Résumé : Cette question peut paraître saugrenue. Elle n’est pourtant que la spécification à une catégorie d’animaux de celle posée par Yves Christen dans son livre qui a pour titre « L’animal est-il une personne ? » Je concède que lorsque l’on se pose une telle question, on pense plutôt aux vertébrés supérieurs qu’aux insectes et bien peu, voire pas du tout à ceux qui n’ont pas atteint leur forme définitive au terme de leur dernière métamorphose. Il est évident que le paradigme de l’animal n’est pas la chenille pour l’homme de la rue, ni pour la plupart des philosophes qui écrivent sur l’éthique animale et environnementale. La chenille serait plutôt un cas limite et l’entomologie, un continent noir. Mais en philosophie, les cas limites mettent les théories à l’épreuve. En outre, même si certaines chenilles sont élevées pour divers usages, elles ne sont ni domestiquées, ni apprivoisées, bien plus : ni domesticables, ni apprivoisables, juste utilisables. Comme beaucoup d’insectes d’ailleurs. Ce sont des animaux sauvages par excellence.
La question « l’animal est-il une personne ? » sous la forme particulière que nous envisagerons ici comme sous sa forme générique est mal posée. Il ne s’agit pas tant de savoir si X ou Y EST une personne que celle de savoir pourquoi il ne faudrait pas le TRAITER COMME TELLE, quelle que soit l’espèce à laquelle appartient X ou Y, voire même simplement quel que soit X ou Y. Ce n’est pas de savoir qu’il s’agit mais de conduite. En ce qui concerne les chenilles, il n’est ni nécessaire, ni utile de les considérer comme des personnes pour leur conférer une valeur intrinsèque, les respecter et les laisser vivre à leur guise. Ce qui vaut pour les chenilles vaut aussi pour tout animal sauvage, du moins dans la plupart des cas et le plus souvent. Par contre pour les animaux domestiqués ou apprivoisés, c’est une autre histoire. Telle est du moins la thèse qui sera argumentée dans cet article.


Les chenilles sont-elles des personnes ?
Yves Christen répond positivement à la question que pose le titre de son livre : les animaux sont des personnes, non pas des personnes humaines, des personnes animales mais des personnes tout de même. D’où il devrait suivre logiquement que les chenilles sont des personnes puisqu’elles sont des animaux et que les animaux le sont. N’allons pas si vite cependant. La question qui sert de titre à l’ouvrage cité présuppose la dichotomie humain/animal. Or cette façon de diviser les êtres vivants en deux genres « le genre humain d’abord, et, d’autre part, tout le reste des bêtes en un seul bloc » est une faute logique que Platon dénonça, il y a bien longtemps, dans Le politique.
« C’est la même, fait-il dire à l’Étranger, que, si, voulant diviser en deux le genre humain, on faisait le partage comme le font la plupart des gens par ici, lorsque, prenant d’abord à part le genre Hellène comme une unité distincte de tout le reste, ils mettent en bloc toutes les autres races, alors qu’elles sont une infinité qui ne se mêlent ni ne s’entendent entre elles, et, parce qu’ils les qualifient du nom unique de Barbares, s’imaginent que, à les appeler ainsi d’un seul nom, ils en ont fait un seul genre »(1) De même pour le genre humain, dit l’Étranger à Socrate le Jeune « J’ai bien vu que détachant une partie, tu t’imaginais que les autres, ainsi laissés de côté, ne formaient qu’un seul genre, du moment que tu avais un nom pour les dénommer tous, celui des bêtes » C’est non seulement faire une faute logique, mais aussi faire preuve de beaucoup trop d’orgueil, ce que l’Etranger va montrer avec tout l’humour caustique dont sait faire preuve Platon : « Or, cela, homme intrépide, c’est ce que ferait, peut-être, tout autre animal doué de raison, comme la grue, par exemple, ou quelque autre : elle aussi distribuerait les noms comme tu fais, isolerait d’abord le genre grues pour l’opposer à tous les autres animaux et se glorifier ainsi elle-même, et rejetterait le reste, hommes compris, en un même tas, pour lequel elle ne trouverait, probablement, d’autre nom que celui de bêtes.»(2) .

