de cet article a été consacrée à des généralités sur le genre Helleborus et à une de ses espèces H. foetidus, la plus fréquente en France continentale. Cette partie s’attachera à H. viridis, l'hellébore vert.


Helleborus viridis subsp. occidentalis – allure générale de la plante. On remarquera les marges grossièrement dentées des feuilles
Helleborus viridis subsp. occidentalis – allure générale de la plante. On remarquera les marges grossièrement dentées des feuilles
Helleborus viridis L. 1753 Sp. Pl., 1 : 557

Pour le nom du genre voir la première partie de cet article. L’épithète viridis (vert) renvoie à la couleur des sépales pétaloïdes.

Nom français : Hellébore vert.

Pour les noms populaires et leur analyse, voir en fin de cette partie.

Cette espèce est présente mais assez rare en France, plus fréquente dans les Pyrénées, absente en Bretagne dans le Finistère et le Morbihan, absente ou disparue dans le centre de la France, très rare dans le Sud Est, absente en Corse.

C’est une espèce d’ombre ou de demi-ombre, mésophile*, qui préfère les sols calcaires. Elle pousse dans des milieux forestiers, forêts de feuillus, chênaies-hêtraies, hêtraies, plus en altitude, hêtraies‑sapinières, ripisylves en plaine. Elle est essentiellement collinéenne et montagnarde mais on  peut la rencontrer de 0 à 1500 (1600 – 2300).
La plante fleurit entre (janvier) mars – avril.
 

De haut en bas et de gauche à droite : Inflorescence ; les boutons floraux ne sont pas encore complétement ouverts. Remarquez les bractées sessiles et digitées, à comparer avec les bractées ovales et entières de H. foetidus. / Fruits avec les sépales persistantes / Corolle avec les pétales réduits à des nectaires et les nombreuses étamines entourant le pistil.
De haut en bas et de gauche à droite : Inflorescence ; les boutons floraux ne sont pas encore complétement ouverts. Remarquez les bractées sessiles et digitées, à comparer avec les bractées ovales et entières de H. foetidus. / Fruits avec les sépales persistantes / Corolle avec les pétales réduits à des nectaires et les nombreuses étamines entourant le pistil.
- L’allure générale de la plante est assez différente de celle d’H. foetidus et surtout elle est inodore. Elles se distinguent aussi au niveau racinaire. Alors que H. foetidus a une souche ligneuse, verticale et ronde, H. viridis possède un rhizome noirâtre, épais et court. Mais il est inutile de les déterrer, l’absence d’odeur de l’une et l’odeur prégnante de l’autre sont suffisamment distinctives.

- Plante glabre, vert foncé.
- Tige nue jusqu’aux premiers rameaux. 1 ou 2 feuilles basilaires vertes foncées qui se dessèchent en été et disparaissent en hiver à la différence de celles d’Helleborus foetidus, palmatiséquées***à 9 – 11 folioles lancéolés, profondément dentés.
- Les fleurs actinomorphe, de 2 à 5 cm de diamètre sont vert pomme et parfois rosées. Elles apparaissent au sommet de longs pédoncules concolores, annuels. Les sépales pétaloïdes sont ovales à elliptiques, étalés après la floraison. Les pétales sont réduits à des cornets nectarifères et masqués par une large couronne d’étamines, nombreuses et jaunâtres.
-  Les bractées sont situées vers le haut du pédoncule. Elles sont sessiles, palmatiséquées.
- Les fruits sont des follicules presque aussi longs que larges, bec égalant la moitié de la longueur.

[* Mésophile : se dit d’une plante ou d’une communauté végétale qui pousse sur un sol ayant un gradient moyen sur l’axe humidité / sécheresse.]
[** Géophyte : plante vivace qui passe la mauvaise saison avec ses bourgeons de renouvellement enfouis dans le sol.]
[*** palmatiséqué : se dit d’une feuille au limbe palmé et profondément divisé en segment bien individualisés et soudés seulement à la base.]

Confusions

Lorsque la plante est développée, il est difficile de la confondre avec des espèces appartenant à un autre genre ou à une autre famille. Mais lorsqu’il s’agit de jeunes pousses, l’identification est plus difficile. La littérature rapporte le cas d’une jeune femme de 38 ans qui s’est gravement intoxiquée en mangeant des pousses d’H. viridis qu’elle avait ramassées par erreur en les confondant avec des pousses d’asperges sauvages (Bossi et al. 1981). Elle présentait des symptômes semblables à ceux d’une intoxication à la digitaline : très grave arythmie cardiaque mettant en jeu son pronostic vital,  hypotension systémique (c’est celle que l’on mesure d’ordinaire avec le nombre le plus élevé) et gastro-entérite.  

Pollinisation & dispersion
 
La pollinisation se fait par les insectes, essentiellement hyménoptères et diptères, la dispersion par les fourmis. Des graines de cette espèce pourvues de leur élaïosome ont été observées trainées par des fourmis (cf. Servigne 2008, p. 143).

Plante à rhizome d’ombre ou de demi-ombre, myrmécochore, son rayon de dispersion est limité. On la trouve plus souvent dans les forêts anciennes et elle fait partie du cortège de plantes indicatrices de ce type de forêts. En ce qui concerne H. foetidus, c’est l’inverse. On la trouve plus fréquemment dans  les forêts récentes et dans bien d’autres milieux. Pourtant les deux espèces sont vivaces, ont le même type de dispersion ; elles poussent sur des sols ayant des caractéristiques quasi identiques. Elles différent surtout quant à l’exposition. H. foetidus est une plante héliophile ou de demi-ombre. C’est sans doute dans cette différence de caractère qu’il faut chercher la différence entre l’abondance de cette dernière et la relative rareté de H. viridis qui se voit cantonné à un milieu forestier peu répandu, même si globalement les surfaces forestières ont tendance à progresser avec la déprise agricole et les plantations de résineux qui sont certes des espaces boisés mais sont abusivement appelées forêts. Il s’agit de milieux moins propices à son implantation.

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Compléments

▪  Helleborus viridis : une espèce ou un groupe ?
Dans la flore Costes, et d’autres flores anciennes comme celle de Rouy et Foucaud ou de Grenier et Godron ainsi que dans la Flore des Renonculacées de France de  A. Gonnard, les feuilles sont décrites pédalées. La Flore forestière française les décrit palmatiséquées. C’est le parti que j’ai pris compte tenu de mes propres observations. Dans Flora Gallica, une note indique que « aucune description ne prend en compte la variabilité individuelle, notamment la forme des feuilles (…). Certaines populations des Pyr. et des Alp.-Maritimes, comme d’ailleurs la plupart de celles d’Italie, couvrent pratiquement à elles seules toute la variabilité foliaire et florale du groupe. » (p.946).

Rouy et Foucaud, Tome 1, page 117 et notes distinguaient cinq sous-espèces avec des formes de transition. On en retient d’ordinaire deux H. viridis subsp. orientalis (Reut) Schiffner (= H.occidentalis Reuter) et H. viridis L. subsp. viridis (= H. bocconi P. Fourn. = H. laxus Host = H.pallidus Host). Flora gallica ne distingue pas de sous-espèces. En attendant une révision taxinomique faut-il considérer que H. viridis  réfère plutôt à un groupe qu’à une espèce ? Je donne ici les caractéristiques distinctives de ces deux sous-espèces telles que précisées par Gonard (2010, p. 221)

De gauche à droite : feuille de H. viridis subsp. viridis ; feuille de H. viridis subsp. occidentalis
De gauche à droite : feuille de H. viridis subsp. viridis ; feuille de H. viridis subsp. occidentalis
˃ H. viridis subsp. occidentalis (Reut.) Schiffner : feuilles glabres à la face inférieure à segments grossièrement dentées, sépales étroits ovales à elliptiques.
˃ H. viridis L. subsp. viridis : feuilles pubescentes sur la face inférieure à segments finement dentés, sépales larges ovales.

Cette dernière sous-espèce n’est présente  à l’état spontané en France que dans les Alpes Maritimes.

▪ A quoi sert la persistance des sépales après la floraison ?

L’Hellébore vert et l’Hellébore fétide ont tous les deux des sépales qui persistent et croissent après la floraison. Ceux de l’hellébore fétide restent en forme de cloche et forment presque un tube depuis l’éclosion jusqu’à la floraison et ne s’ouvrent totalement qu’au moment de la fructification et restent alors bien ouverts pendant toute la maturation du fruit. Par contre ceux de l’Hellébore vert sont ouverts dès l’éclosion et le demeurent jusqu’à la maturation du fruit. A ces différences dans le développement de la fleur s’ajouterait une différence curieuse et quelque peu inattendue dans la fonction des sépales de ces deux plantes.
Herrera (2005) a montré expérimentalement que si on supprimait les sépales d’une fleur d’Hellébore fétide qui accompagnent normalement la fructification jusqu’à sa maturation, le poids des graines diminuait sensiblement. Les sépales participent donc via la photosynthèse qu’elles effectuent  à la croissance de ces graines. Dans le cas de H. viridis, à partir d’une expérimentation du même type, Guitian et al. (2014) ont montré que la réduction plus ou moins complète du périanthe ne change rien au poids des graines, ce qui permet de penser, selon les auteurs, que les sépales ne contribuent pas au développement de celles-ci alors qu’elles-mêmes croissent pendant le développement des stades post floraison comme le font celles de H. foetidus. Ils en concluent que ce n’est pas la croissance des sépales qui peut contribuer au développement du fruit dans le cas de H. foetidus mais le fait qu’en s’ouvrant, ils pourraient participer à la photosynthèse plus efficacement : «  Par conséquent, l’apport des sépales au poids des graines pour H. foetidus pourrait être dû à l’ouverture des sépales qui augmente sans doute sa performance photosynthétique et non à la croissance des sépales. Cette dernière pourrait correspondre à un simple effet architectural de la croissance de la structure florale toute entière, à la fois pour H. foetidus et H. viridis. (The resource contribution of sepals to seed weight in H. foetidus, hence, could be due to sepal opening – which likely increases its photosynthetic performance  –  rather than sepal growth. The latter could respond to simple architectural effects of the growing of the whole floral structure, both in H. foetidus and H. viridis). » Comme le montre cette citation, c’est avec beaucoup de prudence que cette hypothèse est avancée.
Les auteurs écrivent : «Nos résultats prouvent que la persistance des sépales après la floraison de H. viridis ne contribue pas au développement des graines, de même que les manipulations sur la dimension du calice n’ont pas d’effet significatif sur le nombre et le poids des graines produites  (Our results provide evidence that the post-floral persistent sepals of H. viridis do not contribute to the development of seeds, as calyx size manipulation had no significant effect on the number and weight of seeds produced.) ». De ces deux propositions, seule la seconde est effectivement prouvée par les expérimentations rapportées. En affirmant la première, ils affirment plus que ce qu’ils ont vraiment prouvé. Ils ont montré que l’ablation des sépales après la floraison n’a pas d’effet significatif sur le développement des graines. Cela ne prouve pas que, lorsqu’ils sont présents, les sépales ne contribuent pas à ce développement. Puisqu’ils sont aptes à la photosynthèse, ce serait même étonnant qu’ils ne le fassent pas.
 Jusqu’à l’apparition des feuilles qui a lieu relativement tardivement dans le développement annuel de la plante, les sépales sont l’une des sources des produits de cette photosynthèse. Selon Aschan et al. (2005) : «  Comme les feuilles de la base apparaissent tard, pendant le développement du fruit, les sépales photosynthétiquement actifs sont au début du printemps la principale source des assimilats, contribuant à plus de 60% au gain de CO2 de la plante entière. (As the basal leaves emerge late during fruit development, the photosynthetically active sepals are a major source of assimilates, contributing more than 60 % of whole-plant CO2 gain in early spring. The ripening dehiscent fruits are characterized by an effective internal re-fixation of the respirational carbon loss and thus additionally improve the overall carbon budget) » (p. 55) L’appareil reproducteur de nombreuses espèces est quasiment autotrophe par son aptitude photosynthétique et sa capacité à refixer le CO2 endogène de respiration. (cf. Aschan et al. 2003)
Dans le cas où ils ont été ôtés artificiellement, ce sont les feuilles, ou le pétiole qui peuvent être mobilisés, au détriment peut-être du stockage de nutriments dans le rhizome pour la nouvelle pousse qui surgira au prochain printemps. La réduction totale ou partielle du calice n’ayant pas de conséquence quant au fruit, sa maturation et les graines obtenues, cela prouve simplement que H. viridis est capable de faire face à cette mutilation et « choisit » si l’on ose dire de mobiliser des ressources supplémentaires pour le développement de son fruit à partir des feuilles (elles sont grandes dans cette espèce) ou des réserves stockés dans le rhizome. H. foetidus ayant tout une structure aérienne à entretenir pendant la période hivernale ne peut peut-être pas se permettre une allocation de ressources suffisantes pour pallier complétement le manque induit par l’ablation des sépales lors du développement et de la maturation du fruit.

