Faire pièce aux contre-vérités véganes sur l'élevage en général et l'élevage laitier en particulier est une nécessité au moment où ce lobby végan tente d'imposer des menus végétaliens dans la restauration collective, notamment scolaire.

C'est dans ce but que je diffuse ici la vidéo réalisée par un éleveur qui met en évidence les falsifications et les mensonges des vidéos de propagande végane sur l'élevage laitier.


Pour avoir une vision exacte de ce qu'est l'élevage français, du travail de l'éleveur,  et pour comprendre comment est produit le lait que nous buvons, je vous conseille vivement de vous abonner à sa chaîne https://www.youtube.com/watch?v=gmVLEz9iRAs&feature=youtu.beu

Il serait souhaitable que des végans de bonne foi visionnent aussi ces vidéos pour à tout le moins se faire une idée correcte de ce qu'ils condamnent par ailleurs.

Rappel : un menu végétalien est un menu qui ne comporte aucun produit d'origine animale (ni œufs, ni lait, produit laitier comme yaourts, beurre, etc. ) tandis qu'un menu végétarien est simplement sans viande.
 


Dimanche 2 Septembre 2018 Commentaires (1)

Extraits de Facebook, à diffuser sans modération


« Les Yeux Dans Les Herbes a partagé la publication de Les Capri'ces des Cévennes.
 
« Voici un petit message de ma soeur qui vient de commencer une petite ferme laitière en bio produisant du pélardon, bientôt des glaces et de la crème de châtaigne...
 
« Ils ont des chèvres assez courantes et une race en conservation (plus rare et bcp moins productive (chèvre du massif central) mais qui produit du lait de qualité. Ils font du pastoralisme (élevage en paturage naturel) dans les hauteurs des cévennes.
« C'est un énorme travail mais comme beaucoup de petits agriculteurs on trouve que c'est un beau métier et on l'aime avec le souci de s'améliorer et d'améliorer notre capacité de résilience.
 
« Le gouvernement annonce qu'il souhaite une agriculture plus respectueuse et une meilleure qualité alimentaire. Pourtant ils sont sur le point de retirer les aides aux zones de montagne réputées trop pauvres pour nourrir un troupeau. Pourtant des chèvres ça ne mange pas que de l'herbe et bien au contraire elles se nourrissent de callune, de chataignier, de chene vert, de ronce, de genêt... Toutes ces plantes qui poussent à l'état naturel dans le terroir des Cévennes et qui leur donne une énergie et une qualité de lait bien meilleures. Et c'est dans les tuyaux de retirer les aides aux petits agriculteurs et la réponse se fera à la fin du mois de mars... Tout bientôt... La plupart des aides bénéficient déjà aux gros agriculteurs qui souvent les prennent sans avoir aucune responsabilité à tenir sur tous les dommages collatéraux qu'ils peuvent produire. Les abeilles payent déjà un lourd tribut et nous, autres êtres vivants, nous sommes aussi dans ce contexte, les proies souvent indirectement consentantes de ce système agricole majoritaire ultra subventionné.

Les Capri'ces des Cévennes
 
Petit message à faire circuler, s'il vous plaît.
Profitant d'une période très intense pour les éleveurs (mises bas des animaux, début de production), le gouvernement envisage purement et simplement de tuer les petits élevages de zone de montagne. En tout cas, pour notre part, si cette "mesure" passe, notre projet est tué à peine né.
 
 
En effet, comme vous le savez certainement, notre élevage comme beaucoup d'autres est malheureusement aujourd'hui dépendant d'aides Européennes. Or il est question de supprimer de la PAC (politique agricole commune) les aides pour les surfaces enherbées à moins de 50%. C'est à dire, pour des fermes comme la nôtre, supprimer 100% des aides. C'est bien connu, nos chèvres ne se nourrissent pas sur nos sols, car nos terres, c'est de la merde. Le chêne vert, le châtaigner, la callune, le genêt, les chèvres n'aiment pas ça d'ailleurs ! Elles préfèrent l'herbe déposée sur un tapis dans une chèvrerie, et l'éclairage artificiel !!! Je rajouterais que pour faire des économies, ils sont prêts à détruire la seule activité qui maintient les milieux ouverts dans le sud, luttant ainsi entre autres contre les incendies, tout en participant à l'économie et à la vie locale et surtout rurale, au tourisme, à l'autonomie alimentaire française (de qualité et dans le respect de l'homme et de l'animal) et à la préservation de mosaïques de milieux essentielles à la biodiversité.
 
A peine installés, ou plutôt en cours d'installation, nous utilisons la totalité de notre temps (soit de 7h à 23h, en mangeant sur le pouce) et de notre énergie pour prendre soin de nos bêtes et mettre en place notre ferme, mais nous sommes déjà fatigués de payer toujours plus, tout en refaisant le travail de chaque organisme que l'on doit payer derrière (msa, chambre d'agriculture, ...), tout en se faisant traiter comme des moins que rien (impôts, banques, ...), tout en revoyant nos légitimes soutiens financiers (oui, nous travaillons dur pour le bien commun, et nous respectons, NOUS, les engagements que nous contractualisons avec l'Europe et l'Etat) être remis en question tous les quatre matins. Mais c'est comme ça et malgré tout bien sûr nous sommes déterminés. Sauf que. Sauf que sans argent, sans ces aides qui nous permettent de payer toutes les charges toujours plus lourdes (alimentation des chèvres autre que parcours, électricité, taxes diverses, assurances, essence, fournitures pour la transfo et la commercialisation, etc.), et le laboratoire de transformation a 80 000€ de normes par exemple, et bien, on ne va pas pouvoir continuer longtemps ! Notre ferme peut être viable pour une personne sans les aides, nous avons veillé pour. Le souci étant que la masse de travail est tellement énorme qu'on ne pourrait pas se permettre que l'un de nous deux travaille à côté pour subsister, comme certains le font. Notre système en élevage ET transformation fromagère ET pastoralisme ET vente directe ne nous permet pas ce "luxe". Pour autant, nous ne le changerions pour rien au monde, car nous pensons que c'est le plus éthique sur les plans humain (sauf peut-être pour nous-même ?) et animal. Etre rémunérés justement sans aides, ça serait l'objectif bien évidemment. En attendant, nous avons besoin de ces aides, comme énormément de petits éleveurs, et nous avons besoin de portevoix pour nous faire entendre.
 
L'échéance est fixée au 31 mars 2018. Emballez c'est pesé.
 
 
Reconnaissance des surfaces pastorales par la PAC : Le ministère prêt à lâcher les éleveurs !En Ariège, au moins 1 ferme sur 4 serait impactée, soit un peu plus de 8.000 hectares !
https://www.azinat.com/2018/03/reconnaissance-des-surfaces-pastorales-par-la-pac-le-ministere-pret-a-lacher-les-eleveurs/
 
Alors qu’à longueur de discours Macronien, il nous est rappelé la nécessité d’opérer une « révolution agricole », « une montée en gamme » de nos produits, nous avions compris, nous, éleveurs pastoraux des zones difficiles, dites à handicaps naturels, que nous étions désormais en pointe pour porter haut les couleurs des produits vertueux. Production peu consommatrice d’intrants chimiques, lien fort au territoire, entretien de milieux ouverts, maintien d’emplois et de vie dans nos vallées….
 
Coutumier du fait, le gouvernement nous a rapidement consultés, sollicités pour faire des propositions argumentées ; pour finalement, dans la précipitation, nous mettre devant le fait accompli ! Il n’y a pas de marges de manœuvre possibles et les échéances sont imminentes, fixées au 31 mars !
 
Pour la Confédération paysanne, il est incompréhensible et intolérable, de surcroît au regard des ambitions portées par le Président de la République, d’abandonner ces paysannes et paysans.
 
Aussi, las, les paysans de la Confédération paysanne, ne participeront plus à ces mascarades de discussions au ministère.
 
Nous sommes aujourd’hui vendredi 9 mars à l’Hôtel de Région à Toulouse au CRAEC pour porter la voix des éleveurs pastoraux qui se sentent totalement abandonnés par les propositions du ministère de l’agriculture. C’est l’État que nous interpellons concernant la reconnaissance des surfaces pastorales.
 
De même, lundi 12 mars, lors de la session chambre à Foix, nos élus proposeront au vote une motion enjoignant l’État de profiter de la possibilité offerte par le règlement Omnibus (modifications de certaines dispositions à mi-parcours d’un programme européen, dont la PAC), avant le 31 mars pour faire enfin reconnaître définitivement les surfaces pastorales comme étant des surfaces productives.
 
Et nous n’hésiterons pas à poursuivre ces mobilisations jusqu’à Paris dans le courant de la semaine prochaine.

Ne pas reconnaître ces surfaces pastorales aujourd’hui, c’est accepter moins de paysans demain et plus de friches partout !
 (Communiqué de la Confédération Paysanne)

 
 

Dimanche 25 Mars 2018 Commentaires (4)

Résumé : les espèces actuelles pourront-elles faire face au changement (réchauffement) climatique ? Certaines, peut-être. Elles se sont déjà adaptées au réchauffement en cours. Mais s’il s’aggrave ? D’autres semblent avoir plus de difficultés. Mais elles n’ont peut-être pas dit leur dernier mot. Peut-être cela se jouera-t-il au niveau non plus de l’espèce mais des populations d’une même espèce, peut-être même au niveau des individus. De nombreux facteurs peuvent interagir. Les premières réponses apportées à cette question étaient fort propices à une prophétie du malheur et pour le grand public, l’ours blanc menacé par la fonte de la banquise était devenu – il l’est encore – le symbole des ravages que causerait le réchauffement climatique sur les espèces animales. Le changement climatique en cours était considéré comme une menace de plus, peut-être la plus grave, qui pesait sur la biodiversité, les espèces ne pouvant faire face à un réchauffement trop rapide pour qu’elles s’adaptent. Un tableau bien noir, bien trop noir ? Devant un état des lieux mitigé et des connaissances peu sûres et lacunaires, les cassandres réchauffistes s’ingénient à gommer toute incertitude et à ne considérer que le mauvais dans ce qui pourrait advenir pour la biodiversité avec un réchauffement climatique qui perdurerait, ce dont on peut aussi douter. Des chercheurs se prêtent à leur jeu lors qu’ils adressent au « grand public ». Pourquoi donc chercher à faire peur à l’opinion publique ? Certes l’érosion rapide de la biodiversité est hélas, un constat solidement établi mais les changements climatiques n’en sont pas la cause principale.


Changement climatique et survie des espèces
Étant donnée l'actualité et les effets de manches de Hulot à l'Assemblée nationale, il m'a semblé utile de remettre en avant cet article écrit en 2014 et qui n'a pas pris une ride depuis.

Le tableau était-il trop noir ?


En fait, le tableau ne serait pas aussi noir qu’on le supposait : « More recently, however, many ecologists have questioned the gross oversimplifications that go into some of these projections, such as the supposition that species are largely immutable, unwavering in their behavior, physiology, and other traits despite rapidly changing environs. (Plus récemment, cependant, beaucoup d'écologues ont mis en doute les sur-simplifications grossières qui entrent dans certaines de ces projections, comme la supposition qu’en dépit d’environnements changeant rapidement, les espèces sont pour une large part immuables, invariables dans leur comportement, leur physiologie et autres caractères) » (Chase J. 2014). En la matière, il faut se garder d’affirmations tranchées, en général fausses, qu’elles soient alarmistes ou trop optimistes. Certes comme pour toute variation des conditions environnementales, il y aura des perdants et des gagnants, des modifications dans la répartition spatiale des habitants de la planète. Les conséquences du changement climatique peuvent différer selon les populations d’une même espèce, voire d’un individu à l’autre, selon qu’elles peuvent ou veulent ou non mettre en œuvre des stratégies d’adaptation. La question de l’évaluation de l’impact des évolutions phénologiques sur les espèces et donc la biodiversité donne de cela une illustration parfaite. En fin de compte, même pour une seule espèce, l’impact du changement climatique sur son évolution future est une question sans réponse nette.
Sur la question de l’impact du changement climatique sur la biodiversité, il serait donc bon de faire preuve de modestie. Outre l’extrême complexité des phénomènes en jeu, leurs interrelations et l’étendue de notre ignorance à leur sujet devraient nous inciter à la prudence dans les prévisions et pronostics sur les évolutions futures. On le montre à propos des mésanges charbonnières (Parus major), du cerf élaphe (Cervus elaphus) et du chevreuil (Capreolus capreolus) dont le cas, paradigmatique, sera étudié en détail.
 

Oeufs de mésanges charbonnières Muséum d'histoire naturelle de Toulouse
Oeufs de mésanges charbonnières Muséum d'histoire naturelle de Toulouse
Le cas des mésanges charbonnières.

Des études faites sur des populations de ces mésanges aux Pays-Bas sur la période 1973 – 1995 (cf. Visser et al. 2001, 1999, 1998) montreraient qu’elles ne réussissent pas à modifier leur période de ponte alors que les chenilles dont elles dépendent pour leur nourriture et celle de leurs nichées éclosent 9 jours plus tôt en synchronie avec l’avancée du débourrage des bourgeons et du développement des feuilles. Le développement des oisillons est ainsi compromis par une nourriture devenue plus rare lors de la période du nourrissage qui est en retard par rapport à l’optimum de présence de la ressource. Ceci expliquerait en grande partie le déclin de cette espèce que l’on observe aux Pays-Bas, déclin que l’on devrait donc mettre à charge du réchauffement climatique. Mais les résultats de ces études sont en contradiction avec celles menées en Angleterre sur une population de mésanges charbonnières du bois de Wytham, près d’Oxford sur la période 1970 – 1997. Les femelles de cette population ont avancé leur période de ponte de 13 jours (cf. McLeery & Perrins 1998 ; Cresswell & McLeery 2003 ). Sur la période 1961 – 2007, soit sur 47 années les mésanges ont avancé leurs dates de ponte en moyenne de 14 jours. Les données sur l’abondance de nourriture dans la forêt montrent que ces 14 jours correspondent à l’avancement de la présence des chenilles dans les bois (cf. Charmantier A, et al. 2008). Malgré la « rapidité » du changement en cours, ces mésanges auront donc su s’adapter.
Selon que l’on est « réchauffiste catastrophiste » ou «climato-sceptique » on insistera sur les dis-synchronies ou au contraire sur les adaptations. Les chercheurs eux vont s’interroger sur le pourquoi d’une telle différence, sur quels indices se fondent les mésanges pour décider de leur période de ponte et pour cela découvrir ce qui les induit en erreur dans le cas des populations hollandaises et qui au contraire expliquerait leur succès dans le cas des populations anglaises serait d’une aide précieuse. Cette adaptation fine et en temps réel du comportement est-elle due à une plasticité phénotypique ou à une microévolution ? Les chercheurs penchent pour la première hypothèse. (Pour en savoir plus cf. Charmantier A., et al. 2008 ainsi que l’article de l’auteur sur le site FUTRA-Science à télécharger ici ). En tout cas, il paraît bien difficile de faire un pronostic sur le devenir de l’espèce.

Changement climatique et survie des espèces
Une adaptation comportementale du même type de celle des populations de mésanges charbonnières britanniques a été établie pour le cerf élaphe (Cervus elaphus) à partir d’un suivi sur une période 28 ans d’une population de cette espèce d’ongulés sur l’île de Rum en Écosse. Les chercheurs ont relevé des variations temporelles significatives sur les dates d’œstrus et de mise bas pour les femelles ; sur les dates de perte des bois, de perte du velours, du début et de la fin du rut chez les mâles. Ces dates ont avancé de 5 à 12 jours sur la période. Ces chercheurs ont mis en évidence une corrélation entre ces changements et la croissance des plantes au printemps et en été. (Cf. Moyes K. et al., 2011). Il est donc étrange que celle-ci n’existe pas chez son cousin, le chevreuil (Capreolus capreolus). Ce dernier s’avère incapable de régler la période des naissances sur le pic printanier des ressources végétales dont il dépend (Plard F. et al., 2014) (Gaillard et al., 2013) alors que la lactation entraîne une augmentation de 230% des besoins énergétiques par rapport au métabolisme basal (Carruette et al., 2004, p. 114).

La fin annoncée du chevreuil forestier

Cette incapacité du chevreuil à modifier la période de naissance en fonction de l’optimum des ressources alimentaires forestières proviendrait du fait que le cycle reproductif du chevreuil dépend de la photopériode c’est-à-dire du rapport entre les durées du jour et de la nuit qui est resté le même alors que depuis la fin du petit âge glaciaire sous l’effet de températures plus douces le printemps est de plus en plus précoce, la végétation repart plus tôt. De plus, chez le chevreuil la date de naissance ne semble pas être héritable : bien que les femelles nées tôt dans la saison aient plus de chance de survivre, elles n’ont pas tendance à mettre bas plus tôt que les autres (Plard F. et al., 2014).

De cela on pourrait conclure que faute de nourriture suffisante pour les chevrettes allaitantes, les chances de survie de leurs faons seront plus faibles si la désynchronisation s’accentue au fil des ans. À long terme l’espèce pourrait décliner. Ce n’est pourtant pas le cas. « Le cerf et le chevreuil en France sont en forte augmentation depuis 1985(à 2013), tant en termes d’effectifs que de surface forestière colonisée » selon les statistique du Ministère de l’environnement (ici). Si l’on assiste à un tassement en milieu forestier après l’explosion démographique des années 90, globalement les effectifs de chevreuils sont en augmentation et leur expansion est continue. Si le chevreuil est pénalisé en milieu forestier par rapport à d’autres ongulés en ne pouvant pas adapter sa période de mise bas, il possède d’autres capacités qu’il peut utiliser pour développer des stratégies adaptatives à l’évolution du climat.
Changement climatique et survie des espèces

En particulier, Il est connu pour son aptitude à coloniser des milieux très divers. Forestier d’origine, Il ne vit plus seulement en forêt, il habite aussi le bocage, les pâturages où des haies lui permettent de se dissimuler. Il a commencé à coloniser la plaine, les « openfields » dès les années 50 où il se repose à même les labours, se fiant à l’homochromie de son pelage pour être à l’abri des regards indiscrets. Il peut demeurer aussi tout près des habitations, dans les banlieues des villes où il tire profit parfois des potagers pour améliorer son ordinaire (Carruette et al., 2004, pp. 56 – 60 ; Abbas F., 2011. pp.18 – 21). C’est la plasticité comportementale dont il fait preuve qui lui a permis de s’adapter à la fragmentation et à la diversification de son milieu initial. « La plasticité comportementale d'une espèce en fonction des conditions du milieu affecte son succès dans les paysages fragmentés. Le chevreuil est l’exemple le plus remarquable de cette plasticité chez les ongulés. Cette espèce a rapidement étendu sa répartition à partir de son habitat d’origine, la forêt tempérée, jusqu'aux plaines agricoles ouvertes et au biome méditerranéen. » (Abbas F., 2011, p.19) Il faut remarquer que la désynchronisation entre la période de mise à bas et l’optimum de ressources alimentaires ne vaut que pour les populations de chevreuils qui vivent dans les milieux forestiers et qui se nourrissent des jeunes pousses. Dans les milieux ouverts que le chevreuil a commencé de coloniser depuis un peu plus d’un demi-siècle, les chevrettes allaitantes ne souffrent pas de cette désynchronisation car avec les cultures agricoles, elles ont à disposition d’autres sources alimentaires. Cette plasticité comportementale fera sans doute que le changement climatique ne sera pas une menace bien grave pour la survie de cette espèce. Peut-on en conclure qu’à terme, il y aura des chevreuils dans le bocage et les milieux ouverts mais qu’il n’y aura plus de chevreuil dans les forêts si le réchauffement climatique se poursuit ?
Pour l’affirmer Plard F. et al., (2014), Gaillard et al., (2013) et les auteurs cités en références de ces articles supposent que le réchauffement climatique va se poursuivre et que le printemps arrivera de plus en plus tôt accentuant ainsi la désynchronisation avec la période de mise bas des faons. Cette hypothèse essentielle pour prédire un sombre avenir aux chevreuils strictement forestiers est pour le moins discutable.

Les raisons d’en douter

Admettons que le réchauffement se poursuive. Même dans ce cas, il n’est pas assuré que les printemps seront de plus en plus précoces. En particulier la précocité du débourrement des bourgeons pourrait diminuer faute d’hivers suffisamment froids pour lever leur dormance. En outre pour des peuplements de hêtres, de chênes pédonculés et de bouleaux pubescents, dans le cas d’un doublement CO2 sans limitation des ressources en eau, les températures nécessaires pour le débourrement augmenteraient de 4 à 6 degrés selon Lebourgeois F.& Godfroy P.(2006, p.39) qui citent Kramer & Mohren (1996) et Kramer et al.(2000). De manière plus générale l'action des différents facteurs sur la date de réalisation des phénophases apparaît complexe : « si la température et la photopériode sont généralement les principaux facteurs déterminant, d'autres paramètres interviennent aussi pour réguler la phénologie qui est, de plus, contrôlée génétiquement. L'influence des divers facteurs est variable suivant les espèces et les phénophases considérées. Ainsi, pour le débourrement du hêtre, la photopériode joue un rôle important, ce qui ne semble pas être le cas pour d'autres espèces telles que les chênes » (Differt J., 2001, p. 115) Pour l’auteur « la connaissance actuelle de la phénologie n'est pas une base suffisante pour des prévisions fiables ». Il est donc bien difficile de savoir si les printemps de l’avenir seront plus ou moins précoces que ceux d’aujourd’hui et ce qu’il en sera de la désynchronisation entre l’optimum des ressources alimentaires en forêt pour les chevreuils et les mises bas des chevrettes.

Changement climatique et survie des espèces
La date de débourrage des bourgeons varie en longitude, latitude et en altitude assez fortement et pour beaucoup d’espèces d’arbres, le hêtre excepté, sans corrélation avec la photopériode alors que la photopériode est déterminante pour la reproduction du chevreuil. Il en résulte que la synchronisation de la mise bas si elle existait dans les milieux forestiers caducifoliés tempérés n’est pas la règle en tout lieu et en tout milieu, indépendamment des modifications dues au changement climatique. Ainsi «L'élévation se traduit par un retard au débourrement de près de 7 jours par 100 m en Haute-Ardèche (Oswald 1969), 4j/100 m dans la région de Clermont-Ferrand (Lavarenne-Allary 1965), 2,6j/100 m en Bavière (Malaise1967). En Autriche, Worrall (1983) indique un retard de 1 jour pour une élévation de 17,2 mètres et 15,2 mètres pour l'épicéa et le mélèze. » (Lebourgeois F.& Godfroy P., 2006, p.35). Les variations selon la latitude, la longitude et l'altitude concernent principalement les événements phénologiques du printemps et de l'été, le début de la phénophase étant d’autant plus tardif que ces paramètres ont des valeurs élevées. Ainsi pour la longitude, les phénophases printanières commencent plus tard à l’Est qu’à l’Ouest. En Europe centrale, le décalage étant selon les espèces d’arbres de 0,4 à 1,6 jours pour 100 km. En France la variation est de 3,6 jours par degré. On observe également des variations en latitude. Plus on va vers le nord et plus le débourrage est tardif. Pour toutes ces données sur les variations phénologiques en longitude, latitude et altitude on se reportera à Lebourgeois F.& Godfroy P. 2006, pp. 33 – 36. Soulignons que cette variabilité se manifeste surtout au moment de la reprise de la végétation et va donc influer sur les périodes où les chevreuils devraient avoir le maximum de ressources alimentaires. Etant donnés son aire de répartition, les habitats colonisés, l’espèce est donc exposée à des variations phénologiques conséquentes qui peuvent être plus importantes que celles se manifestant en un même lieu à cause du réchauffement climatique. Par exemple dans la forêt de plaine en Limagne, le débourrage des bourgeons est en avance d’environ 22 jours par rapport à celui des bourgeons des arbres des forêts au pied du Puy de Dôme, alors que le réchauffement climatique aurait déterminé une avancée d’environ 15 jours seulement. L’espèce a donc été apte à faire face aux variations phénologiques dans l’espace affectant ses ressources alimentaires en variant son régime sinon elle n’aurait pas pu coloniser à partir de son milieu d’origine, les forêts caducifoliées de plaine de climat tempéré, des milieux aussi divers que les openfields, les forêts de montagne à dominante de résineux, de l’extrême sud de l’Espagne jusqu’à la Scandinavie. Apte à faire face dans l’espace aux variations phénologiques avec leurs désynchronisations éventuelles, pourquoi ne serait-elle pas apte à y faire face dans le temps ?

Changement climatique et survie des espèces
Dans un milieu pauvre caractérisé par des forêts de conifères et de landes de bruyères sur sol sablonneux au Danemark, dans l’est du Jütland, les chevreuils se nourrissent toute l’année de bruyère qui présente une forte teneur en lipide. Dans cette région la densité de chevreuil est faible mais les individus sont prospères (jusqu’à 20kg pour un brocard de quatre ans) (Carruette et al. (2004, p. 27). Aiguilles de conifères et bruyère ne sont certes pas des nourritures variées comme celles dont peut disposer le chevreuil dans une forêt caducifoliée à des latitudes plus basses mais elles sont présentes toute l’année. L’avancée du printemps due au réchauffement climatique n’a pas d’influence sur la ressource alimentaire disponible pour ces chevreuils forestiers pour leur poids, leur potentiel reproductif et la rapidité de la croissance des faons.

Le chevreuil vivant dans des forêts caducifoliées montre une appétence prononcée pour le lierre et la ronce qui sont disponibles toute l’année. Même lorsque des feuillages verts d’essences variées sont disponibles, lierre et ronce constituent encore dans une hêtraie-chênaie calcicole une partie importante du bol alimentaire (un quart selon Carruette et al. (2004, p. 116) qui s’appuie sur les travaux de Maillard et Picard(1987), Maillard et al. (1989). (note : Lierre et ronce ne seraient pas consommés en été dans la forêt de Chizé si l’on se fonde sur la liste fournie par Maryline Pellerin en annexe de sa thèse (Pellerin M. 2005, p. 233)).

D’autre part les populations de chevreuils montrent une tendance à l’autorégulation. Dans le cas des chevreuils vivant dans l’est du Jütland, une région pauvre en ressources, les chevreuils sont prospères mais peu nombreux. Pour l’Alsace on peut se rapporter au SDGC du bas Rhin, (2006, p. 69). Dans la forêt de Chizé, « forêt mise en Réserve Biologique Intégrale », la population de chevreuils est l’une des rares populations de grands herbivores en Europe, et la première en France, qui s’est stabilisée naturellement (i.e., présente une croissance annuelle nulle sans prélèvements par l’homme)( ici ). Dans la forêt des Trois Fontaines, le taux de croissance a baissé au cours de la période allant de 1985 à 2011 passant de 1,23 à 1,06 (Plard et al. 2014). La résultante mécanique de cette baisse est une densité moindre de chevreuils exploitant le milieu, cette densité étant le principal facteur déterminant la ressource alimentaire disponible (ici ). Il n’est donc pas étonnant que les études sur les «Réponses des populations de Vertébrés aux changements climatiques –paramétrage et premières applications de modèles prédictifs basés sur les processus démographiques» sur menées dans le cadre d’une appel à projet du GICC (Gestion et impact du Changement climatique) dépendant du Ministère de l’écologie, montrent que « les effets des conditions climatiques au printemps sur la survie des jeunes diffèrent selon que la densité de la population est faible ou forte » (Gaillard et Grosbois 2009, p. 9). La baisse de densité jointe à une exploitation intensive des ressources disponibles – bruyère dans le cas des populations danoises, ronces et lierre dans le cas des populations vivant dans des forêts caducifoliées – pourrait être un palliatif à la désynchronisation induite par la géographie et/ou le réchauffement climatique entre période de mise bas et période d’optimum des ressources alimentaires à disposition.

Certes, il y a une corrélation assez nette, mais avec des exceptions remarquables, entre la richesse du milieu, le poids des chevreuils, leur rapidité de croissance et leur performance démographique. Les chevreuils forestiers sont moins lourds que ceux de plaine et ont une croissance moins rapide. Selon l’état de la forêt, il y a aussi des variations sensibles. Les chevreuils vivant dans une jeune plantation offrant une végétation abondante en sous-bois seront plus lourds que ceux vivant dans une vieille futée avec une maigre végétation au sol due au manque de lumière. Ceux vivant dans une forêt ayant une forte productivité comme celle des Trois Fontaines auront de meilleures performances reproductives que ceux vivant dans une forêt à faible productivité comme celle de Chizé.

En résumé, il faut supposer chez le chevreuil une plasticité alimentaire, avec un avantage pour les chevreuils vivant dans un paysage agricole hétérogène où ils peuvent tirer tout le parti de cette plasticité, les ressources alimentaires étant variées (cf. Abbas F., 2011). Est-ce pour autant qu’il faut augurer la disparition du chevreuil forestier sur le long terme ? À dire vrai, il semble à l’évidence que nous n’en savons rien !
Que sera le climat de la Champagne (Forêt des Trois Fontaines), du Poitou (forêt de Chizé), de l’Alsace, des volcans d’Auvergne, du Jütland, …, dans cent ou même cinquante ans ? Est-ce qu’il y aura une poursuite du réchauffement global du climat comme le prédit le GIEC ? Les mésanges charbonnières auront-elles prospéré ? Auront-elles décliné ? Qu’en sera-t-il des populations de chevreuils ? Lorsque l’on étudie chaque espèce en détail, on prend la mesure de la complexité de chaque cas, des lacunes, des incertitudes voire des confusions de nos connaissances et pourtant, il s’agit d’espèces connues, faciles à étudier. Pour d’autres…
En toute honnêteté et modestie, Gaillard et Grosbois affirment à propos des vertébrés : « Les projections des dynamiques des populations de vertébrés étudiées pour les scénarios de conditions climatiques futures produits par la communauté IPCC (GIEC selon l’acronyme français) ont été entreprises (…). Cependant, ces projections sont encore soumises à de fortes incertitudes et posent d’importantes questions méthodologiques. » (Gaillard et Grosbois, 2009, p. 16). Cela peut être généralisé à l’ensemble du vivant.