Chenille de Macroglossum stellatarum
Chenille de Macroglossum stellatarum
Dans cette dichotomie homme/animal se loge toute notre suffisance d’espèce qui se veut au-dessus de toutes les autres. Finalement c’est cette suffisance qui justifie cette dichotomie et qui la fonde. Notre syllogisme de départ est donc à remettre en cause, de même que la question « L’animal est-il une personne ? » surtout s’il s’agit de lui apporter une réponse positive.
Il ne peut pas y avoir une réponse positive à une telle question. Elle remettrait en cause les fondements de la dichotomie homme/animal et par là même la catégorie de l’animalité. Répondre positivement à cette question aurait pour conséquence de lui ôter toute signification, le terme «animal» ne prenant sens que dans l’opposition homme/animal. En termes techniques, on dira que dans l’opposition homme/animal, le terme non marqué est « animal », c’est-à-dire, en gros, que ce terme se caractérise « en creux » en quelque sorte, comme ce qui n’est pas humain. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que la majeure partie de l’ouvrage de Y. Christen cherche à établir que ce qui est considéré comme humain peut être attribué à l’animal, effaçant ainsi la distinction et ôtant tout sens assignable à la notion d’animalité, donc à sa question initiale.
Attention cependant à ne pas mal interpréter ce qui vient d’être dit. Si sous une telle forme générale, la question est mal posée, cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas considérer tel ou tel animal, c’est-à-dire un individu d’une autre espèce, comme une personne. Mais il faudra, à chaque fois, non seulement pour chaque espèce, mais peut-être aussi pour chaque cas, se poser à nouveau la question, du moins en théorie, car dans la vie courante, la réponse va souvent tellement de soi que la question ne se pose même pas.
Le bonobo captif devrait être une personne pour l’expérimentateur qui le teste. Se posera alors le problème de sa captivité. Le chien qui fut mon compagnon d’enfance était assurément une personne pour moi, comme pour mon frère et pour toute la famille. C’était même une forte personnalité. Mais ces deux personnes sont sans commune mesure entre elles et toute personne du genre humain. Que faut-il penser en ce qui concerne les chenilles et plus particulièrement encore de cette chenille qui mine une feuille de l’un des ormes de ce parc ?

Pour essayer de justifier l’absence de considération et de respect que les hommes ont à l’égard de telle ou telle espèce animale ou de tel animal particulier, il est tentant de monter qu’il ne possède pas telle ou telle faculté, celle de souffrir et plus généralement d’avoir des émotions, que ses capacités cognitives sont drastiquement limitées, qu’il est une chose vivante certes, mais sans individualité… Lorsqu’au contraire, on veut prendre le contre-pied de cette attitude méprisante qui poussée au bout de sa logique autorise toutes les cruautés, il est tout aussi tentant, bien que plus difficile, de procéder à l’inverse. Ces questions sont, ou semblent être, des questions de fait et dans notre civilisation actuelle, ce sont les sciences qui sont appelées à la rescousse pour trancher de telles questions. Ainsi ce serait à ces sciences de trancher en définitive, au moyen trop souvent de quelques expérimentations fort cruelles. Que les sciences, donc les experts, aient le dernier mot sur ces questions est bien dans l’air du temps. Pourtant, à la question de savoir si tel ou tel animal est ou n’est pas une personne, sciences et experts n’ont strictement rien à répondre. Du moins, c’est ce que nous allons nous efforcer de monter.
Le cas des chenilles est un cas limite, surtout lorsqu’il s’agit de minuscules bestioles de quelques millimètres. C’est ce qui fait son intérêt lorsque dans ce qui suit, nous emprunterons la route habituelle, nous interrogeant sur les aptitudes et capacités d’une chenille, entre autres, celle d’un micolépidoptère parasite de l’orme, Coleophora limosipennella Duponchel 1843, qui a été bien étudiée et qui a la particularité comme son nom l’indique de se construire un fourreau encore appelé case. Bien que les extrapolations d’une espèce à une autre soient hasardeuses et celles d’un genre à l’autre, fussent-ils proches, téméraires, nous y recourrons occasionnellement. Nous ne cherchons pas à établir de vérité scientifique et ce recours occasionnel sera justifié par un principe éthique de générosité.