 ▪ Une lance pour percer la terre

 Dans un article, où il étudie l’émergence printanière des organes aériens des plantes vivaces des forêts, Edward James Salisbury (1916) classe H. viridis parmi les plantes nettement géophytes (pronounced geophytes). Toutes les espèces vivaces géophytes possèdent un type de pousse en forme de lance (spear shoot) dont la structure est plus ou moins spécialisée pour réussir cette émergence. Cette spécialisation est d’autant plus prononcée que la plante est plus nettement géophyte. Dans le cas de H. viridis, il s’agit d’une pousse robuste, pointue et dure protégée par des écailles foliaires. C’est à la paroi épaisse des cellules de l’épiderme et des tissus sous-jacents de ces écailles que la pousse doit sa dureté et sa rigidité propres à percer le sol.

Retourner les effets du poison contre l’empoisonneur ? Des tenthrèdes l’ont fait.

C’est en effet ce que réalisent les larves de deux espèces d’hyménoptères l’une vivant sur H. viridis et l’autre sur H. foetidus.

Les hellébores se défendent contre leurs prédateurs éventuels en métabolisant des composés chimiques toxiques. De ce fait, elles sont peu attaquées. Cependant en ce qui concerne H. foetidus et H. viridis ces poisons sont sans effet sur des espèces de larves d’hyménoptères du genre Monophadnus qui se nourrissent de leurs feuilles. Les imagos sont de petites bestioles ressemblant à des mouches de 5 à 6 mm de la famille des Tenthredinidae (mouches à scie). Les larves ressemblent à des chenilles de papillons. Ce sont de « fausses chenilles » qui ont six vraies pattes thoraciques comme les vraies chenilles mais quatorze fausses pattes abdominales alors que les vraies chenilles n’en n’ont jamais que de quatre à dix. En tout cas ces fausses chenilles sont de vrais ravageurs. Celles qui dévorent les feuilles de différentes plantes horticoles, potagères ou d’arbres sont bien connues et combattues pour cela. Par contre celles qui se nourrissent des feuilles des plantes sauvages ne sont pas toutes décrites. Cela serait le cas de l’espèce vivant et se nourrissant sur les hellébores fétides comme celui de l’espèce vivant et se nourrissant sur les hellébores verts selon José Prieto et ses co-auteurs qui ont établi comment l’une et l’autre utilisaient le poison qu’elles absorbaient en mangeant les feuilles de ces plantes  (Prieto et al. 2007).

Non seulement les larves de ces deux espèces ne sont pas sensibles aux composés toxiques métabolisés par la plante mais l’une et l’autre stockent l’un d’entre eux (une saponine furostanol) dans leur hémolymphe qui présente des concentrations jusqu’à 200 fois plus élevées que celui des cellules des feuilles de la plante. En cas d’attaque la larve sécrète une gouttelette de son hémolymphe qui a un effet répulsif sur son prédateur, les ouvrières de la « Fourmi rouge » (Myrmica rubra). Elle peut ainsi continuer tranquillement de dévorer les feuilles de l’hellébore qui lui sert de repas. L’hellébore aura donc donné à son prédateur une des armes dont elle se sert pour s’en défendre. Il l'utilise pour se protéger après l'avoir affutée !

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Usages

Toute la plante est fortement toxique. C’est peut-être même l’espèce la plus toxique de toutes. Néanmoins les intoxications sont très rares chez les hommes comme chez le bétail. L’issue est souvent fatale.

En médecine humaine et vétérinaire on a utilisé principalement la racine, parfois les feuilles. Comme nous l’avons indiqué dans le chapitre consacré à H.foetidus, il est difficile de savoir quelle racine de quelle espèce d’hellébore, voire  de quelle espèce de renonculacée, était vendue dans le commerce et donc quelle plante était utilisée en fait. Donc, les indications que l’on a mentionnées pour H.foetidus valent aussi, sans doute pour H. viridis, comme  valent celles qui étaient traditionnellement attribuées à H. niger.
Après avoir tenté d’éclaircir la question des espèces employées, Mérat et De Lens (1837) estiment que c’est H. viridis qu’il faut utiliser de préférence compte tenu de la ressemblance entre cet Hellébore et celui qu’ils supposent avoir été réellement utilisé par les « anciens », c’est-à-dire principalement les médecins grecs de l’antiquité : « Ce serait celle qu’il faudrait employer de préférence à l’hellébore noir, puisqu’elle se rapproche le plus de celui des anciens, qu’elle a plus d’activité que le noir, d’après Allioni, et qu’on peut se procurer facilement ses racines ; tandis que le noir étant plus rare, on les a souvent falsifiées, au dire des auteurs. » (p. 384). Cette « activité » supérieure de l’Hellébore vert constatée empiriquement a été confirmée et expliquée par les analyses contemporaines de la composition chimique des différentes espèces d’Hellébores (Cf. Cornelia &. Dobrotă 2013). Ajoutons comme l’indique l’Atlas de la Flore d’Auvergne, qu’H. viridis a été cultivé comme plante médicinale dans les jardins des demeures féodales et des monastères. Ce sont souvent des échappées ayant fait souche que l’on retrouve dans la nature.

Les dénominations vernaculaires de cette plante suggèrent que l’on a dû y recourir abondamment en médecine vétérinaire populaire et empirique. Ce qui est confirmé par les études ethnobotaniques. Selon les recensions d’Iqbal et Jabbar in Katerere et al., Ch. 6 (2010), H. viridis ferait partie des 20 premières plantes parmi les plus utilisées dans le Monde. Il a été ou est utilisé pour soigner les blessures, comme antiseptique, comme analgésique, comme traitement des maladies métaboliques et de la reproduction, pour soigner les dermatoses de diverses origines…

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Questions de nomenclature à propos des noms vernaculaires d’H. viridis

Cet hellébore a reçu un grand nombre de noms vernaculaires. Ceux retenus dans la Flore forestière sont : ‘Herbe de Saint-Antoine’, ‘Herbe à sétons’,  ‘Herbe à la broche’, ‘Herbe à la bosse’ et ‘Pommelière’ ; auxquels on peut ajouter ‘Herbe à la broche’, retenu par Gonard (2010).

‘Herbe à séton’ et ‘Herbe à la broche’ se comprennent, en référence à son usage en médecine populaire vétérinaire et/ou humaine, comme plante que l’on utilisait pour faire les dits ‘sétons’ (voir H. foetidus, rubrique « Usages » dans la première partie de cette étude). Les autres dénominations ne manquent pas d’étonner. On les retrouve de flore en flore sans explication, sans justification lexicographique de la sélection de ces noms parmi bien d’autres. On a l’impression que les flores se sont copiées entre elles. Dans ce chapitre, on essayera de comprendre le pourquoi de ces dénominations ou du moins de donner des pistes à ce sujet.

En ce qui concerne l’appellation ‘herbe de Saint-Antoine’, cela peut être, comme souvent, soit une allusion à son usage comme « simple », soit une allusion à la date de floraison. Cette deuxième hypothèse pose problème car si cette floraison peut avoir lieu en Janvier, elle a plutôt lieu entre Mars et Avril alors que la fête du Saint tombe le 17 janvier. Il reste qu’on ne peut pas être certain que cette appellation réfère spécifiquement à H. viridis et ne désigne pas plus vaguement le genre. Par exemple, les dates coïncideraient assez bien pour H. foetidus ou H. Niger.

Certes cet Hellébore ne figure pas dans les quatorze plantes qui entraient dans la composition du baume de Saint Antoine* utilisé dès le XVe siècle contre l’ergotisme encore nommé ‘mal des ardents’ et ‘mal de Saint Antoine’. On peut néanmoins se demander si la dénomination ‘Herbe de Saint Antoine’ n’a pas de rapport avec cette maladie qui a fait de gros ravages parmi les populations humaines et les cheptels, avant de disparaître en ce qui concerne les humains, au moins dans les pays dits développés**. Elle était due à la consommation de céréales infectées par l'ergot de seigle, un champignon groupe des ascomycètes, parasite du seigle et autres graminées***. Pour appuyer cette hypothèse on peut rappeler que ce champignon parasite contient de l’acide lysergique dont est dérivé le LSD, ce qui explique que la maladie a parmi ses symptômes, outre des sensations de chaleur brûlante alternant avec des sensations de froid intense qui lui ont donné son nom, des troubles psychiques avec délires, convulsions, troubles du comportement, altération des perceptions et de la conscience, manies et psychoses.

Cependant, c’est plutôt plus spécifiquement l’Hellébore noir ou l’Hellébore du levant qui étaient censés traiter ces maladies mentales et pas l’Hellébore vert.

Saint-Antoine et son cochon, église de Braize (Allier), sculpture en bois due à un artisan local
Saint-Antoine et son cochon, église de Braize (Allier), sculpture en bois due à un artisan local
Dans La flore populaire de Rolland on trouve plusieurs noms qui peuvent faire allusion à l’utilisation de l’Hellébore dans l’ergotisme en mentionnant le feu ou l’enfer (« herbe du feu, f., Luxembourg, wallon, Dasnoy. Dict. wallon, 1858. », « erbo daou fue, f., provencal mod., Lions, Végétaux utiles, 1863. », « herbe d'enfer, f., Aube, Des Etangs, Noms des pl. — Guenin, Stat, du canton des Riceys »(Tome 1, p. 79)) mais ces dénominations s’appliquent au genre et non à une espèce particulière de celui-ci. De plus la mention la plus nette concerne un usage vétérinaire : « Ainsi nommée [brandwortel en flamand], parce qu'on l'emploie pour guérir les cochons malades du feu de Saint-Antoine (brand = feu) » (Tome 1, p.82).

