La question du rôle joué par la pollution aux particules fines dans la propagation du virus Covid 19 est controversée. Mais le débat prend parfois d'étranges formes. Un exemple en est donné par un article de Cathy Clerbaux paru sur le site "The conversation" rejetant comme non scientifique une étude émanant de la Société de médecine environnementale italienne et des universités de Bologne et Bari et signée par 12 chercheurs. On peut s'interroger sur les motifs de cet avis de non-recevoir. Il faut une certaine naïveté pour croire que celui-ci n'est que volonté de défendre une science authentique.


Une version adoucie et abrégée de cet article a d'abord été proposée comme commentaire sous l'article paru sur le site de The conversation intitulé "Pourquoi on ne peut pas affirmer que « la pollution transporte le coronavirus »"  de Cathy Clerbaux, directrice de recherche au CNRS, laboratoire LATMOS, Institut Pierre Simon Laplace, Sorbonne Université.  Jugée sans doute trop longue, elle a été censurée. J'ai alors proposé un commentaire beaucoup plus court qui en est un résumé. Il a été publié. J'ai cependant jugé utile de le développer et de l'enrichir. Cela a donné le présent article.

En annexe, afin que le lecteur se fasse une idée par lui-même s'il le désire, on trouvera la traduction en français de l'article des chercheurs italiens que j'ai réalisée ainsi qu'un lien vers l'original auquel on devra se reporter.

L'article de "The conversation" est accessible en suivant ce lien https://theconversation.com/pourquoi-on-ne-peut-pas-affirmer-que-la-pollution-transporte-le-coronavirus-137143#comment_2219167

Il y a deux parties très différentes dans ce texte : une partie didactique sur les particules fines et une critique étrange sur la « note » émanant d’institutions médicales et scientifiques italiennes et signée par des chercheurs renommés.
Contrairement à ce que déclare Mme Cathy Clerbaux ce texte apporte du nouveau et  ne se borne pas à résumer  «  une dizaine d’autres articles qui étudient les corrélations entre les niveaux de particules et occurrences de contaminations à différents virus, comme la rougeole, etc. » Certes, c’est effectivement ce que font les auteurs dans la première partie de leur travail  mais c’est dans le but de montrer que dans l’état des connaissances, il a été établi que les épidémies de la grippe aviaire, du RSV ou de la rougeole sont accélérées et aggravées en présence de pollution aux particules fines qui pourraient être des vecteurs de ces virus et que l’on peut donc raisonnablement suspecter qu’il en va de même pour le Covid-19.
Ensuite par une analyse fine des différences dans le développement  de l’épidémie dans le Nord, à Rome et dans le sud de l’Italie, lors d’épisodes de pollution aux particules fines qui ont sévi dans le Nord mais pas à Rome et dans le Sud, les auteurs de la « note » que Mme Cathy Clerbaux méprise comme non-scientifique réussissent à mettre en évidence le rôle de ces particules comme accélérateur et agent aggravant de l’épidémie.
C’est cette partie de l’article qui est originale. Après l’avoir étudiée, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur les assertions de Mme Cathy Clerbaux. A-t-elle lu cet article en entier ?
 

Pour que cette directrice de recherche du CNRS daigne se pencher et discuter du fond d’un article, il faut que celui-ci est été publié dans une revue de renom selon la procédure coutumière et soit construit selon un plan consacré, faute de quoi d’ailleurs il ne serait effectivement pas publié : standardisation, quand tu nous tiens !  L’article des italiens ne respecte pas la forme canonique de ces articles de revue scientifique, forme qu’elle détaille avec luxe de précisions. Elle ne mentionne portant pas une particularité du texte qui aurait dû attirer ses foudres : il est rédigé en italien et pas en anglais, idiome obligé en la matière comme l’était avant lui le latin ! Elle nous livre aussi avec un luxe de détail le processus de publication de ces revues à comité de lecture, le fameux contrôle par les pairs auquel le texte des chercheurs italiens n’a pas été soumis. Pas d’attente stressante du verdict de l’éditeur de la revue !  La messe est dite. Ce non-respect des procédures et de la forme condamnent cet article selon Mme Cathy Clerbaux, un article qui ne vaudrait même pas la peine que l’on s’y arrête.
Telle est sa critique procédurière et sans intérêt dont les motivations sont obscures. Comme elle travaille sur le même sujet que les chercheurs italiens, on peut penser que son propos qui tente de discréditer leur travail participe de cette lutte au couteau que se livre des groupes de chercheurs concurrents.  En tout cas, son article  ne permettra pas à un lecteur une meilleure appréhension de cette question controversée.
 