Changement climatique et survie des espèces
Des oracles orientés et malavisés

En supposant que le réchauffement global se poursuive, nous sommes encore loin, semble-t-il, d’avoir atteint l’optimum médiéval. Il est agaçant de voir l’accent toujours mis sur le mauvais côté de la chose, sur les conjectures les plus pessimistes surtout lorsque le discours s’adresse au grand public. Particulièrement significative à cet égard est la co-production audiovisuelle grand public intitulée « Sciences en questions - Changement climatique et biodiversité » présentée par le Muséum National d'Histoire Naturelle, le GIS Climat-Environnement-Société et La Huit (accessible ici ). Cela est poussé jusqu’à la caricature dans la séquence intitulée « Quel est l’impact de l’augmentation de CO2 sur la biodiversité ? » dans laquelle Paul Leadley, professeur d’écologie à l’Université Paris XI ne développe que des exemples d’effets que l’on suppose potentiellement négatifs de cette augmentation, exemples qu’il va chercher à l’autre bout du monde sans jamais parler des effets bénéfiques pourtant avérés que cette augmentation a sur la végétation et sur les arbres en particulier. Arguant d’une réponse différentielle au CO2 entre les plantes grimpantes et les arbres dans les forêts tropicales, il invoque l’hypothèse d’une mort de ces arbres tués par ces plantes grimpantes qui se développeraient mieux et plus vite par une meilleure assimilation du CO2 ! Hypothèse pour le moins hypothétique puisqu’une étude sur la réaction des forêts tropicales au changement climatique réalisée par une équipe internationale coordonnée par Jérôme Chave du CNRS parue en 2008 (Chave J. et al. 2008) la même année que la réalisation de la vidéo montre que dans tous les sites étudiés à l'exception d'un seul, les espèces à croissance lente ont augmenté en biomasse, mais pas les espèces à croissance rapide. Il n’y a donc pas de preuve qui établirait clairement que les forêts tropicales ont modifié leur fonctionnement en réponse aux changements climatiques dans les deux dernières décennies. Elles réagiraient à des phénomènes intrinsèques, plutôt qu'aux changements climatiques. Cette étude de grande envergure a concerné plus de 2 millions d'arbres en forêts tropicales appartenant à près de 5000 espèces, répartis sur 12 sites et 3 continents qui ont été suivis depuis les années 1980. Dans les forêts tempérées, l’augmentation de CO2 a aussi des effets bénéfiques sur les arbres. Nécessaire à la photosynthèse, ce qu’est bien obligé de rappeler Paul Leadley dans son speech, on peut le considérer comme une sorte d’engrais atmosphérique qui favorise la croissance de la végétation. De plus en régulant leurs besoins hydriques par le contrôle de l’évapotranspiration les arbres de la plupart des espèces s’adaptent à un climat plus sec malgré la rapidité des changements. Cette plasticité a des limites à déterminer mais elle semble suffisante pour permettre leur migration. Là encore les conséquences du réchauffement climatique ne seraient pas aussi délétères que supposé initialement.

Comme le montrent les cas analysés dans cet article, il est assez mal avisé de vouloir jouer les Cassandre sur la question de l’impact d’un incertain changement climatique sur la biodiversité mais l’optimisme en la matière n’est pas de mise non plus, les études qui se succèdent ayant tendance à se contredire les unes les autres.

Des menaces plus graves sur la biodiversité

Cela dit, il y a bien d’autres causes de l’érosion de la biodiversité que le réchauffement climatique qui semble d’ailleurs marquer le pas. Et s’il advenait que les causes de ce changement ne soient pas d’origine anthropique mais cosmique, nous ne pourrions rien faire pour l’entraver. On pourrait simplement se consoler en considérant que si nous allions vers un refroidissement les conséquences sur la biodiversité seraient encore plus catastrophiques comme nous l’enseignent les glaciations passées.
Même s’il perdure, le réchauffement climatique n’est sans doute pas la menace la plus grave qui pèse sur la biodiversité. La menace la plus grave qui est établie en toute certitude, la cause majeure d’érosion de la biodiversité n’est rien d’autre que la transformation de l’usage des terres par les activités humaines. L’augmentation de la population humaine, une agriculture « chimique » et l’exploitation des ressources naturelles avec une intensité et une efficacité sans cesse accrue grâce aux perfectionnements technologiques accentuent le processus. Ce sont elles qui entraînent une accélération sans précédent de la destruction, la dégradation ou la fragmentation des habitats de nombreuses espèces animales et végétales. Ce sont sur elles qu’il faut agir en priorité si l’on veut tenter d’enrayer l’érosion de la biodiversité.

Références

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Photos :
Wikimedia Commons : Ghislain38, Didier Descouens ,Richard Peter Deustche Fotothek, Mucki, Amanda77, Hans Hillwaert, Vera Buhl.
Changement climatique et survie des espèces

Dimanche 25 Mars 2018 Commentaires (1)

Voici le communiqué publié par un collectif d'associations dont Maisons Paysannes de France et Patrimoine Environnement concernant les conclusions du "groupe de travail sur l'éolien" piloté par le ministère de l'environnement. On note surtout une volonté d'entraver les possibilités de recours devant les tribunaux des associations de défense des riverains, des paysages, du patrimoine avec la reprise de propositions du Syndicat des Énergies Renouvelables. Plutôt que d'obliger les promoteurs à se conformer aux lois et règlements protecteurs en vigueur, il s'agit sinon d'empêcher du moins de restreindre singulièrement les possibilités des associations et des citoyens d'ester en justice parce qu'ils gagnent trop souvent leurs recours. Et cela avec la bénédiction des seules associations représentées qui étaient FNE, WWF et LPO ; associations dont on connait la complaisance à l'égard des pouvoirs (voir le livre de Fabrice Nicolino : Qui a tué l'écologie?) et les ambiguïtés.
Les nuisances environnementales, les atteintes à la biodiversité et à la naturalité, la destruction des paysages devaient-elles cesser d'être prises en compte dès qu'il s'agit de ces gigantesques machines à brasser du vent et à hacher oiseaux et chauves-souris?
Pour elles les leçons que l'on prétend tirer de Notre-Dame-des-Landes ne s'appliqueraient pas. Pourquoi ?


A la suite de l’annonce des conclusions du groupe de travail sur l’éolien, les associations signataires font connaitre leur vive opposition aux mesures annoncées jeudi 18 janvier 2018 par Monsieur Sébastien Lecornu, Secrétaire
d’Etat à la Transition écologique et solidaire.

1. La soit disant consultation évoquée par le ministre a soigneusement tenu à l’écart les riverains d'éoliennes et les associations qui les représentent et ont pour objet la défense du Patrimoine et des paysages ;

2. Ces mesures ne prennent aucunement en compte l’impact de la proximité des habitations face à des engins de plus en plus haut (200 mètres) ;

3. Elles ignorent tout autant la protection des paysages et l’environnement du patrimoine, classé par l’Etat, qui n’est même pas mentionné par les propositions ;

4. Il s’agit par une démarche à caractère financier (sur le dos des consommateurs) de faciliter à tout prix une industrialisation massive des espaces naturels et agricoles, au mépris de ce que devrait être une démarche écologique respectueuse ;

5. Pour tenter de museler l’opposition des citoyens, le choix est fait de mettre en place des procédures dérogatoires au droit commun français.
 

Un véritable équilibre doit être trouvé entre la politique de protection du patrimoine et celle de l’environnement. Toutes deux contribuent à l’activité économique.

Les associations signataires restent disposées à une véritable concertation qui doit enfin avoir lieu entre le gouvernement et les parties prenantes.
 

Dimanche 21 Janvier 2018 Commentaires (1)

Cet article complète un article précédent : " Les végans croient qu’un régime végétalien permet de manger sans tuer ou faire souffrir des animaux. C’est faux !" Il s'agit d'un examen de la critique de l'article Mike Archer "Ordering the vegetarian meal? There’s more animal blood on your hands" parue sur le blog de l'association L 214.Ce texte est révélateur de la façon dont cette association et ses membres traitent leurs contradicteurs : total contresens sur le propos assaisonné d'invectives et d'insultes contre quelqu'un qui a eu l'outrecuidance de contester leurs dogmes. Le rejet de la domestication et le tabou de la viande tels sont les deux piliers du véganisme comme le montre cette controverse.


En annexe, le lecteur trouvera la traduction de l'article de Mike Archer initialement publié en anglais sur le site "The conversation". Il pourra se faire ainsi sa prorpre opinion sur ce texte.

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Pour L214 , c’est l’astrophycien végan Aurélien Barrau qui s’était chargé de critiquer l’article de Mike Archer « Ordering the vegetarian meal? There’s more animal blood on your hands » lorsque celui-ci faisait le buzz sur les réseaux sociaux. Sa spécialité ne le recommandait pas spécialement pour effectuer ce genre d’exercice et dès le début de son texte, c’est vraiment mal parti.
 
Toute la réfutation est hors sujet. Barrau comme bien d’autres critiques végans ont négligé le fait que l’article d’Archer concerne l’Australie. Il suffit de lire son texte pour le voir. Mais de plus en réponse à des commentaires sous le texte il précise : « my focus was on the Australian situation ». Peine perdue pour beaucoup de commentateurs dont Barrau.
 
Barrau fait comme si Archer plaidait simplement pour un régime omnivore à base de viande. Or le régime qu’il considère éthiquement et écologiquement responsable POUR L’AUSTRALIE est certes un régime omnivore à base de viande, mais de viande bovine issue de bétails élevés à l’herbe sur des parcours et dans des pâtures australiennes ou de viande de kangourou provenant de chasses à but commercial. Il ne propose pas de manger de la viande de bovins nourris avec du blé et du soja dans des parcs d’engraissement. Il est sans doute opposé à ce type d’élevage, vues les références à Simon Farlie et Lierre Keith et son souci que la superficie des terres consacrées aux grandes cultures ne soient pas augmentée.
 
Selon Barrau, l’enjeu de l’article consisterait  à tenter de placer le lecteur dans la catégorie des gens qui font preuve d’une violence qui n’a même pas le courage de s’assumer ; la violence en question étant de faire le choix de consommer de la viande. « Celui qui non seulement poursuit l’activité [de consommer de la viande] et veut de plus se convaincre qu’il est bienfaisant envers ses victimes, adopte un positionnement particulièrement lâche et intenable au niveau éthique ». Mike Archer serait donc un lâche embrassant le mal. Comme injure, on ne peut guère faire mieux. Cet exergue particulièrement agressif et méprisant est bien dans le style des végans.
 
Barrau l’étaye sur deux prémisses qu’il considère incontestables « l’industrie de la viande cause d’infinies souffrances à des êtres sensibles » et « je sais que [je] n’ai pas biologiquement besoin de viande ». Abstraction faite de l’hyperbole « infinies souffrances » la première n’est pas fausse mais Archer ne plaide pas en faveur de cette industrie, bien au contraire.  Ce que défend Archer dans son texte est un élevage extensif herbager et dans ce cas parler d’infinies souffrances n’est pas seulement exagéré, c’est faux. Même des tenants de la libération animale moins excessifs que Barrau le reconnaissent : sans doute une vie de bovin dans un élevage herbager extensif vaut la peine d’être vécue même si elle renferme son lot de désagréments et de souffrances.  Mais existe-t-il une vie qui n’en renferme pas ?
 
La seconde est par contre très discutable. Les spécialistes de la question ne sont pas d’accord entre eux et il est difficile de croire qu’un régime végétalien soit une bonne chose, ne serait-ce que parce que l’équilibrer sans l’aide d’un nutritionniste professionnel est délicat. Pour les enfants, il est pour le moins aventureux. 
 
Mais le pire est que Barrau se contente d’affirmer sans preuve que l’enjeu de l’article est celui qu’il indique alors que ce n’est pas du tout le cas. Archer ne pose pas le problème en ces termes. Pour lui, il s’agit de dénoncer l’hypocrisie des végans qui racontent que leur régime est « sans souffrance animale » et ne nécessite pas de tuer des animaux. Il s’agit ensuite de repenser la façon de vivre de façon soutenable des ressources naturelles de l’Australie, de s’y insérer de telle sorte que l’ile soit encore vivable, et capable de nourrir ses habitants sur le long terme tout en préservant la faune et la flore autochtone et en l’utilisant de façon responsable. Voir son ouvrage, Going Native, 2004 dont le titre est à lui seul tout un programme. Ce qu’il dénonce, c’est la destruction des milieux naturels primitifs de l’ile pour leur infliger des monocultures de plantes étrangères, ces plantes qui sont à la base des régimes végans.
 
Bref avec des insultes liminaires fondées sur des affirmations discutables ou fausses et sur des contresens, c’est vraiment mal parti. 
 
Et ça continue …
 

Barrau écrit : « il faut typiquement dix fois plus de cultures pour nourrir les animaux d’élevage que pour nourrir directement les hommes avec des végétaux ! L’argument de l’auteur joue donc précisément contre son propos. L’affaire est entendue. »
 
Malheureusement pour lui, il s’agit dans le cas d’espèce envisagé par Archer de modes d’élevage herbager dans lesquels le bétail est nourri à l’herbe. Il ne faut que des surfaces de cultures insignifiantes pour ces modes d’élevage, voire pas du tout. L’affaire est loin d’être entendue et Barrau a tout faux.
 
Barrau écrit « l’article est totalement incohérent parce qu’il compare essentiellement de la viande qui serait obtenue par prélèvement (gardons à dessein des termes froids et neutres) dans la nature à une alimentation végétarienne provenant de cultures de céréales ! S’il était logiquement conséquent il considérerait alors des végétariens qui se nourrissent en cueillant les fruits sur les arbres de forêts. »
 
Décidément, on dirait que Barrau ne connaît rien à l’élevage sur prairies ou en parcours. Cette viande n’est nullement « obtenue par prélèvement dans la nature », il s’agit d’élevage et non de chasse bien que Archer préconise aussi d’ajouter à la viande bovine d’élevage, de la viande de kangourou obtenue par une chasse soutenable, c’est-à-dire préservant la bonne santé des populations chassées. Ensuite si cet élevage et cette chasse sont réels et permettent d’obtenir une grande partie de la viande rouge consommée sur l’ile, les végétariens frugivores humains se nourrissant des fruits des arbres des forêts australiennes sont issus de l’imagination de Barrau. Comment opposer des pratiques réelles à des fictions saugrenues ?
 
Mais cette fiction est en fait un procédé rhétorique pour mettre les modes d’élevages herbagers entre parenthèses et opposer un régime végétalien à un régime omnivore avec de la viande d’animaux nourris aux grains (céréales/légumineuses). Barrau se réfère aux cochons, aux moutons et aux bovins. Ce qui va lui permettre d’assener ce dont les végans nous rebattent les oreilles : «L’essentiel des cultures aujourd’hui déployées sur Terre sont faites pour nourrir des vaches, des cochons et des moutons. C’est un fait que personne ne peut contester (…) Donc tous les arguments – très pertinents – suivant lesquels ces cultures sont nuisibles sont précisément ceux pour lesquels il faut en effet diminuer l’alimentation carnée » 
 
Pour les cochons, il est effectivement indiscutable que l’immense majorité d’entre eux  sont élevés hors sol avec des farines végétales, pour la France souvent importées, ce qui est une hérésie. Selon les modes d’élevage pour les moutons et les bovins, l’herbe et le fourrage peut aller de 60 à près de 100% de la ration.
 
Cela dit, dans le régime que défend Archer, il n’est question ni de porcs ni de moutons, seulement de bovins élevés en herbager extensif et de kangourous « prélevés dans la nature ». Je ne sais ce que cherche à réfuter Barrau, mais ce n’est pas ce que défend ou propose Archer dans son article. Je pense qu’Archer n’est pas partisan de « l’industrie de la viande » que pourfend Barrau. En tout cas, pour ce qui est de l’Australie, compte tenus des arguments qu’il avance, Archer ne l’est pas. Pour lui l’Australie doit compter sur ses landes pour un élevage bien plus écologiquement responsable dans lequel les ruminants ont leur véritable utilité – transformer de l’herbe en protéines assimilables par l’homme – et se nourrissent conformément à leur nature de ruminants. Il est aberrant de nourrir les ruminants avec des céréales et des tourteaux de soja dans des élevages hors sols et de bousiller des milieux naturels pour les mettre en culture afin de les produire. Nul besoin d’être végan pour s’accorder sur un tel constat. Mais qui défend cela ? Pas Mike Archer en tout cas qui regrette même que l’Australie pratique des cultures de céréales pour l’export.
 
Au passage Barrau souligne que « cultiver pour les hommes et non les animaux d’élevage permettrait de nourrir environ 4 milliards d’humain[s] en plus ». Il reprend cet argument dans deux passages de son texte. Or ce n’est pas le régime végétalien qui est censé nourrir le plus de gens mais un régime lactovégétarien pour une raison simple, c’est que la majorité des terres pâturées ne peuvent être mises en culture, trop humides, trop sèches, sol trop pauvre ou pas assez profond… C’est notamment le cas de l’Australie pour 70% de son territoire comme le souligne Archer dans son texte.
 
De plus il faut se méfier d’une sorte d’effet rebond en la matière. Tout le passé de l’humanité montre que dès qu’il y a un potentiel de nourriture disponible la population croît. Or ce serait une très mauvaise chose du point de vue de la durabilité de l’espèce humaine car il y a déjà surpopulation par rapport à une capacité de charge terrestre qui ne pourra pas toujours être artificiellement augmentée. Pour Archer « « We can certainly agree about the most threatening elephant in the room in this and most other sustainability discussions: massive human overpopulation. » Donc inutile d’en rajouter et c’est Archer en la matière qui a raison.
 
Pour appuyer ses dires sur le caractère néfaste écologiquement de l’élevage, Barrau ressort un « visuel » de propagande de son association L214 où il est indiqué que pour produire 1 kg de viande de bœuf, il faut 1 500 litres d’eau sans préciser bien entendu qu’il ne s’agit pas d’eau potable mais d’eau virtuelle qui comptabilise l’eau de pluie qui tombe sur les parcours et les pâtures et qui y tomberait de toute façon qu’il y ait ou non des troupeaux qui y sont élevés. Cette eau de pluie dite « verte » constitue l’essentiel de ces fameux 1500 litres dont les végans nous rebattent les oreilles mais Barrau est astrophysicien, pas agronome et il peut colporter sans état d’âme les approximations qui l’arrangent.
 
Barrau qui croit avoir montré l’inanité éthique des préconisations de Mike Archer va dans une seconde partie de son article « noter quelques points signifiants ».

● « Il [Mike Archer] insinue qu’il va proposer un cheminement sous couvert de l’autorité de Singer afin de mettre le lecteur réticent en confiance. » Mike Archer n’insinue rien du tout. Il reprend le principe de Peter Singer selon lequel « si nous pouvons choisir la façon de nous nourrir, nous devons choisir celle qui cause le moins de souffrances inutiles aux animaux » et il veut de démontrer qu’en Australie, un type de régime à base de viande bovine et de kangourou est celle qui répond à ce principe et non comme l’ont conclu Singer et d’autres théoriciens et militants de la « libération animale » un type de régime végétalien. On remarquera les connotations péjoratives du verbe choisi « il insinue » et non « il suggère », terme neutre. Et bien entendu, il ferait cela pour « duper » le lecteur. C’est donc reparti pour les sous-entendus malveillants et les injures plus ou moins voilées en guise d’arguments.
 
● « De façon volontaire ou non, l’article a conduit nombre de lecteurs – la consultation des réseaux sociaux l’atteste – à croire à l’existence d’un vaste débat sur le sujet alors que ce n’est évidemment pas le cas : personne ne doute sérieusement que l’industrie de la viande soit hautement néfaste à l’environnement et hautement cruelle pour les animaux qui en sont victimes. » Encore faut-il préciser ce que l’on entend par industrie de la viande. En outre les méfaits écologiques que les végans attribuent à l’élevage herbager font effectivement débat. Voir le cas de l’eau, mon article « Stop au bourrage de crâne » https://www.jfdumas.fr/Stop-au-bourrage-de-crane-Le-mode-de-vie-vegan-n-est-ni-ecologique-ni-ethique-_a389.html et la bibliographie associée, les dossiers de l’INRA sur la question et les références associées (http://www.inra.fr/Chercheurs-etudiants/Systemes-agricoles/Tous-les-dossiers/Fausse-viande-ou-vrai-elevage/Quelques-idees-fausses-sur-la-viande-et-l-elevage/(key)/0). Pour ce qui concerne la cruauté de l’élevage industriel, il ne devrait guère y avoir de débat mais ce n’est pas le cas de l’élevage herbager au moins jusqu’au transport à l’abattoir. C’est à ce niveau que le bât blesse et que les choses devraient être singulièrement améliorées. Elles le seraient déjà beaucoup si les règles du « bien-être animal » étaient appliquées. Il y a donc débat.
 
● « Laisser croire à une situation incertaine quand il n’y a pas de débat authentique est une supercherie intellectuelle. Quand, de plus, il s’agit non pas d’un simple positionnement théorique mais de la légitimation de la mise à mort de 2000 êtres vivants par seconde, la technique devient nauséabonde » Donc dans son article Mike Archer se rendrait coupable d’une supercherie intellectuelle nauséabonde en faisant croire qu’il y a débat concernant les dégâts environnementaux de l’élevage industriel. Toujours l’injure et l’invective et toujours aussi mal à propos !
 
Comme on vient de le voir, les dégâts attribués à l’élevage qui n’est pas un élevage intensif hors sol font débat. Mais ce n’est pas la question que soulève Archer dans son article. Il oppose l’agriculture qui a détruit les milieux naturels de l’Australie, leurs végétations et leurs faunes autochtones et l’élevage qui les laisse intact pour l’essentiel. Et cela ne fait pas débat.

En outre est hors de propos la référence aux « 2000 êtres vivants tués par seconde » qui sont des animaux de boucherie,  volailles, monogastriques et ruminants, toute espèce confondue au niveau de la Planète : « estimation approximative du nombre d’animaux tués à l’échelle planétaire pour fournir la viande utilisée dans l’alimentation humaine », car répétons-le : l’article de Mike Archer concerne l’Australie.
 
● « L’article exprime une empathie attendrissante pour les souris tuées lors des labours ou dans les silos à grain. Il cherche à rallier la sympathie de ceux qui savent qu’en effet ces petits mammifères sont capables de ressentis très subtils (…). Le processus est assez grossier car il est difficile de croire que l’auteur puisse réellement se soucier du sort des souris compte-tenu de l’immense cynisme de son entreprise. » Toujours des invectives et des insultes. Il ne s’agit pas de rallier la sympathie mais de montrer qu’il s’agit d’êtres sensibles qu’il faut tuer pour préserver les récoltes qui sont les éléments de base du régime végétarien et végétalien. Il y a autant de raison de se soucier du sort de ces animaux que de celui des animaux de boucherie.
 
● « L’article use de l’argument suivant lequel nos dents et notre système digestif seraient adaptés à la consommation de viande. Il est fort regrettable qu’il utilise ici le mode assertorique – qui l’assène comme une évidence – alors que(…) il y a là un véritable débat chez les spécialistes ! » C’est faux. Il n’y a que certains végans qui nient cette évidence….
 
● « Plus généralement, l’article semble user d’un stratagème assez banal et étonnamment efficace : plus la supercherie est « grosse », plus le mensonge est « évident », mieux il fonctionne. L’abattage des animaux pour fournir de la viande tue environ 65 milliards d’animaux terrestres par an (et sans doute environ mille milliards de poissons, crevettes, poulpes, etc.). La mise à mort se passe souvent dans des conditions indescriptibles, après les avoir condamnés à une vie de pure souffrance. Présenter cela comme un bienfait pour les animaux est aussi logiquement stupéfiant qu’éthiquement innommable ». « Stratagème », « supercherie », « mensonge », les amabilités continuent de pleuvoir… Mike Archer n’a jamais présenté comme « un bienfait » pour les animaux d’être mis à mort. Il a simplement affirmé que la mort d’un bovin tué abattu dans les règles était moins cruelle, moins douloureuse que celle d’une souris tuée par empoisonnement. Le vrai reproche que l’on peut faire à Archer, c’est de ne pas s’interroger sur le respect effectif de ces règles et de le tenir pour acquis. Mais peut-être que même dans les cas où les bovins sont abattus de façon condamnable, la souris empoisonnée souffre encore plus…
 
C’est le sang de ces petits rongeurs et autres animaux des champs que les végans ont sur les mains pour se nourrir. Et au total, cela fait beaucoup plus de victimes que lorsque l’australien « carniste » mange son steak de kangourou ou de bœuf élevé à l’herbe sur le sol de son ile. Et bien entendu, c’est cela que Barrau ne veut pas entendre même si cette conclusion ne vaut que pour cette contrée lointaine très différente de la nôtre.
 
 
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Bien entendu le régime considéré comme éthiquement recommandable et écologiquement responsable pour l’Australie ne le serait peut-être pas en Europe, la situation de l’Australie, sa géographie, sa végétation, sa faune et sa flore étant tout à fait singulière.  D’ailleurs en Europe, il n’y a pas de kangourous à chasser ! Les pullulations de souris qui sont à la base de l’argument d’Archer n’existent qu’en Australie, en Chine et par endroit en Californie. Ailleurs, il semble que ce ne soit pas le cas. D’ailleurs Archer reconnait que « In other areas it's less clear how many sentient animals are killed to produce a given amount of grain. I can't comment on this because my focus was on the Australian situation. » Pourquoi ne pas l’admettre et s’en tenir là ?
 
Peut-être parce que les végans veulent que la consommation de viande soit bannie partout, ou du moins partout où la civilisation occidentale prédomine. Le véganisme ne défend pas « les animaux », catégorie hétérogène s’il en est. Ce qu’il condamne, c’est la domestication et donc parmi les espèces du règne animal, celles qui importent aux végans sont celles dont nous tirons notre nourriture, dont nous utilisons les produits dans le cadre de cette domestication, ce qui revient à se soucier d’avantage de ces espèces que des autres. Les espèces sauvages ne les intéressent que si elles sont chassables, mangeables, utilisables d’une façon ou d’une autre. Les ravageurs des cultures ne font pas partie de leur priorité. Ils refusent de manger du miel pour ne pas exploiter les abeilles et risquer de les tuer mais ils se soucient peu de l’extermination des doryphores dans les champs de pomme de terre ! Voilà bien la   preuve qu’un strict « anti-spécisme » est intenable.


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Mike Archer

Commander un repas végétarien ? C’est avoir plus de sang sur les mains !
 
L’éthique des mangeurs de viande rouge a été récemment mise sur la sellette par des critiques qui s’interrogent ses conséquences pour l’état de l’environnement et le bien-être animal. Mais si vous voulez minimiser la souffrance animale et promouvoir une agriculture soutenable, adopter un régime végétarien risque d’être la pire des choses  que vous pourriez faire.
 
Un éthicien réputé Peter Singer déclare que si nous pouvons choisir la façon de nous nourrir, nous devons choisir celle qui cause le moins de souffrances inutiles aux animaux. La plupart des avocats des droits des animaux considèrent que cela signifie que nous devons manger des végétaux plutôt que des animaux.
 
Il faut environ entre deux et dix kilos de végétaux, selon le type de céréales considérées, pour produire un kilo d’animal. Etant donnée la quantité limitée de terres productives dans le monde, il peut paraître à certains qu’il est plus logique de réserver notre intérêt culinaire aux végétaux, parce que l’on pourrait sans doute obtenir plus d’énergie par hectare pour la consommation humaine. Théoriquement ceci devrait aussi signifier que moins d’animaux sensibles seraient tués pour rassasier les appétits voraces de toujours plus d’humains.
 
Cependant avant de rayer la viande rouge produite dans des zones de parcours (rangelands-produced  red meat)  de la liste des « bons à manger » pour des raisons éthiques ou environnementales, testons ces hypothèses.
 
Les données publiées suggèrent que, en Australie, produire du blé ou autres céréales conduit à :
     ●       au moins 25 fois plus d’animaux sentients tués par kilogramme de protéines exploitables
     ●       plus de dommages environnementaux, et
     ●       bien plus de cruauté envers les animaux qu’il en résulte de l’élevage pour la viande rouge.
 
Comment cela est-il possible ?
 
Pour produire du blé, du riz et des légumineuses, l’agriculture nécessite le défrichage de la végétation indigène. À lui seul cet acte cause la mort de milliers d’animaux et de plantes australiennes par hectare. Depuis que les Européens arrivèrent sur ce continent, nous avons perdu plus de la moitié d’une végétation indigène endémique, principalement pour augmenter la production de monocultures d’espèces introduites pour la consommation humaine.
 
La plupart des terres arables de l’Australie sont déjà exploitées. Si plus d’Australiens veulent que leurs besoins nutritionnels soient satisfaits par des plantes, nos terres arables devront être cultivées encore plus intensivement. Cela nécessitera une nette augmentation de l’usage d’engrais, d’herbicides, pesticides et autres fléaux pour la biodiversité et la santé environnementale. Ou, si les lois actuelles étaient changées, plus de végétation indigène devrait être éradiquée pour l’agriculture (une surface de la grandeur de l’état de Victoria et de l’état de Tasmanie pour produire la quantité supplémentaire requise pour une nourriture végétalienne).
 
