Or peu d’ouvrages sont conçus dans l’optique qui est celle d’un chercheur de champignon mycophage. En tout cas, pas les guides habituels d’identification même s’ils se veulent pratiques. Il en existe pourtant au moins un, malheureusement épuisé mais que l’on trouve encore d’occasion sur les sites de vente de livres en ligne, pour une somme modique (à partir de 3,23 € hors frais de port).
Il s’agit d’un ouvrage de la collection « agir et connaitre » coécrit par H. Demange, G. Germain, et M. Notin,
Je cueille des champignons sans danger paru aux éditions André Leson, (126 pages + une clé générale de détermination). Sur la centaine d’espèces comestibles, il en retient 16 que l’on peut cueillir sans se tromper en respectant les consignes et critères donnés. Il élimine par exemple toutes les espèces à lamelles libres blanchâtres à cause de confusions possibles avec des amanites mortelles ou simplement toxiques, à l’exception des lépiotes élevées et des lépiotes déguenillées dont l’aspect est si caractéristique qu’aucune confusion n’est possible.
[N. B. : la lépiote déguenillée réputée bon comestible à l’époque de parution de l’ouvrage est aujourd’hui considérée comme « comestible avec prudence ». En outre elle est difficile à distinguer d’autres espèces douteuses ou indigestes. Je pense qu’aujourd’hui, les auteurs la rejetteraient et insisteraient sur le caractère chiné du pied de la lépiote élevée et sa chair immuable, bien différent de celui de la déguenillées et permettant de la distinguer d’autres espèces plus rares ressemblantes.]
Voici un autre exemple concernant les « rosés » : sont rejetés tous ceux qui jaunissent au frottement par risque de confusion avec l’Agaric jaunissant (
A. xanthoderma et proches). Donc sont rejetés d’excellents Agarics à odeur anisée (
A. silvicola, A. abruptibulbus notamment) qui non seulement jaunissent mais peuvent aussi être confondus avec des amanites mortelles !
Cueillir des champignons sans danger exige aussi de renoncer à certains comestibles réputés ! C’est une des leçons et non des moindres à tirer de cet ouvrage. C’est la force et l’originalité de cet ouvrage de s’en tenir à quelques espèces pour pouvoir formuler des règles précises de leur cueillette. Inversement c’est le défaut de beaucoup d’autres qui passent en revue un plus grand nombre d’espèces sans pour autant à parvenir à une exhaustivité d’ailleurs impossible à atteindre.
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Dans l’avant-propos, les auteurs présentent le mode d’emplois du livre, énoncent et commentent les « dix commandements du cueilleur de champignons ». Dans les deux premiers chapitres ils vont donner des éléments concernant la vie des champignons et apprendre aux lecteurs à reconnaître quelques caractéristiques de leur morphologie qui seront les critères d’identification permettant de retenir ou rejeter un spécimen. Ces chapitres se terminent par des tests pour s’autocontrôler et vérifier si l’on a bien assimilé les caractéristiques en question qui seront utilisées par la suite. Il s’agira de n’accorder de confiance qu’à ces caractères et de suivre les instructions notamment de rejet. Comme ils le soulignent dans leur avant-propos, il s’agit de « l’effort préalable » qu’ils demandent au lecteur cueilleur potentiel. Cet effort préalable devra s’accompagner par la suite d’un effort d’attention sur le terrain.
Le Chapitre 3 est consacré à la reconnaissance des champignons dangereux qui pourraient être confondus avec les comestibles objets du chapitre 4. Leur description est illustrée en regard par une illustration pleine page et se conclut par un énoncé des critères principaux d’identification.
Le chapitre 4 est divisé en deux parties selon les types de végétations où poussent les champignons comestibles décrits : divers milieux ouverts pour le 4.1 et forêts pour Le 4.2. Comme pour le cas des dangereux, chaque espèce de comestibles est associée à une planche l’illustrant. Le plan est identique d’une fiche à l’autre : désignation botanique ; indication des noms vulgaires les plus courants ; description ; habitat ; intérêt gastronomique ; un résumé des caractères principaux d’identification ; les confusions accompagnées ou non selon les cas d’une planche et enfin les instructions de cueillettes.
Une courte bibliographie, un glossaire, un index des champignons cités et une clé générale d’identification clôturent l’ouvrage.
Les planches sont encadrées de rouge pour les toxiques, de vert pour les comestibles. Elles sont très parlantes et les descriptions claires, concises. En suivant le mode d’emploi de l’ouvrage et les instructions de cueillette qui sont données pour chaque espèce, il y a peu de chance de faire de graves méprises. Exemple en conclusion de la fiche sur le Tricholome de la Saint-Georges : « Je cueille, sans danger, des tricholomes de la Saint-Georges jusqu’à
la fin du mois de mai et je m’assure qu’ils ne présentent pas de
taches ou de
stries rouges et qu’ils sentent l’odeur de la farine fraîche » (p. 64, souligné par les auteurs). Ce qui est justifié dans le texte. Les deux confusions graves qui peuvent advenir avec cette espèce sont celles avec l’Inocybe de Patouillard qui a des taches et des stries rouges et ne sent pas la farine ou avec l’Entolome livide qui n’apparaît qu’en Juin.