En ce qui concerne H. viridis spécifiquement, Rolland rapporte comme nom « herbe Saint- Antoïgne, f., Boulonnais, comm. par M. B. de Kerhervé » et indique que cet informateur lui a précisé  qu’« avec cette herbe les cultivateurs vaccinent les porcs contre les épidémies. » (Tome1, p. 87) Il fait aussi mention de l’utilisation de la plante contre la rage porcine (herbe à la rage, employée dans La Manche) mais là, le nom est commun à toutes les espèces d’Hellébores.

Toutes ces dénominations suggèrent donc que les plantes du genre Helleborus et en particulier H. viridis étaient utilisés en médecine vétérinaire populaire pour traiter le bétail, notamment les porcs. Elles étaient sans doute cultivées à cet effet car la plante n’est pas des plus communes.

C’est là selon moi que se trouve en fin compte la raison de cette appellation d’Herbe de Saint Antoine.Pour le comprendre, il faut se souvenir que dans l’iconographie du saint, celui-ci est représenté, dès le Moyen-âge, avec un petit cochon à ses pieds et que les suidés ont un rôle important dans sa légende. Rappelons également que l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Antoine, connus sous le nom des « Antonins » était spécialisé dans le soin du « Mal des Ardents ». Outre des médications comme le baume éponyme qui étaient mises en contact avec les reliques du saint censées guérir la maladie, les malades bénéficiaient d’une nourriture non contaminée à base de viande de porc, l’animal lié à Saint Antoine. De plus depuis la chute mortelle du fils du roi Louis VI le Gros, causée par un cochon, en 1131, les porcs étaient interdits en ville. Ceux des Antonins, indispensables pour la thérapie contre l’ergotisme et pour le régime des malades qui affluaient dans  leurs établissements, obtinrent une dérogation et purent ainsi être nourris, au moins en partie, par la population. Ils étaient marqués d'un T (croix de Saint Antoine) et reconnaissables aussi à la clochette qu'ils devaient porter suspendue à l’oreille. C’est donc bien en relation avec Saint Antoine et le mal des ardents que H. viridis a été nommé ‘Herbe de Saint-Antoine’ mais c’est par l’intermédiaire de son cochon !

Pour ce qui concerne l’appellation ‘Herbe à la bosse’, elle est d’autant plus curieuse que parmi les multiples usages des hellébores, leur emploi pour guérir les contusions ne sont pas mentionnés en priorité même si elles étaient utilisées pour pratiquement tous les maux et maladies chez les anciens. Dans l’énumération de Cazin 1868, cet usage n’apparaît même pas. 

On peut faire un rapprochement entre ‘Herbe à la broche’ et ‘Herbe à la bosse’, le second serait alors une déformation du premier.

On peut aussi avancer une autre hypothèse car ‘bosse’ n’a pas toujours eu le sens étroit que nous lui donnons aujourd’hui, celui d’enflure due à un coup. Il signifiait aussi « tumeur » au sens large de protubérance sur la peau, plus spécialement d’abcès. Littré dans la partie historique cite Jean de Meung (XIII Siècle) : « Car toutes boces [il] peut crever /Et son cuer jusqu’au vif caver, /Pour garir tout mors de serpent » Le terme ‘boce’ a  aussi été utilisé pour désigner les bubons des pestiférés. Dans le dictionnaire de Godefroy on peut lire à l’article  « Boce » : « Boce, boche, bosse, s. f. bouton de la peste, bubon » Et entre autres citations illustratives, Godefroy donne celle-ci : « Les Anglais avoient tres grande puyssance ; toutefois en leur armée se mist la boce, dont plusieurs moururent sans cop frapper (1431, Fragm. d’une version franç. Des Grandes Chroniq. de St-Denis, Bibl. elz) » (Godefroy, 1881, p. 668).

Il ne semble pas, cependant, que les Hellébores,  toute espèce confondue, aient été utilisés comme remède spécifique contre la peste, mais seulement à titre de purgatif parmi d’autres plantes car certains médecins croyaient que l’usage de vomitifs et purgatifs permettaient de traiter cette maladie en ses débuts, ce qui était contesté par d’autres, au motif de bon sens que ces purgations diminuaient la capacité de résistance du malade en l’affaiblissant. En ce qui concerne la peste, l’Hellébore (sans précision d’espèce) est mentionné aussi  comme pouvant servir, associé à d’autres plantes, à des fumigations préventives des locaux. (cf.  Jean-Jacques Manget, 1721).

Dans le Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW), on trouve comme sens retenu depuis 1867 « maladie du porc caractérisée par une tumeur à la gorge », sens que l’on retrouve  également dans le dictionnaire d’Emile Littré qui indique « maladie des porcs dite aussi soie » (1877).

Selon Robert Martin et Pierre Cromer (2015) dans le Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500) ‘bosse’ désignerait «toute protubérance naturelle » et notamment « grosseur », « tumeur », « abcès » ce qui renverrait également à la pratique des sétons. ‘Herbe à la bosse’ serait sans doute soit la désignation de la plante qui est censée soigner cette maladie du porc, soit l’abcès résultant de la pose d’un séton. Rappelons que dans sa Flore populaire, Rolland signale que dans le Boulonnais c’est avec cette herbe que les cultivateurs vaccinent les porcs contre les épidémies.

Quant à ‘pommelière’ ce terme est aussi le nom ancien de la tuberculose pleurale des bêtes à cornes (Meyer C., ed. sc., 2017). Des préparations contenant de l’hellébore étaient utilisées pour soigner cette maladie (Cf. Delafond, 1844, Ch. 7). Le choix du nom se fait ici en référence à la maladie traitée à l’aide de la plante.

[* Voici la liste de ces plantes : feuilles de choux, de noyer, de bette, de laitue, des deux sortes plantain, de sureau, de sanicle, de tussilage, de joubarbe, d’orties, de ronces avec leurs sommités]
 [** Sa dernière manifestation en France pourrait dater de l'été 1951, avec « l’affaire du Pain maudit », une série d'intoxications alimentaires qui frappe la France et dont la plus sérieuse a lieu à partir du 17 août à Pont-Saint-Esprit, où elle fait sept morts, 50 internés dans des hôpitaux psychiatriques et 250 personnes affligées de symptômes plus ou moins graves ou durables. Si l’on a fortement suspecté que « le pain maudit » contenait de l'ergot du seigle, on n’a pas pu en donner la preuve formelle.]
[*** Par contre, elle peut faire encore des ravages parmi le bétail.]                           

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Références

Complément pour H.viridis  aux références citées dans la première partie

Aschan G., Pfanz H., 2003. « Non-foliar photosynthesis – a strategy of additional carbon acquisition» Flora 198, p.p. 81– 97. DOI : 10.1078/0367-2530-00080

Aschan G., Pfanz H., Vodnik D., Bati F., 2005. « Photosynthetic performance of vegetative and reproductive structures of green hellebore (Helleborus viridisL. agg.). »  Photosynthetica  43, p.p. 55-64.


Bossi M., Brambilla G., Cavalli A., Marzegalli M., Regalia F., 1981. « Threatening arrhythimia by uncommon digitalic toxicosis (author,s transl) », G Ital Cardiol, 11, 12, 2254-7.

Cornelia M., Dobrotă C., 2013. « Natural compounds with important medical potential found in Helleborus sp. », Central European Journal of Biology, 8(3), 2013, pp. 272-285 DOI: 10.2478/s11535-013-0129-x

Delafond O., 1844. Traité de la maladie de poitrine du gros bétail, connue sous le nom de péripneumonie contagieuse, Libraire de la faculté de médecine, Paris.

Grenier C., Godron D. A., 1848-1856. Flore de France, ou description des plantes qui croissent naturellement en France et en Corse. Tome 1, - Librairie de l'Académie impériale de Médecine, Paris. Version numérique sur Archive.org

Godefroy Frédéric, 1881. Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle : composé ... Tome premier, A-Castaigneux, Vieweg édit., Paris.

Guitian J., Larrinaga A. R., 2014. « The role of post-floral persistent perianth in Helleborus viridis subsp. occidentalis (Ranunculaceae) »,  Nordic Journal of Botany, 32 (6), December 2014, pp. 852–857.

Herrera, C. M., 2005. « Post-floral perianth functionality: contribution of persistent sepals to seed in Helleborus foetidus (Ranunculaceae) », Am. J. Bot. 92: 1486–1491.

Katerere D.R., Dibbungi L., (Ed).  2010. Ethnoveterinary botanical medicine, herbal madicines for animal health, Taylor and Francis Group, New York.

Manget Jean-Jacques, 1721. Traité de la peste recueilli des meilleurs auteurs anciens et modernes, Geneva.

Mérat F. J., De Lens A. J., 1837. Dictionnaire universel de matière médicale et de thérapeutique générale, tome 2, Société belge de Librairie, Bruxelles.

Meyer C., ed. sc., 2017. Dictionnaire des Sciences Animales. [En ligne]. Montpellier, France, Cirad. http://dico-sciences-animales.cirad.fr/liste-mots.php?fiche=22250&def=pommeli%C3%A8re

Olivieri M. F., Marzari F., J. Kesel A., Bonalume L., Saettini F., 2016. « Pharmacology and psychiatry at the origins of Greek medicine: The myth of Melampus and the madness of the Proetides », Journal of the History of the Neurosciences, September 2016  Pages 1-23. DOI:10.1080/0964704X.2016.1211901

Prieto J.M., Schaffner U., Barker A. et al., 2007. « Sequestration of Furostanol Saponins by Monophadnus Sawfly Larvae », J Chem Ecol (2007) 33: 513. doi:10.1007/s10886-006-9232-7

Rolland E., 1896. Flore populaire ou histoire naturelle des plantes dans leurs rapports avec la linguistique et le folklore, Tome 1, Librairie Rolland, Paris.

Rouy G., Foucaud J., 1893-1913. Flore de France ou Description des plantes qui croissent spontanément en France, en Corse et en Alsace-Lorraine, Société des Sciences naturelles de la Charente-Inférieure.

Salisbury, E.J., 1916. The emergence of the aerial organs in woodland plants. Journal of Ecology 4 (3-4): 121-128.

Von Wartburg W., 1922-2002 : Französisches Etymologisches Wörterbuch, eine Darstellung des galloromanischen Sprachschatzes, Bâle, Presses universitaires de Bâle. (Le dictionnaire étymologique et historique du galloroman (français et dialectes d’oïl, francoprovençal, occitan, gascon) Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW)).