Nous verrons qu’une connaissance positive des aptitudes et des capacités de la chenille de Coleophora limosipennella ou bien d’Ephestia küehniella Zeller, 1879 – assez surprenantes chez de tels animalcules – peuvent nous inciter à les respecter. Mais est-ce que pour autant nous devons les considérer comme des personnes ? Et comment concilier ce respect qui leur serait dû avec la nécessité dans laquelle nous nous trouvons parfois de les tuer parce qu’elles sont des « ravageurs »(3) ?

Ephestia küehniella
Ephestia küehniella
Une altérité totale

Devant les insectes, nous sommes devant une altérité totale, comme devant de véritables aliens, pas ceux des romans de science-fiction car ces derniers sont conçus par un auteur humain. Ils ont souvent des réactions, un comportement, des sentiments et une raison qui restent à bien des égards « trop humains », sauf lorsque le romancier les dote d’une conduite absolument indéchiffrable. Devant une chenille ou plus généralement un insecte, il est difficile de pratiquer l’empathie comme mode d’accès à ses cognitions, sensations et sentiments. De là à considérer que ces cognitions, sensations et sentiments n’existent pas, il n’y a qu’un pas, vite franchi. Il l’est même par beaucoup de ceux qui rejettent la théorie cartésienne et malebranchienne des «animaux machines».
Et cela d’autant plus que ni l’anatomie, ni la physiologie ne sont des obstacles à une telle conclusion. Chez l’homme et chez les vertébrés «supérieurs», c’est dans les centres encéphaliques et seulement là que toute sensation peut être perçue. Cela a été établi par l’observation de sujets ayant subi des traumatismes et par les pratiques de l’anesthésie. Le cerveau central est considéré comme le siège de l’esprit (mind) et donc la résidence privilégiée de l’âme (soul). Pour faire bref, sans cerveau, pas d’esprit (mind) et sans esprit, pas d’âme (soul). Les chenilles de toute espèce ont un système nerveux très différent avec deux ganglions cérébroïdes qui ne semblent pas avoir les mêmes fonctions que le cerveau central des vertébrés. Si les liaisons entre ce cerveau et le reste du corps sont interrompues, les conséquences seront catastrophiques pour l’organisme entier alors que des chenilles privées de leurs ganglions cérébroïdes, voire décapitées ne sont que peu affectées et se comportent assez normalement. « Jean Rostand a conservé en vie pendant trente-huit jours des morceaux de chenilles de Bombyx mori L., comprenant les huit anneaux postérieurs (c’est-à-dire, comme il le fait remarquer, plus longtemps que n’aurait vécu la chenille intacte) »(4) .

Les chenilles peuvent-elles avoir des émotions ?