Avec ce livre, un débutant mycophage aura appris a bien connaître et cueillir une quinzaine d’espèces dont la fructification va du printemps aux premières gelées et même au-delà avec les pieds bleus. Il pourra parcourir les bois et les près et poursuivre ses quêtes en toute saison, ce qui est déjà en soi un plaisir dont on ne se lasse pas. Il ne sera pas devenu un mycologue mais ce n’est pas le but. Pourtant, pour ceux dont la curiosité s’est éveillée devant tous ces champignons qu’ils ne mettront jamais dans la casserole, c’est aussi un bon début pour ajouter au plaisir de la cuisine, celui de la connaissance et associer mycologie à mycophagie.
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Cet ouvrage mériterait cependant d’être actualisé en fonction de l’évolution de la connaissance des espèces et de leur toxicité. J’ai indiqué le cas des lépiotes avec le changement de statut de la lépiote déguenillée de comestible excellent à douteux avec des confusions possibles avec des espèces apparentées et autrefois peu ou pas distinguées. Cette lépiote a changé de nom scientifique : elle se nomme maintenant
Chlorophyllum rhacodes, de même que la coulemelle qui appartient maintenant au genre
Macrolepiota. Elle se nomme donc
Macrolepiota procera et non plus
Lepiota procera. Comme pour les plantes où elle sévit aussi, la valse des noms botaniques n’a pas épargné les champignons et les listes des binômes latins synonymes s’allongent. Il faudrait donc revoir la désignation scientifique des espèces sur les fiches. Mais ceci est d’une importance tout à fait secondaire. Ce n’est pas un traité de mycologie.
Par contre la découverte d’une toxicité méconnue pour des espèces réputées comestibles est de première importance. C’est le cas de Gyromitre (
Gyromitra esculanta !) considéré aujourd’hui comme
toxique et mortel sous certaines conditions, interdit à la vente et devant être rejeté. L’intoxication dont la gravité semble dépendre du procédé de cuisson est mortelle dans environ 10% des cas si le foie est gravement atteint. La gyromitrine, la substance chimique responsable de ces intoxications a été démontrée cancérigène. C’est pourquoi la fiche sur les morilles devrait être réécrite, les auteurs considérant que la confusion éventuelle avec les Gyromitres est sans conséquence, ce dernier étant un excellent comestible sans danger à condition de bien le cuire et de jeter l’eau de cuisson !
Il se peut que cela permette d’éliminer la plus grande partie des substances toxiques mais lorsque cette espèce est confondue avec des morilles, comme toutes les préparations culinaires ne prévoient pas de jeter l’eau de cuisson, c’est la voie royale vers une intoxication sinon mortelle, à tout le moins grave.
Toujours dans cette fiche, les auteurs estiment que les confusions possibles entre morilles et
helvella montana sont sans conséquence car « comme toutes les
helvellas, elle est comestible » (p. 60). Ce qui est faux. Cette helvelle est tenue pour toxique et on sait depuis longtemps que les helvelles crues sont toxiques ou sans intérêt culinaire. C’est le cas notamment de l’Helvelle crépue qui pourtant est considérée dans des livres de recettes de cuisine comme bon comestible, une fois bien cuite, car si « elle a moins de parfum que la morille, sa saveur est fine ». Or, on sait aujourd’hui que ces helvelles et toutes celles « du complexe
crispa-lacunosa contiennent des hémolysines se détruisant à la cuisson, mais vient s'ajouter à celles-ci la méthylhydrazine pouvant causer des intoxications et qui est carcinogène à long terme. » Certes, il n’y a pas de risque de confondre l’Helvelle crépue avec une morille puisque cette espèce ne pousse qu’en été ou en automne et les morilles au printemps. Il n’en reste pas moins que les affirmations des auteurs concernant ce genre sont fausses à la lumière des connaissances actuelles.
Pour en terminer avec cette fiche, les auteurs mentionnent la verpe comme confusion possible sans conséquence, cette espèce étant un bon comestible. L’espèce à laquelle ils se réfèrent est la verpe conique (
digitaliformis = conica ) mais il en existe une autre qui pousse à la même époque, la verpe de Bohème (
Ptychoverpa bohemica) qui a produit chez certaines personnes un syndrome du même type que celui résultant de l’intoxication par
Gyromitra esculenta, que laisse supposer que les mêmes molécules en sont la cause et notamment la gyromitrine.
Pour être complet et juste sur ce sujet, il faut ajouter que la Verpe de Bohême, tout comme le Gyromitre commun, les helvelles et notamment l’Helvelle crépue, le Tricholome équestre, font l’objet d’une controverse pour ce qui est de leur toxicité car ces champignons sont toujours consommés sur une grande échelle à travers le monde malgré les « accidents » qui en résultent ! Un conseil : faites comme moi, contentez-vous de les contempler !
En ce qui concerne les bolets, la généralisation à laquelle se livrent les auteurs est sujette à caution, ils affirment qu’à l’exception du Bolet satan qui l’est légèrement, aucun bolet n’est toxique bien que beaucoup soient immangeables. C’est inexact. Le Bolet châtain (
Gyroporus castaneus) peut être responsable d’intoxications sévères, même bien cuit. D’ailleurs, il aurait été bon de préciser que beaucoup de bolets sont toxiques crus et qu’il faut ôter la cuticule des chapeaux lorsque celle-ci est visqueuse comme dans le cas de la Nonnette voilée (
Sullius luteus), un champignon qui ne doit pas être consommé en trop grande quantité à cause des substances laxatives qu’il contient.
Malgré ces quelques réserves, cet ouvrage est à recommander. Il atteint en grande partie le but qu’il s’était assigné : permettre à un amateur de cueillir des champignons sans danger.