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Photos : De haut en bas : H. Zell (Wikimédia commons);  E. Blasutto (Wikimédia commons)  pour chacun des éléments du composite ; Alain Bigou (Tela Botanica) feuilles d’H.viridis subsp. viridis ;  Javier Martinlo feuilles de H.viridis subsp. occidentalis ;  Soljj. (Wikimédia commons)  Saint Antoine et son cochon.
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Article modifié le 4/4/2017
 
 
 
 

Vendredi 24 Mars 2017 Commentaires (1)

« Dans le jardin de mon enfance, c’est à la fin de décembre que j’allais, sûre de sa présence, lever les dalles de neige qui couvrent la rose d’hiver. » nous confie Colette à propos de l’Hellébore noir. Dans les bois, à la fin de l’hiver, c’est un autre hellébore que l’on rencontrera. Impossible de se tromper tant sa silhouette et son odeur sont caractéristiques, c’est le Pied-de-Griffon, l’Hellébore fétide.


Inflorescence d’Helleborus foetidus
Inflorescence d’Helleborus foetidus

Noms

Helleborus

[Renunculaceae]
 

En Français, Hellébore ou Ellébore. (Pour le choix de l’une ou l’autre des graphies voir dans le prochain article le § Hellébore ou ellébore ?) Le genre devrait être masculin mais on assiste à une forte tendance à une féminisation de ce nom. On a donc le choix du genre.

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Les trois premières parties de cette étude sont consacrées aux trois espèces présentes en France continentale du genre Helleborus qui comprend environ 21 espèces de par le monde : H. foetidus L. (H. fétide), H. niger L.(Rose de Noël), H. viridis L.(H. vert). Dans une dernière partie seront mentionnés H. orientalis Lam.(H. du Levant) occasionnel en France, et Helleborus cyclophyllus une espèce des Balkans. On a identifié ces deux espèces avec l'hellébore noir des anciens médecins grecs et latin qui ne serait donc pas notre Rose de Noël. Dans cette partie nous verrons pourquoi ces identifications de l'hellébore noir des anciens sont pour le moins douteuses. C'est aussi dans cette partie de l'étude que nous rencontrerons La Fontaine avec son Maître Aliboron, le lièvre et la tortue.
 

Ellébore ou Hellébore a plusieurs étymologies possibles :

 1°) Ces nom viendraient via le latin Helleborus, du grec ἐλλέβορος ou ἑλλέβορος selon que l’on écrit ‘ellébore’ ou ‘hellébore’. Dans ce cas, seraient mises en évidence les propriétés toxiques de ces plantes, les mots grecs ayant pour étymologie ‘το ἑλει̂ν’ «faire mourir» et ‘βορά’  «nourriture», c’est-à-dire «nourriture qui fait mourir» ou en d’autres termes «poison», cela bien entendu en référence aux propriétés toxiques de la plante. Cette étymologie est reprise par la plupart des botanistes des XVIIIe et XIXe siècles ainsi que par les botanistes contemporains (Cf. inter alia, Flore forestière française, tome 2 & 3)

2°) Selon Pl@ntUse « peut-être « nourriture de cerf », de ἑλλός - hellos, cerf et βιβρώσκω, βορά - bibrôskô, bora, «manger» qui cite André (1979), Chanteraine (1968) et Strömberg (1940) ici
 

3°) Selon Pierre Fournier (1946 – 2001) le nom dériverait via le grec et le latin du sémitique ‘helebar’ ou ‘helibar’ signifiant «remède contre la folie». François Couplan (2012) reprend cette étymologie que l’on trouve aussi sur le site de Michel Caire consacré à l’histoire de la psychiatrie en France ici

Les noms vernaculaires seront mentionnés au fur et à mesure de l’étude des espèces.


Caractères communs des espèces du genre Helleborus [Hellébores ou Ellébores]


 Les Hellébores sont des plantes herbacées vivaces. Les feuilles sont relativement grandes, pennatiséquées-pédalées*) ou triséquées**, alternes. Floraison hivernale ou printanière. Fleurs inclinées avec 5 tépales (= sépales pétaloïdes) verdâtres, blanchâtres, rosâtres ou rougeâtres et des pétales très petits, en cornet, plus courts que les étamines qui sont nombreuses. Fruits : follicules coriaces, renflés à maturité. Toutes sont violemment toxiques.

[*Pédalé : voir photos des feuilles de H. foetidus]

[**Triséqué : trois segments fendus jusqu’à la nervure médiane]



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Helleborus foetidus L., Sp. Pl. : 558 (1753)


 

L’épithète foetidus (puant) fait référence à l’odeur des feuilles quand on les froisse.

Cet hellébore a reçu un grand nombre de noms vernaculaires qu’il serait fastidieux d’énumérer. On retiendra outre le décalque du latin Hellébore fétide, Ellébore et Pied-de-griffon qui renvoie à la forme de ses feuilles.

C’est l’espèce que l’on a le plus de chance de rencontrer en France continentale sauf en Bretagne où elle est absente. Elle est rare dans le Nord et en Picardie. Elle est très rare en Corse.

C’est une plante héliophile ou de demi-ombre qui aime les sols calcaires (préférence calcicole) et pousse dans des milieux très divers (pelouses, chemins, rocailles, lisères forestières, haies, bois clairs, fruticées, forêts thermophiles un peu sèches, …)

Il fleurit de mars à avril.

Sa caractéristique discriminative principale est son odeur, une odeur caractéristique particulièrement forte lorsque l’on froisse les feuilles et que beaucoup s’accordent à juger fétide. Cependant selon Erika Lais (2003) un pied entier de cet hellébore mise dans un vase après avoir lavé les racines « emplit la pièce d’un parfum étrange, envoûtant, mais non désagréable, en dépit de son nom » (p.102)

Description


Que ceux qui trouveraient ardue la description qui suit, se rassurent. Lorsqu’ils rencontreront cette plante, s’ils ont bien regardé ses photos, ils ne manqueront pas de la reconnaître. La description est là pour aider à en découvrir tous les détails et à permettre de la distinguer des autres espèces et notamment de H.viridis, bien plus rare mais qui lui ressemble un peu.


Feuilles d’H. foetidus – Fleurs avec sépales pétaloïdes ornées d’un liseré rouge – Coupe d’une fleur montrant les pétales au fond du calice et les nombreuses étamines
Feuilles d’H. foetidus – Fleurs avec sépales pétaloïdes ornées d’un liseré rouge – Coupe d’une fleur montrant les pétales au fond du calice et les nombreuses étamines

H. foetidus est une plante chaméphyte,* sempervirente** (30 – 80 cm) sans rhizome, dotée d’une souche ligneuse, épaisse avec des rejets latéraux, sans feuille à la base, très feuillée ensuite jusqu’aux rameaux. Tige ligneuse, ramifiée avec des bractées ovales entières vert pâle.

- Les feuilles sont vert sombre, toutes caulinaires, coriaces, pédalées avec 7 – 12 folioles lancéolées, dentées.


- L’inflorescence vert pâle est terminale en corymbe regroupant de 25 à 100 fleurs. Ces fleurs (1 – 3 cm) sont actinomorphes***, nombreuses, verdâtres, pédicellées, globuleuses retombantes, restant campanulées.

- Cinq sépales pétaloïdes ovales, connivents****, dressés, verdâtres souvent avec un liseré pourpre à la marge.

- Les pétales (10 – 15) sont réduits à de petits cornets pourvus de nectaires, égalant de moitié la longueur des étamines qui sont nombreuses. Les carpelles (3 – 5) sont libres entre eux et renferment plusieurs ovules. Ils sont dotés de longs styles réceptifs avant même l’ouverture complète de la corolle.

- Le fruit est constitué de (2) 3 (4) follicules***** soudés à la base, plus longs que larges à bec égalant la moitié de leur longueur et recourbé vers l’intérieur, déhiscents le long de la suture placentaire. Graines noires rondes avec un élaïosome blanchâtre.

[*Chaméphyte : plante vivace dont les bourgeons en hiver sont situés à moins de 50 cm au-dessus de la surface du sol.]

[**Sempervirente : plante dont les feuilles ne tombent pas à la fin de la saison de végétation et restent fonctionnelles pendant plusieurs années. C’est pourquoi on rencontrera des plants de cet hellébore en parcourant les bois en hiver.]

[***Actinomorphe : Fleur à symétrie radiale.]

[**** Connivents : se dit d’organes rapprochés entre eux, souvent par le sommet mais non soudés entre eux. Comme autre exemple : les pétales et les sépales de la jacinthe des bois.]

[****Follicule : (n. masculin) fruit sec issu d’un carpelle unique et s’ouvrant le long de la ligne de soudure du carpelle sur lui-même ]

Pollinisation

 L’hellébore fétide ou comment réussir à faire des graines quand on est une fleur à floraison (très) précoce.  

La durée de vie de chaque fleur est d’une vingtaine de jours et leur floraison sur la plante s’étale pour un même pied entre un et deux mois. Les fleurs sont hermaphrodites mais au sein d’une fleur d’H. foetidus, les pièces femelles sont fonctionnelles avant les pièces mâles. Cette protogynie permet une fécondation croisée censée être favorable à la reproduction de la plante et à la survie de l’espèce. Cependant il semble que les cas de fécondation autogame par autopollinisation sont fréquents même en présence d’insectes pollinisateurs comme les abeilles mellifères et différentes espèces de bourdons (Cf. Herrera et al. 2001) car les fleurs sont aussi auto-compatibles et les stades femelles et mâles se chevauchent, la durée de ce chevauchement étant variable selon les stations (Cf. Herrera 2001 et les références qui y sont données).

La pollinisation entomogame est effectuée par les diptères et hyménoptères encore assez rares au moment de la floraison. C’est sans doute la principale raison pour laquelle la fréquence des visites des inflorescences par les pollinisateurs est très faible. Aussi ceux qui viennent les explorer sont particulièrement gâtés par la plante. Les pétales transformés en cornets nectarifères ont des glandes qui peuvent secréter en continu pendant une vingtaine de jours un nectar riche en saccharose, glucose, fructose, en proportions variables selon les sujets et les stations, auxquels il faut ajouter des acides aminés. Les nectaires en sont remplis jusqu’à la moitié. Les abeilles notamment le recherchent avidement dans leurs premières sorties à la fin de l’hiver (Gonard, 2010, p. 215). La plante est mellifère et près des stations importantes de ces plantes, les apiculteurs placent leurs ruches à la sortie de l’hiver. Toutefois, selon Carlos M. Herrera et al.(2013), ce seraient les bourdons (Bombus terrestris et Bombus pratorum) qui seraient leurs pollinisateurs principaux. Le pollen de couleur orangé à ocre pâle est libéré par vagues successives pendant une à trois semaines, les nombreuses étamines n’étant pas mûres en même temps.

On notera aussi que les fleurs en forme de cloche penchée préservent ainsi leur pollen contre les intempéries en même temps qu’elles peuvent servir d’abris aux petits pollinisateurs du genre Adrena qu’elles attirent. Certaines leur fournissent non pas un simple abri mais un abri chauffé, ce qui est fort appréciable pour ces animaux ectodermes lorsque les températures sont encore fraîches, proches de la limite de leur survie.