Diderot affirmait à D’Alembert « Cet animal se meut, s’agite, crie (…) Il a toutes vos affections » C’est sans aucun doute vrai pour un chien et seul un cartésien pourrait en douter. Mais une chenille ? Mettre en évidence sa sensibilité lorsqu’on doute qu’elle en ait une est plus difficile. Elle s’agite, se tortille, mais il s’agit peut-être de purs réflexes. Déjà les comportements des vertébrés inférieurs n’ont pas de signification immédiatement transparente et avec eux l’empathie trouve rapidement ses limites. D’où le recours à des expériences fort cruelles. Une grenouille que l’on a décérébrée a perdu toute sensibilité. À demi immergée dans de l’eau dont on augmente progressivement la température, elle se laisse cuire vivante à petit feu, sans réagir. À côté d’elle une compagne d’infortune dont le cerveau est intact et que l’on a simplement rendue aveugle pour éviter des mouvements « inutiles » «s’agite, hausse la tête, sa respiration s’accélère. À mesure que la température s’élève, ces mouvements s’accentuent et l’animal manifeste une anxiété et des réactions croissantes.» A ce stade, on peut considérer que l’expérience est probante : le siège de la sensibilité des grenouilles est le cerveau ; il n’existe pas de sensibilité médullaire. Va-t-on libérer cette pauvre grenouille, lui rendre la vue et la liberté ? Il ne faut pas rêver. Les scientifiques sont impitoyables. « Enfin, vers 42 degrés, l’animal meurt en proie à des convulsions. » (Portier, 1949, p. 95) Il est important de souligner que le comportement de la grenouille au cerveau intact est différent d’un pur réflexe. Une autre grenouille décérébrée restée à l’extérieur du récipient et dont on plonge l’extrémité des pattes postérieures dans l’eau à 42° manifestera une violente contraction de ses muscles. « Cette fois, l’élévation de température ayant été brusque, elle devient efficace pour produire un réflexe. En somme, par ce procédé, [l’expérimentateur] arrive à différencier un réflexe d’une réaction due à la douleur. » (5)
L’expérience a été reproduite sur des chenilles d’Ephestia küehniella L. par Paul Portier(6) . Et là, on met en évidence une différence importante. La chenille privée de ses ganglions cérébroïdes réagit de la même façon que celle qui est intacte. Baignant à moitié dans une eau que l’expérimentateur chauffe très progressivement, l’une et l’autre s’agitent à partir de 25°C et cette agitation croît à mesure que la température augmente. À partir de 30° C et jusqu’aux alentours de 38°C, les chenilles manifestent des réactions violentes. Par des sauts, des contractions musculaires, de vains efforts, elles essaient de se soustraire au supplice. Elles ne crient pas car les chenilles sont muettes. Sinon il est probable que les deux chenilles suppliciées hurleraient….Ensuite leurs réactions déclinent et elles meurent lorsque la température atteint les 40°C. La preuve semble établie, les chenilles de cette espèce possèdent une sensibilité dont les ganglions cérébroïdes ne sont pas le centre exclusif, ni même le centre principal.
Les chenilles possèdent une double chaîne ganglionnaire ventrale qui est dotée de trois paires de ganglions thoraciques et de sept paires de ganglions abdominaux, les ganglions de chaque paire étant reliés par des « nerfs » transversaux. Des investigations plus poussées permettent d’établir que chaque ganglion de cette chaîne possède un ou plusieurs centres de sensibilité. C’est là que les sensations de la chenille seraient perçues. Une expérience dont nous ne pouvons rien connaître et que nous avons toutes les raisons de penser très différente, voire sans rapport, avec celles que nous pouvons avoir. Si les expérimentations précédentes démontrent que les chenilles peuvent avoir des sensations qui ne se résument pas à des simples réflexes, d’autres constatations montrent que cette sensibilité doit être très différente de ce que l’on pourrait attendre. Potier a observé deux chenilles de Cossus dont les parties postérieures avaient été blessées qui se dévoraient vivantes mutuellement, la tête de la première mangeant l’arrière de la seconde et réciproquement sans qu’aucune des deux ne songe à se défendre ou à se soustraire aux mandibules de l’autre. On relève aussi des cas d’autophagie, notamment de chenilles dévorant leur propre intestin : « Lorsque l’on veut « souffler » une chenille pour la conserver en collection, il faut commencer par la vider (…) si, par pression, on expulse l’intestin postérieur seul et que l’on abandonne un instant la chenille à elle-même, on constate qu’elle dévore son propre intestin. »(7) . Il reste qu’il s’agit là de conditions particulières. Il semble naturel de conclure de l’ensemble des données sur cette question que les chenilles de différentes espèces ont bien une sensibilité mais fort différente de celle des animaux «supérieurs». Les chenilles peuvent donc souffrir. Mais peuvent-elles éprouver quelque chose comme du plaisir ? Par exemple celui de dévorer leurs propres tripes lorsqu’elles sont sur le point de mourir ?
