Ce dessin est extrait d’une grammaire pour le CM1 (Cours moyen 1ière année), édition de 1951 parue chez l’éditeur Belin. Il met en évidence et illustre une propriété de l’accord de l’adjectif qui déclenche l’ire de certains féministes lorsqu’elle est formulée comme elle l’est dans cette grammaire. Ils la considèrent sexiste parce qu’ils confondent le genre zoologique avec le genre grammatical. L’image les conforte dans leur condamnation en renforçant cette confusion.
La règle n'étant plus du tout ni formulée ni enseignée en ces termes, la confusion entre les deux types de genre ne peut plus exister et continuer à voir dans cette forme d’accord un sexisme, c’est confondre un objet : l’accord avec la façon de le décrire : la formulation de la règle. S’en prendre aujourd’hui à cet accord, c’est faire beaucoup de bruit pour rien !


Vaines alarmes sur un accord grammatical !

Une image valant mille mots ce dessin a été repris de nombreuses fois pour dénoncer la règle et pour faire l’apologie de l’écriture dite inclusive. Il semble que sa première apparition illustrait un article de Slate daté du 29/9/2017 de Titiou Lecoq intitulé « Si seulement mes enfants pouvaient ne pas apprendre «le masculin l’emporte toujours sur le féminin» ».

L’article est une ressassée des théories sur la langue caractéristiques d’un « féminisme agressif » pour reprendre l’expression de d’Emmanuel Todd. Son originalité est de les présenter sous la forme d’un témoignage. Cette grammaire était, dit-elle, celle qui était utilisée dans son école. A neuf ans elle aurait été choquée comme toutes les filles de sa classe en découvrant cette règle qui assurait la victoire et la domination des hommes sur les femmes alors que les garçons au contraire triomphaient : « J’avais 9 ans, et cette image m’a révoltée. Le jour de cette leçon, toutes les filles de la classe ont hué et les garçons ont applaudi. On comprenait parfaitement ce qui était en jeu –et l’illustration du livre nous le jetait à la gueule. Les filles perdaient la partie. Guillaume et Quentin ont claironné: «Vous êtes moins fortes, vous êtes moins fortes» » Choquée et humiliée : « Il nous a donc fallu apprendre par cœur et réciter «le masculin l’emporte toujours sur le féminin». Ce n’était pas seulement une règle écrite. C’était une phrase qu’on devait dire à haute voix, plusieurs fois, devant toute la classe. Je me sentais assez humiliée de devoir faire ça. (..) On a fait tous les exercices pour bien se rentrer dans le crâne que le masculin l’emporte toujours sur le féminin et qu’il s’agissait d’une règle qu’on ne devait pas questionner. » Bref le conditionnement a bien fonctionné et « En fin d’année, tous les élèves de la classe avaient vissé(sic !)dans la tête la formule «le masculin l’emporte toujours sur le féminin».

Heureusement la narratrice a poursuivi ses études, ce qui lui a permis de se délivrer du formatage de l’école primaire : « Il a fallu attendre la fac pour apprendre que cette règle n’était pas immuable » et la « découverte » de la (prétendue) masculinisation de la langue par des grammairiens suprémacistes mâles voulant assurer « la supériorité du masculin. Il s’agissait de prouver cette supériorité jusque dans la langue courante. » On ne peut trouver plus belle formule pou illustrer la confusion des genres grammaticaux et zoologiques : le masculin, c’est le mâle, la supériorité de masculin c’est celle du mâle ! Confusion associée à une théorie complotiste de l’évolution de la langue, du Viennot tout craché en somme.

Témoignage ou fiction littéraire ? La journaliste romancière écrit : « Quand j’étais en CM1, on nous a fourni un livre de grammaire. Il était très vieux » Certes ! Titiou Lecoq est née en 1980 (source Wikipédia), elle avait donc neuf ans en 1989, la grammaire datant de 1951, l’ouvrage était vraiment vieux, très vieux même : presque quarante ans, si vieux qu’il était obsolète et quasiment inutilisable. C’est pour le moins étonnant qu’il fût encore employé dans une école. Entre 1951 et 1980, le statut des femmes a évolué, 1968 est passé par là, les mœurs ont changé et le confort « moderne » est apparu. Il me parait douteux que l’on ait pu encore utiliser des grammaires des années cinquante avec leurs illustrations désuètes et leur vision ringardes de la société même si comme objet de collection, elles nous enchantent avec leur charme rétro.