Sa critique se résume donc à reprocher à l’étude des chercheurs italiens de n’être pas publiée dans une revue scientifique reconnue. Et alors ? Une critique des faits et arguments qui y sont exposés, voilà qui aurait été plus intéressant que des considérations sur la validation entre pairs qui n’est pas non plus un critère exempt de toute critique et qui, en l’occurrence, n’est ni recherché, ni applicable à ce type de texte qui n’est pas pour autant dénué de toute valeur scientifique et qui doit composer avec l’urgence.  
L’auteure reconnait que le processus de publication d’un article dans une revue dont elle détaille les étapes est long : plusieurs mois. D’ici là, on peut espérer que la pandémie ne sera plus qu’un mauvais souvenir.
Elle oublie de mentionner que cette « note » est présentée comme un « position paper », c’est-à-dire un document rédigé pour appuyer et justifier les recommandations des institutions desquelles il émane, à savoir dans le cas présent la Société italienne de médecine environnementale, les Universités de Bologne et de Bari. Il est co-signé par 12 chercheurs appartenant à ces institutions. S’il n’est pas « validé » selon la procédure qui parait la seule valable aux yeux de l’auteure, il mérite néanmoins quelque créance puisque l’on peut supposer que les institutions en cause ne s’engagent pas à la légère. Ces recommandations qui concluent l’article valent pour l’épidémie actuelle dans l’immédiat et on comprend aisément qu’elle ne peut être « validée » selon les standards d’une revue scientifique. Mais de là à dire qu’elle est sans valeur et d’un intérêt minime, voire nul, il y a un gouffre que l’auteure franchi allègrement !
Sous couleur de proposer des critères de fiabilité des informations, il s’agit d’un dénigrement qui manque pour le moins de fair-play.
Loin de moi de suggérer que cet article des chercheurs italiens clôt le débat sur la question de savoir si les épisodes de pollution aux particules ont un effet direct ou s’il n’est qu’indirect du fait qu’ils vont rendre plus vulnérables les gens en aggravant des maladies existantes et en rendant moins efficace leur système immunitaire. L’effet de cette pollution aux particules fines pouvant bien entendu être les deux, direct et indirect. Il n’en reste pas moins qu’il est une contribution intéressante et instructive sur le sujet. Il montre que les particules fines sont un cofacteur puissant de la pandémie.
Cela dit il faut noter qu’une étude plus récente des mêmes auteurs met en évidence de l’ARN du COVID 19 sur des particules fines de la région de Bologne. Elle a été publiée en preprint, c’est-à-dire sans avoir été soumise à une revue par des pairs.  
Une autre « étude » menée par des chercheurs de l’université de Harvard va dans le sens de l’étude italienne. Selon cette étude pour toute hausse, modeste, de 1 µg/m3 d’air de la teneur en particules fines PM2,5, le risque de mortalité s’élève de 15%. (Voir l’article du Journal de l’environnement qui donne un lien vers cette étude, http://www.journaldelenvironnement.net/article/les-particules-fines-puissant-cofacteur-du-covid-19,105045) Il s’agit d’un « preprint » que l’auteur principal Xiao Wu, un biostatisticien de cette université, a rendu public sans qu’il soit validé par des pairs. A mettre au panier lui aussi ?
L’auteure insiste sur le fait que corrélation n’est pas cause mais à la lecture de l’article italien, on est vite persuadé que c’est aussi le cas de ses rédacteurs. La mise en évidence d’une corrélation si elle est une condition nécessaire d’une relation causale, elle n’en est pas une condition suffisante. Et  donner des raisons à l’appui de la thèse selon laquelle les particules fines seraient des vecteurs du Cov-19, est l’objectif poursuivi dans cet article.
 
C’est précisément ce qu’ils vont montrer dans la suite de leur article pour ce qui est de l’épidémie actuelle du Covid 19 en Italie.
Que la pollution aux particules fines jouent un rôle dans la façon dont l’épidémie se propage et s’aggrave, les auteurs de la « note » le montrent par la mise en évidence d’une accélération et aggravation de l’épidémie dans le Nord de l’Italie (Lombardie, …) corrélées avec les épisodes d’augmentation de ce type de pollution, alors que cela ne se produit pas dans le sud, ni à Rome qui ne les subissent pas et  bien que dans cette ville comme dans le sud de la péninsule, le virus et l’épidémie soient présents et les contaminations entre individus aussi.
 Ce qui permet de mettre en évidence un rôle vecteur des particules en question.
Cependant les auteurs restent prudents et estiment qu’il faut plus de recherches pour confirmer cela, notamment sur les facteurs d’inactivation du virus. Mais en attendant, ils incitent les autorités à prendre des mesures pour restreindre cette pollution dans le cadre de la lutte contre la pandémie en Italie. Et là était le but de la « note ». S’il avait fallu attendre les procédures de validation complaisamment décrites par Mme. Cathy Clerbaux …
 
D’un point de vue de philosophie des sciences, on ne peut  que constater que les auteurs de l’article que Mme Cathy Clerbaux méprise ont appliqué une démarche rigoureuse en utilisant de façon astucieuse une « logique de la découverte » à la Stuart Mill. Seule certes, elle ne peut avoir valeur de preuve. Il faudrait être assuré en effet, que les épisodes de pollution aux particules fines exceptés, le cas de Rome et celui des provinces du Nord de l’Italie sont semblables relativement au virus. C’est le fameux « toutes choses égales par ailleurs ». D’ailleurs les auteurs en semblent bien conscients d’où leur appel à des études sur les facteurs d’inactivation du virus qui pourraient expliquer les différences mises en évidence dans l’article : « Outre les concentrations de particules atmosphériques, en tant que vecteur du virus, les conditions environnementales de certaines zones territoriales peuvent également avoir influencé son taux d'inactivation. » (Traduction JFD).
Mon propos n’était pas de dire que cet article des chercheurs italiens prouve que les particules fines sont des vecteurs du virus, ce serait aller au-delà de ce que les auteurs eux-mêmes estiment avoir établi. Ils mettent en évidence une forte présomption, en tout cas une présomption suffisante pour justifier leur recommandation de prendre des mesures de réduction de cette pollution dans le cadre de la lutte contre l pandémie actuelle.
En conclusion, je dirai qu’outre l’aspect didactique de la première partie, l’intérêt de cet article de The Conversation est de montrer que la controverse nécessaire à l’avancement des sciences n’est pas toujours exempte de mauvaise foi mais pour cela il faut avoir lu l’article des chercheurs italiens !
 

Samedi 9 Mai 2020 Commentaires (0)
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