Il n’y a pas, à ma connaissance, de recherches sur la capacité des chenilles à éprouver quelque chose qui ressemblerait à du plaisir, qu’elles soient intactes ou privées de leurs ganglions cérébroïdes. Cette absence est en soi très révélatrice de l’attitude des entomologistes et physiologistes à l’égard de leurs objets d’étude. Pourtant si les chenilles peuvent éprouver quelque chose qui ressemble à de la douleur, ne peut-on supposer qu’elles éprouvent aussi quelque chose qui ressemblerait à du plaisir ? Des éthologues soutiennent en effet que l’exécution des différents actes instinctifs s’accompagne chacun d’une émotion particulière, propre à chacun de ces actes. La nutrition, qui permet la conservation de l’individu et la reproduction, qui assure la conservation de l’espèce se manifestent comme des besoins dont la satisfaction procure ou est associée à un plaisir. Nous ne mangeons pas uniquement pour vivre, sinon l’art culinaire n’existerait pas, pas plus que n’existerait parmi les sept péchés capitaux, la gourmandise. Se nourrir est l’une des activités principale des chenilles. On a même l’impression qu’elles s’y adonnent avec une certaine voracité. Les chenilles, ou du moins certaines espèces de chenilles peuvent-elles manifester une certaine gourmandise ?
De nombreuses espèces de chenilles sont monophages ou oligophages. On dit d’une chenille qu’elle est monophage lorsqu’elle ne se nourrit que de plantes appartenant à un même genre botanique, oligophage lorsqu’elle se nourrit de plantes appartenant à une même famille botanique. Polyphages sont les chenilles qui acceptent des plantes appartenant à des familles différentes, parfois éloignées dans la classification botanique. Cependant, nécessité faisant loi, il arrive que des chenilles mono ou oligophages doivent se nourrir d’autres plantes que celles auxquelles va leur préférence. C’est ainsi les chenilles de Inachis Io L. [le Paon du jour] vivent en colonie sur Urtica dioica L. [Grande ortie] et peuvent être considérées comme monophages. Une colonie de ces chenilles vivait en lisière de forêt sur une touffe de Grandes orties qui a été fauchée. N’ayant pas réussi à retrouver un nouveau bouquet d’Orties sur lequel elles auraient pu s’installer, elles s’étaient regroupées sur une touffe de Myrtilles. Mises en présence de feuilles d’Orties, elles se mirent à les manger immédiatement et refusèrent ensuite les feuilles de Myrtilles. On peut en conclure que les feuilles de Myrtilles étaient un ersatz des feuilles d’Orties ou, si l’on ne répugne pas à un vocabulaire mentaliste, que les chenilles d’Inachis Io préfèrent les feuilles d’Orties aux feuilles de Myrtilles. Elles n’aiment pas les feuilles de Myrtilles qu’elles mangèrent, faute de mieux. Elles aiment les feuilles d’Ortie. Que ce goût soit inné ne change rien à cette conclusion. Et de cela il suit logiquement que les chenilles d’Inachis Io éprouvent certaines sensations en mangeant les unes qu’elles n’éprouvent pas en mangeant les autres. En forçant très peu les données, on peut conclure que l’ingestion des unes leur procure un plaisir, une satisfaction que ne leur procure pas l’ingestion des autres.
Même les polyphages ont leurs préférences. Les chenilles des Pieris se nourrissent ordinairement de feuilles contenant des isothiocyanates présents par exemple dans les feuilles de Choux, de Capucines, de Résédas. Elles refusent les autres plantes. Un entomologiste allemand Verschaffelt a réussi à les leur faire accepter en les imprégnant d’essence de moutarde diluée. La préférence est certes innée. Mais elle n’en reste pas moins une préférence et les conclusions ici ne peuvent qu’être les mêmes que dans le cas des Paons du jour.