En 1984 était paru le « Nouveau Bescherelle » dans lequel la fameuse formule, « le masculin l’emporte » n’était plus employée.
Les enfants et tout pratiquant de cette grammaire apprennent ceci :
« Lorsqu’un adjectif qualifie plusieurs noms de genres différents, il se met au masculin pluriel : Le chat, la belette et la souris semblèrent atterrées »
On remarquera que si le chat réfère sans doute à un chat mâle – sinon on aurait écrit la chatte, on ne sait rien quant au sexe de la belette et de la souris qui peuvent très bien être des mâles ! L’exemple est donc propre à montrer aussi la différence entre le genre zoologique et le genre grammatical.
Le nouveau Bescherelle n’est pas du tout un cas isolé et aujourd’hui, la linguiste Y. Grinshpun affirme qu’«aucune grammaire contemporaine ne se présente comme manifeste sexuel : à l’école primaire, les jeunes apprenants qui rencontrent pour la première fois la règle de l’accord de résolution l’entendent formulée en termes grammaticaux et non pas en termes sexuels. C’est donc une déformation de la réalité pédagogique que d’accuser les grammaires « d’enfoncer dans le crâne [des enfants] que le masculin l’emporte sur le féminin » ( Yana Grinshpun. La “ masculinisation ” du français a-t-elle eu lieu ? Le genre grammatical et l’écriture inclusive en français, 2021, 9798518877252. ‌hal-03433958‌)
 
Bref que le témoignage de Titiou Lecoq soit un témoignage authentique ou une fiction littéraire, il n’en reste pas moins qu’il est trompeur d’utiliser des manuels scolaires d’une époque révolue pour montrer que la langue est sexiste. Si l’on compare le statut actuel des femmes aujourd’hui à celui qui était le leur dans les années cinquante, il est évident même aux yeux de ceux qui ne sont pas particulièrement féministes que la société française était à beaucoup d’égards sexiste, et donc ce n’est pas surprenant que la façon d’enseigner non seulement la grammaire mais aussi bien d’autres matières fut imprégnée de ce sexisme. Il n’est donc pas très honnête d’utiliser les grammaires de cette époque pour nous faire croire que la langue, en tant que telle est sexiste à cause du rôle joué par le genre grammatical masculin. Mais pour ceux qui militent en faveur d’une langue et une écriture qu’ils disent inclusives, il doit être difficile de résister à la tentation d’utiliser cette illustration d’une règle dont ils veulent bannir l’utilisation.

Mettons les choses au point : si on continue d’enseigner l’accord de l’adjectif dans toutes ses subtilités, il y a maintenant plus d’un demi-siècle qu’il n’y a plus beaucoup de grammaire, sans doute aucune, qui se permettrait d’écrire que le masculin l’emporte (Bouhours) parce que le plus fort (Beauzée).

Donc que Titiou Lecoq se rassure, si jamais elle avait été réellement inquiète : ses enfants ne seront pas contraints de réciter que le masculin l’emporte, ce n’est ni de cette façon que l’accord de l’adjectif est enseigné aujourd’hui, ni qu’il le sera demain.

Complément 

Vaines alarmes sur un accord grammatical !

 




Ce n’est pas seulement dans la formulation des règles d’accord que les grammaires de l’époque renforçaient ce que les féministes dénoncent aujourd’hui comme des stéréotypes de genre. Comme on peut le constater avec la reproduction ci-contre d’un extrait d’une des pages de la grammaire Belin de 6ème et 5ème publiée dans les années 50. Le travail de la mère, c’est celui d’une femme au foyer. Il est genré, ce ne peut être celui du père. Pas de salle de bain, la toilette se fait dans un baquet dans la cuisine. Pas d’électroménager non plus ! C’était mieux avant ?

Mardi 13 Mai 2025 Commentaires (0)
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