Butiner du nectar chaud dans la corolle chauffée d’une fleur, y plonger la tête et une partie de l’abdomen n’est pas non plus négligeable pour les bourdons. Certes, ils sont capables de contrôler leur température corporelle au moins dans une certaine mesure. Ils ont ainsi d’un certain degré de liberté par rapport aux contraintes de leur environnement, mais c’est au prix d’une grande quantité d’énergie qu’ils doivent dépenser pour maintenir leur température corporelle (Cf. Whitney et al. 2008, p.845 et les références qu’ils citent), d’où, semble-t-il leur choix pour les fleurs plus chaudes que l’air ambiant sur lesquelles ils atterrissent de préférence. (Je précise « semble –t-il » car il se pourrait comme on va le voir que la température d’une fleur qui serait plus élevée que la température ambiante ne soit pas la vraie raison pour laquelle le bourdon la préfère.)

Cette chaleur ne serait pas produite par la plante elle-même. Herrera et al. (2010) ont montré qu’elle est fournie grâce à un troisième larron qui vient compliquer la relation dualiste mutualiste de pollinisation entre l’insecte et la plante et qui aurait pu passer inaperçu puisqu’il s’agit de microorganismes, principalement Metschnikowia reukaufii, des levures nectariphages vivant sur les fleurs qui dégradent le nectar contenu dans les nectaires. Les plantes dont le nectar n'a pas été contaminé que ce soit naturellement ou parce qu'elles ont été ensachées ne présente pas ce phénomène. La chaleur n’est donc pas produite par la plante. Elle est le sous-produit de la réaction métabolique due aux levures.


Bombus terrestris/Bombus pratorum
Bombus terrestris/Bombus pratorum

 Ces levures se nourrissent du nectar destiné à récompenser le pollinisateur mais pour Herrera et al. 2010, comme en contrepartie, elles fournissent à la plante de la chaleur, il ne s’agirait pas de parasitisme mais d’une forme de mutualisme, cette chaleur étant bénéfique à la plante et au pollinisateur. Elle serait des plus importantes sur le plan écologique «dans un environnement où la basse température ambiante limite souvent les visites des pollinisateurs, la germination du pollen, le succès de la fertilisation et le développement du fruit. (in environments where low ambient temperature often limits pollinator visitation, pollen germination, fertilization success and fruit development) » (p. 1828) La chaleur produite par la métabolisation du saccharose du nectar par les levures serait une sorte de substitut de la chaleur due à l’exposition au soleil et aurait le même effet « les levures nectarivores peuvent agir comme un substitut du rôle réchauffant joué par le rayonnement solaire direct (nectarivorous yeasts could act as a replacement of the floral warming role played by direct solar radiation) » (p. 1831).

La pollinisation qui était conçue comme une relation mutualiste entre la plante et le pollinisateur devrait donc être pensée dans les cas de ce type comme une relation à trois, plante, levures nectarivores, insecte pollinisateur.

Donc en réponse à la question posée en tête de ce chapitre : l’hellébore fétide fleurit à une époque où les conditions pour le développement des fleurs et la pollinisation sont loin d’être optimales à cause du manque d’ensoleillement, de températures ambiantes froides, voire rigoureuses, de la rareté des insectes pollinisateurs actifs. Elle surmonte ces obstacles grâce tout d’abord à une longévité exceptionnelle des fleurs individuelles qui restent fonctionnelles longtemps tant dans la partie femelle que la partie mâle ; grâce également à l’étalement de la floraison des fleurs dans l’inflorescence, elle aussi d’une durée exceptionnelle, ce qui compense la faible fréquence des visites des pollinisateurs. Elle les surmonte ensuite grâce à des transformations structurales de sa fleur, en développant des sépales résistantes en forme pétaloïde et en réduisant ses pétales à des petits cornets pourvus de glandes, les nectaires qui sécrètent un nectar recherché par les premiers diptères et hyménoptères actifs en quête d’une nourriture encore rare. Protogyne, elle est néanmoins auto-compatible et les stades femelle et mâle se recouvrent en partie, ce qui permet de compenser un échec éventuel de la fécondation croisée, voire de la remplacer. Enfin elle héberge dans ses nectaires des levures qui pallient le manque d’ensoleillement en réchauffant la plante, favorisant ainsi son développement tout en la rendant plus désirable pour ses éventuels pollinisateurs.

 Mutualisme ou parasitisme ?

Avec H. foetidus, on aurait donc une pollinisation qui est un jeu à trois, profitable aux trois acteurs : la fleur qui est pollinisée, le pollinisateur qui reçoit chaleur et nourriture, les levures qui sont hébergées et nourries mais produisent en retour de la chaleur qui rend plus attractive la plante et favorise son développement.

Ce tableau quelque peu idyllique a été nuancé dès le début par ceux-là même qui l’avaient brossé (Herrera et al. 2010, p.1832 en conclusion). Les choses se passeraient bien ainsi lorsque la température est peu clémente et le ciel couvert. Mais lorsque la température de l’air ambiant remonte et que le soleil se met à briller, il n’en est plus de même, du moins peut-on le supposer en première approche.

En effet comme les levures métabolisent le sucre, le nectar que les bourdons vont butiner sera moins énergétique, donc constituera une nourriture moins intéressante pour le bourdon, ou du moins une nourriture qui devrait être moins intéressante. La plante peut recevoir directement le rayonnement solaire (les arbres n’ont pas encore leurs feuilles et en début de saison, elle n’a pas de compétiteur pour la lumière), elle n’a pas besoin de la chaleur produite par la métabolisation du saccharose contenu dans le nectar qu’elle produit. Plus grave, les fleurs qui ont leur nectar contaminé par ces levures pourraient être délaissées par les bourdons et autres pollinisateurs. Bref, dans ce scénario, les levures ne procurent plus aucun bénéfice aux deux autres acteurs et ne font qu’exploiter la relation plante/pollinisateur pour leur propre compte en accaparant le sucre du nectar qui devait servir de récompense aux bourdons, abeilles et autres diptères ou hyménoptères pollinisateurs. Le mutualisme se transforme en parasitisme ! Herrera (2010) suppose que les bourdons sont devant un dilemme : choisir les fleurs les plus chaudes mais dont le nectar est moins énergétique ou se passer de la chaleur et préférer le nectar le plus chargé en sucre. Ce dilemme, suppose-t-il, pourrait être résolu tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre en fonction des conditions climatiques locales. Cette hypothèse qui sous-entendait une adaptation fine du comportement des bourdons n’a pas été corroborée par les observations et expérimentations ultérieures.

Dans un article récent (2013) Herrera et ses collaborateurs vont même plus loin. Le titre de l’article est d’ailleurs révélateur : « Yeasts in nectar of an early-blooming herb: sought by bumble bees, detrimental to plant fecundity » que l’on pourrait traduire ainsi : «Des levures dans le nectar des fleurs précoces : nocif pour leur fécondité, recherché par les bourdons». Ils prouvent, par des expérimentations en laboratoire associées à des observations et expérimentations de terrain menées dans la tradition éthologique, que les bourdons recherchent toujours de préférence les nectars contaminés par les levures et qu’ils préfèrent ceux contaminés par Metschnikowia reukaufii. Ils montrent aussi que cette préférence est innée. D’un point de vue adaptatif cette préférence pose pourtant problème dans la mesure où elle pousse les bourdons à choisir les nectars les moins énergétiques, les levures ayant métabolisé pour leur compte une partie de leurs sucres. La question est alors celle des raisons d’un tel choix.

Dans le nectar non contaminé, le saccharose est dominant à plus de 93% en moyenne. Le nectar contaminé a un pourcentage légèrement plus élevé de glucose, un pourcentage beaucoup plus élevé de fructose (d’environ 20.5% en moyenne) au détriment du saccharose (qui ne représente plus qu’environ 70% du total des sucres) (Cf. inter alia, Canto et al. 2008). Les bourdons préféraient-ils des nectars présentant ce type de composition ?

Dans les nectars contaminés, les vitamines et les acides aminés seraient plus disponibles. Ils contiendraient aussi des métabolites comme des antibiotiques et de l’éthanol, ce qui pourrait compenser la moindre valeur énergétique de ces nectars et expliquer la préférence des bourdons. Comme certains humains, les bourdons préféreraient-ils les boissons alcoolisées ?!

Si l’on s’en tient à l’hypothèse d’une préférence des bourdons pour les nectars contaminés par les levures qui serait due à leur type de composition en sucre ou/et aux métabolites qu’ils contiennent, on se retrouve bien dans une relation de mutualisme à trois, simplement la chaleur n’est plus privilégiée, même si elle reste un plus, et peut-constituer un indice pour détecter le type de nectars que les bourdons recherchent. Notons par parenthèses que l’on ne sait pas très bien comment les bourdons s’y prennent pour deviner, sans les avoir goûtés, quelles sont les fleurs contenant des nectars contaminés, fleurs sur lesquelles ils se posent de préférence.

Cependant, une autre hypothèse peut être envisagée. Canto et al. 2008 ont établi expérimentalement qu’en ce qui concerne H. foetidus, parmi les insectes qui visitent les fleurs, ce sont les bourdons et eux seuls qui sont les vecteurs de contamination des nectars par les levures. Pour Herrera et al. 2013 : « La possibilité d’une mauvaise adaptation du comportement des bourdons devrait aussi être envisagée. Par exemple, les levures peuvent manipuler le comportement des bourdons à leur bénéfice en les leurrant et en utilisant leur aide pour leur dispersion vers de nouvelles fleurs. (The possibility that bumble bee behavior is maladaptive also should be considered. For example, yeasts could be manipulating bumble bee behavior to their benefit by luring them and making the bees help them to disperse to new flowers (T. Fukami, personal communication). » Dans une telle hypothèse, les levures viendraient parasiter la relation plante/pollinisateur a son profit, au détriment du bourdon et non sans que la plante en pâtisse aussi.

En effet, dans l’article cité de 2013, les chercheurs ont établi selon la méthode rappelée ci-dessus, que l’apparition de levures dans les fleurs d’H. foetidus réduisent significativement tous les paramètres de pollinisation et de fécondité pris en compte dans leur étude par rapport aux fleurs dont le nectar n’est pas contaminé, que ce soit le nombre de tubes de pollen par style, la probabilité que les carpelles produisent un follicule portant des graines, la probabilité que les ovules produisent des graines, le poids d’une graine. « Ces résultat dénotent clairement un net désavantage pour la fécondité des plantes hébergeant des levures de nectar dans leurs fleurs » (These results clearly denote a distinct fecundity disadvantage to plants of harboring nectar-dwelling yeasts in their flowers. » (p. 278).

Il semble qu’il faudrait admettre dans ces conditions que les levures de nectar parasitent pour leur propre compte la relation mutualiste de pollinisation H.foetidus/ Bombus pratorum ou Bombus terrestris, peut-être aussi dans une moindre mesure parasitent-ils cette relation avec tous les autres insectes pollinisateurs de la plante qui reçoivent une récompense moins énergétique qu’elle aurait pu être sans la présence de ces levures dans le nectar.