On pourra peut-être objecter que ces préférences innées sont là pour assurer la survie de la chenille en lui faisant choisir ce qui est bon pour son développement. Nous même, nous sommes sans doute phylogénétiquement conditionnés à préférer les aliments ayant un goût sucré. Ce qui n’empêche pas que nous éprouvions du plaisir lorsque nous mangeons du chocolat, que nous recrachions un fruit trop âpre, mais que nous nous régalions d’une poire bien mûre… « Chez beaucoup d’animaux omnivores, par exemple, il existe un mécanisme qui fait qu’ils préfèrent les nourritures contenant un minimum de fibre et un maximum de sucre, de lipides et d’amidon. Dans les conditions «normales» de la vie sauvage, ce mécanisme déclencheur adapté phylogénétiquement est manifestement utile à la survie, mais, chez l’homme civilisé, il se produit une recherche de biens dépassant la normale ; quand l’individu s’y laisse aller, cela devient une passion funeste pour sa santé (par exemple le pain blanc, le chocolat, etc., qui entraînent chez des millions de personnes la constipation et l’obésité )» (8) La prise de nourriture est une des activités principales des chenilles, voire l’activité principale. Lorsqu’elles peuvent s’y adonner en fonction de leurs préférences, il y a tout lieu de penser qu’elles en retirent un certain plaisir. Les ganglions cérébroïdes seraient les organes élaborateurs des sensations gustatives.
En résumé, les chenilles de nombreuses espèces peuvent à coup sûr souffrir et probablement aussi ressentir du plaisir, bref avoir des émotions dont nous ne pourrons jamais saisir la teneur car beaucoup trop différentes de notre propre expérience émotionnelle.(9)

Fourreau de Coleophora limosipennella
Fourreau de Coleophora limosipennella
Des capacités cognitives des chenilles

Des chenilles seraient pourvues de mémoire. C’est ce que mettent en évidence des expériences menées par un biologiste allemand, Herbert Brandt sur Ephestia küehniella L. [la pyrale de la farine] ; expériences rapportées par P. Portier(10) . Ce même auteur a montré aussi que les chenilles de cette espèce étaient capables d’une certaine forme d’apprentissage. Cependant, ces expérimentations se déroulent dans des conditions très artificielles. Plus intéressantes à mon sens sont celles de style éthologique comme celle-ci effectuée sur Dictyoploca japonica, une chenille qui tisse un cocon en forme de filet à larges mailles carrées dans des circonstances ordinaires. Si on l’oblige à construire celui-ci sur du verre, une situation que la chenille ne rencontre jamais dans la nature, elle modifie la partie qui est en contact avec le verre qui se compose alors de mailles très serrées. Même si la séquence du filage du cocon est fixe et peu ou pas modifiable(11) , il existe tout de même certaine latitude dans sa conception qui permet une adaptation pour laquelle la chenille doit faire preuve d’un certain discernement, voire de créativité. On trouve d’autres manifestations de créativité chez des chenilles d’autres espèces, par exemple chez Catopsilia crocale Cramé, une piéride volant à Bornéo et Java. La chenille de ce papillon est capable de sauter, capacité peu commune chez les chenilles et dont sont dépourvues, à ma connaissance, nos chenilles indigènes. La chenille de Catopsilia crocale se chrysalide au sol. On dépose les chenilles sur leur plante nourricière dont la tige plonge dans une bouteille qui est placée dans un bassin rempli d’eau. Une chenille prête à chrysalider descend le long de la tige. Elle rencontre l’eau et remonte. Après avoir effectué plusieurs allers et retours, elle se décide à sauter et y employant toutes ses forces, elle réussit un saut d’une vingtaine de centimètres, ce qui lui permet de rejoindre la terre ferme pour se préparer à sa grande transformation. Les moins agiles ne sautent pas assez loin, tombent dans l’eau et se noient.
P. Portier rapporte que la chenille de la Teigne furieuse d’Amérique ( ?) tisse son cocon sur les arbres « au voisinage de feuilles et de branches mortes » Si ces feuilles viennent à manquer, elle s’associe avec d’autres chenilles de la même espèce. Ensembles, elles tuent les feuilles en les mâchant à l’insertion du pétiole. Les feuilles desséchées et recroquevillées offrent alors un milieu propice à la construction des cocons. De même que les lionnes sont capables d’actions concertées dans une chasse collective, de même ces chenilles peuvent coopérer et faire preuve d’initiatives pour modifier leur milieu et le rendre plus favorable à leur dessein. Si d’autres cas de coopération pouvaient être bien documentés, il faudrait supposer que les chenilles d’une même espèce, comme les fourmis, les abeilles ou les termites ont des moyens pour communiquer entre elles.