La plupart du bétail abattu en Australie se nourrit uniquement sur des pâturages. Ce sont habituellement de zones de parcours qui constituent environ 70% du continent.
 
Le pâturage se déroule principalement  sur des écosystèmes indigènes. Ceux-ci ont et maintiennent un niveau beaucoup plus haut de biodiversité indigène que les cultures. Ces zones de parcours ne peuvent pas être utilisées pour produire des récoltes, de telle sorte que dans ces zones la production de viande ne limite pas la production d’aliments végétaux. L’élevage est la seule façon pour les humains d’obtenir de substantiels nutriments de 70% du continent.
 
Dans certains cas, les zones de pâturages extensifs ont été considérablement altérées pour augmenter le stock de végétaux faciles à stocker. Le pâturage peut aussi causer des dommages significatifs comme la perte de terre arable et l’érosion. Mais il ne conduit pas à la « blitzkrieg » contre l’écosystème naturel requise pour faire pousser les cultures.
 
Ces dommages environnementaux ont amené des environnementalistes célèbres à remettre en question leurs préconceptions. Le défenseur de l’environnement britannique Georges Monbiot, par exemple, rendant publique sa conversion de végan à omnivore après avoir lu le plaidoyer de Simon Fairlie sur la soutenabilité de la viande. Et la militante environnementaliste Lierre Keith a documenté les incroyables atteintes à l’environnement global impliquées dans la production de nourriture végétale pour la consommation humaine.
 
En Australie nous pouvons aussi satisfaire une part de nos besoins en protéines en utilisant de façon soutenable la viande de kangourous sauvages. A la différence des animaux de boucherie introduits, ils ne portent pas atteinte à la biodiversité indigène. Leur démarche est légère, ils produisent peu de méthane et ont de relativement faibles exigences en eau. Ils fournissent aussi une viande exceptionnellement saine, pauvre en matière grasse.
 
En Australie 70 % du bœuf produit pour la consommation humaine provient d'animaux élevés sur des pâturages avec très peu ou pas de suppléments de céréales. En permanence, seulement 2 % du troupeau de bovins national de l'Australie mangent des céréales dans des parcs d’engraissement ; les autres 98 % sont élevés à l'herbe. Les deux tiers de bétail abattu en Australie se nourrissent uniquement  au pâturage.
 
Pour produire des protéines à partir de la viande de bovins élevés à l’herbe, on tue du bétail. Une bête morte livre (en moyenne, sur l’ensemble des pâturages Australiens) une carcasse d’environ 288 kilogrammes. C’est approximativement 68% de viande désossée qui, à raison de 23% de protéines donne 45 kg de protéines par animal tué. Ceci implique 2,2 animaux tués pour 100 kg de protéines animales utilisables.
Produire des protéines à partir de céréales implique de labourer les praires et de les ensemencer. Tous ceux qui se sont assis sur un tracteur en train de labourer savent que les oiseaux de proie qui vous suivent toute la journée ne sont pas là parce qu’ils n’ont rien d’autre de mieux à faire. Labourer et récolter tue des petits mammifères, des serpents, des lézards et autres animaux en grand nombre. En outre des millions de souris sont empoisonnées chaque année dans les installations de stockage des grains.
 
Le plus grand nombre de pertes d’êtres sensibles et le mieux documenté est celui des souris empoisonnées lors de leurs invasions. 
Partout en Australie où l’on produit des céréales, une invasion de souris a lieu en moyenne tous les quatre ans avec 500 à 1000 souris par hectare. Le poison en tue au moins 80%.
Au moins 100 souris sont tuées par hectare et par an (500/4 x 0.8) pour faire pousser les céréales. Les rendements moyens sont de 1.4 tonnes de blé/hectare ; 13% du blé constitue des protéines utilisables. Par conséquent, au moins 55 animaux sentients  meurent pour produire 100kg de protéines végétales utilisables : 25 fois plus que pour la même quantité de viande de bovins élevés en terre de parcours (rangeland beef).
 
Une partie de ces céréales sont utilisées pour « finir » les broutards dans les parcs d’engraissement (une autre est destinée aux vaches laitières, aux porcs et à la volaille), mais malgré cela, beaucoup plus d’êtres vivants sensibles sont sacrifiés pour produire des protéines utilisables à partir des céréales que du bétail de zone de pâturages extensifs.
 
Il y a une autre question à aborder ici : la question de la sensibilité (sentience) – la capacité à ressentir, percevoir ou être conscient.
 
Vous pouvez ne pas penser que les milliards d’insectes et d’araignées tués par la production de céréales sont sentients, bien qu’ils perçoivent et répondent au monde qui les entoure. Vous pourriez ignorer les serpents et les lézards en tant que créatures à sang froid incapables de sensibilité bien que qu’ils forment des couples et prennent soin de leurs jeunes. Mais pour les souris ?  
 
Les souris sont beaucoup plus sensibles (sentientes) que nous le pensons. Elles chantent les unes aux autres des chants d’amour complexes, personnalisés qui deviennent de plus en plus complexes au cours du temps. Chanter quel que soit le genre de chant est un comportement rare parmi les mammifères qui n’était connu auparavant que chez les baleines, les chauves-souris et les humains.
 
Comme des adolescentes humaines en pamoison, les jeunes filles souris essaient de se rapprocher d’un chanteur de charme talentueux. A présent les chercheurs tentent de déterminer si les  innovations dans les chants sont génétiquement programmées ou si la souris apprend à varier ses chants lorsqu’elle grandit.
 
Les bébés souris laissés au nid chantent pour leur mère – un genre de chant pleureur pour lui dire de revenir. Pour chaque femelle tuée par le poison que nous répandons, en moyenne six bébés souris entièrement dépendants mourront de faim, de déshydratation ou par prédation malgré qu’ils aient chanté de tout leur cœur pour appeler leur mère, lui dire de revenir à la maison.
 
Quand le bétail, les kangourous, ou d’autres animaux de boucherie sont abattus, ils sont tués instantanément. La souris meurt lentement et d’une mort par empoisonnement très douloureuse. Du point de vue du bien-être, ces méthodes de tuer sont parmi les moins acceptables. Bien que les bébés kangourous soient parfois tués ou laissés à eux-mêmes, seulement 30% des kangourous tirés sont de femelles, dont quelques-unes seulement auront des jeunes (Selon le code déontologique de l’industrie, les chasseurs doivent éviter de tirer sur des femelles avec des jeunes dépendants). Cependant, lorsque nous empoisonnons délibérément leurs mères par millions, souvent nous laissons mourir de nombreux bébés souris dépendants.
 
Remplacer la viande rouge par des céréales conduirait à la mort de beaucoup plus d’animaux sensibles (sentients), une souffrance animale beaucoup plus grande et entrainerait significativement plus de  dégradations environnementales. Des protéines obtenues à partir de bétails élevés à l’herbe coûtent bien moins de vies par kilogramme : c’est un choix qui est plus humain, plus éthique et bénéfique à l’environnement.
 
Ainsi, que doit faire un humain affamé ? Nos dents et notre système digestif sont adaptés à un régime omnivore. Mais aujourd’hui nous devons prendre en compte des questions philosophiques. Nous nous soucions de l’éthique mise en jeu dans la mise à mort d’herbivores et nous nous demandons s’il n’y aurait pas une autre façon plus humaine d’obtenir des nutriments adéquats.
 
Compter sur les céréales et les légumineuses conduit à la destruction des écosystèmes indigènes, à des menaces significatives sur les espèces indigènes et à au moins 25 fois plus d’animaux sensibles (sentients) morts par kilogrammes de nourriture. La plupart d’entre-eux se chantent des chansons d’amour les uns aux autres, jusqu’à ce nous les tuions en masse de façon inhumaine.
 
L’Honorable Michael Kirby, ancien juge à la Haute Cour, écrit que :
 
« Par notre sensibilité (sentience) partagée, les êtres humains sont intiment connectés aux autres animaux. Pourvu de raison et de parole, nous sommes les seuls capables de prendre des décisions éthiques et de nous unir pour un changement social au bénéfice d’autres qui n’ont pas de voix. Les animaux exploités ne peuvent protester contre leur traitement ou demander une vie meilleure. Ils sont entièrement à notre merci. Ainsi toute décision concernant le bien-être animal, que ce soit au Parlement ou au Supermarché, nous met en face d’un grave test de caractère moral »
 
Nous savons que les souris ont une voix mais nous ne l’avons pas écoutée.
 
Le défi pour un mangeur éthique est de choisir le régime qui cause le moins de morts et de dommages à l’environnement. Il semble qu’un régime omnivore qui inclut la viande bovine d’élevage herbager soit plus soutenable d’un point de vue éthique et même que le soit un régime qui inclut du kangourou prélevé dans la nature de façon durable.
 
Je remercie de nombreux collègues et parmi eux Rosie Cooney, Peter Ampt, Grahame Webb, Bob Beale, Gordon Grigg, John Kelly, Suzanne Hand, Greg Miles, Alex Baumber, George Wilson, Peter Banks, Michael Cermak, Barry Cohen, Dan Lunney, Ernie Lundelius Jr et les experts relecteurs anonymes de l’article de l’ Australian Zoologist pour leurs utiles critiques.
 

Tf. : JF D.

Titre original :  Ordering the vegetarian meal? There’s more animal blood on your hands
https://theconversation.com/ordering-the-vegetarian-meal-theres-more-animal-blood-on-your-hands-4659

Dimanche 21 Janvier 2018 Commentaires (0)

Les travaux agricoles nécessaires à la production des céréales et légumineuses qui sont des éléments de base d’un régime végétalien sont la cause de la mort d’un grand nombre d’animaux des champs qui sont souvent tués de façon beaucoup plus cruelle que le bétail. C’est ce qui ressort des débats auxquels a donné lieu, il y a quelques années, la parution dans des revues spécialisées de deux articles, l’un en 2003 de Steven Davis, professeur de Zoologie à l’ Oregon State University, l’autre en 2011 de Mike Archer, professeur à l’University of New South Wales (Université de Nouvelle-Galles du Sud – Australie), zoologiste et paléontologue impliqué dans le domaine de la biologie de la conservation. Une version de ce dernier article a été publiée sur le site The Conversation, ce qui lui a assuré un écho dépassant le cercle des spécialistes et des militants de la cause animale. Alors que le véganisme s’offre aujourd’hui en France une grande visibilité grâce à des militants acharnés, ce débat semble oublié alors qu’il n’a rien perdu de sa pertinence ni de son actualité. Le but de cet article est de le rappeler et d’en tirer les principales leçons. Il doit être suivi d’un autre exclusivement consacré à la réaction à l’article de Mike Archer par la très active association néowelfariste végane L214.


Les végans croient qu’un régime  végétalien permet de manger sans tuer ou faire souffrir des animaux. C’est faux !
Le principe du moindre mal est un principe accepté dans toute éthique animale, libération des animaux, droit des animaux, végane. C’est à lui que les végans recourent pour justifier le choix d’un régime végétalien même dans le cas où l’on devrait reconnaître que les végétaux sont des êtres sensibles (sentients) et donc capables de souffrir « puisque l’inefficacité de la production de viande signifie que ceux qui en mangent sont responsables de la destruction d’au moins dix fois plus de plantes que les végétariens ». Mais ce recours au principe du moindre mal peut se retourner contre eux si le nombre d’animaux tués volontairement ou non dans l’agriculture est effectivement supérieur à celui du bétail et autres animaux tués en élevage et si de plus, les morts ainsi occasionnées sont extrêmement cruelles. 
 
Si dans un régime végan on ne mange pas de grands herbivores, ni aucun produit animal, il faut tuer beaucoup plus de petits mammifères pour manger végan : Steven Davis.
 
En 2003 dans un article qui a fait date « The Least Harm Principle May Require that Humans Consume a Diet Containing Large Herbivores, Not a Vegan Diet », Steven L. Davis accepte le principe du moindre mal et considère, au moins pour les besoins de la discussion, qu’il doit s’appliquer à notre façon de nous nourrir : d’un point de vue moral, il faut choisir celle qui épargne le plus d’animaux et leur fait subir le moins de dommages. Il indique que cette façon d’aborder le problème est en accord avec l’Ethique des droits des animaux du philosophe Tom Regan mais alors que Regan en conclut que le régime vegan est le seul acceptable d’un point de vue éthique, un régime d’où tout produit d’origine animale serait exclu, Davis conteste cette conclusion et soutient une position inverse. Si l’on admet qu’il n’est pas plus mauvais (condamnable d’un point de vue éthique) de tuer une vache qu’une souris ou des animaux des champs comme le pigeon, le moineau, l’étourneau, le faisan, la dinde sauvage, le lapin, le lièvre, le rat des champs etc. alors, selon Steven Davis, Tom Regan se trompe. Lorsqu’il faut labourer, désherber, récolter céréales ou légumineuses nécessaires pour le régime végan, l’agriculture tue, volontairement ou non, bien plus d’animaux que l’élevage herbager sur prairies permanentes. Tous ces travaux agricoles entrainent une mortalité animale inaperçue qui n’est pas prise en compte. Pourtant elle est bien plus importante, en quantité que la somme du bétail tué et des petits animaux sauvages morts à cause des travaux sur les pâtures requérant l’intervention de tracteurs et matériel agricole divers ; ceux-ci étant bien plus rares, voire inexistants : pas de labourage, ni de semis, ni de récoltes.  
 
En 2002, lors de la présentation de ses recherches à l’occasion du Congrès de la « European Society for Agriculture and Food Ethics » qui s’est tenu à Florence, Davis avait estimé qu’il y avait une lacune conséquente dans les théories des droits des animaux, l’absence de prise en compte des animaux des champs cultivés : « Au cours du temps que j’ai passé à étudier les théories des droits des animaux, je n’ai jamais trouvé quelqu’un qui ait envisagé la mort des animaux des champs ou le ‘préjudice’ qu’on leur cause. Cela est, me semble-t-il, une sérieuse omission »
 
Selon Davis, si ces animaux ne sont pas pris en compte par les théories des droits des animaux, et ont fait l’objet de bien peu d’études, c’est parce qu’on les voit comme des animaux dont on peut se passer, ou qu’on ne les voit pas du tout. 

Mais si on les prend en compte alors tout change selon lui. « Bien que l’on ne dispose pas d’estimations précises du nombre total d’animaux tués par les différentes activités agricoles du labourage à la récolte, quelques études montre qu’il doit être très élevé » (Although accurate estimates of the total number of animals killed by different agronomic practices from plowing to harvesting are not available, some studies show that the numbers are quite large). Pour les USA, il l’estime à 15 animaux/ha/an. Sur la base de 120 millions d’hectares cultivés en 1997 et si l’on suppose que toute cette surface est utilisée pour produire des aliments destinés à un régime végan, on obtient « 15 x 120 millions = 1 800 millions ou 1.8 milliard d’animaux tués annuellement pour produire une alimentation végétarienne. »
 
D’un autre côté, dans l’élevage herbager de ruminants, la récolte du foin demande beaucoup moins d’activité agricole, de passages de tracteurs. De plus « on tuerait encore moins d’animaux des champs si les animaux herbivores (ruminants comme le bétail) était utilisé pour récolter le foin et le transformer en viande et produits laitiers ». Davis considère que le fourrage fauché sur prairies permanentes et le pâturage seraient le nec-plus-ultra de l’agriculture sans labour, agriculture sans labour reconnue par tous les naturalises (wild écologist) comme « ayant des effets largement positifs sur les mammifères sauvages ». Sur ces bases, Davis estime que l’on peut diviser par deux le nombre d’animaux des champs tués dans le cadre d’un élevage herbager de ruminants.
 
Si l’on suppose que la moitié des terres agricoles des US soit utilisée pour produire des végétaux pour la consommation humaine et que l’autre moitié soit utilisée pour des productions de viande et de lait, « combien d’animaux seraient tués par an pour la nourriture humaine ? »
« 60 million ha de production végétale × 15 animaux/ha = 0.9 milliard
60 million ha, de production herbagère × 7.5 animaux/ha = 0.45 milliard
Total: 1.35 milliard d’animaux »
 
A ces 1.35 milliard d’animaux sauvages tués dans le cas d’un régime omnivore avec de la viande de bétail provenant d’un système herbager, il faut ajouter le bétail tué que Davis évalue sur la base des statistiques officielles à 74 millions de ruminants, somme qu’il obtient en doublant le nombre de ruminant effectivement tués (37 millions) pour remplacer les 8 milliards d’autres animaux de ferme effectivement tués. En définitive dans ce régime, le nombre d’animaux tués est de 1.424 milliard. Si on le compare au 1.8 milliard dans le cas d’un régime végétarien, si l’on applique le principe du moindre mal, l’affaire est entendue. Mais qu’est-ce qui empêcherait de l’appliquer ? D’un point de vue purement éthique, non spéciste, est-il plus moral de tuer une souris qu’une vache ?
 
Davis termine son article en réfutant une objection qui réapparaîtra souvent dans le débat, ceux qui la soulèveront semblant avoir oublié que Davis l’avait envisagée et tenté de la réfuter. Il y aurait cependant une différence : la vache est tuée volontairement, la souris accidentellement lors de travaux agricoles ou à cause de la perte du couvert végétal, par exemple, due à la moisson du champ. Pour Davis, il n’y a pas de réelle différence : « Il me semble que le préjudice causé à l’animal est le même : la mort est la mort ». Il rappelle que les philosophes utilitaristes qui développent une éthique animale ne voient aucune différence entre les deux cas : ce qui compte étant les conséquences et non les intentions. Enfin, l’agriculteur compte sur la prédation pour se débarrasser des souris et autres animaux des champs dont il juge la présence inopportune et à défaut il les empoisonnera lui-même.
 

Les végans croient qu’un régime  végétalien permet de manger sans tuer ou faire souffrir des animaux. C’est faux !
La riposte végane : Gaverick Mathenay
 

La riposte des végans à cet article ne s’est pas faite attendre. Elle apparaît sous la forme d’un article dans le numéro suivant de la même revue qui avait publié l’article de Davis. L’auteur Gaverick Mathenay est aujourd’hui à la tête d’une agence des renseignements US. Il est aussi le cofondateur de « New Harvest » qui promeut notamment la viande in vitro en remplacement de la viande obtenue par l’élevage d’animaux.
 
Dans son article il évoque plusieurs arguments notamment les mauvais traitements qui sont infligés aux bestiaux dont le marquage au fer rouge, la castration et l’écornage mais aussi le percement des oreilles pour y accrocher les étiquettes de traçabilité. Mais comme on peut difficilement comparer les souffrances des animaux sauvages éventrés ou empoisonnés avec celles des bœufs ou des vaches laitières, l’argument n’est pas celui qui a été retenu par la plupart des auteurs qui ont suivi.
 
L’argument qui a semblé massue est le suivant : dans son raisonnement Davis oublie qu’il faut beaucoup plus de surfaces dans le cas des systèmes herbagers pour produire des protéines animales (viande et lait) que dans un système de culture soja/maïs pour produire la même quantité de protéines. Dans le premier cas, pour produire 1 tonne de protéines issues de la viande, il faut 10 ha ; 2.6 ha pour le lait, alors que dans le second cas, il ne faut que 1ha. En reprenant les chiffres de Davis de 15 animaux tués à l’hectare dans le cas des systèmes de cultures et de la moitié dans les systèmes herbagers, pour les 20 kg de protéines annuelles recommandées pour un adulte, un végan devra tuer 0.3 animal sauvage, un lacto-végétarien 0.39 et un omnivore à la façon Davis 1.5. En appliquant le principe du moindre mal on doit choisir le régime Végan.
 
Il y a un autre point faible dans l’argumentation de Davis que les végans vont mettre en lumière : la différence entre le fait de tuer par accident, involontairement, et celui de tuer volontairement dans un système où tout est organisé en fonction de la fin poursuivie, l’abattage et la préparation des carcasses en viande bouchère. C’est comme si on mettait sur le même plan, les homicides involontaires et les homicides volontaires. Ce qui est tout à fait contre-intuitif et contraire à l’esprit des lois pénales dans la plupart des cas.
 
Le mérite de Davis reste celui d’avoir attiré l’attention sur ces animaux sauvages qui ne sont ni mangeables (au moins dans la culture occidentale), ni chassables, souvent considérés comme des « pestes » et qui sont les oubliés de tous les éthiciens des droits des animaux comme de leurs adversaires. L’existence de ces victimes de la production de céréales/légumineuses qui sont à la base des régimes végétaliens affaiblissent la condamnation des « carnistes » par les végans : pour produire les éléments de base de leur régime, il faut aussi tuer des êtres sentients.
 
Cela ne saurait satisfaire les végans qui aimeraient qu’aucun animal ne soit tué pour leur nourriture. Aussi certains se sont attaqués aux estimations de Davis des 15 animaux tués à l’hectare dans le cas des cultures de légumineuses ou de céréales. Ils recherchent dans les études écologiques ou éthologiques des données ou des résultats  qui leur permettraient d’établir que les travaux agricoles sur les cultures céréalières et légumineuses ne causent la mort que d’un nombre infime d’animaux et notamment de rongeurs. Une étude est très populaire dans leur littérature : « The effects of Harvest on arable wood mice, Apodemus sylvaticus » de T. E. Tew & D. W. Macdonald, Biological Conservation 1993, 65, 279-283. Des 32 souris que les auteurs avaient équipées d’un radiotraceur, une seule a été tuée par les machines lors de la récolte. 17 autres ont été prédatées lorsque le couvert végétal a disparu après la récolte. Certains végans oublient carrément ces dix-sept. Ils ne retiennent que la souris écrasée et estiment qu’il s’agit une mort accidentelle. C’est le cas d’Ophélie Veron dans son ouvrage Planète végane paru en 2017. Des éthiciens végans comme le philosophe australien Andy Lamey (2007) et certains naturalistes protecteurs des rapaces considèrent qu’il ne s’agit là que de phénomènes naturels, et que du point de vue des rapaces, cette récolte qui met le champ à nu est une bonne chose. En fait, en interférant dans des processus naturels et parce qu’il interfère, l’agriculteur est bel et bien responsable de cette prédation : elle a lieu immédiatement après la récolte qui dépouille le champ de sa végétation haute. D’ailleurs l’agriculteur aussi voit d’un bon œil cette prédation qui détruit des rongeurs qui attaquent ses récoltes. Naturalistes de la conservation et agriculteurs choisissent donc entre les espèces que ce soit d’un point de vue « patrimonial » ou d’un point de vue économique, les rapaces seront classés espèces patrimoniales et les souris des pestes. Une classification pour le moins spéciste et anthropocentrique.
 
De plus outre leur intérêt écologique et éthologique, tous les articles cités qu’ils concernent les mulots, les rats des rizières, etc. … cherchent à mieux connaître ces rongeurs dans le but de trouver des moyens pour au mieux de les priver de leur domaine vital lorsqu’il empiète sur les terres agricoles, au pire pour les éliminer plus efficacement en diminuant les risques et en minimisant les coûts. De telle sorte que l’on ne peut plus guère considérer ces morts comme accidentelles. D’où, à nouveau la question : d’un point de vue éthique, tuer une souris pour éviter ses vols de céréales serait-il plus condamnable que de tuer une vache pour la manger ou une chouette par superstition ? Si pour Regan seuls les mammifères adultes d’un an ou plus appartiennent à la communauté morale, ce n’est pas le cas des oiseaux qui ne sont admis au sein de cette communauté qu’au bénéfice du doute. Si d’un autre côté, on considère, comme les végans, qu’il suffit qu’un être soit sentient pour faire partie de cette communauté, alors il est tout aussi blâmable de tuer un quelconque d’entre eux.
 

Les végans croient qu’un régime  végétalien permet de manger sans tuer ou faire souffrir des animaux. C’est faux !
En Australie, c’est un régime omnivore à base de viande bovine et de kangourou qu’il faut préférer d’un point de vue éthique : Mike Archer
 
En 2011 dans un article qui a eu un fort retentissement «Ordering the vegetarian meal ? There’s more animal blood on your hands » paru sur le site The conversation, Mike Archer, un paléontologue et zoologiste australien, défend pour l’Australie une thèse analogue à celle que Steven Davis a argumentée pour les USA. Une première version de cet article intitulée « Slaughter of the singing sentients: measuring the morality of eating red meat. » avait été publiée dans Australian Zoologist. Le texte de The conversation est un peu abrégé et ne cite pas toutes les références de l’article initial publié au format d’une revue scientifique avec comité de lecteurs. Dans la bibliographie de cet article, il ne cite pas l’article de Davis. L’éthicien auquel Mike Archer se réfère n’est plus l’américain Peter Regan mais son compatriote l’australien Peter Singer, le philosophe utilitariste de la « libération animale ».
 
Mike Archer est connu d’un large public pour avoir initié un programme de recherche pour ressusciter par clonage deux espèces endémiques et emblématiques de l’Australie, la grenouille à incubation gastrique, éteinte depuis 1983 et le tigre de Tasmanie dont le dernier sujet est mort en 1936. En 2014, les généticiens australiens travaillant sur ce programme ont réussi à recréer des embryons de grenouilles à incubation gastrique. Mais ils sont tous morts. Malgré cet échec le projet continue et des essais sont menés une fois par an, suivant le cycle de reproduction de la grenouille hôte.
 
Comme l’avait fait Davis dans le cas Tom Regan et des US, Archer a pour but d’établir que du principe qu’il attribue à Singer « si nous pouvons choisir la façon de nous nourrir, nous devons choisir celle qui cause le moins de souffrances inutiles aux animaux », il ne suit pas que le régime des Australiens doit être végan mais omnivore à base de viande rouge de bovins élevés en pâturage extensif sur prairies ou sur des parcours et de viande de kangourou obtenue dans le cadre d’une chasse commerciale soutenable (durable) qui garde l’espèce en bon état de conservation. Il reconnait qu’il y a là comme un paradoxe lorsque l’on sait qu’il faut environ entre deux et dix kilos de végétaux, selon le type de céréales considérées, pour produire un kilo d’animal, ce qu’il ne remet pas en doute.
 
Archer constate qu’en Australie toutes les terres arables défrichées sont utilisées pour produire des aliments végétaux. Il insiste sur le fait que cette mise en culture a été une catastrophe écologique. Le défrichage de la végétation indigène a occasionné la destruction de milliers de plantes et d’animaux autochtones pour produire du riz, du soja, du maïs et autres végétaux. Il écrit : « Depuis que les Européens arrivèrent sur ce continent, nous avons perdu plus de la moitié d’une végétation indigène endémique, principalement pour augmenter la production de monocultures d’espèces introduites pour la consommation humaine. » Et c’est cette végétation et les animaux sauvages autochtones qu’il faut préserver. Mais si tous les australiens devenaient végétaliens, il faudrait, selon lui, encore augmenter les surfaces agricoles de façon très importante ou augmenter à coup d’engrais et de pesticides la productivité et le rendement des terres déjà cultivées pour satisfaire la demande en végétaux. Deux solutions inacceptables d’un point de vue écologique.
 

Archer souligne qu’en comparaison en Australie l’élevage est beaucoup moins néfaste que l’agriculture céréalière. C’est un élevage extensif qui se déroule sur des écosystèmes primaires qu’il ne détruit pas, même si par endroit, il peut entraîner des dommages significatifs à la couverture végétale. Ces zones de pâturage ne sont pas adaptées à la culture. Cet élevage est la seule façon de les utiliser pour en obtenir de la nourriture. En Australie, elles couvrent 70% du territoire. Cet élevage produit les deux tiers des bovins tués. Très peu sont « finis » avec des suppléments de céréales et seulement 2% sont nourris aux céréales dans des parcs d’engraissement. Il résulte de cela que d’une part l’élevage n’entre pas en compétition avec la production de céréales pour la nourriture humaine et que d’autre part son bilan écologique est incomparablement supérieur à l’utilisation des sols pour l’agriculture, notamment en ce qui concerne la préservation des écosystèmes autochtones et de la végétation endémique de l’Ile. En outre la chasse commerciale au Kangourou fournit aussi une viande de bonne qualité et les kangourous n’endommagent pas les sols fragiles par piétinement comme le font les bestiaux.
 
Archer estime que la mise en culture des prairies pour produire des céréales ou des légumineuses  a entrainé un véritable massacre d’êtres vivants, plantes et animaux sauvages qui ne seraient peut-être pas tous reconnus comme sentients mais parmi eux il y en a qui le seraient indubitablement. Toutefois à la différence de Davis, ce n’est pas à un décompte de ces animaux qui sont des victimes collatérales de travaux agricoles tuées de façon non intentionnelle qu’Archer va s’attacher. De ce fait, il évite les discussions sans fin sur la question de savoir si l’on doit compter comme animal tué pour produire de la nourriture les animaux écrasés par un tracteur, hachés par une moissonneuse-batteuse, ou prédatés suite à une récolte ou un labour. Ce qu’Archer met en avant c’est la destruction des milieux naturels et des écosystèmes associés par l’utilisation agricole des sols. Ce qui est indiscutable et doit être pris en compte dans nos choix de nourritures.
 
Il va s’en tenir aux pertes des souris des champs lors des épisodes de pullulation. Dans ces épisodes qui se reproduisent tous les quatre ans, on compte 500 à 1000 souris par ha. 80% sont tuées par empoisonnement. Ce qui fait une moyenne d’au moins 100 souris/ha/an de tuées empoisonnées (500/4 x 0.80).
 
Archer calcule ensuite combien de protéines disponibles sont produites à l’hectare en blé. On obtient en Australie pour un rendement moyen de 1.4 tonnes/ha, 13% de protéines utilisables. Sur cette base il faut 0.55 ha pour obtenir 100 kg de protéine végétales utilisables. Donc 55 souris au moins (100 x 0.55) sont tuées pour obtenir cette quantité de protéines. Pour une même quantité de protéines il fallait abattre 2.2 bovins. Donc il faut tuer 25 fois plus d’animaux pour les obtenir à partir de végétaux  que pour les obtenir à partir de viandes animales.
 