Ainsi dans les relations de pollinisation qu’entretient H. foetidus, tout n’irait pas comme dans le meilleur des mondes quand des levures entrent en jeu. Le système pourrait être tel que seules ces dernières, en venant s’insérer dans la relation binaire plante/insecte pollinisateur, tirent profit de la nouvelle relation triangulaire qu’elles instaurent. Même si comme le supposent les auteurs de l’article, il peut exister des circonstances où les conséquences de la présence de ces levures dans le nectar de la plante sont favorables à cette dernière, les bourdons seraient néanmoins encore les dindons de l’affaire en ne recevant pas un nectar aussi énergétique qu’il aurait dû être tandis que leurrés par les levures qui le colonise, ils travailleraient à la dispersion de ces dernières. On notera aussi que la composition du nectar est modifiée par l’activité des levures nectariphages sans le concours de la plante et sans qu’elle puisse contrôler le processus ou en modifier les effets. Or c’est de ce changement dans le nectar que vont découler tous les autres, qu’ils soient bénéfiques ou non pour les autres protagonistes.

Même si selon les circonstances, on doit parler soit de mutualisme, soit de parasitisme, il faut tout de même constater que dans cette relation à trois, le gagnant est toujours le plus petit, les microorganismes qui colonisent le nectar. D’un autre côté, il faut tout de même supposer que ceux-ci ne menacent gravement ni la plante elle-même, ni sa faculté reproductrice car, connaissant sa capacité à se défendre grâce à son extrême toxicité, on peut supposer qu’elle aurait trouvé un moyen d’empoisonner ces levures. Qu’elle soit restée sans réagir permet de supposer qu’elle trouve quelque avantage à la présence de ces squatteurs de nectaires et que l’on ne peut vraiment parler de parasitisme car la relation ne semble pas être antagoniste. L’écologie de la pollinisation est plus complexe que l’on avait pu le supposer naguère et on n’est peut-être pas au bout des surprises que pourraient révéler des recherches ultérieures.

 Dispersion

La dispersion des graines est assurée par les fourmis (myrmécochorie). Comme le résume Pablo Servigne dans sa thèse « L’originalité de la myrmécochorie réside dans le fait que les graines portent un appendice nutritif appelé élaiosome qui n’est pas indispensable à la germination de la graine et dont les fourmis se nourrissent. Le terme élaiosome (elaios, huile ; soma, corps) a été introduit pour la première fois par Sernander (1906) pour désigner les appendices charnus sur les diaspores dispersées par les fourmis. Les élaiosomes sont considérés comme des adaptations qui favorisent la dispersion des graines (…). Ils sont dès lors un bel exemple de convergence évolutive » (Servigne, 2008, p. 6). La graine transportée dans la fourmilière est mise à l’abri des prédateurs et une fois l’élaïosome consommé, elle est rejetée de la fourmilière là où les fourmis accumulent leurs déchets et constitue un site au sol remué et riche en nutriment, propice à la germination. Il se peut aussi que l’élaïosome se détache en route et, si la graine n’est pas prédatée, elle pourra germer. Les nouvelles plantes pousseront à distance de la plante-mère évitant ainsi la concurrence.

La myrmécochorie est un type de zoochorie. C’est aussi un bel exemple de mutualisme, où plantes et fourmis se sont adaptées parallèlement dans une relation profitable aux unes et aux autres. Ce mutualisme de dispersion est propre à des centaines d’espèces de fourmis et concerne au moins 3000 espèces de plantes dans le monde dont 281 en Europe (Servigne, 2008). Toutes les espèces d’Helleborus sont concernées.


Follicule ouvert et graines avec leur élaïosome
Follicule ouvert et graines avec leur élaïosome

Usages

Nous avons vu les propriétés mellifères de H. foetidus dans le chapitre consacré à la pollinisation de la plante. Les apiculteurs profitent de sa capacité à fournir aux butineuses un nectar abondant et riche en sucre dès la sortie de l’hiver en installant judicieusement leurs ruches près de stations où ces plantes sont relativement abondantes (bois clairs et fruticées sur terrain caillouteux, calcaire de préférence).

Dans la plupart des autres usages mentionnés, il s’agit de confusions avec d’autres espèces du genre ou de substitut à ces espèces plus rares ou exotiques. C’est le cas notamment en ce qui concerne les prétendus usages en magie et en sorcellerie, la plante étant décrétée « plante magique ». En « magie blanche » il semble qu’elle soit considérée comme telle à cause de l’usage médical traditionnel d’une autre espèce pour guérir la folie et des rites recommandés lors de l’arrachage de cette dernière. En sorcellerie, il en va de même et la confusion entre les espèces du genre sont d’autant plus communes que l’hellébore est mentionné sans épithète.

Il faut cependant mentionner un usage abortif qui lui semble spécifique dans certaines régions d’Europe. C’est le cas notamment dans le sud de l’Italie où la plante est connue sous le nom de ‘ararechie’. Scherrer et al. (2005) mentionnent le témoignage obtenu dans le cadre d’une enquête ethnobotanique d’une femme âgée de 92 ans. Selon cette informatrice, un morceau de racine pelée introduite dans le vagin provoquait une hémorragie suivie d’un avortement. Dans d’autre régions d’Europe du sud d’autres espèces étaient utilisées aux mêmes fins et les propriétés abortives du genre étaient connues depuis l’antiquité.

Selon la même informatrice, un morceau de racine pelée et mâchée sur une dent gâtée la faisait tomber spontanément. Là encore bien que ce soit cette espèce qui soit spécifiquement mentionnée, de nombreuses espèces d’hellébores ont été utilisées pour cet usage et pour diminuer les douleurs dentaires.

Remarquons au passage qu’en ce qui concerne le savoir et les pratiques en médecine humaine et vétérinaire populaires traditionnelles, il ne faut pas s’étonner d’une certaine porosité qui fait que les usages d’une plante en médecine traditionnelle puissent être aussi considérés comme de la magie blanche. Comme le souligne Pierre Lieutaghi « le savoir médical traditionnel baigne dans une mémoire populaire où les croyances magiques et religieuses tiennent une grande place » (Lieutaghi, 1981, p. 41).

Aujourd’hui la plante n’est plus utilisée en herboristerie. Mais elle l’était encore au XIXe siècle. Cazin (1868) l’utilisait comme vermifuge. Il l’estime « très-utile comme purgatif et vermifuge quand il est manié avec prudence » (p. 418).

En médecine vétérinaire, dans le midi de la France, la plante est connue sous le nom provençal de « maussible » et est bien identifiée. Comme telle, elle a servi à faire des « sétons ». Olivier Madon dans sa Flore du Mont Ventoux cite un de ses informateurs qui « tenait de son père que l’hellébore servait à soigner les moutons lorsqu’ils avaient été mordus par une vipère (…). En effet cette plante toxique était jadis utilisée pour faire des « sétons » : la tige ou la racine était introduite sous la peau de la brebis mordue, pour former un « abcès de fixation », qui tirait le mal » (Madon, 1999, p. 101).

Pierre Lieutaghi, citant une enquête réalisée par l’EPI (Etudes Populaires et Initiatives) rapporte un usage semblable dans son ouvrage Les simples entre nature et société et donne des détails « De nos jours encore [en 1981, JFD], dans la région de Séderon (Drôme), pour guérir une morsure de Vipère, on griffe la peau autour de la morsure avec un rameau d’Aubépine trempé dans une décoction d’Ellébore. On emploie de préférence l’Ellébore à 9 feuilles (= à 9 folioles) » (Lieutaghi, 1981, p. 41). La préférence concernant les « 9 feuilles » renvoie à une symbolique magique que l’on pourrait, me semble-t-il, expliciter ainsi : 3 est le premier nombre impair, indivisible et de ce fait propre à exprimer la puissance maximale (Amigues, 2010 p. 350, note 74) ; 9 c’est 3x3, donc 3 fois la puissance maximale de 3. Une telle précision (9 feuilles) ne permet pas cependant pas de décider s’il s’agit de l’Hellébore fétide ou de l’Hellébore vert. Il y a cependant de très fortes chances qu’il s’agisse de l’Hellébore fétide, l’Hellébore vert étant absent ou du moins très rare dans les environs de Séderon. Remarquons enfin que dans cette région, la classification populaire des hellébores devait se faire sur la base du nombre de folioles par feuilles pédalées. Ainsi l’Hellébore à neuf « feuilles » était sans doute tenu pour une espèce, distincte de ceux dont les feuilles avaient un nombre différent de folioles, jugées moins efficaces pour soigner les morsures de vipères. Cette classification pour n’être pas « naturelle » n’a rien d’irrationnel et satisfait à des principes d’arrière-plan, certes utilitaires. Elle n’aurait pas plu à Jean-Jacques Rousseau qui considérait la botanique comme une – et peut-être la – science désintéressée par excellence et qui n’avait que dégoût pour « la botanique des simples », celle des lavements et des clystères, de « toute cette pharmacie » qui aurait pu souiller ses « images champêtres ».

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Whitney, H. M., Dyer, A., Chittka, L., Rands, S. A. &Glover, B. J., 2008.  « The interaction of temperature and sucrose concentration on foraging preferences in bumblebees. » Naturwissenschaften 95, 845–850. (doi:10.1007/s00114-008-0393-9)

Photos 

Dans l’odre du texte : J.F. Dumas ; Wildfeuer (Wikimedia Commons) ; J.F. Dumas ; C. Herrera (Bulletin of the Ecological Society of America 94(2):186-189 April 2013) ; Arnstein Staverløkk [les deux bourdons] (Norsk institutt for naturforskning (NINA), Trondheim), Myriam Driessen (http://rocailler.blogspot.fr/2016/08/graines-de-fourmis.htmll )

 

(à suivre)



Dimanche 12 Mars 2017 Commentaires (1)

Ce « plan ours brun » est défini pour une période de dix ans (2017-2027). Il est censé répondre aux enjeux liés à l’amélioration de l’état de conservation de la population ursine, l’accompagnement des activités humaines en présence d’ours et la patrimonialisation de l’espèce en tant qu’élément parmi d’autres du patrimoine naturel et culturel pyrénéen.
À l’inverse d’associations qui font pression pour obtenir de nouvelles introductions d’ourses, je m’inscris contre de telles introductions et préfère avec le texte présenté une croissance endogène. Malheureusement, si ce « volet ours » est en accord avec cet objectif de croissance endogène, il ne s’en donne pas les moyens faute d’avoir le courage d’affronter le lobby des éleveurs et celui des chasseurs.
Si vous lisez ma contribution à la consultation que je reprends dans le corps de cet article, vous pourrez constater que le texte soumis à consultation a bien d’autres insuffisances que celle montée en épingle par les dites associations et qui n’en est pas une.
Si vous pensez comme moi qu’un ours « transloqué » est un « ours déporté » et que la population d’ours introduite ne pourra se naturaliser que si elle réussit à s’accroître d’elle-même, alors vous pouvez vous inspirer de ma contribution pour participer à votre tour. Il ne s’agit pas de la recopier mais d’argumenter à votre guise à partir des informations qui y sont développées.