Les prouesses étonnantes des chenilles qui construisent des fourreaux ont fait l’objet de nombreuses observations et expérimentations et sont bien documentées. C’est en particulier le cas de Coleophora limosipennella Duponchel, 1843 [Porte-fourreau de l’Orme]. Le papillon est un microlépidoptère blanc grisâtre, pourvu de longues antennes annelées, de 10 à 13 mm d’envergure. La petite chenille vit cachée dans un fourreau d’environ 6 mm de longueur, un peu incurvé, brun, présentant sur le côté supérieur des dents semblables à celle des feuilles d’Ormes dont elle se nourrit. Elle attache son fourreau à la surface inférieure de la feuille et procède un peu comme une mineuse. Elle découpe un orifice circulaire et sans sortir totalement de son fourreau, elle mange le parenchyme en épargnant l’épiderme au-dessus et au-dessous. Les feuilles attaquées portent des tâches brun-jaunâtres caractéristiques. Le fourreau s’avère être une construction complexe. La partie antérieure comporte un orifice circulaire permettant à la chenille de sortir la partie antérieure de son corps pour se nourrir. Le plan de ce cet orifice est incliné sur l’axe du fourreau tel que lorsqu’il est fixé à la feuille, il forme un angle aigu avec elle. L’autre extrémité est fermée par deux ou trois valves accolées qui s’ouvrent lorsque la chenille recule et presse sur elles, lui permettant d’expulser ses excréments qui sont projetés loin du fourreau. Lorsqu’elle se retire, les valves se ferment automatiquement et s’ajustent parfaitement. Il faut que les découpes soient d’une précision absolue pour que l’appareil fonctionne correctement. La chenille qui travaille sans patron coupe d’emblée les deux moitiés du fourreau avec une précision si parfaite qu’une fois assemblée, les lignes de soudures sont indécelables même à la loupe. Sa virtuosité dépasse de loin celle du meilleur tailleur humain que l’on puisse imaginer. Bien entendu cette virtuosité est phylogénétiquement héritée. Mais ce bagage inné n’empêche nullement la chenille de faire preuve de créativité dans ce travail de construction ou de réparation de son fourreau. Ainsi elle réussit à faire face à l’adversité lorsque l’entomologiste, Réaumur en la circonstance, profite du fait qu’elle est presque sortie entièrement de son fourreau en s’alimentant pour lui arracher brusquement.
Désarroi de la pauvre bête qui d’abord se réfugie dans la mine puis recule, passe la partie postérieure de son corps hors du trou à la recherche de son fourreau pour essayer de le réintégrer. En vain ! Le fourreau a disparu. Après plusieurs essais, elle rentre à nouveau dans la mine et se remet à manger. Il s’agit pour elle non seulement de se nourrir mais aussi de se tailler un nouveau fourreau dans l’épiderme de la feuille. Elle va découper des morceaux symétriques dans le toit et le plancher de la mine. Et avec la virtuosité dont elle fait preuve pour ces travaux de tailleurs, elle confectionne un habit semblable à celui que Réaumur lui avait subtilisé. Mais pour cela, elle doit résoudre un problème assez difficile. Comme elle est à l’intérieur de la feuille, si elle se bornait à découper l’épiderme en dessus et en dessous d’elle et les réunir pour en faire les parois de son fourreau, celui-ci détaché de la feuille tomberait et la chenille avec lui. Elle doit donc procéder autrement. Elle commence par découper une longueur identique de l’épiderme de la feuille au-dessus et au-dessous d’elle et elle les réunit par des fils de soie qu’elle sécrète. Elle laisse une petite longueur intacte et procède ensuite à une nouvelle découpe de l’épiderme au-dessus et au-dessous d’elle qu’elle réunit avec des fils de soie comme précédemment et ainsi de suite jusqu’à la dimension voulue. Le fourreau reste attaché à la feuille et ne tombe pas. A la fin, la chenille sectionne toutes les attaches, n’en laissant qu’une ou deux, ténues. Elle sort alors la tête et pattes par ce qui sera l’extrémité antérieure du fourreau. Avec ses pattes écailleuses, elle s’agrippe au bord du trou et opère une traction brusque qui libère le fourreau de ses dernières attaches. Elle le fixe alors à la plante par la partie antérieure et se retourne pour entreprendre les finitions dont celle qui consiste à garnir de soie l’intérieur du fourreau, ce qui lui assure solidité et confort. Lorsqu’elle confectionne ce fourreau dans des conditions normales, elle choisit toujours pour opérer une région voisine du bord ce qui lui permet d’obtenir facilement la courbure et la forme qu’elle désire. Dans le cas présent, elle a opéré au milieu de la feuille dans des conditions nouvelles et défavorables.