On voit qu’en procédant de cette façon, Archer ne peut pas être accusé de ne pas prendre en compte le nombre d’hectares nécessaires pour produire des céréales ou de la viande bovine. D’ailleurs dans le cas d’élevages extensifs sur parcours, l’estimation des surfaces parcourues par les troupeaux n’aurait guère de sens. Une objection du type de celle que Mathenay adressait à Davis ne serait donc pas pertinente.
 
Dans son calcul Archer traite de la même façon, accorde autant de considération à une souris qu’à une vache.  Revient alors la question récurrente : tuer une souris, est-ce aussi condamnable, moralement parlant, que de tuer une vache ?
 
On aurait tendance à répondre non. Mais si l’on adopte le point de vue d’une éthique animale, il n’y a pas lieu de faire de différence entre les deux sur la base de leur appartenance spécifique ou de l’intérêt qu’elles ont pour nous. Si nous le faisions, nous ferions preuve de spécisme, un défaut moral aussi condamnable que le racisme aux yeux des éthiciens de philosophie animale.
 
Tout être  sentient (sensible) en tant qu’être sentient mérite une même considération que n’importe quel autre être sentient. C’est pourquoi Archer va s’efforcer d’établir 1° : que les souris des champs sont des êtres sentients. Elles éprouvent des sentiments, communiquent entre elles en chantant des chants personnalisés de structures complexes, notamment des chants d’amour, chants que nous ne pouvons entendre car ces vocalises se situent dans la gamme des ultrasons. Les jeunes appellent leurs mères en émettant aussi des chants.  Donc en tant qu’être sentient, une souris est l’égal de tout autre être sentient, donc d’une vache. Il n’est ni plus ni moins moral de tuer une vache qu’une souris. 2° il estime que les souris, êtres sentients, souffrent beaucoup plus lorsqu’elles meurent empoisonnées alors que ce n’est le cas ni des bovins s’ils sont abattus selon les règles, ni des kangourous s’ils sont tués par de bons tireurs conformément aux instructions. Les souris sont empoisonnées. « Du point de vue du bien-être, ces méthodes de tuer sont parmi les moins acceptables ». Quant aux jeunes souriceaux, lorsque leur mère est tuée, ils sont condamnés à mourir de faim et de déshydratation dans une longue agonie bien qu’ils aient « chanté de tout leur cœur pour appeler leur mère, lui dire de revenir à la maison ».

Les végans croient qu’un régime  végétalien permet de manger sans tuer ou faire souffrir des animaux. C’est faux !
En résumé il faut tuer et tuer salement avec beaucoup de souffrances pour produire des céréales et des légumineuses, base du régime végan. Archer peut alors conclure que pour un Australien « Remplacer la viande rouge par des céréales conduirait à la mort de beaucoup plus d’animaux sentients (sensibles), une souffrance animale beaucoup plus grande et entrainerait significativement plus de dégradations environnementales. Des protéines obtenues à partir de bétails élevés à l’herbe coûtent bien moins de vies par kilogramme : c’est un choix qui est plus humain, plus éthique et bénéfique à l’environnement. » Le régime qu’il juge le plus éthiquement correct est donc à base de viande rouge obtenue à partir de bêtes issues d’élevages herbagers, de chasses commerciales écologiquement responsables de kangourous. 
 
Inutile de dire que les végans ont réagi avec une grande vigueur à cet article. Mais la plupart de leurs critiques –  quand elles ne sont pas ad hominem et donc irrecevables – sont hors sujet. Elles se fondent sur l’état de l’élevage envisagé au niveau mondial, alors qu’Archer s’en tient au cas de l’Australie qui est bien spécifique. Ce type de critiques assez redontantes constitue l’essentiel des « réfutations » de Patrick Moriarty 2012, Garry Francione  2013, All Animals Australia  2014, ... Ces critiques tombent dès lors que le propos est bien restreint à la situation en Australie qui est d’ailleurs tout à fait originale. Il y a bien quelques passages de l’article d’Archer qui pourraient laisser penser que ce dernier croit son analyse généralisable, notamment lorsqu’il cite George Monbiot, Simon Farlie et Lierre Keith. Le titre de la version publiée sur le site The conversation peut aussi porter à confusion. Mais dans l’ensemble il prend soin de rapporter son propos à l’Australie.
 
Il y a une leçon importante à tirer de cette absence de pertinence des critiques que l’on vient d’évoquer et qui sont hors sujet : d’une manière générale, le contexte et les situations sont très différentes d’une région du monde à une autre. C’est vrai pour les rendements des cultures de céréales et de légumineuses qui varient aussi d’une année sur l’autre et parfois de façon significative. C’est vrai aussi pour les changements d’occupation des sols. La déforestation en Amérique du Sud n’a pas son équivalent en Europe où l’on assiste à une tendance contraire. Ce qui menace les forêts en Europe, c’est l’exploitation du bois dans le cadre d’une transition énergétique. En France l’élevage bovin pour la viande et le lait est principalement herbager. C’est vrai pour les pullulations de rongeurs. En France par exemple, les prairies sont victimes de pullulations de rats taupiers et les régulations par empoisonnement sont catastrophiques pour les populations de milans royaux. Par contre les pullulations de souris dans les champs de blé ou de maïs sont plus rares. Bref, en matière d’élevage et de cultures, un raisonnement à l’échelon planétaire doit être conduit avec prudence en dépit de la mondialisation des échanges commerciaux.
 
En lisant les autres critiques qui sont formulées par ces auteurs, on en arrive à se demander s’ils  ont lu l’article qu’ils prétendent critiquer. Par exemple All Animals Australia reproche à Archer de ne pas prendre en compte l’érosion des sols due au pâturage alors qu’il le prend en compte et recommande de mieux utiliser la viande issue de la chasse commerciale aux kangourous qui « ont le pied léger ».
 
Lorsque Francione reprend la ritournelle selon laquelle les céréales sont cultivées principalement pour nourrir les bovins, il ne semble pas avoir lu l’article. De même lorsqu’il déclare que dans un monde végan le problème des pullulations de rongeurs ne se poserait pas avec une telle ampleur parce qu’il y aurait moins de quantité de céréales produites et que l’on trouverait des meilleures solutions respectueuses de la vie des animaux. Si comme c’est le cas en Australie les bovins ne consomment que très peu de céréales, étant élevés conformément à leur nature, c’est-à-dire avec de l’herbe, ce n’est pas moins de céréales qu’il faudrait dans une Australie végane, mais plus.
 
Si Francione a vraiment lu l’article, il ne l’a pas compris parce qu’il semble ne pas pouvoir s’abstraire de sa vision de bétails nourris à l’américaine avec des céréales dans des parcs d’engraissement. Enfin quant aux méthodes respectueuses de la vie des animaux pour faire face à ces pullulations, on aurait aimé en savoir un peu plus. Ainsi invoquées, elles ne sont qu’une façon de refuser de prendre en considération le problème, problème très gênant pour un végan qu’il préfère évacuer par un effet de rhétorique creux. C’est assez pitoyable de la part d’un philosophe, figure de proue d’un véganisme abolitionniste qui se veut sans concession.
 
Sur quelques points Archer semble un peu trop optimiste comme sur le respect des règles de bien-être animal et des chartes de bonnes pratiques. Par exemple pour ce qui concerne la chasse commerciale du kangourou, il semblerait, si l’on en croit All Animals Australia 2014, que les choses ne se passeraient pas aussi bien sur le terrain avec dans certains cas des animaux seulement blessés et des femelles accompagnées tuées et leurs jeunes abandonnés à eux-mêmes. Il en va sans doute de même en ce qui concerne l’abattage des bovins dans les abattoirs où en Australie pas plus qu’ailleurs les règles pour éviter toute maltraitance ne sont pas toujours respectées.
 
Ceci nous conduit à envisager la question de la souffrance : il est difficile de comparer et de décider dans le cas d’espèce si l’agriculture entraine plus de souffrances pour les souris que l’élevage herbager pour le bétail ou la chasse commerciale pour les kangourous. Marquages au fer rouge, écornages (si c’est le cas), castrations sont le lot des bestiaux mais pas celui des kangourous, ni des souris. Bref, le débat peut être sans fin. Bien que les vaches et les broutards souffrent de tous ces maux, que leur existence est brève, il est difficile d’affirmer que leur vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue. La vie sauvage recèle d’autres expériences et aléas aussi douloureux…
 
In cauda venenum : JF D
 

Certes l’Orégon n’est pas l’Australie et l’Australie n’est pas l’Europe. Ce qui vaut pour l’un ne vaut pas pour les autres. Mais il y a tout de même un point important qui ressort des débats autour des articles de Stephen Davis et Mike Archer, c’est que pour produire les éléments de base d’un régime végétarien, il faut tuer et faire souffrir des animaux, notamment des rongeurs, de taupes et des oiseaux comme les corbeaux, les pigeons ou les étourneaux sans compter les limaces et quantités d’insectes ravageurs que les végans et les philosophes animalistes ont tendance à oublier. Ceux qui penseraient que cela est dû aux grandes cultures seraient contredits par tous ceux qui cultivent un lopin de terre ou un potager en autoproduction. Même la permaculture n’échappe pas à cette nécessité que ce soit directement ou par l’intermédiaire de carnivores. C’est tout simplement parce que c’est une loi de la nature.
 
C’est cela qui explique en fin de compte la virulence des végans militants et de leurs idéologues. Tout d’abord, il leur est difficile d’admettre que les aliments qu’ils cuisinent et mangent ne peuvent pas être produits sans souffrance et qu’il faut que des animaux soient tués volontairement. Ensuite la mise au grand jour et le rappel de ces tueries et de leur cruauté abolissent la différence éthique qui pouvait sembler exister entre leur végétalisme et l’omnivorisme ordinaire de la plupart des gens, ou ceux spéciaux préconisés par Steven Davis pour les US ou Mike Archer pour l’Australie. Pour décider du meilleur choix non seulement en terme d’éthique animale, mais aussi en terme d’éthique environnementale, il faut procéder au cas par cas, recourir au principe du moindre mal et les résultats ne sont pas toujours ceux que l’on attend. La belle simplicité de la propagande végane se révèle alors pour ce qu’elle est : de la propagande et de l’endoctrinement.
 

o00o  Références  o00o
 
All Animals Australia,  2014 « Debunking “Ordering the vegetarian meal? There’s more animal blood on your hands.” » https://allanimalsaustralia.wordpress.com/2014/11/12/debunking-ordering-the-vegetarian-meal-theres-more-animal-blood-on-your-hands/
 
Archer M., 2011 « Slaughter of the singing sentients: measuring the morality of eating red meat. »,  Australian Zoologist: 2011, Vol. 35, No. 4, pp. 979-982.
 
 Archer M., 2011b « Ordering the vegetarian meal? There’s more animal blood on your hands » https://theconversation.com/ordering-the-vegetarian-meal-theres-more-animal-blood-on-your-hands-4659
 
Davis S.L., 2003 « The Least Harm Principle May Require that Humans Consume a Diet Containing Large Herbivores, Not a Vegan Diet » Journal of Agricultural and Environmental Ethics (2003) 16, n°4 : 387. https://doi.org/10.1023/A:1025638030686
 
Francione  G., 2013 « Vegetarianism: less grain for cattle, fewer animals killed in grain fields » http://www.abc.net.au/radionational/programs/scienceshow/vegetariansim3a--less-grains-for-animals2c-less-animals-kille/4679802#transcript
 
Lamey A. 2007 « Food Fight! Davis versus Regan on the Ethics of Eating Beef (August 25, 2008) ». Journal of Social Philosophy, Vol. 38, No. 2, pp. 331-348, Summer 2007. Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=1253172
 
Matheny G,. 2003 « Least Harm: A Defense of Vegetarianism from Davis’s Omnivorous Proposal »
Journal of Agricultural and Environmental Ethics 16, no. 5 (2003): 509
 
Moriarty P., 2012 « Vegetarians cause environmental damage, but meat eaters aren’t off the hook » https://theconversation.com/vegetarians-cause-environmental-damage-but-meat-eaters-arent-off-the-hook-6090
 
 

Lundi 15 Janvier 2018 Commentaires (8)

A supposer que le véganisme ne soit pas supérieur à d’autres règles de vie tant d’un point de vue écologique que diététique, cela rendrait la tache de le faire adopter plus ardue, mais cela ne remettrait nullement en cause ses règles vie et leur fondement éthique. Le véganisme est avant tout un style de vie découlant d’une éthique. Ce sont les fondements de cette éthique qu’il s’agit de questionner dans cet article.


Je compte montrer qu'une éthique végane est incapable de justifier les limites de la communauté morale, c’est-à-dire de fournir un critère discriminatif permettant de séparer les entités vivantes entre d’un côté celles envers lesquelles nous avons les mêmes devoirs que ceux que chacun de nous à vis-à-vis d’autrui (c’est-à-dire les autres humains) et ceux qui n’ont qu’une valeur instrumentale. Cette impossibilité a des conséquences catastrophiques pour cette éthique. Il ne s’agit pas de critiquer ceux qui ont choisi ce style de vie et les règles de conduite qu’il implique tant que cela ne dépasse pas les limites d’un choix personnel. Par contre il s’agit de montrer que les végans militants qui tentent d’imposer aux autres leur choix par la persuasion et peut-être un jour par la force ou par la loi ne sont nullement fondés à le faire.

Pourquoi est-il important pour une éthique végane de justifier une frontière bien nette entre les êtres vivants qui appartiennent au règne animal et ceux qui appartiennent à un autre règne, notamment le règne végétal ? Tout simplement parce qu’il faut que soit justifié que l’on puisse utiliser ces derniers, eux ou leurs produits pour nos usages, notamment les tuer pour les manger, ou les exploiter en utilisant leurs produits sans contrepartie, en ne leur attribuant de valeur qu’instrumentale en tant qu’ils nous sont utiles.
 
Les ricanements et les plaisanteries du style « Tu as déjà entendu crier la carotte quand on la coupe » ne sont pas de mise. Ils témoigneraient au mieux de l’ignorance, au pire de l’esprit borné de ceux qui s’en gargarisent. Je citerai donc à leur intention ce texte de John Stuart Mill qu’un des philosophes les plus importants dans le domaine de l’éthique animale, théoricien et défenseurs des droits des animaux, Tom Regan a mis en exergue de son ouvrage princeps en la matière « Tout grand mouvement doit faire l’expérience de trois étapes : le ridicule, la discussion, l’adoption » mais qui est aussi très pertinent dans le contexte.

A la racine du véganisme, une ontologie populaire non questionnée.
 
Quel statut attribuons-nous spontanément aux plantes herbacées, aux buissons, arbustes et arbres qui nous entourent dès que nous quittons les espaces urbanisés ? Nous ne les considérons pas comme des entités constituées de matière inerte comme les cailloux du chemin, ces choses sont vivantes. Elles ne sont pas des machines et nous le savons bien mais nous les considérons un peu comme des machines réagissant machinalement aux stimuli de leur environnement. Ceux qui s’en soucient le moins les perçoivent même comme des choses inanimées. Nous leur refusons toute vie psychique, toute mémoire et toute intelligence parce que nous savons qu’elles n’ont ni cerveau, ni système nerveux. N’ayant ni l’un, ni l’autre elles ne peuvent éprouver de douleur, elles ne peuvent souffrir pensent la plupart des gens.

Ce n’est pas le cas du merle que notre présence a surpris et qui s’envole avec un cri moitié de colère moitié d’effroi, du moins l’interprétons nous ainsi. Si nous avons entendu parler de la théorie de l’animal machine, nous la trouvons tout à fait saugrenue en notre for intérieur : ce merle peut souffrir de même que cette vache qui mâchouille paisiblement dans le pré en nous regardant de ses grands yeux rêveurs. Nous la jugeons pas très intelligente – et nous avons sans doute tort ; mais intelligente tout de même – et nous avons raison.
 
C’est finalement sur cette base que va s’édifier l’éthique animale végane ou non. Les entités vivantes se répartissent en deux catégories. Il y a celles qui ont la capacité de ressentir, d’avoir des expériences, et donc au moins d’éprouver de la douleur, les êtres sensibles, « sentients » selon ce mot anglais aujourd’hui sans équivalent dans notre langue mais qui correspond assez bien à un des sens qu’avait le mot « sentiment » dans la langue classique et qu’il a perdu depuis. Il y a celles qui ne sont pas des êtres sensibles, sentients. Elles ressemblent aux cailloux par exemple qui ne sont pas sensibles, mais s’en distinguent parce que les cailloux ne sont pas vivants. Telle est l’ontologie populaire non questionnée qui est le socle de toutes ces éthiques.

La sentience
 
La première pierre de la construction d’une éthique animale sur ce socle a été posée par Rousseau lorsqu’il écrit dans ce passage souvent cité du Discours sur l’origine et le fondement de l’inégalité parmi les hommes : « Si je suis obligé de ne faire aucun mal à mon semblable, c’est moins parce qu’il est un être raisonnable que parce qu’il est un être sensible : qualité qui, étant commune à la bête comme à l’homme, doit au moins donner à l’une le droit de n’être point maltraitée inutilement par l’autre » La bête ayant le droit de ne pas souffrir, nous avons le devoir de ne pas la maltraiter inutilement. Ainsi les animaux peuvent avoir des droits. En fait les philosophes contemporains qui se sont occupés d’éthique animale étant de langue anglaise, ils se réfèrent plutôt à Jeremy Bentham qui affirme : « la question n’est pas : peuvent-ils raisonner ? ni : peuvent-ils parler ? mais : peuvent-ils souffrir ? » Savoir si un être X peut ou non souffrir fait partie de ces questions qui, en droit au moins et en dernière instance, devraient pouvoir être tranchées par l’expérience, l’observation. Par contre, la question de savoir si la possibilité de souffrir possédée par un être fait de lui un membre de la communauté morale, une entité vis-à-vis de laquelle nous avons des devoirs ne peut pas être tranchée par l’observation, l’expérience. C’est une évaluation. Elle n’est pas gratuite pour autant mais repose sur ce que nous pensons être bien ou mal. Et qui pourrait affirmer que ce n’est pas mal de faire souffrir un être inutilement ?
 
Je ne m’attarderais pas sur l’éthique animale de Peter Singer même s’il a mis l’accent sur la sensibilité car il accepte l’utilisation des animaux et de leurs produits dans certaines conditions, ce qui rend cette éthique incompatible avec le véganisme.
 
La distinction entre agent et patient moral ; la valeur inhérente
 
L’éthique végane doit à Tom Regan deux choses : la distinction entre agents et patients moraux et la notion de valeur inhérente. Pour surmonter les éthiques qui excluent les animaux de la communauté morale parce qu’ils n’ont pas la capacité de distinguer et de choisir entre le bien et le mal, Tom Regan établit une distinction entre agent moraux et patients moraux. Les agents moraux ont cette capacité et peuvent agir en connaissance de cause tandis que les patients moraux ne l’ont pas.  Alors que les humains sont à la fois agents et patients moraux, les animaux ne sont que des patients moraux, mais ils ont néanmoins une « valeur inhérente » comme les agents moraux, c’est-à-dire une valeur qu’ils possèdent en eux-mêmes en tant que tels et indépendamment de leur utilité ou l’intérêt qu’ils peuvent avoir pour les autres comme c’est aussi le cas de ces patients moraux que sont les enfants en bas âge et certains adultes « arriérés mentaux ». Les animaux font partie de plein droit de la «communauté morale» en tant que détenteurs de cette valeur inhérente. Dans un vocabulaire de style kantien plus familier au lecteur français, on dirait que l’on ne peut les traiter comme de simples moyens car ce sont des fins en soi comme le sont les personnes humaines.

Pour être patient moral, il suffit d’être « le sujet d’une vie » selon Regan. Les être vivants reconnus tels seront ceux qui selon les termes même de Regan sont capables de percevoir et de se souvenir ; d’avoir des croyances, des désirs et des préférences ; d’être capables d’agir intentionnellement à la poursuite de leurs désirs ou de leurs buts ; qui sont sensibles et possèdent une vie émotionnelle ; qui ont un sens du futur, y compris un sens de leur propre futur ; qui ont une identité psychophysique au cours du temps ; et qui ont un bien-être individuel dérivé de l’expérience qui est logiquement indépendant de leur utilité pour les autres et des intérêts que leur portent les autres. Remplir cet ensemble de conditions et les remplir toutes suffit pour être un patient moral.

Selon Regan, les animaux qui sont ainsi reconnus comme patients moraux de plein droit et donc membres de communauté morale sont les mammifères adultes de un an ou plus. Les oiseaux, les poissons et les grenouilles ne le sont qu’au bénéfice du doute selon sa propre expression.
 
Le critère « être-le sujet –d’une-vie » n’est pas satisfaisant pour fonder les règles de vie végane. Pour les végans, la démarcation que l’on peut tracer à partir du critère « être sujet d’une vie » serait à la fois trop restrictif à certains égards et trop large à d’autres.  Pour un végan tous les animaux doivent être respectés et sont porteurs d’une valeur inhérente qui les rend égaux aux humains d’un point de vue moral. Or, en considérant les oiseaux, les poissons ou les batraciens comme n’étant des sujets-d’une-vie qu’au « bénéfice du doute », Regan établit une hiérarchie entre espèces animales qui n’est pas compatible avec le véganisme qui rejette indistinctement toute utilisation de produits animaux quel que soit l’animal considéré. Que l’on songe par exemple au refus des végans de consommer du miel. Pour les végans tous les animaux doivent être respectés, mais seulement eux. Or, Regan ménage la possibilité que des entités non animales puissent avoir une valeur inhérente sans que le critère «être-le-sujet-d’une-vie » soit satisfait. Il n’est pas une condition nécessaire d’attribution de cette valeur. De ce fait, ce critère est trop large pour un végan.
 
Une éthique végane : Gary Francione
 
Gary Francione est le philosophe qui a développé une éthique animale végane. Il est lui-même végan militant. Critique sévère des positions de Singer, Francione n’est pas utilitariste. Il s’inscrit plutôt dans le cadre du « déontologisme » comme Tom Regan. Mais sa théorie est à la fois plus simple et plus radicale. Nous n’avons aucun droit moral à nous approprier des animaux non-humains pour quelque raison que ce soit. Tous sont dotés de « sentience ». Cela suffit pour les reconnaître comme membres à part entière de « la communauté morale » et que s’applique alors à leur égard un principe « d’égale considération des intérêts  » qui ne souffre pas d’exception ou plutôt qui ne devrait pas en souffrir. Pour Francione cette égale considération des intérêts n’est jamais appliquée. Elle est biaisée dans les faits, au détriment des animaux à cause de leur statut de bien appropriable, même s’ils ne sont plus reconnus comme des simples biens meubles.
 
Francione critique la « théorie de la similitude des esprits » qui ne pourrait conduire au mieux qu’à instaurer de nouvelles hiérarchies au sein du monde animal sans être profitable le moins du monde aux animaux car «l’ennui avec ce jeu des caractéristiques particulières, c’est que les non-humains ne peuvent jamais gagner. » Francione prend l’exemple des perroquets dont l’éthologie cognitive a mis en évidence la capacité à former une pensée abstraite. « Sitôt attestée la capacité des perroquets à comprendre et à manipuler des nombres à un seul chiffre, nous voilà déjà en train d’exiger qu’ils en fassent autant avec des nombres à deux chiffres » (2006, Tf. p.205). C’est la même chose en ce qui concerne les chimpanzés et le langage, etc.
 
Francione montre l’arbitraire qu’il y a à vouloir attacher la valeur morale à une « caractéristique cognitive » quelconque « située au-delà de la simple sensibilité » en reprenant le cas des humains qui souffrent de « déficience mentale aggravée ». De plus quelle que soit la caractéristique choisie, elle varie de façon importante d’un individu humain à un autre « allant d’une simple différence de degrés à l’absence totale de la dite caractéristique ». En fin de compte il n’y a pour lui « qu’une seule manière de prendre vraiment au sérieux les intérêts des êtres non humains – et c’est de reconnaître que la sensibilité est le seul critère pertinent de considération morale » (2006, p.219).
 
Dans cette théorie, à la différence de celle de Regan, la frontière de la communauté morale est nette. Les êtres sentients sont du bon côté, les autres du mauvais. De plus pour Francione, tous les êtres sentients appartiennent au règne animal et à quelques exceptions près comme les éponges tous les membres du règne animal sont des êtres sentients. Les végétaux ne sont pas des êtres sentients et sont exclus de la communauté morale. Pour un végétaliste éthique, ce point est capital et ce type de végétalisme est un pilier du véganisme. Il est moralement condamnable de tuer des animaux et de manger leur chair. Comme il faut qu’une éthique n’induise pas des règles inapplicables, que nous dépendons et dépendrons longtemps encore de produits élaborés par des êtres vivants au moins pour nous nourrir même si cet état de chose est contingent dans l'absolu, il est constitutif de notre nature, il en résulte qu’il faut que nous soit moralement permis de manger certains d’entre eux ou les utiliser eux ou leurs produits, à savoir ceux qui ne font pas partie de la communauté morale parce qu’ils ne sont pas sentients : les plantes herbacées, les arbustes, les arbres et leurs produits.
 
S’il advenait que l’on puisse établir que les végans et les philosophes végans se trompent et qu’abusés par les apparences, ils aient cru à tort que les végétaux n’étaient pas sentients alors qu’en fait la plus part le seraient, ce qui serait d’abord remis en cause, ce n’est pas le critère qui permet de déterminer l’appartenance à la communauté morale, c’est la façon dont on l’a appliqué. Dans l’hypothèse où les êtres du règne végétal seraient reconnus comme sentients, la communauté morale devrait les englober. Le végétalisme ne serait plus éthique et de ce fait l’éthique végane deviendrait inapplicable. Pour éviter d’en arriver là, on pourrait être tenté de remplacer le critère de sensibilité par un critère plus restrictif mais on tomberait alors dans des valorisations arbitraires de telles ou telles aptitudes, un arbitraire que Francione lui-même a brillamment mis en évidence.
 
Bien qu’elle concerne des questions sur ce qui doit être et non sur ce qui est, que l’on ne puisse pas inférer le premier à partir du second, l’éthique animale de Francione et les règles de vie véganes qu’elle fonde peuvent être rejetées pour des motifs empiriques car c’est bien une question de fait que celle de savoir si les végétaux et notamment ceux que nous mangeons et dont nous utilisons les produits sont ou non pourvus de sensibilité. Si la réponse était positive, alors l’éthique animale végane serait mal en point. Or la réponse est positive comme le prouve abondamment les avancées contemporaines dans le domaine du comportement des plantes.
 
D’un pur point de vue philosophique et épistémologique, il est intéressant de remarquer que les éthiques véganes, le végétalisme éthique, le végétarisme éthique sont sensibles à une réfutation empirique, sans que soit transgressé le principe issu de Hume d'impossibilité de dériver ce qui doit être de ce qui est.
 
Ce que montrent les recherches actuelles sur le comportement des plantes
 
Tout d’abord les plantes savent distinguer le moi/du non moi selon la terminologie utilisée dans les articles consacrés à ce sujet, elles ont conscience de leur corps dans l’espace sinon elles ne pourraient pas pousser droit comme l’on brillamment démontré les chercheurs du PIAF –Laboratoire de Physique et Physiologie Intégratives de l'Arbre Fruitier et Forestier de l’INRA et de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Ils ont découvert que « les plantes ne peuvent pas maintenir leur port érigé à l’aide de la seule perception de leur inclinaison par rapport à la gravité. Il faut leur adjoindre une perception continue de la propre courbure de leurs tiges et une tendance à la rectification de celle-ci. Il s’agit ainsi d’un phénomène de proprioception, comparable à ce que l’on rencontre chez les animaux et les humains et qui permet aux organismes d’avoir le sens de leur forme et de leur mouvement » ; autrement dit, une certaine conscience de leur propre corps. 
 
On a montré qu’elles avaient une perception fine de leurs entours. Agressées par un prédateur elles réagissent. Selon les espèces, elles peuvent envoyer des messages olfactifs aux insectes carnivores qui sont des prédateurs de ceux qui les rongent ou se rendre immangeable pour les mammifères qui attaquent leurs feuilles et même en faire des poisons mortels tout en prévenant les autres membres de leur espèce poussant dans le secteur en émettant des COV. Comme le souligne František Baluška, un des biologistes qui fait autorité dans le domaine du comportement des plantes : « If you don’t feel pain, you ignore danger and you don’t survive. Pain is adaptive. » (in Pollan, 2013) Il ne fait pas de doute que, comme sans doute tous les êtres vivants, les plantes peuvent éprouver de la douleur, c’est-à-dire par définition souffrir au sens premier du terme. Les plantes, y compris les plantes annuelles, ont des stratégies pour maximiser leur bien-être, subvenir à leurs besoins, se défendre des prédateurs, se reproduire. Elles peuvent se projeter dans un futur proche, elles peuvent apprendre et elles ont une mémoire très différente de la nôtre mais une mémoire tout de même. (Trewavas 2003, 2014, Hall 2011, Pollan 2013, Mancuso et al. 2015, Thellier 2015, Wohlleben 2015, Hallé 2016, etc.)
 