N.b. 1 – Les modalités pratiques pour contribuer à la consultation sont données au bas de cet article.
Nb. 2 – Dans la première partie de cette contribution, je reprends une partie d’un article plus ancien « Un ours réintroduit, c’est un ours déporté ! »

A – Des associations appellent à intervenir pour exiger que ce plan comporte la translocation rapide de quatre ours femelles : deux dans les Pyrénées Occidentales et deux en Pyrénées Centrales. Il faut donc s’attendre à une avalanche d’avis identiques en substance et vaguement personnalisés pour être pris en compte.
En ce qui me concerne, je suis opposé à de telles translocations pour plusieurs raisons que je développe ci-après. Bien que pouvant recouper certaines assertions des éleveurs et chasseurs « anti-ours », elles procèdent d’un souci inverse : préserver ce qu’il peut y avoir encore de naturalité dans la faune sauvage en s’interdisant un interventionnisme intempestif qui fait que le remède est pire que le mal.

1°) Je souhaite tout d’abord rappeler que les translocations passées n’ont pas permis de sauver les populations d’ours DES Pyrénées.
 La petite population relictuelle d’une dizaine d’ours qui subsistait encore dans le massif dans les années 1990 s’est éteinte. Aujourd’hui s'il y a des ours dans les Pyrénées, Il n’y a plus d’Ours DES Pyrénées, seulement des ours originaires de Slovaquie et leur descendance, à l’exception d’un hybride né en 2004 mais qui ne semble pas s’être reproduit.
 
 En effet croire que deux populations de la même espèce sont identiques et interchangeables est une erreur et les ours qui vivent aujourd’hui dans ce massif forment une population qui n’est en rien issue naturellement de la population autochtone initiale. Elle est tout aussi artificielle que celle de beaucoup de parcs zoologiques. Si donc par les translocations d’ours slovènes on avait voulu sauver la population d’ours des Pyrénées, ce fut un échec. Il est trop tard maintenant.
Il faut remarquer que même si quelques commentaires de certains responsables pyrénéens – qu’ils appartiennent au monde politique, syndical de l’agriculture ou de la chasse – pouvaient avoir et peuvent encore avoir des connotations discutables, il n’en reste pas moins que la différence qu’ils faisaient et qu’ils font encore entre les ours autochtones et les ours introduits a un fond de vérité scientifique. En la circonstance, savoir populaire et scientifique s’accordent et font paraître certaines des thèses de la biologie de la conservation pour ce qu’elles sont, à savoir une idéologie (au mauvais sens du terme) qui se pare des couleurs de la science pour s’imposer.
 
2°) Un argument qui revient fréquemment pour justifier ces translocations pour «renforcer» une population insiste sur les risques de dégénérescence que ferait courir la consanguinité lorsque cette population est de taille trop modeste. Si ceux qui se présentent comme des défenseurs de l’ours des Pyrénées (qui, je le rappelle encore une fois, stricto sensu n’existe plus) exigent de nouvelles translocations, c’est d’abord pour ce motif. Ainsi, l’association Férus réclame de nouvelles translocations pour limiter ces risques et rendre ainsi la population vivant dans le massif pyrénéen pérenne. En 2014, cette association tirait la sonnette d’alarme au sujet des risques liés à la consanguinité.  Elle faisait référence à l’étude de 2013 publiée sous le patronage du MNHN.

Le risque de consanguinité est certes « pointé » par « les scientifiques » auteurs de ce rapport, mais il y a d’autres « scientifiques » qui considèrent que ce risque est pour le moins surévalué, voire inexistant. Parmi eux le Professeur Alain Dubois, professeur lui aussi au MNHN. Pour lui, « La crainte de la consanguinité qui motive certaines réintroductions d’individus au sein de populations de taille réduite s’appuie sur des modélisations mathématiques, mais elle est contredite par de nombreuses observations empiriques.» (Dubois, 2008, p.366) Celles-ci montrent au contraire que des populations de taille réduite avec un polymorphisme génétique également réduit peuvent survivre dans des conditions difficiles et se reconstituer ensuite dans des conditions favorables.

Alain Dubois cite le cas rapporté par Jean Dorst du Bison d’Amérique sauvé à partir de quelques individus qui avaient survécu dans une réserve de Pologne. Plus probants encore sont les cas d’espèces animales ou végétales «invasives» qui font preuve d’une expansion et d’une démographie explosive à partir de quelques individus introduits involontairement ou acclimatés volontairement. La raison en est que la sélection naturelle fait son œuvre en éliminant les porteurs de variations délétères eu égard le milieu et les circonstances car « si la consanguinité peut avoir des conséquences graves lorsqu’un grand nombre d’individus consanguins porteurs d’allèles délétères survivent, ce qui est le cas dans les sociétés humaines ou éventuellement dans des espèces domestiques où ces individus sont « protégés », il n’en va pas de même dans les populations sauvages soumises à la sélection naturelle, où les homozygotes pour de tels allèles sont contre-sélectionnés et pour la plupart éliminés» (Dubois, 2008, p. 367).

Ces données sont tellement contraignantes que l’on est en droit de se demander avec Alain Dubois si cette volonté d’éviter la consanguinité dans les populations animales n’a pas plus à voir avec le tabou de l’inceste, universel dans les sociétés humaines, qu’avec « un réel impact de celle-ci sur la valeur sélective et la survie des populations animales de petite taille. »
 
3°) La translocation comporte des risques pour les populations réceptrices. Elle peut leur apporter des maladies par l’introduction de pathogènes ou bien encore introduire dans leurs pools géniques des allèles entraînant une moins bonne adaptation aux conditions régnant sur son territoire. Cependant cette modification du pool génique n’est pas toujours pénalisante. Elle peut aussi induire dans d’autres cas une meilleure adaptation puisqu’en général l’adaptation d’une population aux conditions de son territoire n’est jamais optimale.

De ce point de vue, la translocation est une sorte de loterie où l’on peut tirer des bons ou des mauvais numéros. On peut supposer que pour ce qui est des ours ayant survécu à leur translocation et s’étant reproduits, les pressions sélectives feront le tri parmi les descendants. C’est pourquoi comme dans le plan qui est présenté, il faut d’abord s’appuyer sur le croît interne de la population avant de recourir à des introductions nouvelles et ne le faire qu’en dernier ressort.

4°) Tant que l’acceptation des populations locales fera défaut, les réintroductions seront vouées à l’échec et il arrivera à cette nouvelle population ce qui est arrivé à la population originelle : elle disparaîtra. En ce sens toute la partie du Volet ours qui vise à faire accepter l’ours par les populations locales et leurs élus, les mesures prises pour conserver un milieu favorable à l’espèce comptent avant tout.
 
C’est en analysant les causes de la disparition des populations autochtones et en y remédiant que l’on peut espérer sur le long terme pérenniser l’existence d’une population d’ours dans le massif.

Pour le court terme et les exigences de protection dans les dix ans à venir qui est son horizon, ce plan présente des insuffisances. Mais avant de les pointer je vais d’abord souligner un autre point sur lequel je suis entièrement d’accord. Il s’agit certes d’un point de détail, mais il est significatif.
 
 B – Indépendamment de cette question des renforcements de populations par translocations, j’approuve le rappel que les ours sont des animaux sauvages qui n’ont pas vocation, sauf cas exceptionnels, à être équipés de colliers émetteurs, puces, etc. et je souscris entièrement au passage suivant du texte : « La population d’ours est une population animale sauvage et n’a pas vocation à faire l’objet d’un suivi par émetteur, continu et permanent. Il n’est donc pas aujourd’hui envisagé de s’inscrire dans une démarche générale d’équipement des ours présents dans les Pyrénées. »
 
Dans le même ordre d’idées, je ne crois pas que baptiser les oursons nouveau-nés et les ourses introduites soient de nature à favoriser l’acceptation de l’animal. Cela contribue au contraire à s’en faire une idée fausse et pousserait les gens à avoir vis-à-vis de ces animaux des comportements inappropriés et exprimer des attentes qui ne pourraient qu’être déçues.
 
Je passe maintenant aux insuffisances qui risquent de rendre ce Plan ours inefficace si le but est bien la protection des populations d’ours vivant actuellement dans les Pyrénées.
 
C – Concernant « III.1 – Pratique cynégétique en zone à ours. » Cette partie n’est pas à la hauteur des demandes de l’Europe et ne comprend rien de vraiment positif et notamment rien qui permette de satisfaire à la mise en demeure de la Commission européenne. Dans sa lettre, celle-ci soulignait pour lui reprocher que  « l'Etat français semble s'être contraint, quoi qu'il advienne, à ne pouvoir mettre en œuvre de mesures autres que préventives et contractuelles pour assurer la protection de l'ours brun, espèce pourtant prioritaire au titre de la directive habitat. » Dans ce projet, c’est encore le cas.
 
Pire même, puisqu’il serait question « d’augmenter le nombre de chasseurs présents au sein du Réseau Ours Brun » et de « renforcer la présence de techniciens des Fédérations Départementales des chasseurs mis à disposition de l’ONCFS-équipe Ours ». Ceci revient à renforcer le poids des chasseurs et de leurs structures dans ce réseau.

Il ne faut pourtant pas compter sur eux pour proposer les mesures restrictives contraignantes lorsque la sauvegarde de l’ours est en cause assorties de sanctions en cas d’infractions. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les déclarations du président de la FDC ariégeoise et de l’ANCM (Association Nationale des Chasseurs de Montagne) Jean-Luc Fernandez et celles du député Augustin Bonrepaux. Leur but explicitement et publiquement formulé est d’éliminer l’Ours brun du massif pyrénéen. (Cf. Ladépêche.fr « Hier, à l'occasion de l'assemblée générale de la chasse, qui se tenait à Tarascon, Augustin Bonrepaux et Jean-Luc Fernandez ont répété leur opposition à l'ours mais aussi à l'interdiction de chasser le grand tétras. » (« La chasse ne veut pas mourir » 28/04/2013) ; cf. également les propos suivants de Jean-luc Fernandez montrant qu’il n’est prêt à aucune concession en faveur de l’ours « Une chasse qui peut être remise en question, si nous ne faisons pas preuve de vigilance, de solidarité. Le détournement de la loi permettant des mesures insidieuses, limitation des territoires pour créer des zones ours, interdiction des chiens courants, autant de mesures que nous combattrons fermement. » (Ladépêche.fr « Je veux défendre la chasse des villages» Portrait. Jean-Luc Fernandez, nouveau président de la Fédération départementale des chasseurs » 10/08/2009)).
 
Par contre la nouvelle Agence pour la Biodiversité n’est pas partie prenante de ce plan.
 
 Il faut donc des mesures contraignantes opposables aux chasseurs et assorties de sanctions en cas de non-respect, uniformes sur tout le massif, limitant les périodes de chasse et définissant les périmètres de non-chasse propres à assurer la tranquillité de l’Ours brun. Il faut évidemment abandonner les mesures citées conduisant à renforcer le poids des chasseurs et de leurs institutions dans le Réseau Ours brun.
 
D. Concernant l’élevage ovin, les mesures annoncées sont trop vagues et pas assez contraignantes pour que les éleveurs fassent garder réellement leurs troupeaux (présence humaine et chien). Une mesure qui s’imposerait serait de refuser les indemnisations lors de prédation sur des troupeaux sans gardiennage et sans protection et conduite appropriée.
 