La découverte de ces capacités chez les plantes posent le problème des structures et processus qui les sous-tendent, les plantes n’ayant ni système nerveux spécialisé, ni cerveau. Cela reste pour l’heure en grande partie inconnu et objet d’hypothèses controversées. Ce qui est certain, c’est que les plantes ont une activité électrique et qu’elles sont capables de produire et d’émettre des signaux électriques. Il se pourrait que l’on ait là comme un cerveau diffus alors que celui des animaux est concentré en un seul organe. On pense aussi que les liquides circulants, phloème et xylème, jouent un rôle mais il reste à définir. Un vaste champ de recherches est ouvert mais comme le souligne Bruno Moulia le sujet n’est pas facile parce que les végétaux ont ceci de particulier qu’ils assurent de nombreuses fonctions avec les mêmes tissus. Cela n’a rien d’étonnant, après tout. Tout le monde « savait » ou du moins « croyait savoir » que les animaux pouvaient souffrir bien avant que l’on connaisse la physiologie de la douleur qui n’est d’ailleurs pas aussi bien connue que cela.
 
Il reste qu’il est contre-intuitif de concevoir les plantes comme des entités sensibles (sentientes) parce que certains de leurs mouvements sont tellement lents que nous ne les voyons pas (sauf en accéléré), qu’une partie essentielle de leur organisme est souterrain et donc nous est imperceptible, que nous ne sentons pas la plupart des odeurs qu’elles émettent et que celles que nous sentons, nous n’en saisissons pas le sens, etc. Bref, c’est contre-intuitif parce que nous ne savons pas lire leur comportement comme nous croyons savoir lire les comportements de certains animaux même très différents de nous, notamment ceux exprimant la douleur. Au sujet d’un ver de terre se tortillant au bout d’un hameçon, il nous est difficile de ne pas croire qu’il souffre même si nous ignorons à quoi peut ressembler la souffrance d’un ver de terre et même si cet être vaguement répugnant pour beaucoup ne nous inspire qu’une compassion minimale, voire pas de compassion du tout.
 
Comme il est difficile de douter de la capacité à souffrir d’un animal, la théorie des animaux machines parait absurde. Mais supposons que l’on ait de très bonnes raisons dérivées de théories solidement fondées de considérer que les animaux ne puissent pas être sentients, il pourrait être rationnel d’estimer que lorsqu’un chien blessé gémit, il ne s’agit pas vraiment de douleur mais que nous le croyons à cause d’une projection anthropomorphique spontanée due à l’analogie de son comportement avec nos propres comportements. Nous saurions qu’il ne souffre pas mais nous continuerions à avoir l’illusion du contraire.
 
Dans le cas des plantes, c’est exactement l’inverse. Nos croyances spontanées s’opposent à l’idée qu’une plante puisse être un être sensible, même si nous avons des preuves expérimentales contraignantes. Rejetant Descartes et sa théorie de l’animal machine non sentient, il est cocasse de constater que les végans sont contraints de défendre contre vents et marées une théorie qui ressemble fort à celle de la plante machine qui a toutes les chances d’être fausse.
 
Les éthiques animales véganes sont un spécisme zoocentrique
 
La caractérisation du zoocentrisme comme la défense des droits et intérêts des animaux face aux humains devrait être modifiée dès que l’on reconnait que les plantes sont des êtres sensibles (sentients). Il doit être considéré comme une forme de spécisme qui consiste à privilégier les intérêts et droits de la plupart des membres des espèces animales avec une préférence pour les mammifères humains compris , les oiseaux et les poissons au détriment de ceux des autres êtres vivants et donc des plantes. Les éthiques véganes, végétalienne éthiques et végétariennes éthiques sont zoocentristes.

Il est d’ailleurs remarquable que l’éthique animale qui est parfaitement en adéquation avec le véganisme, celle de Francione, soit aussi radicalement zoocentriste dans le sens rectifié de ce concept. Tous les arguments que Francione emploie pour faire des animaux des membres à part entière de la communauté morale s’appliquent tous aux plantes dès que l’on admet que ce sont des êtres sensibles, ce qu’il refuse ! Elles en seront membres de plein droit car « Il n’y a qu’une seule manière de prendre au sérieux les intérêts des êtres non humains – et c’est de reconnaître que la sensibilité est le seul critère pertinent de considération morale » (2006, tf. p. 219).

Francione critique la théorie de « la similitude des esprits » en ce qu’elle commet « une pétition de principe morale en ce sens qu’elle présuppose que nos aptitudes sont moralement d’une plus grand valeur que leurs aptitudes. Bien entendu, rien ne justifie une telle assertion si ce n’est le fait que c’est nous qui le disons et qu’il est de notre intérêt de le faire » (2006, Tf., p.208, souligné par l’auteur). Évidemment dans ce texte, « leurs aptitudes » renvoie à celles des animaux et eux seuls. Or pourquoi ne serait-ce pas le cas pour tous les êtres vivants sensibles ? Les plantes ont des aptitudes qu’aucun animal (nous compris) ne possède : percevoir les nuances de rouge dans la lumière qu’ils reçoivent, ou bien encore cette aptitude récemment découverte consistant dans la capacité d’une plante de percevoir son inclinaison par rapport à la gravité sans se laisser perturber par l’intensité des forces liées aux poids et accélérations, ce dont nous sommes incapables et sans doute beaucoup d’animaux avec nous compte tenu des structures anatomiques et des processus physiologiques sous-tendant cette aptitude (Cf. Chauvet et al. 2016, et une présentation de leur résultats sur le site de l’INRA ici : http://presse.inra.fr/Communiques-de-presse/Le-tour-de-force-perceptif-des-plantes-pour-se-maintenir-a-la-verticale). Francione restreint arbitrairement son argument aux seuls animaux et en exclut les plantes parce que « c’est nous – Francione et les végans – qui le disons et qu’il est de notre intérêt – Francione et les végans – de le faire ». 
 
La plante a conscience de son corps et cela lui est absolument nécessaire pour pousser droit. Dès lors ce que dit Francione à juste titre pour l’animal vaut mutatis mutandis pour la plante : « S’il est vrai que l’animal est capable d’avoir une conscience perceptive de son propre corps, il devient alors difficile de nier qu’il soit également capable corollairement de se reconnaître lui-même comme étant celui qui est en train de courir » Pour une plante : s’il est vrai que la plante est capable d’avoir une conscience perceptive de son propre corps, il devient alors difficile de nier qu’elle est également capable corollairement de se reconnaître elle-même lorsqu’elle oriente ses feuilles ou développe des racines exploratoires à la recherche d’endroits riches en substances nutritives (voir les observations sur le lierre terrestre rapportés in Lestel, 2011, p. 49 et Trewavas, 2006, p.3 avec de nombreuses références).
 
Francione ignore et néglige à un point tel les êtres vivants du règne végétal qu’il en vient à écrire «  de manière générale, la thèse selon laquelle les êtres humains posséderaient des caractéristiques psychiques qui feraient tout à fait défaut aux êtres non humains est incompatible avec la théorie de l’évolution » (2006, Tf. p.201). Pour lui, il semble bien que les plantes n’aient pas de « caractéristiques psychiques », sinon avec l’argument qu’il avance dans ce texte, la démarcation entre le règne animal et végétal ne tiendrait plus, le végétalisme éthique s’effondrerait par voie de conséquence. Il ne serait pas plus moral de tuer ou de faire souffrir des plantes que des animaux. Le végétalisme moral entrainerait dans sa chute le véganisme dont il est l’un des fondements, voire le principal lorsque l’on voit l’importance que prennent chez les végans les questions de régime.
 
Francione a développé un argumentaire pour refuser que les plantes puisse être objet de considération morale dans deux textes l’un de 2006, l’autre de 2011 qui reprend en grande partie le premier. Ces deux textes ont paru sur le blog « Animal Rights: The Abolitionist Approach » et traduit en plusieurs langues dont le français. Ils ont eu un retentissement important dans la galaxie végane et tous les sites végans ont repris et reprennent en totalité ou en partie l’argumentaire qui y est exposé souvent sans variante, parfois en le développant mais presque toujours sans citer la source, surtout lorsqu’il y a désaccord avec l’auteur sur le type de militantisme à développer pour que le monde devienne un jour végan. C’est pourquoi il est important de critiquer ces deux textes en détail d’autant qu’ils montrent de façon éclatante  que l’éthique animale végane ne peut intégrer la nouvelle conception des plantes qui se dégage de ce que les recherches scientifiques contemporaines nous font découvrir ou redécouvrir à leur sujet.
 
Avant d’entreprendre cette critique, il faut souligner que cette idée que les plantes sont des êtres sentients avait été déjà soutenue depuis très longtemps par de nombreux botanistes sur la base d’un faisceau d’observations concordantes. Sans remonter jusqu’à Théophraste et ses observations sur le phototropisme des végétaux et pour m’en tenir à la France, je citerais un texte de Charles Bonnet datant de 1781.

«Accablé de tant de faits qui paroissent tous déposer en faveur du sentiment des Plantes, quel parti prendra notre philosophe? Se rendra-t-il à ces preuves ? ou suspendra-t-il encore son jugement en vrai Pyrrhonien ? Il me semble qu’il embrassera le premier parti, surtout s’il compare de nouveau ces faits avec ceux que lui offrent les Animaux qui se rapprochent le plus des plantes.
Mais dira-t-on, votre Philosophe devroit comprendre qu’il est facile d’expliquer méchaniquement tous ces faits qui lui paroissent prouver que les Plantes sont sensibles. Il suffit d’admettre que les Végétaux ont des fibres qui se contractent à l’humidité & d’autres qui se contractent à la sécheresse. Cela est vrai, & notre Philosophe le sait très-bien : mais aussi qu’on a entrepris d’expliquer méchaniquement  toutes les actions des Animaux, non-seulement celles qui démontrent qu’ils ont du sentiment, mais encore celles qui paroissent prouver qu’ils sont doués d’un certain degré d’intelligence. »

Revenons maintenant aux textes de Francione. Dans le texte de 2006 il s’agit de répondre à la question : « Mais qu’en est-il des plantes ? ». Celui de 2011 est une charge virulente contre un article intitulé «No Face, but Plants Like Life Too» paru dans la rubrique Science du New York Times et contre son auteure, la journaliste scientifique Carol Kaesuk Yoon, végétarienne (végétalienne ?) apostat.

Dans le texte de 2006 Francione introduit sa réponse à la question « Mais qu’en est-il des plantes ? »  de façon quelque peu agressive bien dans le style végan en remarquant que ceux qui posent cette question savent pourtant faire la différence entre une laitue et un poulet. Il poursuit dans cette veine en faisant appel à la sensibilité morale des lecteurs avec une de ces « expériences de pensée » chères à a tradition philosophique anglo-saxonne mais qui mal employées, risquent,  dans le contexte de la philosophie morale, de ne conduire la réflexion guère au-delà d’un banal conformisme à l’air du temps. En l’occurrence, celle imaginée par Francione est plutôt saugrenue : il s’agit de comparer la réaction de convives lorsque l’on coupe le cœur d’une laitue avec celle qu’ils auraient dans l’hypothèse totalement absurde où l’on découperait un poulet vivant,  comme si les omnivores que les végans baptisent du doux nom de « carnistes » étaient aussi des carnassiers. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec ce que rapporte Nicolas Fontaine (1736) à propos des « Messieurs » de Port Royal qui adoptaient la vision cartésienne de l’animal machine : « On clouait de pauvres animaux sur des ais, par les quatre pattes, pour les ouvrir tout en vie, & voir la circulation du sang qui était une grande matière d’entretien » (p. 53), si ce n’est que la « grande matière » d'entretien des végans est le régime alimentaire.
 
La seconde « expérience de pensée » proposée est tout aussi stupide : il s’agit de comparer la réaction de quelqu’un lorsque l’on piétine une fleur de son jardin avec celle qu’il aurait si l’on donnait un coup de pied volontaire à son chien. Francione serait-il admirateur et des actes gratuits à la Gide? Là encore, on ne peut s’empêcher de rapprocher cette histoire inventée d’une anecdote bien connue et supposée réelle concernant Nicolas Malebranche. On raconte qu’après avoir donné un coup de pied à une chienne pleine qui venait se rouler à ses pieds pour se faire caresser et qui l’importunait, ce philosophe aurait répondu aux protestations de Fontenelle qui réagissait au cri de douleur poussé par la chienne : « Eh! Quoi, ne savez-vous pas bien que cela ne sent point ? » ? Cependant dans ce dernier cas, la situation n’est pas la même et montre, à l’inverse de ce que veut établir Francione, qu’il y a eu et qu’il y a peut-être des gens dont la sensibilité morale est ainsi faite qu’ils ne font pas plus de cas d’un chien que d’une horloge, voire même moins si l’horloge est un meuble de prix. Aujourd’hui ces gens-là seraient à rechercher plutôt du côté de ceux qui pratiquent la chasse à courre que des disciples de Descartes ou de Malebranche qui ne doivent plus être très nombreux.
 
En tout cas, cette façon qu’a choisie Francione de présenter les choses pour établir la thèse d’une différence de nature entre les plantes et les animaux confirme bien que cette thèse est ancrée sur l’ontologie commune de l’occidental moyen contemporain. Il s’agit de la faire se manifester comme une évidence mais c’est, en fait, une fausse évidence dont fait justice la recherche dans le domaine du comportement des végétaux.  Il faudrait en expliquer le caractère fallacieux au lieu de tenter comme le fait Francione de la justifier et de la renforcer.
 
Françione réitère en 2011 sans en changer un iota son assertion de 2006 selon laquelle la plante n’est pas un être vivant sensible (sentient) alors que l’animal en est un. Il affirme que seuls les animaux sont conscients de leurs sensations (sense perceptions) parce qu’ils ont un esprit. Le texte anglais dit très précisément : « Sentient beings have minds  (les êtres sentients ont des esprits) » et donc des préférences, des désirs, des volontés. Faisant allusion au célèbre article de Thomas Nagel « What is it like to be a bat? » il reprend alors la thèse qu’il a formulée à diverses reprises sous diverses formes selon laquelle le fait que les esprits de certains animaux soient très différents des nôtres et qu’ils pensent de façon très différente, d’une façon dont nous n’avons pas idée n’est pas pertinent ; seule compte la sensibilité (sentience). « [La chauve-souris et l’humain] font tous les deux partie des catégories d’êtres qui ont des intérêts ; ils ont tous les deux des préférences, des désirs, ou des volontés. (…). Il ne peut y avoir aucun doute raisonnable sur le fait qu’ils possèdent tous les deux des intérêts, y compris un intérêt à éviter la douleur et la souffrance ainsi qu’un intérêt à continuer à vivre. »  

Pour Francione, ce n’est pas le cas des plantes. Comme il l’affirme sans ambages, selon lui, une plante n’a pas d’esprit. «There is nothing that a plant desires, or wants, or prefers because there is no mind there to engage in these cognitive activities. (Il n’y a rien qu’une plante puisse désirer ou vouloir ou préférer parce qu’il n’y a pas d’esprit pour exercer ces activités cognitives). » Comment peut-il être aussi affirmatif et tenir aussi peu compte des avancées de la recherche sur le comportement des plantes ? Peut-être ignore-t-il ces avancées. En tout cas, arcbouté sur la sensibilité morale commune aux végans, il n’en a cure.
 
Dans ces deux textes sa vision du monde végétal reste mécaniste. Il compare une plante à une machine : dire qu’un moteur de voiture « a besoin » ou « veut » de l’huile n’est qu’une façon de parler et n’engage pas à lui attribuer un esprit ; de même dire qu’une plante a besoin d’être arrosée, etc. n’est qu’une façon de parler. De même, selon lui, ce n’est pas parce qu’une plante réagit à la lumière qu’elle est « sentiente ». Il considère que son comportement est analogue à celui d’une sonnette électrique : « Si je fais passer du courant électrique au travers d’un fil attaché à une cloche, la cloche sonne. Mais cela ne veut pas dire que la cloche est un être sensible (the bell is sentient ».
 
Une fois de plus s’impose le parallèle avec ce que les cartésiens de Port Royal pensaient des animaux selon le témoignage de Nicolas Fontaine: « « On ne faisait plus une affaire de battre un chien. On lui donnait indifféremment des coups de bâton, et on se moquait de ceux qui plaignaient ces bêtes comme si elles eussent senti de la douleur. On disait que c’était des horloges, que ces cris qu’elles faisaient quand on les frappait n’était que le bruit d’un petit ressort qui avait été remué mais que tout cela était sans sentiment. » (1736, p.p. 52 – 53). Francione s’inscrit violement en faux contre cette théorie appliquée aux animaux mais l’admet tout à fait pour les plantes. Sans doute trouverait-il qu’une horloge est encore une machine trop compliquée ; l’analogie avec un mécanisme beaucoup plus rudimentaire suffit : une sonnette…
 
Il nous semble évident que plane sur ce texte l’ombre de la théorie de l’animal machine que Francione refuse mais qu’il s’efforce de transformer en théorie de la plante machine. Pour les cartésiens de Port Royal, l’animal était comme une machine. Dans la philosophie de Francione, les animaux changent de statut mais ce sont les plantes qui sont vues comme des machines. On retrouve mais bien plus mal argumentés que chez les cartésiens, les mêmes refus. Les plantes ont des perceptions sensibles mais ce ne sont pas des êtres « sentients » parce que pour les premiers, elles n’ont pas d’âme (soul), pour le second elles n’ont pas d’esprit (mind).
 
Cependant il y a une différence de taille. Le dualisme cartésien permet effectivement d’instaurer une coupure nette, un mur étanche entre les êtres ayant une âme et ceux qui n’en n’ont pas. Ces derniers sont faits d’une seule substance, la substance étendue tandis que les premiers sont faits de deux substances distinctes « la substance pensante » et « la substance étendue », de l’union (problématique) d’une âme et d’un corps. Une éthique végane ne peut être fondée sur de tels présupposés dualistes. Dans la mentalité occidentale actuelle, pour tenir un propos universellement acceptable, on doit s’en tenir à la « substance étendue ». C’est donc au niveau de l’anatomie, de la physiologie et de l’évolution qu’il faut argumenter.
 
C’est bien ce que va faire Francione en épousant ce que l’on a appelé le « Brain chauvinism » (voir Trewavas, 2014 p.p. 201 – 202 et les références qu’il donne). Francione recourt d’abord à l’argument simplissime qui était déjà, des années plus tôt, celui de Singer dans La libération animale dont la première édition date de 1975  : pas de cerveau et pas de système nerveux donc pas d’esprit donc pas de sensibilité (sentience), équivalent moniste de l’argument dualiste : pas d’âme, donc pas de pensée et pas de perception sensible consciente.
 
Que Singer ait pu recourir à un tel argument en 1975, voire en 1992 date de la seconde édition de l’ouvrage, on peut l’admettre. La vision mécaniste des plantes était encore bien dans l’air du temps. Mais que Francione puisse reprendre quasi-textuellement le même argument en 2011, cela est assez surprenant d’autant qu’il réagit à un article dans lequel l’auteure fait un résumé des résultats obtenus dans le domaine du comportement des plantes qui aurait pu au moins l’amener à douter de son affirmation péremptoire « La différence entre l’animal et le végétal implique la sentience ».
 
Alors que la version dualiste n’est ni prouvable, ni réfutable dans le cadre d’une recherche scientifique, ce n’est pas le cas de la version moniste. Cette recherche a mis en évidence que les comportements manifestés par les plantes pour s’adapter à leur environnement complexe, résister et surmonter la concurrence, trouver leur nourriture dans le sol, etc. ne peuvent se réduire à de simples réflexes et il n’y a pas assez d’espace dans leur génome pour que des solutions soient encodées pour faire face à tous les aléas qu’elles auront à surmonter pour survivre. Les plantes sont un cas exemplaire d’êtres sentients manifestant des comportements intelligents tout en étant dépourvus de cerveau et de système nerveux spécialisés. Refuser de l’admettre, c’est refuser l’évidence, fermer la porte à des recherches qui peuvent s’avérer fécondes, adopter une posture rétrograde et obscurantiste au nom d’un zoocentrisme spéciste.
 
Le second argument que Francione développe est évolutionniste.  On peut le résumer ainsi : les plantes n’ont pas besoin d’être sensibles à la douleur puisque elles ne peuvent ni se défendre, ni se soustraire à une source de douleur en fuyant comme c’est le cas des animaux et des gens. Il est donc normal qu’au cours de l’évolution, elles n’aient pas développé cette capacité.
 
Evidemment, l’argument part de présupposés faux. La plante n’est pas passive comme ont l’air de croire Francione et Singer auquel Francione reprend l’argument. Elle sait se défendre et peut déployer diverses stratégies. Comme elle ne peut changer de place, elle se rend indigeste et toxique. Comme on l’a indiqué plus haut, ne pouvant fuir son prédateur, elle l’empoisonne ou si ce sont des insectes herbivores qui l’attaquent, elle appelle à rescousse les insectes carnivores prédateurs de ses ravageurs en émettant des odeurs qui leur est spécialement destinées et qu’ils savent déchiffrer. C’est le cas de vulgaires plantes cultivées comme le maïs, le chou, le haricot et le concombre. C’est aussi celui du tabac sauvage… Selon les espèces de plantes, l’appel au secours n’a pas même composition chimique mais ce qu’il faut surtout souligner, c’est que pour une même plante, sa composition chimique diffère selon l’herbivore ravageur, voire le stade de développement de la chenille que la plante reconnait probablement par la perception de la composition chimique de sa salive.

Enfin Singer et Francione estiment que dans l’hypothèse – pour eux folle et totalement irréelle – où l’on devrait reconnaître que les plantes sont des êtres sentients, il faudrait tout de même mieux s’abstenir de manger de la viande et cela selon Singer « même si les plantes étaient aussi sensibles que les animaux, puisque l’inefficacité de la production de viande signifie que ceux qui en mangent sont responsables de la destruction indirecte d’au moins dix fois plus de plantes que les végétariens » (p.411).En d’autres termes, manger des individus du règne végétal serait un moindre mal car au total il y aurait moins d’individus de ce règne qui seraient sacrifiés si tous, nous devenions végétariens ou végétaliens.

Cet argument a été repris très récemment sous forme d’une petite de bande dessinée par Insolente Veggie sur son blog. Il mérite donc une critique détaillée.
 
Remarquons tout d’abord que la formulation donnée par Singer de l’hypothèse de départ est étrange. Que peut bien vouloir dire « Même si les plantes étaient aussi sensibles que les animaux » ? Un être est « sentient » ou ne l’est pas. Cela relève du tout ou rien et n’est pas quantifiable. De plus si entre individus d’une même espèce appartenant à une même population, on peut supposer de fortes analogies dans les « expériences perceptives », on peut aussi supposer au contraire des différences qualitatives importantes entre les espèces. Si je peux encore lire le plaisir ou la douleur dans le comportement de mammifères proches, je peux aussi me tromper et en définitive, il faut reconnaître que j’ignore totalement ce que peuvent être les expériences vécues d’un chat familier sans même parler de celle d’un manchot de Terre Adélie, d’un rat-taupe nu ou de l’arabette qui s’est installée dans la pelouse de mon jardin.

Dans son propre exposé de l’argument, Francione échappe à cette critique. Il se borne à comparer le nombre de plantes consommées directement ou indirectement selon les régimes végans ou carnistes : «  Si C. Yoon [l’auteur avec laquelle Francione polémique] se préoccupait réellement de l’exploitation des végétaux, alors elle reconnaîtrait qu’en mangeant des produits animaux, elle consomme en réalité plus de végétaux que si elle consommait ces végétaux directement. Il faut plusieurs kilos de plantes pour produire un kilo de viande. Alors lorsque C. Yoon s’assoit pour manger ce « steak rare et somptueux », elle consomme environ 12 kilos de plantes.»
 
Il est regrettable que dans cette comptabilité à la Prévert, Singer comme Francione ne précisent pas de quelles plantes il s’agit, ni quelles parties des plantes sont consommées. S’il s’agit d’herbages ou de fourrage, alors pratiquement aucune plante n’est détruite car ces graminées pérennes coupées ou broutées au-dessus du collet ont la propriété de se régénérer rapidement et de s’enraciner plus fortement. Cela leur est même profitable ! Les prairies de fauche ou les pâtures ne deviennent pas des terrains nus une fois fauchées ou pâturées! En outre lorsqu’ils affirment qu’en mangeant directement des végétaux, les gens en consommeront moins au total que s’ils mangeaient de la viande, ils oublient que les humain ne peuvent pas digérer l’herbe que broutent les ruminants et que c’est justement pour cela qu’il faut en passer par eux qui, en transformant ces protéines végétales en protéines animales les rendent assimilables par l’homme. C’est ainsi, avec certes beaucoup de déperditions dans le processus, que ces douze kilos d’herbe deviendront l’un de ces steak somptueux dont semble raffoler C. Yoon et dont elle ne veut plus se priver faisant preuve ainsi d’une  complète immoralité aux yeux du philosophe végan tellement scandalisé qu’il en a oublié qu’il n’assimile pas l’herbe des prairies.
 
Si par charité l’on reformule l’argument en termes de protéines végétales des végétaux cultivés et de leur taux de conversion en protéines animales, l’argument montrera simplement qu’un régime végétarien est plus efficient qu’un régime « carniste », que la croissance de la population nous obligera sans doute à terme à considérer de nouveau la viande comme une denrée rare et chère consommée fréquemment seulement par un petit nombre de riches, les moins riches la réservant pour les menus de fête – la poule au pot du Bon Roi Henri – alors que tous les autres devront s’en passer. La viande sera peut-être demain un signe extérieur de richesse comme l’est aujourd’hui dans le langage sinon dans les faits le caviar. Un tel monde surpeuplé, fortement inégalitaire et totalement anthropisé serait tellement invivable que la privation de steak serait un moindre mal. De plus et surtout comme il ne s’agit plus ni de plantes, ni d’animaux mais de protéines, l’argument n’a plus de pertinence en ce qui concerne la façon dont on doit se comporter vis-à-vis des plantes et des animaux.
 
Dans un éclair de lucidité, Singer reconnaît que conduite à ce point « la discussion mène à l’absurde ». Mais pourquoi s’arrêter en chemin ? Poursuivons jusqu’à la réduction à l’absurde de la position végane. Pourquoi ne pas imaginer ne manger que les plantes qui sont les plus riches d’un point de vue nutritionnel pour en manger moins ? Mieux encore, pourquoi ne pas chercher à obtenir par sélection naturelle ou par génie génétique des variétés de ces plantes encore plus nutritives ? Pourquoi pas des protéines de synthèse ? Dans les régimes végétaliens, il faut bien ingurgiter des vitamines de synthèse et autres « compléments alimentaires » en plus des préparations végétales.
 
On pourrait aussi suggérer, comme certains végans non spécistes conséquents l’ont fait, que si les plantes étaient des êtres sentients il faudrait manger les fruits secs ou charnus, les graines que les plantes nous offrent mais s’abstenir de manger des racines ou des bulbes, des tubercules ou des plantes entières ou parties de plantes qu’il faut déterrer (pommes de terre, laitues et autres salades, poireaux…). Cela serait-il satisfaisant d’un point de vue éthique ?
 
Ce n’est pas certain car comme frugivore, nous trichons et nous dupons les plantes dont nous mangeons les fruits. Nous voulons bien la récompense que l’arbre nous offre (les enveloppes ou parties d’enveloppes charnues ou sèches des fruits) mais nous refusons les pépins, c’est-à-dire les semences qu’en tant qu’endozoochores, il nous reviendrait de disséminer. C’est ce qui explique par exemple, le succès de la création du Frère Clément Rodier, la clémentine, qu’il obtint par croisement entre un mandarinier (Citrus reticulata) et une espèce d’oranger (Citrus sinensis) l'un et l'autre produisant des fruits avec pépins. Et même lorsqu’il s’agit de fruits que nous ne pouvons manger sans avaler les semences comme les tomates par exemple, nous trichons encore en soustrayant ces semences à la terre, sauf cas exceptionnel par exemple celui de l’arrière d’une plage sans sanitaire où l’on voit pousser derrière le cordon dunaire des tomates aussi sauvages que vigoureuses et délicieuses. Bref, nous transformons une relation qui aurait dû être mutualiste entre la plante et nous en une relation de commensalisme dont nous sommes les seuls à tirer profit. Dans une vision végane du monde élargie aux plantes, on pourrait estimer qu’il s’agit d’une forme d’exploitation d’autres êtres sentients qui méprise un de leurs « intérêts » vitaux majeurs, celui de se reproduire.
 
Enfin que Francione reprenne cet argument est pour le moins étrange. Du point de vue abolitionniste  et d’une éthique des droits (qui n’est pas celui de Singer mais celui de Francione), il est exclu d’accepter que n’importe quel être sentient ne jouisse pas d’une égale considération de ses intérêts par rapport à n’importe quel autre. Dans l’hypothèse où la sentience serait reconnue aux plantes, il n’y a aucune raison d’en sacrifier délibérément certaines pour que d’autres puissent prospérer et se reproduire. Imaginons qu’au lieu de plantes, il s’agisse d’animaux et que l’on dise que manger plus de veaux permettrait d’épargner plus de poulets, que diraient les végans ? Bien sûr pour eux cela ne tient pas car les plantes ne sont pas sentientes ainsi que le proclame Insolente Veggie. Le problème, c’est qu’elle a tort. Les recherches dans le domaine du comportement des plantes le prouvent.
 
Enfin si l’on objectait que stricto sensu, la sentience des plantes ne pouvait qu’être inférée de leurs comportements, des modifications physiologiques dont elles sont le siège, on répondrait qu’il en est de même pour les animaux non-humains et certains philosophes estimeraient même qu’il en va de même pour tout individu humain distinct de lui.
 
Enfin il faut faire justice à l’argument ad hominem des végans lorsque est abordée la question des plantes et de leurs aptitudes. « Si vous mettez en avant ces aptitudes et cette sentience des plantes, c’est pour vous dédouaner d’être carnistes. ». C’est peut-être vrai pour Carol Kaesuk Yoon, cela ne l’est pas pour les chercheurs en biologie des plantes. Leur objectif, c’est plutôt de trouver des méthodes pour optimiser les rendements, rendre les plantes moins fragiles au vent, se passer de pesticides, etc. mais je crois qu’ils sont avant tout passionnés par leur sujet.
 
Conclusions
 
« Quand une bûche craque et pétille dans la cheminée, c’est du cadavre d’un hêtre ou d’un chêne que les flammes s’emparent. Le papier du livre que vous avez entre les mains, chers lecteurs, provient du bois râpé de bouleaux ou d’épicéas abattus – donc tués – à cette seule fin. (…) Le rapport entre les arbres et leurs produits est identique à celui existant entre les animaux et leurs produits. Nous utilisons des êtres vivants qui sont tués pour satisfaire nos besoins, il est inutile d’enjoliver la réalité. » (Peter Wohlleben, 2015, Tf. p. 250) Il n’y a pas de raison contraignante de privilégier les animaux qui sont au centre des éthiques animales abolitionnistes par rapport à une grande partie des végétaux. Les arbres et tous les végétaux respirent bien qu’ils n’aient pas de poumons. Pourquoi ne pourraient-ils pas souffrir ou avoir une certaine conscience d’eux-mêmes bien qu’ils n’aient, ni cerveau, ni système nerveux qui ressemblent aux nôtres ? Au fur et à mesure que notre connaissance objective du monde végétal progresse, il est de plus en plus manifeste que dans le règne végétal, la sensibilité, la perception du monde extérieur, les stratégies de survies existent comme dans le règne animal. Ce n’est pas parce qu’ils ne se déplacent pas, parce que leurs préoccupations sont étrangères aux nôtres , parce que leurs rythmes de vie sont bien plus lents et que leur vie se déroule sur des échelles de temps bien plus courtes ou incommensurablement plus longues que la nôtre et celle de nos animaux domestiques, que les végétaux ne doivent pas être considérés comme étant des êtres vivants ayant le même statut moral que les êtres appartenant au règne animal.
 
Il ne s’agissait pas ici de soutenir qu’il est bien ou mal de vivre selon le style végan. Il est au contraire de montrer qu’il n’est ni bien, ni mal de vivre selon les règles de vie végan et qu’il n’est ni mal ni bien de ne pas les suivre. Ceux qui choisiront de ne pas manger des animaux continueront de le faire quels que puissent être les arguments moraux que l’on pourra avancer pour les en dissuader. Ceux qui mangent de la viande continueront d’en manger et les arguments éthiques abolitionnistes seront sans effet sur eux.
 
Il y a des gens qui aiment les animaux et dont la conduite peut paraître extravagante à ceux qui ne partagent pas ce sentiment. Il y a des gens qui aiment les arbres, Peter Wohlleben en est un bon exemple. Aujourd’hui celui ou celle qui enlace un arbre et se colle à lui dans une tentative de communication fusionnelle comme cela se pratique au Japon risque, en France, d’être la risée de bon nombre de ses contemporains. Lorsqu’un chevreuil s’en prend à un jeune hêtre, arrache ses bourgeons et le mutile, c’est l’arbre que je défends, pas la bête, d’autant que dans beaucoup de forêts de plaine, faute de prédateurs il y a trop de chevreuils et cerfs qui mutilent les arbres et empêchent une régénération naturelle de la forêt. Dans d’autres civilisations dans le cadre d’une division du travail genrée, ce sont uniquement les femmes qui jardinent. Elles aiment les plantes qu’elles cultivent. Ces plantes SONT leurs enfants. Si dans notre civilisation l’amour des plantes n’est pas la chose la mieux partagée, la diffusion dans le corps social des découvertes ou redécouvertes concernant leurs comportements pourrait changer les choses.
 
Celle ou celui qui n’éprouve pas cet amour fou pour les animaux qui rend odieux l’idée que l’on puisse les traiter comme du bétail ne sera pas végan. Celui qui ne fait guère plus de cas d’un arbre que d’un piquet de bois, n’ira pas s’enchaîner à un hêtre et braver les tronçonneuses pour sauver cet arbre et cette forêt qu’il n’apprécie que comme un décor pour son jogging matinal. La compassion et l’amour s’éprouvent mais ne se commandent pas. Ces sentiments n’ont rien à voir avec l’exigence de justice qui est à la base des principales éthiques animales. Ils ne créent aucune obligation morale. Ce sont pourtant eux qui justifient nos préférences lorsque nous choisissons parmi les êtres sensibles ceux que nous utiliserons et ceux dont nous nous soucierons, ceux avec qui nous ferons société et défendrons. Et il peut très bien n’y avoir aucune cohérence dans ces choix. Les sentiments ne sont pas rationnels.
 
Ces quelques remarques suffisent à mettre en évidence qu’une éthique du care ne réussira pas d’avantage à justifier que l’on traite de façon différente et que l’on privilégie les êtres vivants animaux sur les autres car cette sollicitude pourra porter indifféremment sur un membre d’un règne ou de l’autre selon les individus humains. Bien plus, un même individu peut privilégier tantôt un animal, tantôt une plante en fonction des circonstances, des plantes et animaux en jeu.
 
Faut-il en conclure que nos rapports aux animaux doivent être laissé à l’arbitraire individuel, fût-il borné par des lois qui interdisent la cruauté à leur égard par souci d’humanité ? En fait, les avancées de la recherche sur le comportement des plantes nous incitent à revoir notre vision d’ensemble du monde vivant et donc celui de notre rapport à la nature. C’est dans le cadre d’une éthique de la nature ou de l’environnement que la question de ces rapports devrait être examinée.
 
 

Sources

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 Vidéo de Catherine Lenne https://youtu.be/VSToNWYNb7s
 

Mardi 26 Décembre 2017 Commentaires (1)

Une actualisation de la liste rouge des espèces de mammifères menacées en France qui datait de huit ans vient d’être rendue publique. Elle a été élaborée par le Comité Français de l’UICN et le Muséum national d’histoire naturelle en partenariat avec la Société Française pour l’étude et la protection des mammifères et l’Office national de la Chasse et de la faune sauvage. Sans surprise, cette actualisation met en évidence une aggravation de la situation notamment pour les espèces terrestres. Les plans climats et le développement de l’éolien s’ajoutent maintenant aux autres causes de pression sur les espèces sauvages. Les chauves-souris sont particulièrement affectées. Elles sont les premières victimes de la transition énergétique et d’une lutte contre le changement climatique qui s’effectuent aux dépens de la préservation de la Nature.


Espèces en danger, les chauves-souris font les frais de la transition énergétique et du plan climat
Les deux extraits suivants de la présentation de cette liste rouge actualisée le montre de façon criante  (Sous-titres ajoutés et  passages soulignés par  moi JFD).

Les chauves-souris victimes de la transition énergétiques et du plan climat

« Sur les 34 espèces de chauves-souris présentes en France, 8 sont aujourd’hui menacées et 8 autres quasi menacées, contre 4 et 7 respectivement lors de la précédente évaluation. Cette évolution traduit en partie l'amélioration des connaissances sur ces espèces. Mais pour beaucoup, l'aggravation est causée par la disparition des habitats qu’elles affectionnent, du fait de l’isolation et de la rénovation des bâtiments et de l’exploitation forestière réduisant l’abondance des vieux  arbres. Dans d’autres cas, le développement du secteur éolien est en cause, touchant particulièrement les espèces migratrices, victimes notamment de collisions avec les pales. Ainsi, parmi les chauves-souris dont la situation s’est dégradée en moins de dix ans, le Molosse de Cestoni est passé de “Préoccupation  mineure” à “Quasi  menacé” et la Noctule commune de “Quasi menacée” à “Vulnérable” ».
 
Le cas de la Noctule commune (Nyctalus noctula)
 
« Bien qu’encore assez largement répandue en France, la Noctule commune est l’une des chauves-souris dont la situation est la plus préoccupante à long terme. Le développement de la production d’énergie éolienne a particulièrement affecté cette espèce migratrice de haut vol, victime de collisions avec les pales des machines. Dans tous les pays, elle figure dans le trio des espèces les plus touchées par cette industrie en pleine expansion. En milieu urbain, elle colonise les parties hautes des immeubles et se trouve confrontée à la mise en œuvre des mesures d'isolation du “Plan climat” : elle risque d’une part d'être emmurée lors des travaux et d’autre part de voir les gîtes qu’elle occupe disparaître progressivement des villes. Elle est aussi menacée par l’abattage d’arbres en zone urbaine et ponctuellement par les travaux de rénovation des châteaux d’eau. Autre menace nouvelle, avec le développement des poêles à bois et des inserts, les conduits de chauffage devant être tubés transforment les installations en pièges potentiels pour les chauves-souris, ce qui affecte particulièrement cette espèce. Le déclin des effectifs de la Noctule commune s’est significativement accru au cours des dernières années. Identifiée en catégorie “Quasi  menacée” lors de la précédente évaluation, l’espèce est désormais classée “Vulnérable” suite à la réactualisation de son statut dans la Liste rouge nationale. La mise en place d'actions de conservation  et d'un suivi vigilant de l'évolution de ses populations dans les années à venir est indispensable. »
 

« Atténuation du changement climatique » versus « protection des chauve-souris » ?
 
● En ce qui concerne l’isolation du bâti, un des piliers de la transition énergétique, il est possible de gommer les impacts sur les chauve-souris en leur ménageant des habitats de substitution. Mais comme pour ce qui concerne la préservation du patrimoine bâti contre les ravalements-isolations de façades, encore faut-il le vouloir et que cela figure comme une obligation pour l’octroi de subventions et la délivrance des autorisations de travaux. Il est regrettable que l’on n’entende guère les grandes associations de protection de la Nature ou de défense de l’environnement sur ce sujet. Quant aux écologistes main stream, ils sont prêts à tout sacrifier (en fait renier) pour cette transition énergétique qui oublie précisément d’être « écologique ».
 
● En France, quel que soit le gouvernement, l’Etat compte beaucoup sur la filière bois/énergie pour atteindre les objectifs du PNA EnR (en clair : Plan d’action national en faveur des énergies renouvelables). En 2020, il est prévu que la filière bois énergie ait une part majoritaire dans les 23% d’EnR prévus de la consommation finale brute d’énergie par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Ceci suppose une exploitation considérablement accrue des forêts qui tendra vers une gestion productiviste de celles-ci au détriment de leur biodiversité. Il est évident qu’avec une telle gestion, il faut malheureusement s’attendre à une dégradation accélérée des habitats forestiers toute espèce confondue et donc de celui des chauves-souris.
 
● Ironie de l’histoire, si le bois est bien une EnR à condition le prélèvement soit inférieur à l’accroissement naturel, il est loin d’être une énergie « décarbonnée » comme l’on peut le comprendre en lisant l’article de Naudts et al.(2016), article qui jeta un pavé dans la mare de la sylviculture productiviste mais qui semble oublié aujourd’hui. (Voir mon article « Gestion des forêts française et changement climatique » (§ IV – VII) sur ce blog). Néanmoins comme l’amalgame entre « décarbonné » et « renouvelable » semble bien installé dans la tête des technocrates, des décideurs et de beaucoup d’ONG, la filière bois/énergie a de beaux jours devant elle et les espèces sauvages dont l’habitat est partiellement ou totalement forestier continueront à décliner.
 
● Pour les chauves-souris, le développement de cette filière a d’autres conséquences néfastes dues au développement du chauffage au bois. Comme je l’ai souligné dans l’extrait cité : « Autre menace nouvelle, avec le développement des poêles à bois et des inserts, les conduits de chauffage devant être tubés transforment les installations en pièges potentiels pour les chauves-souris », cette menace nouvelle affectant particulièrement la Noctule commune. On devrait facilement trouver des  dispositifs pour remédier à cet état de chose mais encore faudrait avoir la volonté de les mettre en œuvre en rendant leur installation obligatoire. 
 
● L’éolien, véritable calamité pour de nombreuses espèces de chauves-souris mérite un développement à part car c’est de loin la menace la plus grave qui pèse sur une majorité d’espèces de chauve-souris. Elle peut même conduire à la disparition de celles qui, menacée par ailleurs, ont de faibles effectifs.
 
Or par leur rôle de prédateur, notamment insectivore, les chauves-souris sont un élément essentiel de la résilience des écosystèmes. Ce sont des animaux à protéger, ne serait-ce que pour des raisons bien égoïstes : ils nous sont utiles. Par exemple, une pipistrelle de 8 grammes dévore chaque nuit l’équivalent du quart de son poids en moustiques. Les populations de pipistrelles sont particulièrement touchées par les parcs d’aérogénérateurs.
 
Le fléau de l’éolien terrestre ou maritime
 
Le développement de l’industrie éolienne est un véritable fléau pour les populations de chauves-souris. Une fois l’éolienne construite, il n’y a pratiquement pas de solution pour éviter le carnage si elle est construite à un mauvais endroit.

Il n’y a aucun moyen, visuel (lumière) ou électromagnétique efficace pour les éloigner de l’engin et on ignore quel pourrait être l’impact de ceux qui ont été testés sur les autres vivants, y compris les populations humaines riveraines. Aucun ne peut aujourd’hui être considéré comme une stratégie de réduction concrète pour éviter la mortalité de chauves-souris. D’ailleurs, ce qui attire les chauves-souris vers les éoliennes reste un mystère.
 
Les seules mesures de « réduction » connues qui semblent efficaces (mais réduction de la mortalité jusqu’à 50% seulement) sont la mise en drapeau dans des conditions de températures et d’humidité qui peuvent varier d’un site à l’autre et l’augmentation de la vitesse du vent nécessaire au démarrage de l’éolienne. Cependant, elles réduisent la production de l’engin et donc sa rentabilité. Néanmoins pour les parcs d’aérogénérateurs qui ont été érigés dans des zones sensibles, ces mesures devraient être obligatoires mais elles ne le sont pas.
 
En fait, le déploiement des éoliennes industrielles s’est effectué sans que l’on se doute de la mortalité qu’elles induiraient chez les chauves-souris et aujourd’hui encore on sait peu de choses sur les raisons de cet impact même si nos connaissances sur la biologie de ces mammifères a fait beaucoup de progrès.
 
Les mesures de réductions ayant un effet limité et les mesures de compensations étant non pertinentes en la circonstance, si l’on veut protéger efficacement ces mammifères, il est nécessaire de prévenir. C’est donc sur l’évitement qu’il faut insister quitte à renoncer au projet à l’endroit initialement prévu lorsque cet évitement ne serait pas possible ou s’avérerait insuffisant. Pour cela il est impératif que les études d’impact d’un projet comportent un volet spécifique « chauves-souris » avec des règles précises et contraignantes pour sa réalisation.
 
Rappelons que TOUTES les chauves-souris sont protégées individuellement par la législation internationale et nationale, elles ne doivent pas être tuées intentionnellement. Il en résulte que « fixer des seuils généraux pour la mortalité des chauves-souris et/ou une vitesse de vent qui déclencherait la réduction des mortalité est non seulement considéré comme arbitraire, inefficace, inadéquat et non soutenable mais aussi contestable d’un point de vue légal en Europe » (Rodrigues L. et al. 2015, p. 28).
 
Cela devrait conduire à l’abandon pur et simple de projets et les éoliennes industrielles dans des sites où elles risqueraient d’impacter les populations locales où sur les couloirs de migration. La durée de vie d’une éolienne industrielle étant de 20 ans, les éoliennes tueuses de chauves-souris (ou d’oiseaux) ne devraient pas être remplacées.
 
Les adulateurs de l’éolien ne sont pas disposés à de tels sacrifices et au contraire prêts même à en installer en forêt là où leur impact sur l’avifaune et les chiroptères est la plus forte.  Souvenons-nous par exemple des efforts d’Henri Stoll membre d’EELV pour faire aboutir un projet de parc éolien en pleine forêt au col de la Croix Bonhomme dans les Vosges, projet finalement rejeté par le préfet. Henri Stoll avait été candidat à la primaire d’EELV en 2010 et se vantait de représenter « la base des écolos » (il a recueilli 5% des suffrages !!!). Aujourd’hui encore dans les Monts du Forez, au col de La Loge à la limite du Puy de Dôme et de la Loire, en forêt, un parc éolien est projeté en dépit du rejet des populations et des communes impactées.
 
Citons également comme cas d’école, la tentative pour implanter 6 éoliennes dont 3 en forêt et 3 à moins de 100 m de lisières forestières ou de haies en Bretagne (commune de Saint Georges de Rouelley et de Ger au Sud-Est de la Manche, en limite de l’Orne). Et ce n’est pas n’importe quelle forêt qui aurait été touchée mais une forêt résiduelle de crête du sud du massif armoricain, crête percée de galeries d’anciennes mines de fer servant aujourd’hui de gite à de nombreuses espèces de chauve-souris. Le parc d’aérogénérateur serait implanté à quelques encablures (1500 m) d’un des sites d’hibernation important de chiroptères au titre du réseau européen Natura 2000 dénommé « anciennes mines de Bion et de Barenton ». Les associations de protection de la nature et des paysages ont gagné leurs recours et le permis de construire a été annulé mais le maire de Saint-Georges-de-Rouelley ne se tient pas pour battu et alléché par les ressources fiscales espérées veut continuer le combat juridique. (Pour en savoir plus, voir les références au bas de l’article).
 
L’essor dans n’importe quelle condition de l’industrie éolienne censée proposer une énergie « propre » est emblématique de la « transition énergétique » à la mode de chez nous. L’impact sur les chauves-souris est exemplaire des ravages que cette transition peut causer sur notre territoire, ravages qui ne concernent pas seulement les chauves-souris, la faune ou la flore mais aussi les paysages et notre patrimoine architectural. Dans le cas de l’éolien, c’est aussi une atteinte à la tranquillité, la sécurité et la santé des riverains de ces machines dont l’implantation n’est pas assez rigoureusement réglementée.
 
Telle qu’elle est conçue et conduite avec l’éolien industriel comme emblème et la filière bois/énergie comme première source d’EnR, cette transition énergétique n’a rien d’une transition écologique. Pire qu’une caricature, elle en est le contraire ; une transition écologique devant avoir comme premier souci, celui de la Nature.
 
Sources et références
 
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J. F. Dumas (2016) « Gestion des forêts française et changement climatique » http://www.jfdumas.fr/Gestion-des-forets-francaises-et-changement-climatique_a374.html
 
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Sur le cas des éoliennes de Ger et Saint Georges de Rouelly on peut consulter en ligne :
  – Le site de la Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France (SPPEF), « Éoliennes : récit d’une victoire pour les paysages sur la crête de Domfront-Mortain (Manche) », http://www.sppef.fr/2017/04/23/eoliennes-recit-dune-victoire-pour-les-paysages-sur-la-crete-de-domfront-mortain-manche/
– Le site de Manche Nature : « Un projet éolien contestable » http://manche-nature.fr/projet-eolien-contestable/
 
Iconographie
 
Noctule commune :  Mnolf/Wikimedia commons
Pipistrelle commune morte sous une éolienne : Groupe Mammalogique Normand
Cadavre de pipistrelle commune sous une éolienne
Cadavre de pipistrelle commune sous une éolienne

Vendredi 17 Novembre 2017 Commentaires (1)

Avec le retour du loup, les montagnes se peuplent d’animaux dangereux, les patous. Ces molosses sont censés protéger les moutons du loup. En fait, ils terrorisent les randonneurs, les alpinistes, les vététistes, ou les promeneurs que d’ailleurs ils mordent trop souvent. Les patous sont censés protéger les troupeaux des loups mais qui protégera les autres usagers de la montagne des patous ?


Patou = danger même si ça n'en a pas l'air. Ce chien a décidé que vous ne passerez pas !!!
Patou = danger même si ça n'en a pas l'air. Ce chien a décidé que vous ne passerez pas !!!
Un territoire pour les loups

Je précise d’emblée que je ne suis pas hostile à la présence du loup dans nos montagnes et nos forêts, au contraire. Il faut accepter un ré-ensauvagement d’une partie au moins du territoire en profitant de la déprise agricole. C’est là que le loup a toute sa place. La chute des effectifs de l’élevage ovin pour la viande d’environ 50% (passant de 7 à 3,7 millions de têtes en trente ans), la relative désaffection des consommateurs pour cette viande ovine est une opportunité à saisir pour faire de la place au loup. Comme l’avait déclaré, il y a quelques années, le maire de Saint Martin Vésubie, Gaston Franco, « le pastoralisme n'est pas indispensable au Mercantour » ici. Déjà des estives sont abandonnées, les plus difficiles d’accès, les plus délicates à surveiller. Mais ce n’est pas suffisant. Les zones centrales des Parc nationaux devraient être intégralement dévolues à la seule faune sauvage, prédateurs compris. Il faudrait aussi délimiter des continuités entre les zones ré-ensauvagées. De ces zones, serait exclu le pastoralisme ovin pour la viande. Il faut réserver des territoires pour les grands carnivores car si le pastoralisme et le loup sont incompatibles comme le clament avec raison les éleveurs ovins, il ne faut pas choisir entre eux et les loups comme ils le revendiquent, persuadés que ce seraient eux les heureux élus. Il faut partager l’espace et en laisser une partie aux loups et autres grands prédateurs, la préservation d’une nature sauvage étant aussi essentielle que le maintien d’un élevage ovin en crise. La recommandation n° 17 (1989) relative à la protection du loup gris (Canis Lupus) du Comité permanent de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe va tout à fait dans ce sens. Elle demande que chaque pays définisse «dans son territoire des régions adaptées à l’existence des loups » Il faut que ces régions incluent « les zones où le loup bénéficiera d’une protection juridique totale, par exemple dans des parcs nationaux, des réserves ou des zones de conservation spéciales ainsi que d’autres zones où les populations de loups seront modulées en fonction de principes écologiques en vue de réduire les conflits qui peuvent survenir avec d’autres modes d’utilisation des terres. » (directive n°2)Dans les «régions adaptées à l’existence du loup » et spécifiquement désignées pour sa conservation « un développement économique extensif susceptible d’être préjudiciable à l’espèce et à son habitat sera par conséquent exclu. » (directive n°4)

Pour ce qui est des « autres zones » où les populations de loups peuvent être « modulées » pour réduire les conflits qui peuvent survenir avec d’autres modes d’utilisation des terres la coexistence du loup avec la randonnée pédestre ou équestre, l’alpinisme, le vtt ne pose pas de problème particulier. Par contre, c’est la coexistence de ces pratiques avec le pastoralisme qui est pour le moins délicate lorsque sur les territoires où plane la menace de prédations par des loups, les moutonniers ont recours à des chiens de protection, les patous qu’ils laissent livrés à eux-mêmes dans des troupeaux sans surveillance où sans surveillance suffisante.
 

Si le patou y était, il nous mordrait

Ceux qui s’imaginent qu’il est possible de faire coexister le loup et l’agneau sur un même territoire sont, en partie, à l’origine de ce recours en force à des chiens que l’on ne peut pas dresser mais seulement « éduquer » et qui le sont souvent bien mal. Ces molosses blancs perdent vite leur air débonnaire quand ils courent droit sur le passant, en aboyant férocement, tous crocs dehors. Pauvre passant, randonneur, alpiniste, vététiste ou simple promeneur ! C’est au mieux une belle frayeur, une course interrompue et bien trop fréquemment une morsure parfois légère mais parfois profonde. Il ne fait plus bon se promener sur l’alpe où paissent les brebis, la plupart du temps laissées à elles-mêmes sous la sauvegarde des patous. Certes, le loup complique la vie des bergers et des éleveurs. Mais ceux-ci, en retour, avec leurs patous qu’ils laissent seuls au milieu des troupeaux compliquent aussi la vie de tous les autres utilisateurs de la montagne. Lorsqu’il n’y avait pas de patous, il était possible de randonner, herboriser, guetter la marmotte et se promener tranquillement dans les alpages. Avec ces fauves souvent livrés à eux-mêmes en toute légalité, lorsque toute une famille se promène sur un sentier de montagne large, bien tracé et bien balisé pour aller pique-niquer au bord d’un petit lac, elle est en danger.

Sur les terres hantées par le loup, gare aux patous !
Des bergers à éclipse

C’est au berger ou à l’éleveur de protéger son troupeau ! Éventuellement à coups de fusil pour bien faire comprendre aux loups qui réchapperont (ils chassent en meute) de l’attaque d’un troupeau où ils auront dû affronter la mitraille que « moutons = danger ». Ils sont intelligents et saisissent vite ! En ce sens, la position de José Bové qui a fait tant hurler moult défenseurs de la faune sauvage n’était pas si condamnable. Ce qui fait problème dans sa déclaration, c’est qu’il semble admettre les tirs dits de « prévention » et avec ces tirs-là, on n’est pas loin de l’éradication. En tout état de cause, la meilleure façon de protéger un troupeau n’est pas de déléguer cette tâche à des chiens mais de la donner aux bergers appuyés par des chiens le cas échéant ; à des bergers en nombre suffisant pour des troupeaux de taille raisonnable, ce qui n’est que très rarement le cas, aujourd’hui. Pour qu’ils tirent sur le loup qui vient attaquer leur troupeau comme le suggérait José Bové, il faut qu’éleveurs ou bergers soient présents lors de l’attaque. Ce qui ne peut être le cas lorsqu’un seul homme (ou une seule femme) est à la tête de milliers bêtes qui s’éparpillent sur tout le flanc d’une montagne. Ce qui l’est encore moins lorsque le troupeau est laissé sans surveillance humaine, sans gardien, le propriétaire « montant » une ou deux fois par semaine à l’estive, occupé le reste du temps, « en bas » à d’autres tâches… On comprend mieux pourquoi «la profession » considère que la défense active contre les loups ne doit pas relever du travail des éleveurs et des bergers. Il faudrait qu’ils assument une présence assidue sur l’estive auprès du troupeau !!! Et tout compte fait, vu leur état d’esprit, ce refus d’une défense active est peut-être une bonne chose pour Canis lupus car leur confier des fusils avec le droit de tirer sur les loups serait mettre l’espèce en danger sur le territoire français. En effet, ils ne veulent pas seulement défendre leur troupeau contre une attaque, ils veulent l’éradication du loup pour que tout soit «comme avant» lorsqu’ils pouvaient laisser les bêtes à elles-mêmes dans la montagne avec une surveillance épisodique et des infrastructures minimales. Pour eux, comme le souligne un de leurs meilleurs avocats, le retour du loup a entrainé « une rigidification des pratiques pastorales qui va à l’encontre de la nécessaire souplesse sur des espaces naturels sur lesquels l’éleveur ne maîtrise aucun des facteurs de production de la ressource fourragère » et «le poids des mesures de protection fait disparaître le principal atout du pastoralisme, qui est une mobilisation peu coûteuse de ressources fourragères sur les espaces naturels » (Laurent Garde, Les loups face à l’élevage, un compromis difficile, Académie d’Agriculture de France, ici )). Les patous pouvaient passer pour la solution idéale, il suffisait de les intégrer au troupeau en nombre suffisant (leur achat et leur entretien sont subventionnés au trois quart) et tout serait comme avant à moindres frais. Sauf que le patou a tendance à prendre les bipèdes qui passent aux abords du troupeau pour des loups…

Pour les défenseurs des loups qui veulent promouvoir la cohabitation de ce grand carnivore avec le pastoralisme extensif, tout se passe comme si les chiens de protection avaient le droit de tuer un loup qui attaque un troupeau mais pas le berger…Cette curieuse position masque en fait une réalité économique : la main d’œuvre humaine coûte plus cher que la main d’œuvre animale. Le recrutement de bergers et d’aides bergers en nombre suffisant revient trop cher à l’éleveur, d’où le recours à ces chiens et l’appel à des volontaires bénévoles pour aider à la garde du troupeau comme le font certaines associations de défense des grands carnivores qui font le pari de leur coexistence avec le pastoralisme. Mais lorsque le chômage est élevé, notamment parmi les jeunes, on peut s’interroger sur la pertinence de ce recours à un bénévolat. Aide-berger est un métier. Comme pour les aides à la personne, il faudrait mettre en place des aides accrues pour ceux des éleveurs qui recruteraient des aides-berger et proposer des formations qualifiantes à ceux qui exerceront ce travail. Dans cette hypothèse, il faudrait aussi agrandir les « cabanes » prévues aujourd’hui pour une seule personne afin que berger et aides bergers puissent y vivre correctement. Là où serait le chien, il y aurait aussi l’homme. Et ce serait une dissuasion bien plus efficace sans conséquence fâcheuse pour les autres usagers de la montagne. Cela entrainerait-il des surcoûts rendant cet élevage non rentable ? Il n’est déjà pas rentable. Il vit à près de 80% sous perfusion de subventions diverses. Alors un peu plus, un peu moins !

En attendant, les patous sont là et bien là, seuls sur l’alpage avec des bergers à éclipses. Si vous fréquentez la montagne au temps des estives, gare à vos mollets et à vos fesses…. Il faut savoir que ces chiens sont aussi un fléau pour les ongulés sauvages, pour toute une microfaune et aussi pour l’animal sans doute le plus populaire de l’alpage : la marmotte. Et lorsque ces molosses les boulotent parce qu’ils ont faim ou que tout simplement ils s’ennuient, personne ne portera plainte pour ces exactions.