On notera qu’au contraire aucune mesure n’est envisagée dans ce plan pour que soit proscrite la divagation comme une modalité d’estive obligatoire dans certaines AOC (AOP) comme c’est le cas pour l’appellation «Barèges-Gavarnie» dont le cahier des charges oblige la pâture en liberté totale de jour comme de nuit, du 15 juin au 31 août de chaque année. De telles exigences sont manifestement incompatibles avec des mesures efficaces de protection des troupeaux et interdisent donc toute coexistence avec l’ours en transformant les territoires concernés en parc à moutons non surveillés. Il faut absolument revenir sur de tels cahiers des charges en impliquant des associations de consommateurs ou de défense de l’environnement susceptibles de faire pression sur l’INAO(Institut national de l’origine et de la qualité) pour que soit initiée une révision de ces cahiers des charges.
 
Comme motifs à invoquer en faveur de cette révision, il y a d’abord l’argument de la biodiversité et cela indépendamment de la présence de l’ours car laisser vaquer sans conduite les troupeaux sur les parcours d’altitude est préjudiciable à la qualité fourragère des estives et de ce fait une atteinte à la biodiversité des prairies permanentes d’altitude.
 
On peut aussi arguer dans la continuité de l’argument précédent que cette clause induit une publicité mensongère. En effet « Cette condition dans la délivrance de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) n'apporte aucune qualité à la viande produite »  comme le soulignait en 2013 Monsieur Jean Glavany député des Hautes-Pyrénées dans une question écrite au Ministre de l'Agriculture, agroalimentaire et forêt.
 
Cette disposition du cahier des charges ne fait qu’entériner la facilité prise par les éleveurs de laisser leurs troupeaux sans surveillance étroite et régulière. Comme l’on montré des auteurs qualifiés, elle ne s’appuie que sur une tradition inventée : l’absence depuis toujours de tout gardiennage est une contre-vérité historique même en Pays Toy où il ne s’est mis à disparaître que dans les années 1960 !
 
En outre, on sait que sans berger la seule présence des patous est illusoire et source de problèmes supplémentaires. Or si cette disposition du cahier des charges de l’AOC « viande ovine Barèges-Gavarnie » venait à être généralisée pour d’autres productions du massif (où en d’autres massifs montagneux), cela conduirait à la disparition du métier de berger.
 
Enfin, il est de notoriété publique que cette AOC « viande ovine Barèges-Gavarnie » s’est révélée être « le cadre organisationnel, politique et médiatique de l’opposition à l’ours » (Farid Benhammou, 2005, p.97)
 
En résumé, concernant l’élevage faute de mesures concrètes qui ne seraient pas seulement incitatives mais un minimum contraignantes, ce plan ours est vide et marque l’absence de volonté de la part de ces auteurs de ce plan d’exiger le moindre effort des éleveurs pour s’en remettre à leur bonne volonté, bonne volonté dont la plupart sont dépourvus.(Cf. un autre exemple pris en Arriège : «Les anti-ours sonnent la charge contre l'État » Ladépêche.fr, 11/10/2013).
Or, sans subvention, l’élevage et notamment l’élevage ovin tel que pratiqué dans le massif pyrénéen ne serait pas viable. En contrepartie de ces subventions, les éleveurs doivent pouvoir se plier aux exigences de ceux dont ils reçoivent l’argent : les contribuables français et européens qui souhaitent majoritairement la sauvegarde des populations d’ours vivant actuellement dans les Pyrénées.
 
E – Conclusion et avis motivé
 
La volonté de privilégier la capacité de la population d’ours à croître d’elle-même sur les introductions pour pérenniser la présence d’ours bruns dans le massif est une bonne chose de même donc que la volonté affichée de ne recourir à ces introductions qu’à titres exceptionnels et dûment définis.
 
Le travail en profondeur proposé pour mettre à jour et tenter de remédier aux causes de la situation précaire de l’ours dans le massif et notamment de trouver les moyens d’obtenir une meilleure acceptation des populations est certes important pour le long terme. Sur cet aspect des choses, le plan me parait se donner les moyens de ses ambitions.
 
Cependant en ce qui concerne la protection des populations d’ours vivant dans le massif à l’horizon de ce plan (10 ans) il y a urgence et la recherche de la participation des publics concernés sous forme purement volontaire est insuffisante.
 
– Elle l’est notamment en ce qui concerne les chasseurs comme l’a déjà fait remarquer la Commission européenne. Il faut donc prévoir un ensemble de mesures de limitation de la chasse (date et territoire) temporaires ou définitives, objets d’arrêtés préfectoraux, opposables aux chasseurs et assortis de sanctions en cas de non-respect.
 
La disposition visant à augmenter le nombre de chasseurs au sein du Réseau Ours Brun doit être supprimée.
 
Le poids des Fédérations de chasseurs, majoritairement hostiles à l’ours, doit être diminué et non renforcé.
 
C’est en effet une curieuse façon de vouloir protéger l’ours brun en renforçant au sein des instances le nombre et le poids de ceux qui « veulent sa peau » !
 
– Elle l’est aussi en ce qui concerne les éleveurs qu’il ne suffit pas d’inciter simplement à protéger et garder (ou faire garder) leurs troupeaux, seul moyen d’éviter la prédation et partant d’obtenir une certaine coexistence avec la présence d’ours sur le territoire. En cas de prédation, si les mesures de gardiennage (couple homme/chien de protection) et de protection nocturne n’avaient pas été mises en œuvre, la sanction devrait être le non-paiement de l’indemnisation. Il faudrait également réfléchir au conditionnement des subventions à la mise en œuvre de ces mesures. Après tout, si les éleveurs considèrent que l’ours leur a été imposé et rejettent ces mesures comme de l’ingérence dans les affaires locales, comme une dépossession de « leur » territoire, à leur guise ! mais dans ce cas, en contrepartie, plus de subventions…
 
Par peur d’affronter le courroux de ces deux lobbies, celui de la chasse et de l’élevage ovin de montagne, par peur d’affronter les élus locaux que ces derniers tiennent sous leur influence, ce plan n’atteindra pas ses objectifs en ce qui concerne la préservation des ours en donnant à leur population les conditions d’une croissance endogène.
 
Il faudra alors pour satisfaire les Institutions européennes recourir sans cesse à des introductions pour maintenir artificiellement en vie une population d’ours qui n’aura plus rien de naturel. A terme on aura sans doute ce que proposait ironiquement le député Augustin Bonrepaux , « un parc à ours de plusieurs milliers d’hectares sur les terrains domaniaux propriété de l’Etat ».
 
Donc malgré les points positifs relevés, je donne un avis défavorable à ce plan à cause de son incapacité à préserver les populations d’ours actuelles en leur permettant de vivre une vie sauvage dans des conditions naturelles.
 

Pour participer à la consultation :

Consultation ouverte du 15 février au 08 mars 2017

•Pour prendre connaissance du projet : spvb voletours 20170215 (format pdf - 1.3 Mo - 15/02/2017)
•Pour déposer des observations, avis, suggestions  il faut envoyer un mail à l’adresse suivante :
sbrn.dreal-midi-pyrenees@developpement-durable.gouv.fr

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Références :

Benhammou F. 2005, "Vendre la peau de l'ours avant de l'avoir sauvé? Une géopolitique locale de la conservation d'une espèce emblématique" in L'ours des Pyrénées. Les quatre vérités , Privat, Toulouse, pp. 77 - 120.

Dubois Alain (2008). « La notion de pollution biotique : pollutions faunistiques, floristiques, génétiques et culturelles » , Bull. Soc. zool. Fr., 2008, 133(4) : 357-382.ici
 
 

Mercredi 1 Mars 2017 Commentaires (0)

Les menaces qui planent sur le Plateau de Saclay se sont concrétisées mais la lutte continue contre l’OIN, un projet qui porte atteinte à des réserves de biodiversité, gaspille une des terres parmi les plus fertiles au détriment d’une agriculture de proximité et sans prendre en compte les objectifs d’autosuffisance alimentaire de cette Région. Ce regroupement de chercheurs n’est même pas favorable à la Recherche mais qu’importe. Les gouvernements se succèdent et les même aberrations (pour être poli) demeurent.
On trouvera ci-dessous le texte de présentation de Saclay citoyen, « groupe d'étude juridique citoyen et inter associatif » pour s’opposer au rouleau compresseur de l’Etat par des actions juridiques communes.


Des citoyens et des associations regroupés dans la bataille juridique du plateau de Saclay
Pour conserver les terres agricoles et les espaces naturels
du plateau de Saclay
 

Une mobilisation citoyenne forte 

Les habitants, les associations du plateau de Saclay sont mobilisés depuis plus d'un quart de siècle pour conserver la vie agricole, protéger les espaces naturels réserves de biodiversité, la beauté des paysages, développer les liens de proximité tissés entre le plateau et les vallées.
 
- Ils dénoncent sans relâche le gigantisme du projet d'aménagement prévu dans le cadre du Grand Paris, qui prévoit d'amener 2 millions d'habitants supplémentaires en 2030 en Ile de France ce qui conduira à une urbanisation massive du plateau de Saclay et à l'installation d'un métro aérien sur les terres agricoles. Il est prévu d'ores et déjà que près de 400 hectares soient sacrifiés par le projet de "cluster ", transfert d'organismes scientifiques et d'entreprises sur le plateau.  
 
- Ils condamnent le caractère anti-démocratique de ce projet, en particulier l’absence d'un débat public qui aurait permis d’appréhender l’opportunité et la pertinence du projet. Différents recours ont été portés par des associations ces dernières années. 
                                                                       
Malgré cette forte opposition, l’État continue d’avancer tel un rouleau compresseur. Les enquêtes publiques partielles se succèdent (créations de ZAC et de ZAD, déclarations d’utilité publique, révisions de PLU, etc.), empêchant ainsi toute vision globale des impacts environnementaux, ce qui a été dénoncé à plusieurs reprises par les Autorités environnementales.
 
La création d'un groupe d'étude juridique citoyen et inter associatif

Face à l'indifférence des pouvoirs publics,  des citoyens et des associations se sont engagés activement en 2015, dans un groupe d'étude juridique, Saclay Citoyen, pour mettre en synergie les compétences des uns et des autres et regrouper les forces dans des actions juridiques communes. En septembre 2015, le groupe a porté avec une trentaine d'associations une nouvelle demande de débat public sur l'aménagement du plateau de Saclay, demande restée sans réponse...             
                                       
Face à la désinformation, au mépris des pouvoirs publics, aux irrégularités juridiques, Saclay Citoyen porte la volonté d’être au plus près de ce que vivent les habitants du plateau de Saclay et des vallées pour faire entendre leurs voix et leurs aspirations par toutes les actions juridiques qui seront utiles et nécessaires.

°°°°°°°°°°
Pour aller sur le site de Saclay citoyen, c’est ici.


Signez la pétition
Stop au béton sur les terres agricoles du plateau de Saclay
 
Saclay citoyen a lancé une pétition qui a déjà recueilli plus de 5000 signatures (5 329 à la date de publication de cet article) Pour un exposé du contexte, le texte de la pétition et pour la signer, c’est sur le site de Cyberacteur.

On peut aussi la signer via le site de Saclay citoyen .

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Photo: "Plateau de Saclay au printemps" (JFD)

Samedi 28 Janvier 2017 Commentaires (0)
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