Les éleveurs manifestent pour intimider les juges…

D’ailleurs chaque fois que porte plainte une malheureuse victime humaine des attaques et morsures d’un patou, que par miracle, cette plainte n’est pas classée sans suite et qu’arrive enfin le jugement, c’est une levée de bouclier de la « profession » avec à la clé des rassemblements d’éleveurs devant le tribunal pour faire pression sur les juges ! A propos de l’un de ces procès, on peut lire dans Le Dauphiné : « Autant la rigueur du ton employé (par le procureur) que la réquisition (750 € d’amende avec sursis, alors que dans des affaires similaires, jamais aucune peine n’avait été réclamée) avaient suscité la colère (des éleveurs). Pendant trois jours, les éleveurs avaient campé en plein centre-ville de Saint-Jean de-Maurienne, réclamant une clarification de leur situation.» Finalement, le tribunal n’a pas suivi les réquisitions du procureur et l’éleveur a été acquitté !!! Après cela, de prétendus experts du Cremagref viendront raconter que les éleveurs n’ont pas de poids et que c’est pour cela que l’on a pu leur imposer les loups...

et des « pro-loups » volent au secours des éleveurs « anti-loups » …

Qu’il soit acquitté, ou qu’il arrive qu’il soit condamné, sa négligence et sa responsabilité étant par trop criante, l’éleveur ou le berger a aussi le soutien des pro-loups, blogueurs comme celui de « la buvette des alpages » ou associations comme Férus qui prétendent défendre le loup (l’ours ou le lynx) en essayant de promouvoir une cohabitation élevage / grands carnivores pour le moins problématique.
A propos de l’acquittement cité ci-dessus, on peut lire sur « La buvette des alpages » : « Bonne nouvelle, l'éleveur poursuivi pour l'agressivité de son chien patou est relaxé. » alors que, rappelons-le tout de même, l’éleveur était poursuivi devant le tribunal parce que le chien en cause avait attaqué, sur un sentier, la gardienne d’un refuge. Il l’avait mordue à plusieurs reprises aux bras et aux cuisses. Les morsures étaient sans gravité mais la victime a affirmé à l’audience qu'elle avait eu la peur de sa vie. « Ça a duré plus d'une demi-heure et j'avais très peur de tomber tellement il a été agressif. J'ai vraiment eu du mal à m'en remettre, surtout psychologiquement, alors que je n'avais pas du tout peur des chiens jusque-là.» Dans son réquisitoire le Procureur avait considéré qu’il y avait « faute caractérisée de l’éleveur pour divagation de chien, négligence sur la génétique du patou, choix d’un chien des Abruzzes et non pas un berger des Pyrénées, défaut de formation du berger, manques dans la formation du chien » Que cet éleveur ait été relaxé n’est pas une bonne nouvelle mais un pur scandale !

À l’occasion de la condamnation d’un autre éleveur suite à une morsure infligée à un vététiste qui était à l’arrêt et éloigné du troupeau que le patou mordeur était censé défendre, Férus a cru bon de publier le communiqué suivant «L’association FERUS soutient notamment l’utilisation des moyens de protection et considère donc la présence des chiens patous comme indispensable.» oubliant de préciser que c’est le binôme berger/patou qui seul peut être véritablement efficace. Dans ce communiqué, Férus ne s’inquiète pas de savoir où était le berger mais s’empresse d’ajouter «En alpage et en toute zone de pâturage, il est important que chacun respecte le travail des éleveurs et bergers ainsi que la quiétude des troupeaux. Pour écarter les grands prédateurs (loups dans les Alpes, ours dans les Pyrénées), les patous (chiens de protection) sont indispensables. Chaque usager de la nature doit adopter de bons comportements vis-à-vis des chiens de protection des troupeaux.» Ce qui sous-entend que la victime est sans doute un peu coupable et que ce qui lui est arrivé est au moins en partie de sa faute !

Le propriétaire d’un chien est responsable de ce que fait son animal. Un beau jour, ce sera un enfant que l’un de ces molosses agressera. Il le défigurera peut-être. Férus soutiendra-t-elle le berger ? En militant pour la généralisation de la présence de patous dans les troupeaux, l’association portera une part de responsabilité sinon juridique, du moins morale en cas d’accidents. Ils sont inéluctables dans l’état actuel des choses. Ironie de l’histoire, alors que Férus prenait fait et cause pour les éleveurs dans cette affaire, ceux-ci sont bien trop «anti-loup» pour lui en être reconnaissants : Férus est pro-loup ! Dans son communiqué Férus ajoutait «Il arrive toutefois que des patous soient mordeurs : ces animaux n’ont évidemment pas à être présents en alpage.» Ce qui lui a valu une réponse cinglante de la Fédération des acteurs ruraux ; réponse ô combien significative de l’état d’esprit des éleveurs : «Si vous mettez un chien inoffensif en alpage, il ne sert qu’à assouvir l'idéologie d'intégristes, mais en rien à protéger éventuellement d'un prédateur... Le chien si il est de protection réagit à l'approche de tout individu de la même façon et le repousse soit par intimidation, soit directement en mordant...» On notera que ce n’était pas l’avis du juge. Selon le journal Le Dauphiné ici, l’éleveur aurait déclaré : «Le chien a-t-il complètement tort ?» On voit bien là l’inconscience, ou le sans gêne de celui qui croît que la montagne n’est rien d’autre qu’un parc à mouton ! En tout cas, pour la juge, la réponse à cette question saugrenue était évidente : «le chien doit mordre le loup, pas les humains» …

Les éleveurs reconnaissent d’autant mieux les problèmes posés par les chiens de protection qu’ils considèrent eux aussi que le pastoralisme et le loup ne peuvent cohabiter. Ils ne veulent plus avoir à se protéger du loup, ils veulent son éradication, éradication qui rendrait inutile la présence des patous dont ils se passeraient volontiers. En rendant le loup responsable de la présence de ces chiens, en insistant sur les dangers que font courir les patous aux randonneurs, ils cherchent à gagner à leur cause ces derniers qui sont réputés «pro-loup». En vain, si l’on en juge aussi bien par les commentaires trouvés sur les sites de randonneurs pédestres ou équestres, vététistes que sur les déclarations des touristes promeneurs. Ce sont les patous qu’ils redoutent, pas les loups. Les moutonniers sont jugés sans indulgence. Les autres utilisateurs de la montagne estivale leur reprochent de vouloir la réserver à leur seul usage. Ils blâment leur désinvolture et leur sans-gêne. Pour eux, ce sont les éleveurs et les bergers qui sont responsables des incidents ou accidents qui arrivent et ce sont eux qu’ils mettent en cause lorsqu’ils ont maille à partir avec ces chiens, jamais les loups. C’est contre eux qu’ils portent plainte et si au pénal, la jurisprudence est incertaine, ils gagnent presque toujours au civil qui leur alloue des indemnités compensatoires du préjudice subi.

Envers et contre tout, Férus veut des patous !

Par contre pour les défenseurs du loup qui prônent la cohabitation sur un même espace des loups et des troupeaux, les patous sont un des éléments de protection essentiel comme il est d’ailleurs précisé dans le communiqué de Férus rapporté ci-dessus. Ils ont tendance à minimiser systématiquement les attaques de ces chiens contre les autres usagers de la montagne et tous les désagréments qu’ils leur causent. «La majorité des patous au travail sont très efficaces contre la prédation et ne causent aucun problème aux usagers de la montagne.» déclare Férus dans un français approximatif. L’efficacité est discutable et heureusement que la majorité de ces chiens ne mord pas. Il suffit d’une minorité agissante pour que, l’été, les incidents et les accidents se multiplient. Que les responsables de cette association lisent donc les journaux ou se connectent à des sites de vététistes ou de randonneurs comme «randonner malin» et parcourent les commentaires et témoignages qui y figurent. Qu’ils interrogent les médecins, pharmaciens et gendarmes locaux… Férus veut concilier la présence de moutons à l’estive et de loups sur un même territoire, une gageure. Dans ce tête à tête conflictuel qu’elle essaie de maîtriser, cette association néglige les autres usagers de la montagne, humains ou non et tend à les sacrifier. Les collectivités territoriales et l’Etat ont tendance à faire de même en voulant ménager la chèvre et le chou, le loup et l’éleveur. On sait bien qu’ils se moquent du sort des marmottes et de tout le petit peuple de poil et de plume vivant sur l’alpage. Quel élu, quel technocrate s’en inquiéterait-t-il? C’est comme toujours, quantité négligeable ! À quelques exceptions près, vis-à-vis des randonneurs et autres vététistes aussi, ils font preuve d’une grande désinvolture ou d’une totale incompétence. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les conseils qu’ils donnent à tous ceux qui peuvent se retrouver nez-à-nez avec ces chiens fantasques et parfois féroces.

En voici un émanant d’une brochure officielle, relayée par Férus mais qui est inapplicable environ neuf fois sur dix : « si vous croisez un troupeau, contournez-le largement » Il faut croire que ceux qui ont concocté une instruction pareille n’ont jamais mis les pieds sur un sentier de montagne où bien souvent, à cause de la topographie, aucun contournement n’est possible! Voici donc un témoignage parmi de multiples : « désireux de retourner à notre véhicule, nous avons choisi l’option du contournement, franchissement de la rivière puis descente d’une petite barre rocheuse et nous voilà au contact. Un troupeau de brebis était là, stationné sur le GR sans berger, mais avec 7 patous. (27 août 2012) » Dans le sens inverse d’autres randonneurs attendaient…

Dans la même brochure on peut lire : « Face à un chien de protection (…) si vous êtes impressionné, faites demi-tour sans faire volte-face » Pour aller où ? Refaire en sens inverse un chemin qui risque d’être très long ? Rentrer chez soi ? Autant y rester et éviter le stress résultant d’un face-à-face aussi traumatisant ! Voici un témoignage concernant la mise en pratique de ce précieux conseil : « nouvelle rando sur l'autre versant de la vallée avec ascension du Pic de Mal Ubac, toujours depuis Beauvezer par le GRP. Tout se passe bien jusqu'à la crête Mais qu'elle ne fut pas ma surprise de tomber sur un troupeau de mouton qui se trouvait sur le versant, invisible depuis l'ascension. Pour plus de précision, le troupeau se trouvait au NIVEAU du panneau directionnel du GRP de Pays alors qu'il y avait des pâturages à perte de vue, très éloignés du sentier. D'un coup mon sang se glace, des aboiements et deux patous qui surgissent vers moi en courant. Un reste à distance, le second s'approche à dix mètres. Reprenant mon courage et de toute façon sans autre possibilité que d'affronter le danger, je mets en pratique les conseils. J'écarte mes bâtons et je parle calmement au chien, je recule doucement en continuant à lui faire face. Il était très agressif et virulent mais j'arrive petit à petit à reculer (dans un pierrier dangereux au passage) sans que celui-ci ne bouge. A distance raisonnable, je me retourne et attaque doucement ma redescente, tout en tournant la tête pour éviter d'être attaqué par l'arrière. Et bien sûr PAS DE BERGER. Quel énorme STRESS avec vacances gâchées car je n'ai plus randonné de la semaine. Je randonne seul et à 2000 mètres, attaqué par des patous, sans liaison téléphonique, je me mets en danger irrémédiablement (William, 28 juillet 2013) »

Déjà la veille ce randonneur avait dû rebrousser chemin sur un autre itinéraire face à des patous agressifs barrant le passage et sans possibilité de contournement. Il n’est pas le seul à vivre pareille mésaventure « Cet été avec Robert et Thierry on a été obligé de faire demi-tour au sommet de Maurel, 6 patous nous ont empêché de passer. On est resté coincé 30 min protégés derrière nos vélos ... chaque fois que l'on bougeait les patous revenaient menaçants » Ou encore « Ce week rando dans le Mercantour, petite boucle Lac de Trécolpas, Pas des Ladres, Notre Dame de Fenestre et retour le deuxième jour par la cime du Pisset. Sur le chemin un premier patou croisé pas très commode, 1er détour à flanc de colline pour continuer mon chemin, un peu plus tard, un deuxième, plus cool, mais bon, petit détour quand même et quelques instant après trois patous se précipitent sur moi et m’encerclent, vraiment très agressifs, sans mes bâtons, qu’ils ont pris en travers de la g… j’aurai pu y laisser un bout de mollet. Finalement j’ai dû faire demi-tour et rentrer par le sentier de la veille. Et pendant que les moutons sont gardés par ces chiens enragés, les bergers ils sont où ? »
 

Sur les terres hantées par le loup, gare aux patous !
Certes, là ne sont rapportées que des contrariétés : une randonnée ratée, des vacances gâchées … Mais il y a beaucoup plus graves : les morsures, beaucoup plus fréquentes que des associations comme Férus ou les offices de tourisme veulent le faire croire. Voici quelques témoignages.

« Il n'était pas venu depuis quinze ans en Haute Maurienne (Savoie) et, lors de sa première balade, le 15 juillet, sur un chemin très fréquenté du parc national de la Vanoise, Jean-Luc Renaud, 55 ans, est « tombé des nues avec le patou ». Cet enseignant de Chartres (Eure-et-Loir) s'est fait mordre à huit reprises, depuis les mollets jusqu'aux épaules, par trois chiens de montagne des Pyrénées qui se sont précipités sur lui. Nathalie Grynszpan, Le Monde du 8 août 2008) »

« A la fin du mois de juillet, j’ai été attaquée et grièvement blessée par 3 patous près d’un refuge du Parc de la Vanoise. Cela m’a valu 3 h 30 de bloc opératoire à l’hôpital de Moutiers, une semaine d’hospitalisation au CHU et au moins un mois d’arrêt de travail. (…) À mon avis, il serait bon de rafraîchir ces informations destinées au grand public et d’arrêter de raconter aux jeunes enfants que le patou est toujours un bon toutou docile. L’attaque dont je viens d’être victime et qui aurait pu être mortelle (…) m’a permis d’autre part d’être en relation avec de nombreuses personnes ayant subi des attaques par ces chiens dans les alpages (au moins une quinzaine depuis le début de l’année). (…) Après m’avoir attaquée ces chiens sont restés sur l’alpage plusieurs jours et leur propriétaire envisage déjà de les y remonter, soutenu par les administrations concernées (DDA…). (Juillet 2008)» (Nb. : Les éleveurs propriétaires de ces chiens qui avaient agressé aussi six autres personnes ont été condamnés : à 5000 euros d’amende dont 4000 avec sursis et leur GAEC à 20 000 euros d’amende dont 8000 avec sursis. Il ne restait plus qu’un seul des chiens mordeurs qui a été confisqué. De plus deux des victimes ont été dédommagées au civil))

« Nous croisons un randonneur un peu blême, ce dernier venait de se faire bien pincer aux jambes par ce fantastique toutou (pantalon arraché, et belles marques de la dentition de l’animal). Eh pourtant, il nous a expliqué avoir rangé les bâtons, s’être signalé, avoir stoppé, le chien est venu et crac.(Août 2012) »

« Ce lundi après-midi, une randonneuse de 35 ans a été victime de lourdes morsures de la part de deux chiens de protection de troupeaux. Elle marchait dans le Parc national de la Vanoise, à Termignon, et s'est retrouvée, au détour d'un sentier, au milieu d'un troupeau d'ovins. Les patous l'ont attaquée et mordue à plusieurs reprises. La randonneuse a réussi à se dégager et a regagné un refuge. Les gardiens, constatant la gravité des atteintes et le saignement, ont appelé les secours. La victime a été héliportée vers l'hôpital de Saint-Jean-de-Maurienne (le 19/08/2013 à 19:49 Le dauphiné .com)ici

Etc., etc., ….

Dans de telles conditions, il n’est pas étonnant que certains renoncent à la randonnée en montagne en période d’estive : « Je n'ai jamais eu de problème avec le Loup à ce jour, Par contre avec le chien Patou oui, j'ai même vu des bergers qui ne réagissaient pas face à l'agressivité de leur chien. Depuis et par peur de me faire mordre moi ou mes enfants j'ai arrêté toute balade dans le Mercantour. Quel dommage!!! (Écrit par : Lionel | 09/08/2011) dans Randonner malin»
Des accompagnateurs en montagne évitent d’emmener leurs clients dans des zones où ils savent que des patous sont présents. Des randonneurs téléphonent aux gardiens de refuge pour savoir s’il y a un risque de rencontrer des patous sur le sentier d’accès ….

« Vous voulez pas d’ennuis ? Ben vous évitez les troupeaux, c’est simple non ? » assène un supporter de Férus. Comme les moutons sont partout sur l’alpage, appliquer cette maxime péremptoire, c’est s’interdire pratiquement toute randonnée en moyenne montagne, s’interdire d’accéder à la haute montagne (il faut traverser l’alpage). Autant rester chez soi. Si toute la montagne doit être un gigantesque parc à moutons qu’il est trop dangereux de fréquenter, qu’on le dise franchement et que l’on en interdise l’accès. Tant pis pour le tourisme de montagne, la randonnée d’été. Au lieu de cela, la présence du loup est un argument pour attirer le touriste, le randonneur, le promeneur auxquels on évite de parler du chien. Ce mensonge par omission a vite fait long feu. Il n’y a plus guère de gens qui ignorent la présence de ces chiens dangereux. Déjà s’installe chez les randonneurs et promeneurs une sorte de « psychose » du patou et on voit des professionnels du tourisme mettre en avant comme atout l’absence de patous sur leur secteur.

Un exemple à suivre

Est-ce à dire que sur des estives où plane la menace d’une prédation lupine (ou canine), le pastoralisme et le tourisme de montagne sont incompatibles ? Pas nécessairement mais il faut que les patous ne fassent pas partie du dispositif de protection, du moins des patous laissés à eux-mêmes. Dans un article du Dauphiné du 28/08/2013 ici la journaliste rapporte que les éleveurs et bergers ceillaquins ont décidé de renoncer à utiliser des patous. Pour eux, ce chien présente surtout l’inconvénient d’effrayer les randonneurs, avec le risque à long terme de ralentir l’activité touristique. « Pour Vincent Mascot, éleveur présent chaque été dans le secteur de la Bergerie du Bois Noir, les patous représentent un véritable danger pour les randonneurs. Un avis partagé par Rémi Schlecht, qui garde son troupeau du côté de Clausis : « Tant que je peux tenir sans patou, je résiste. Je ne veux pas de conflit avec les marcheurs. La fréquentation touristique est importante, on ne peut pas se mettre les touristes à dos. » Ces éleveurs pointent aussi que l’hiver, au village, ces chiens seraient ingérables. Pour eux la véritable alternative au patou, c’est la présence du berger qui est considérée comme bien plus efficace. « Pour Vincent Mascot, la vraie protection, « c’est d’être avec les brebis, c’est le meilleur moyen de réduire les risques ». C’est également l’avis de Rémi Schlecht, éleveur et berger depuis plus de vingt ans, pour qui la solution la plus efficace est « d’être aux bêtes 24 heures sur 24 ».Pour lui, pas question de quitter son troupeau. « Depuis que le loup a été réintroduit, j’ai complètement changé ma façon de gérer l’alpage. Je dors avec les brebis, je suis là à chaque instant, c’est une philosophie. Que ce soient les miennes ou pas, je ne garde pas des bêtes pour qu’elles se fassent attaquer par les loups. » » Le problème, c’est que l’excellente « philosophie » de cet éleveur est loin d’être partagée par tous.

Vingt ans après

Vingt ans après le retour des premiers loups dans le massif du Mercantour, les montagnes se sont peuplées de patous qui posent de plus en plus de problèmes à tous les autres usagers de la montagne sans que la politique de l’État change, sans que les éleveurs renforcent de façon significative la surveillance de leurs troupeaux par une main-d’œuvre humaine efficace, sans que la gestion des chiens de protection, leur sélection et leur contrôle soient effectifs.
Estimant que la protection des personnes est une priorité absolue pour les élus locaux, comme pour l’État et qu’il fallait protéger au mieux les habitants de la commune, comme les touristes de passage, le Conseil municipal de Modane avait voté une délibération en 2008 exigeant de l’État et de ses représentants des actions claires et concrètes en adéquation avec la réalité du terrain, pour permettre le tourisme et le pastoralisme ainsi qu’une clarification des responsabilités de chacun, notamment des élus. Il pourrait voter de nouveau aujourd’hui dans les mêmes termes.
Les régions dévolues au loup que la recommandation européenne n°17 relative à la protection du loup demandait de définir ne le sont pas. Par contre certains élus ont tenté de faire admettre des zones de protection renforcées contre le loup. Les unes ne vont pas sans les autres : il faut des régions dévolues au loup et des régions où il ne sera pas le bienvenu. Et tant que les premières n’existeront pas en qualité et quantité suffisante et ne seront pas réellement sanctuarisées, il est exclu d’instaurer les secondes. Or, réserver un territoire au loup duquel serait exclu toute activité « qui pourrait être préjudiciable à l’espèce » demande une révolution dans la tête de tous les politiques et beaucoup de leurs électeurs pour admettre, comme l’affirme fortement la recommandation n°17 que « les loups, comme toutes les autres espèces sauvages, ont le droit d’exister à l’état sauvage. Ce droit ne découle en aucune façon de l’intérêt que porte l’homme à ces animaux, mais procède du droit de toute créature vivante de coexister avec l’homme dans le cadre des écosystèmes naturels. »
Faudra-t-il attendre qu’il y ait un mort pour que les choses bougent ? Dans ce cas, il faut craindre que ce soit au détriment du loup, de la survie de l’espèce en France.

Annexes :

1 – Délibération du Conseil municipal de Modane du 27 août 2008 sur la présence de loups et de patous ( Thierry Théoliers sur le site Modane.info)

Le tourisme d’été en Savoie et surtout en montagne, est une activité économique importante, elle permet le maintien de population dans nos vallées désertées par les activités industrielles.
La réintroduction ou le retour du loup, espèce protégée par la Loi, a entraîné des dégâts importants dans les troupeaux de moutons, nombreux en altitude.
Le législateur, soucieux de préserver le pastoralisme tout en réimplantant une espèce disparue, a « pensé bien faire » en offrant gratuitement aux éleveurs des chiens « Patous » et leur nourriture. Ces chiens considèrent le troupeau comme leur famille et attaquent tout élément s’en approchant.
Les attaques contre les touristes, comme les randonneurs locaux mieux informés, se multiplient. Ces chiens ne différencient pas l’homme du loup et leurs morsures traumatisent les vacanciers et les populations de nos vallées qui n’osent plus s’aventurer en montagne.
La baisse de fréquentation de cet été en montagne (remplissage des refuges et réservations auprès des guides et accompagnateurs) n’est certainement pas exclusivement due à ce problème même s’il y contribue de façon importante.
Le législateur, toujours soucieux de bien faire pour maintenir l’activité touristique, après avoir d’abord décidé de protéger le loup, puis de protéger le pastoralisme, va-t-il aujourd’hui poursuivre en finançant une nouvelle protection aux randonneurs pour préserver une partie importante de notre économie ?
De plus en plus fréquemment, les médias se font l’écho de drames comme celui très récent qui a eu lieu aux abords du Refuge de la Leysse (commune de Termignon), où une randonneuse a été attaquée par 3 Patous et traînée sur un chemin, ne devant son salut qu’à l’intervention d’un homme alerté par ses cris. Elle est actuellement hospitalisée à Grenoble dans un état grave.
La protection des personnes étant une priorité absolue pour les élus locaux, comme pour l’Etat, dans ce but de protéger au mieux les habitants de la commune, comme les touristes de passage, et sans chercher à montrer du doigt le ou les responsables de ces drames entre le politique, l’écologiste, l’éleveur, le fonctionnaire, le promeneur, le « Patou », le mouton ou le loup,
Après en avoir délibéré, à l’unanimité des membres présents, le Conseil Municipal,
- Souligne l’incompréhension des élus locaux qui sont pris à partie par les éleveurs, les touristes, les professionnels de la montagne et les habitants.
- Précise que les élus de Modane qui sont confrontés quotidiennement aux questions de nombreux administrés ont beaucoup de difficultés à expliquer la politique de l’Etat sur ce dossier.
- Exige de l’Etat et de ses représentants des actions claires et concrètes en adéquation avec la réalité du terrain, pour permettre le tourisme et le pastoralisme.
- Exige une clarification des responsabilités de chacun, notamment des élus.
(les passages soulignés le sont par moi JFD)

2 – Extraits de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe - Comité permanent (Recommandation n° 17 (1989) du comité permanent relative à la protection du loup (Canis Lupus) en Europe (adoptée par le Comité permanent le 8 décembre 1989))

Enoncé de principes relatifs à la conservation des loups
1. Les loups, comme toutes les autres espèces sauvages, ont le droit d’exister à l’état sauvage. Ce droit ne découle en aucune façon de l’intérêt que porte l’homme à ces animaux, mais procède du droit de toute créature vivante de coexister avec l’homme dans le cadre des écosystèmes naturels.
Directives
Nous recommandons les directives suivantes pour les actions de conservation du loup.
A. Généralités
1. Dans les régions ou pays où les loups sont menacés d’extinction, il convient d’accorder une protection totale à la population survivante. (Ces cas seront consignés dans un Livre rouge, ou feront l’objet d’une déclaration gouvernementale).
2. Chaque pays définira dans son territoire des régions adaptées à l’existence des loups et adoptera en conséquence une législation permettant de maintenir les populations de loups et de faciliter la réintroduction de cette espèce. Ces régions incluront les zones où le loup bénéficiera d’une protection juridique totale, par exemple dans des parcs nationaux, des réserves ou des zones de conservation spéciales ainsi que d’autres zones où les populations de loups seront modulées en fonction de principes écologiques en vue de réduire les conflits qui peuvent survenir avec d’autres modes d’utilisation des terres.
3. Il convient d’établir des conditions écologiques favorables dans ces régions grâce à la reconstruction d’habitats adaptés à la réintroduction de grands herbivores.
4. Dans les régions spécifiquement désignées pour la conservation des loups, un développement économique extensif susceptible d’être préjudiciable à l’espèce et à son habitat sera par conséquent exclu.
Le texte complet est consultable ici

3 – Une étrange erreur

Sur le site du Dauphiné, dans un article daté du 22/08/2013 intitulé « Débat sur Le Patou : éduquer les chiens ou les touristes ? » comme si seuls les touristes avaient maille à partir avec les patous, Jacques LELEU écrit: « Nous évoquions enfin les précédentes attaques dans notre département et leurs suites judiciaires. Elles se sont toujours soldées par la relaxe des éleveurs. »ici Ce qui est manifestement faux. Le journaliste devrait le savoir puisque c’est dans son journal que le 30 septembre 2009, on pouvait lire « Hier après-midi, la responsabilité pénale des deux frères éleveurs) a été retenue au titre de quatre agressions (de patous) pour lesquelles ils ont été condamnés à 5000€ d'amende dont 4000€ avec sursis. Le tribunal les a en revanche relaxés pour trois autres agressions au motif qu'il n'avaient commis aucune faute caractérisée dans la surveillance de leurs chiens. Leur dernier chien (trois étant morts depuis les faits) a quant à lui été confisqué, car jugé potentiellement dangereux. » Pour le dossier qu’il a consacré aux patous, ce journaliste n’aurait-il donc pas consulté les archives de son propre journal ? Il aurait dû y trouver également l’article intitulé « DIGNE-LES-BAINS (ALPES-DE-HAUTE-PROVENCE) : Un éleveur condamné pour la morsure de son chien patou » paru le 01/06/2012 et signé Katy CANTAGREL Ici . Une telle erreur est difficilement compréhensible. On se perd en conjectures…

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Les témoignages rapportés sont tirés principalement des sites VVT plus ici et Randonner malin ici où l'on en trouvera une liste impressionnante.

Photos de haut en bas : Emma Martinet/Wikimedia common; Inconnu (le dessin du panneau photographié signé Philippe Tastet est extrait d'un tract électoral des JA de la FNSEA de 2007 ); Vttplus.

 

Vendredi 13 Octobre 2017 Commentaires (7)

Au détour d’un tweet, je viens d’apprendre qu’un végan a répondu à un article de mon blog "Stop au bourrage de crâne : Le mode de vie végan n’est ni écologique, ni éthique !" Il s’agit d’un opus de 30 pages bien tassées écrites par Emile Bévillon. Venant d’un végan pur et dur prêt à justifier toutes les errances de la propagande des PETA et autres association véganes, cela me conforte dans l’idée que j’ai dû viser juste. Je ne pouvais donc laisser ce texte sans réponse bien que j’en ai eu une connaissance tardive. Il a été mis en ligne sur Facebook en Février.


Je ne vais pas faire une réponse point par point à ce texte souvent redondant. Je vais d’abord préciser l’un de nos principaux désaccords qui explique nombre de ses objections, objections qui tomberont par voie de conséquence si j’ai raison (§1). Je reviendrai ensuite sur la question des pairies de fauche ou pâturées dont l’existence est  dépendante de celle de l’élevage qui un point central de mon texte. Il me sera facile de montrer que les prétendues solutions que mon contradicteur avance pour les maintenir en l’absence d’élevage sont pour le moins irréalistes voire farfelues (§2). J’aborderai alors la question connexe de l’effet de serre (§3) et je reviendrai sur la question de la ressource en eau, ce qui me permettra de montrer comment la propagande végane manipule l’opinion sur cette question (§4). Le peu d’intérêt que manifeste ce végan de choc pour le plan français visant à les réduire les importations de soja est significative du rôle que joue pour les végans les considérations environnementales (§5). Significative aussi la façon dont il rend compte d’article dont les conclusions dérangent ses a priori végans (§6). Enfin je m’attacherai à discuter quelques points qui pour être de détail n’en sont pas moins révélateurs du véganisme.
Pour ne pas lasser le lecteur, je laisserai de côté ses tentatives de justification des outrances de PETA et errances d’autres sites ou pratiques végans que j’épingle dans les annexes. Le lecteur jugera par lui-même.
 
N. B. : J’emploie volontairement le terme ‘végan’ et non ‘végane’ qui heurte l’intuition linguistique commune lorsqu’il s’agit du masculin; ‘végane’ étant selon moi le féminin de ‘végan’. D’ailleurs en dehors de ceux qui se réclament du véganisme, c’est l’usage repris ici qui est le plus souvent utilisé.

Émile Bévillon (ci-après B.) et moi sommes d’accord pour condamner l’élevage industriel et ses méfaits. Mais nous en tirons des conséquences opposées. C’est pourquoi B. voit des contradictions dans mon propos alors qu’il y a en fait, contradiction entre sa volonté d’abolir l’élevage et ma position qui met en avant la défense de l’agriculture paysanne dont l’élevage est partie intégrante.

1 – Le point le plus fondamental que soulève cette controverse entre B. et moi et celui de savoir comment se situe l’agriculture industrielle par rapport à l’agriculture traditionnelle, paysanne et accessoirement si la promotion de celle-ci est une utopie.
 
1.1 – B. soutient que l’élevage industriel est l’aboutissement l’élevage traditionnel et lui est consubstantiel : « Si il est normal d'exploiter les animaux, alors on voit assez mal quelle limite arbitraire il y a à cette exploitation. En d'autres termes, l'élevage industriel est consubstantiel à l'élevage traditionnel » et « l'élevage industriel est consubstantiel à l'élevage traditionnel pour la simple et bonne raison que lorsque l'on entérine le fait que l'exploitation animale est quelque chose d'acceptable, on entérine une domination de l'homme sur l'animal qui n'a aucune limite. » En cela il ne fait que justifier la position végane qui est de mettre toutes les formes d’élevage dans le même sac. La thèse que je soutiens, avec d’autres, est que l’élevage industriel est un dévoiement des élevages traditionnels. L’exploitation (au bon sens du terme : tirer profit en vue de produire) du bétail à digérer de la cellulose et son élevage en vue d’obtenir des protéines facilement assimilables n’implique pas une domination sans limite mais peut se concilier, dans le cadre d’une agriculture paysanne, avec le respect des critères du bien-être animal et donc s’imposer des limites, ce qui se fait d’ailleurs naturellement dans un tel cadre.

Par contre l’élevage industriel rendu possible par le développement des sciences et des techniques associées à une rationalisation productiviste a pour conséquence une vision purement instrumentale de l’animal réduit à une machine à produire. Dans le contexte d’une économie mondialisée libérale et concurrentielle, cela signifie la recherche de la rentabilité maximale. Il est évident que dans un tel contexte, le modèle d’élevage industriel tend à se généraliser. Il y a d’autres raisons à cela comme l’occidentalisation du monde avec ses tares dont ses régimes alimentaires trop carnés…

1.2 – Si le compte y est pour les firmes de l’agro-alimentaire et de la grande distribution, il n’y est pas pour bon nombre d’éleveurs condamnés à s’endetter lourdement pour s’agrandir, s’industrialiser et tenter ainsi de survivre, ou bien contraint de jeter l’éponge, vendre à perte et changer de métier tandis que la concentration et le gigantisme des exploitations agricoles s’accentuent permettant ainsi une industrialisation de plus en plus poussée allant de pair avec une chosification de plus en plus poussée elle aussi du bétail. Cependant, de là à soutenir que les modes d’élevage traditionnels sont des survivances, il y a une marge que B. franchit allégrement. Il ignore vraisemblablement ou alors il ne tient pas compte du fait que : «Actuellement 75% de l’alimentation dans le monde est produite par des petits paysans. » (Silvia-Perez Vitoria, l’écologiste n° 49, Vol 18, Mai-Juillet 2017, p. 46).

La généralisation de l’élevage industriel n’est pas non plus une « fatalité » ainsi qu’il le soutient. Comme l’écrit Silvia-Perez Vitoria : « C’est le soutien aux agricultures paysannes qui est prioritaire. C’est là le vrai modèle alternatif qui assurera la préservation des milieux naturels, une nourriture saine et suffisante pour tous, plus de travail et de bonnes conditions de vie pour les travailleurs de la terre. De ce point de vue l’émergence de mouvements paysans à l’échelle mondiale constitue une chance. En s’engageant avec eux dans les luttes qu’ils mènent on pourra véritablement agir au cœur et pas seulement à la périphérie d’un système hautement mortifère. » (Ibid.) 

B. ne voit que le côté consommateur. Comme tous les végans, il est obsédé par les questions de régime alimentaire, d’utilisation des produits d’origine animale. Il ignore le paysan éleveur, producteur. Il néglige les luttes contre le modèle industriel et les mouvements internationaux de paysans comme Via Campesina qui défendent une agriculture paysanne avec en France comme adhérents la Confédération Paysanne et le MODEF (Mouvement de Défense des Exploitants Familiaux). B. cite « la ferme des mille vaches » sans parler de la lutte contre cette structure qui fédère au-delà des organisations agricoles.
Le modèle industriel d’élevage que B. voit s’imposer comme une fatalité n’est pas viable sur le long terme, trop gourmand en énergie avec trop polluant. Je crois qu’il le pense aussi mais souhaite le voir purement et simplement disparaitre, ce qui est bien plus utopique que la défense d’un élevage traditionnel qui n’a rien d’une utopie.

Si l’élevage industriel était l’aboutissement de l’élevage paysan et lui était consubstantiel alors globalement, l’élevage serait condamnable d’un point de vue écologique, indépendamment des questions que soulèvent les végans. Mais ce n’est pas vrai. Outre des pratiques et des techniques différentes qui peuvent progresser en mêlant savoir-faire et évolution des connaissances, la meilleure preuve en est que cette agriculture s’oppose concrètement à l’agriculture industrielle et est en lutte contre elle. L’agriculture industrielle ne lui est ni consubstantielle, ni n’en est l’aboutissement ou l’horizon. Le développement de mouvements internationaux et l’écho des luttes paysannes montrent aussi que la défense de l’élevage traditionnel n’est pas sans espoir. Il n’est donc pas nécessaire d’être végan, d’adopter un mode de vie végan pour combattre le fléau de l’élevage industriel dans le cadre d’une agriculture industrielle productiviste. En fait les premières victimes d’un développement éventuel du mode de vie végan seraient les petites exploitations familiales porteuses de l’espoir d’une nature préservée et d’une nourriture saine pour tous.

A plusieurs reprises B. condamne cette défense de l’agriculture et de l’élevage paysan d’idéalisme irréaliste. Mais si comme dit le proverbe, il est aisé de voir la paille dans l’œil du voisin sans voir la poutre qui est dans le sien, l’espoir de voir disparaître l’élevage n’est guère réaliste, du moins à court et moyen terme.

2.1 – B. veut aussi voir des contradictions dans mon texte là où il n’y en a pas. Par exemple, il ne tient pas compte de la distinction que je fais et que je souligne entre les prairies situées en dessous de la limite altitudinale des arbres et celles situées au-dessus. Rappelons qu’à partir d’une certaine altitude variable selon les versants, la latitude et d’autres paramètres climatiques, les arbres ne peuvent plus se maintenir et laissent place à la pelouse alpine. Cette pelouse se maintient naturellement sans intervention des hommes qu’elle soit pâturée ou non. C’est elle qui est exploitée et trop souvent surexploitée par les troupeaux d’ovins d’estive. C’est ce pâturage là que je condamne. Il tourne souvent au surpâturage et dans l’absolu, cette végétation n’est pas faite pour la dent et le piétinement des moutons.

Lorsque je m’insurge contre la fermeture généralisée des milieux qu’entrainerait la disparition de l’élevage, c’est des prairies situées sous la limite des arbres qu’il s’agit et qui disparaitraient sans la pratique ancestrale de l’élevage. Donc oui, la transhumance a été et peut être un fléau lorsque les prairies alpines au-dessus de la limite des arbres sont en cause et oui le pâturage est nécessaire si l’on veut garder des prairies facteur de biodiversité et piège à CO2 en dessous de la limite des arbres. Ces prairies doivent être entretenues et c’est aussi le travail de l’éleveur. Je n’ai d’ailleurs jamais dit contrairement à ce que B. affirme qu’il suffisait d’y conduire les troupeaux pour que ces prairies se maintiennent. Il faut évidemment prendre en compte les « refus » des moutons et bovins et soit ajouter des animaux moins difficiles, soit faucher mécaniquement ces refus. Cela n’est vraiment pas une découverte ! J’ai dit que l’élevage était nécessaire pour les maintenir et l’élevage, ce sont les troupeaux ET les éleveurs !

2.2 – B. reconnait que les prairies sont des milieux riches d’une biodiversité spécifique et que la fermeture de ces milieux la ferait disparaître. Mais il nie que l’abandon de l’élevage entrainerait cette disparition. Et pour cela il nous plonge en pleine fiction : « Sur la base d'une volonté politique, il est donc possible de reconstituer de larges troupeaux d'animaux sauvages sur les terres libérées de l'élevage. Une telle opération préserverait donc la biodiversité végétale des prairies et des pâturages tout en assurant une biodiversité animale maximale. Par ailleurs, un organisme dédié à la gestion des milieux ouverts pourrait être créé au même titre qu'il existe un organisme dédié à la gestion des forêts, d’ailleurs de telles missions sont déjà attribués à certains organismes » Le cas sur lequel s’appuie cette généralisation osée est celui de vaches retournées à l’état sauvage dans les Pyrénées, la vache betizu. Il est difficile d’évaluer exactement leur effectif mais il ne doit pas dépasser les 300 têtes. Et malgré ce faible effectif, il y a des problèmes de coexistence avec les humains. D’ailleurs même un site végan néowelfariste L214 le reconnait : « Bien sûr, des vaches traversant une route ou une autoroute présentent un réel danger - pour les automobilistes et pour elles-mêmes – et il ne doit pas être bien rassurant de se trouver face à une vache sauvage dans son jardin. » L214 cherchant des alternatives à la régulation de la population de ces vaches par le fusil propose « la stérilisation des animaux serait probablement un moyen efficace d’éviter l’accroissement indésirable des troupeaux », solution sans doute difficile à mettre en œuvre mais en tout cas en contradiction avec l’objectif de «reconstituer de larges troupeaux d'animaux sauvages sur les terres libérées de l'élevage ». Sans même parler de tous les autres difficultés que poseraient cette hypothèse hardie, il est illusoire de croire que ces grands troupeaux de bovins, ovins ou porcins resteraient sagement cantonnés dans sur les terres « libérées » par l’élevage.

D’ailleurs ces terres libérées ne seraient pas pour autant sans propriétaires auxquels il faudrait les louer ou les acheter. B. imagine un organisme qui serait chargé de gérer ces terres et le compare à l’ONF : «Il existe l'ONF qui gère les forêts françaises, on peut très bien imaginer un organisme qui s'occuperait de la gestion des pâturages et des prairies dans l'objectif de maintenir la biodiversité ». L’ONF gère les forêts domaniales et par contrat les forêts appartenant aux communes ou à d’autres collectivités mais pas les forêts privées. Il s’agit d’exploiter une ressource, le bois. Dans le cas imaginé par B. il n’y aurait aucune ressource à exploiter. D’ailleurs en ce qui concerne les pelouses et prairies, les conservatoires d’espaces naturels, les associations telles que Loire Nature passent des contrats de gestion avec des éleveurs.

Je vais citer ici le commentaire d’un des lecteurs de mon article initial qui travaille dans le secteur de la conservation et qui sait de quoi il parle, lui. Le style est un peu rugueux car il interpelle  un végan qui a développé une hypothèse semblable à celle de B. en réponse à mon article : « Les prairies (en grande majorité permanentes) représente par exemple 36% de la surface agricole utile de l'EU (à 27 pays), Soit un total de 61,8 millions d'hectares, soit grosso modo la superficie de la France! Crois-tu vraiment que l'on peut sauvegarder les prairies sans l'élevage, par l'action de l'homme? Et même préserver qu'une fraction de ces prairies est mission impossible sans l'élevage... Va demander aux gestionnaires de Parc ou de réserves naturelles en France, ces gens-là travaillent au quotidien sur la problématique de la conservation des prairies et autres milieux ouverts. Ils te diront que l'entretien des prairies manuellement existe mais coute tellement cher, qu'ils ne l'utilisent quasi jamais sauf sur de très petites zones extrêmement sensibles et ce dans le but de préserver des espèces très rares qui ont une niche écologique très restreinte (Par exemple l'Azuré des mouillères). Mais sur des milieux moins sensibles, plus étendus et présentant des espèces moins rares ou ayant une répartition spatiale importante, la seule solution est la pression sur le milieu par l'action du pâturage. Tiens tu peux contacter le Conservatoire d'Espace Naturel de l'Allier, je sais qu'en ce moment ils sont en plein dans la problématique. Ça te permettra de te faire un avis plus construit sur la question de la biodiversité et sa gestion. » Il n’y a rien à rajouter et je pense que cela clôt la discussion sur ce sujet.
 
3 – En conclusion d’une analyse assez touffue sur la question des gaz à effet de serre, B. conclut : « Ainsi, si il est plausible qu'un tel modèle hypothétique d’agriculture traditionnelle puisse égaliser en termes de GES un scénario d'agriculture végane, un tel modèle agricole a à peu près zéro chance de voir le jour. »
Contrairement à ce qu’affirme B., le modèle d’agriculture (et pas seulement d’élevage) paysanne n’a pas zéro chance de voir le jour puisqu’il existe déjà et non seulement il existe mais il peut résister et concurrencer le modèle industriel qui de toute façon atteindra rapidement ses limites, si ce n’est déjà fait. Par contre, c’est « le scénario d’agriculture végane », essentiellement une agriculture sans élevage qui a peu de chances d’advenir au moins à court et moyen terme.

« Seule une remise en cause de l'exploitation animale en tant que telle » parviendrait selon B. à faire échec à l’élevage industriel. Certes, cette remise en cause comprise comme suppression interdirait tout élevage quel qu’il soit. Sans même s’interroger sur la réduction illégitime de la domestication à une exploitation du type esclavage, si ce que dit l’auteur est vrai, ce n’est pas demain que l’élevage industriel disparaitra car rien n’indique que cette remise en cause soit en vue malgré la propagande végane qui ne s’embarrasse pas trop de scrupules à l’instar d’ailleurs de celle assénée par les lobbies de l’élevage industriel.

Bref, B. a capitulé devant l’élevage industriel qu’il considère comme une fatalité. Je ne pense pas d’ailleurs que ce soit le cas d’associations néowelfaristes comme L214. Lorsqu’il reproche à mon texte de s’intéresser en priorité à ce qui se passe en France et en Europe, c’est qu’il n’envisage pas de combat contre l’agro-industrie, ici et maintenant. Faut-il ressortir cette fameuse règle « penser globalement, agir localement » A l’échelon mondial, B. ferait bien de mieux se renseigner : comme je l’ai rapporté plus haut 75% de l’alimentation du monde est produite par de petits paysans et pour agir localement, il faut connaître la situation locale.

4 – Concernant la question de l’eau et de l’élevage, B. commence sa « réfutation » en se méprenant totalement sur l’objectif de ma critique. Elle ne porte pas sur la notion d’eau virtuelle, ni sur sa présentation et utilisation par la FAO. J’explicite et explique cette notion pour dénoncer la propagande végane qui met en avant les fameux 15 000 litres d’eau pour un kg de viande de bœuf sans préciser qu’il s’agit d’eau virtuelle, grandeur calculée et non mesurée de « l’empreinte en eau » et non de l’eau au sens ordinaire du terme.
Pour rappel l’eau virtuelle est  la somme de trois sortes d’eau : l’eau bleue, l’eau grise et l’eau verte. L’ « eau bleue », c’est l’eau circulant sous forme liquide et prélevée dans les rivières, les eaux dormantes ou dans les nappes phréatiques pour les besoins des activités humaines ; en gros ce que l’on entend d’ordinaire par eau.  L’eau grise, c’est la quantité théorique d’eau qu’il faudrait rajouter à une eau polluée pour qu’elle devienne conforme aux normes environnementales. L’eau verte, c’est l’eau de pluie stockée dans le sol sous forme d’humidité et qui s’évapore des plantes et du sol. Bien entendu, le lecteur non averti comprend 15 000 litres d’eau au sens ordinaire, alors que celle-ci est une composante de l’eau virtuelle qui est très faible dans les modes d’élevage où les bêtes ne font que pâturer toute l’année.

Toute la propagande autour de ces 15 000 litres et d’une viande bovine gourmande en eau ne peut fonctionner qu’en cachant au public une partie de l’information. La figure 7 du texte de B. reprend une infographie due à l’association de propagande végane L214 mais elle est légendée par B. : « Figure 7: Eaux virtuelles nécessaire pour produire 1 kg des aliments présentés » tandis que l’infographie sur le site de L214 indique seulement « Besoin en eau des aliments produits »… Les conclusions qu’il faut tirer des quantités utilisées d’eau virtuelle et l’interprétation qu’il faut en donner ne sont pas celle qu’exploitent les végans : « It  is  relevant  to  consider  from  which  type  of  production  system  an  animal  product  is  obtained:  from  a  grazing, mixed  or  industrial  system.  Animal  products  from  industrial  production  systems  generally  have  a  smaller  total  water  footprint  per  unit  of  product  than  products  from  grazing  systems,  with  an  exception  for  dairy  products  (where there is little difference). However, products from industrial systems always have a larger blue and grey water  footprint  per  ton  of  product  when  compared  to  grazing  systems,  this  time  with  an  exception  for  chicken  products. It is the lower green water footprint in industrial systems that explain the smaller total footprint. Given the fact that freshwater problems generally relate to blue water scarcity and water pollution and to a lesser extent to  competition  over  green  water,  this  means  that  grazing  systems  are  preferable  over  industrial  production  systems  from  a  water  resources  point  of  view. » (M. M. Mekonnen and A.Y. Hoekstra, The water footprint of farm animals and animal products, 2010, p.6). En d’autres termes, du point de vue de la ressource en eau, le pâturage et préférable à l’élevage industriel car demandant moins d’eau bleue et d’eau grise, deux sortes d’eau qui peuvent poser problème la première en termes de pénurie et de rareté, la seconde en terme de pollution. C’est ce que montre la comparaison entre les eaux virtuelles des deux systèmes selon les auteurs dans ce texte labélisé FAO et pas du tout que le système industriel serait plus économe en eau (potable).

S’efforçant de justifier cette utilisation manipulatrice des quantités d’eau que l’on oublie de dire virtuelles, B. écrit « Le site même de la FAO cite en première page sur sa thématique eau qu’il faut 15000 L d’eau pour produire 1 kg de viande, sans même préciser d’ailleurs qu’il s’agit de viande de bœuf et qu’il s’agit d’eau virtuelle [2]. Tout ceci, simplement pour montrer que les chiffres utilisés par les véganes ne sont pas farfelus, mais correspondent à des données scientifiques ou à des positions d’agences officielles » et il donne comme référence le lien : http://www.fao.org/water/fr/ Si l’on suit ce lien, on ne trouve rien de tout cela. Ce qui me laisse perplexe. Mauvaise référence ou…?

5 – Je voudrais revenir sur la question des importations de soja : on pourrait dire que nous préservons nos prairies, nos forêts et la biodiversité qui va avec en en sacrifiant une autre, celle de la forêt amazonienne défrichée pour laisser place à la culture du soja. Il se trouve que pour des raisons qui n’ont rien d’écologique et que j’explique dans mon texte, cette dépendance de l’agriculture aux importations de soja pose de nombreux problèmes et qu’un plan est en cours pour limiter ces importations. Il s’agit de relancer la culture de certaines légumineuses comme la luzerne ou le pois, de trouver les variétés les plus adaptées culturalement et économiquement et de profiter de leur capacité à fixer l’azote pour les utiliser en plantes d’assolement en rotation des cultures.

Si un tel plan était appliqué, il serait bénéfique en évitant l’épandage d’engrais et en favorisant la reconstitution des sols tout en permettant que notre élevage ne contribue pas à la déforestation amazonienne. B. rejette ces solutions d’un revers de plume pour conclure : « en devenant végane vous contribuez encore à préserver la forêt amazonienne. » Certes, mais de façon infinitésimale pour ne pas dire négligeable. Bien plus prometteur seront les actions qui poussent à l’application effective de ce plan et sa généralisation à l’UE. Le végan s’interdit tout dialogue constructif avec une profession dont il souhaite la disparition et finalement c’est moins le sort de la forêt amazonienne qui lui importe que la prétendue « libération animale ».

6 – B. aurait fait un bon jésuite. La façon dont il traite l’article de Christian et al. (2016) est stupéfiante. Le résultat principal de cet article est de montrer qu’un régime de type végétarien (avec lait et œufs) permettrait de nourrir sur le territoire US une population plus nombreuse qu’un régime végétalien (végan) ne comportant aucun produit d’origine animale. Une des raisons à cela est que toutes les surfaces occupées par des prairies ne peuvent être transformées en terres cultivables.

B. ignore ce point pourtant essentiel. Il ne voit dans cet article que la énième démonstration qu’il faut moins de SAU (surface agricole utile) pour un régime végan que pour un régime omnivore à quantités de calories égales. Qu’un régime végétarien puisse nourrir plus de monde pour un territoire donné qu’un régime végan, cela chiffonne sans doute mon contradicteur d’autant que pour le végan le végétarien est quelqu’un qui s’arrête sur le chemin de la vertu, qui est incohérent s’il prétend défendre les animaux, ou pire encore qui est égoïste s’il n’est mû que par des question de santé et de bien être concernant sa personne. Par contre, on notera que la critique que je fais du véganisme ne concerne pas les végétariens. Ces derniers ne condamnent pas l’élevage qui leur fournit œufs, lait, fromage qui constituent des éléments essentiels de leur régime.

7 – Quelques remarques supplémentaires.

● « Elle (La vache) est généralement usée, fatiguée et malade quand entre 5 et 10 ans elle est abattue, alors même qu’une vache peut vivre 25 ans » écrit B. à propos des vaches laitières. Un des arguments des végans consiste à essayer de donner mauvaise conscience aux gens en comparant l’âge d’abattage du bétail à son espérance de vie. Ils oublient de préciser qu’il s’agit d’une espérance de vie théorique. Le retour à la vie sauvage serait synonyme de vie brève et de mort soit sous la dent ou le bec d’un prédateur, soit par maladie parasitaire, soit par manque de nourriture sans parler des collisions avec les véhicules automobiles… Le retour à la vie sauvage, ce n’est pas celle surprotégée d’un refuge. Dans la nature, quelle que soit son espèce, il n’y a pas de vieillesse paisible parce que l’on ne devient pas vieux. Et le plus souvent, la mort n’est pas douce…

● « Certaines races d’animaux d’élevage ont toujours leurs équivalents sauvages: c’est par exemple le cas des sangliers ou des moutons sauvages. » affirme B. qui semble considérer cela comme positif et comme preuve que même si les « cochons » domestiques ou les moutons disparaissaient, cela ne signifierait pas la disparition de l’espèce.

Je m’en tiendrai au porc, laissant de côté le mouton domestique, être fragile s’il en est et qui, mis à part quelques individus particulièrement robustes ne ferait pas long feu « libéré » dans la nature. L’heure de sa libération sonnerait l’heure de son trépas et sa vie serait brève.

Pour le porc, la « libération animale » est une absurdité dangereuse précisément parce qu’il y a deux sous-espèces d’une même espèce, l’une domestique et l’autre sauvage qui peuvent se croiser entre elles.
Remarquons d’abord qu’il ne s’agit pas de races comme l’écrit B. mais de sous-espèces et elles ne sont pas équivalentes par leurs caractères phénotypiques, c’est-à-dire leurs caractères observables : un porc n’a pas du tout l’aspect d’un sanglier sauvage du moins il s’agit d’un individu de pure souche.  Elles diffèrent également par leurs caryotypes (nombre de chromosomes par cellules).

La « libération animale », pour peu que cette expression est un sens pour les porcs Sus scrofa domesticus, signifierait leur rendre leur liberté, une liberté dont bénéficient une bonne partie de l’année les porcs des élevages extensifs, en Corse par exemple où il est également pratiqué des lâchers de truies qui sont « libérées » dans un but de « repeuplement cynégétique ». L’hybridation étant possible entre le sanglier sauvage (Sus scorfa scorfa ou Sus scorfa méridionalis en Corse) et le porc (Sus scorfa domesticus), il y a risque de pollution génétique avec disparition de l’espèce sauvage alors que les hybrides sont plus sensibles aux maladies, aux parasites et ont de moins bonnes capacités sensorielles.

En fait donc, parce qu’il existe des espèces sauvages qui ne sont pas équivalentes mais interfécondes, la libération des porcs domestiques n’est pas sans risque pour la préservation de l’espèce sauvage, c’est le moins que l’on puisse dire. En Corse, comme le remarque Pascal Etienne (Le sanglier, Delachaux et Niestlé, 2003), on peut même se demander si le sanglier peut encore être appelé sanglier du fait des hybridations successives des populations qui peuplent l’île. En bref, la « libération » des porcs domestiques, donc leur lâcher dans la nature signifierait selon toute vraisemblance la disparition de cette espèce comme de celle du sanglier et un affaiblissement général des populations sauvages de Sus scorfa, un beau résultat !

En outre « Libérer » les porcs serait d’une inconscience totale. Les sangliers se reproduisent moins et moins vite que les porcs : les truies sont polyœstriennes tandis que les laies n’ont qu’un seul œstrus (période de chaleurs) par an. Les croisements avec les porcs domestiques augmentent leur capacité reproductive et leur vitesse de croissance. Les pratiques cynégétiques de nourrissage et les lâchers mentionnés ci-dessus sont une des causes, sinon la cause des dégâts que causent les populations de sangliers pure souche ou hybrides aux cultures. Libérons donc les cochons et devant l’explosion démographiques des porcs, sangliers et hybides adieu pois, maïs et blé malgré toutes les clôtures et affouragement de diversion. Adieu pois, maïs, blé  sauf si … mais quand on est végan, on ne tue pas d’animaux.  

● «L’exemple des chevaux de trait n’est pas du tout pertinent, rien qu’en France il existe encore neuf races de chevaux de trait » écrit B. pour tenter de réfuter le fait que si ce que les végans appellent l’exploitation animale disparaissait, les animaux domestiques disparaitraient, sauf peut-être les animaux de compagnie (des carnassiers pour la plupart qu’il faudrait rendre végétaliens – Pauvres bêtes..).

Il est évident que B. ne sait pas pourquoi ces neuf races ont survécu à la motorisation de l’agriculture, des transports et des engins de guerre. Tout simplement parce que s’est développée en France une demande de viande de cheval permettant l’essor de la boucherie chevaline. L’horreur absolue pour les végans et pourtant : « Ardennais, auxois, boulonnais, breton, cob normand, mulassier poitevin, percheron, trait comtois et trait du nord : ce patrimoine unique au monde doit notamment sa survie à l'hippophagie autrement dit la consommation de la viande. » (http://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/2013/02/11/viande-de-cheval-elle-fait-vivre-toute-une-filiere-en-franche-comte-198195.html)
Aujourd’hui la demande diminue pour diverses raisons et certaines de ces races sont mal en point. Ce qui permet d’espérer un renouveau, c’est l’attelage loisir ainsi des demandes bien particulières, débardage en forêt ou dans certains cas le cheval se montre irremplaçable, travail de la vigne où il y a une forte demande. Pourtant, sans doute acharnés à voir ces races disparaître au nom de la « libération animale » et du refus « d’exploiter » les animaux, les vins labélisés « végan » doivent provenir de vignes cultivées sans traction animale.
Anissa Putois Chargée de campagne pour PETA (Pour une Éthique dans le Traitement des Animaux) association bien connue pour ses outrances considère que les promenades en calèche font partie des « attractions cruelles pour les animaux », ce que n’a pas manqué de répercuter sur Twitter L 214 l’association végane néowelfariste.
 
Conclusion

Il est illusoire de croire que « un des leviers les plus puissants pour protéger la planète et la biodiversité consiste à s’opposer à l’exploitation animale et de conférer des droits aux animaux » C’est ce que montre les solutions bidon apportées par B. à la disparition des agrosystèmes de type prairie en Europe. Ailleurs ce serait se priver de la traction animale, d’intrants, de systèmes mixtes qui utilisent de façon très efficace les ressources naturelles, les animaux étant nourri avec les résidus des récoltes et le sol fertilisé avec le fumier de la ferme.

Ce n’est pas l’élevage comme tel qui est responsable des dégradations de la nature, mais les mauvaises pratiques en la matière. De ce point de vue, une agriculture  sans élevage et sans utilisation d’animaux mais sans bonne pratique peut être tout aussi catastrophique d’un point de vue écologique si elle recourt à l’utilisation massive de pesticides, engrais chimiques, désherbants, etc. La notion de mauvaise herbe fait écho à celle d’animal nuisible. Enfin la conversion en cultures de prairies qui ne s’y prêtent pas aura un bilan négatif.

Le principal facteur de perte de la biodiversité reste la perte ou la fragmentation des habitats qui isolent les espèces en de petites populations qui sont ainsi fragilisées tandis que leur isolement empêche les flux de gènes de circuler normalement. De cette fragmentation, l’élevage n’est pour rien ou presque. Les causes en sont l’urbanisation, les voies de transports et les cultures intensives sur des grandes surfaces, autant de facteurs qui résultent en dernière instance de la pression démographique. Le temps de doublement de la population est actuellement de 35 ans ! S’il continuait sur le même rythme, la population humaine serait dans 900 ans de 60 000 000 milliards de personnes, soit 100 habitants par mètre carrés. La population mondiale n’atteindra jamais ce chiffre mais il témoigne de l’intensité de cette pression. Ce n’est pas en s’opposant à l’exploitation animale et en conférant des droits aux animaux que l’on fera diminuer cette pression.
 

Mercredi 16 Août 2017
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