La chenille du Porte-case de l’Orme sait faire face à bien d’autres mauvais tours que lui inflige un chenapan d’entomologiste, mauvais tours qui sont autant de situations nouvelles pour elle et dans lesquelles elle doit faire preuve de discernement et de créativité dans la mise en œuvre de ses talents de tailleur. En voici un exemple rapporté par Paul Portier : « Qu’arrive-t-il si, d’un coup de ciseaux, on coupe la partie postérieure du fourreau pendant que la chenille mine une feuille ? A moins que le dégât ne soit trop grand, auquel cas, la chenille construit un nouveau fourreau, elle se met immédiatement à refaire une partie postérieure neuve composée de soie. Mais, ainsi constitué, le fourreau ne possède pas, à son extrémité postérieure, les deux valves si bien ajustées qui permettent le rejet des excréments avec fermeture automatique et étanche, dès que l’acte est accompli. On voit alors la petite chenille pratiquer avec ses mâchoires, une fente à la partie postérieure et supérieure du fourreau, puis renforcer les bords de cette fente au moyen de soie convenablement appliquée, et l’appareil, ainsi constitué, fonctionnera aussi bien que celui qu’on a enlevé » (1949, p.153) Comme le conclut l’auteur, ces observations et expériences montrent «à l’évidence» le pouvoir d’invention des chenilles de cette espèce. Elles résolvent des problèmes qui ne leur sont jamais posés dans la nature et font preuve de «véritables initiatives» Cette espèce de chenille excelle dans la confection de fourreaux, elle possède à cet effet une compétence inégalée qu’elle exerce de façon créative. D’autres espèces du même genre ou de genres proches ne possèdent pas une compétence aussi développée ou ne savent pas l’exercer de façon créative. C’est le cas de nombreuses espèces de chenilles se construisant des fourreaux à falbalas comme Coleophora serenella Zeller 1849, qui, selon Réaumur, est incapable de se construire un nouveau fourreau lorsque l’on a détruit le sien. Osons un parallèle avec l’homme, au risque d’encourir le courroux des humanistes. Le domaine dans lequel l’homme excelle et qui est caractéristique de son espèce, c’est le langage. Peu de psycholinguistes contestent aujourd’hui que cette virtuosité est due à une aptitude phylogénétiquement héritée. Certains auteurs n’hésitent pas à parler d’un instinct du langage, par exemple Steven Pinker(1994). De même que nous faisons tous preuve de créativité dans l’exercice de cette compétence, de même, toute proportion gardée, la chenille du Porte-fourreau de l’Orme fait preuve de créativité en exerçant ses talents de couturier. Ce qui est donné à notre espèce ne l’est pas à des espèces très proches. Il en va de même chez les Coleophora. Que ces compétences soient phylogénétiquement héritées n’empêchent pas que les actes qui les mettent en œuvre ne soient nullement phylogénétiquement préformés. Ce n’est pas le cas pour l’homme, il n’y a pas de raison a priori que cela soit le cas pour les autres espèces. Et les expériences faites sur Coleophora limosipennella montrent que ce n’est pas non plus le cas pour elle.
Il est également remarquable que les chenilles qui sont capable de confectionner un nouveau fourreau lorsque le leur a été détruit par l’expérimentateur le font à leur taille. Ce qui permet de supposer qu’elles ont une certaine représentation de leur corps, donc un embryon au moins de la conscience d’elles-mêmes. Comme l’affirme D. R. Griffin, « si les animaux sont doués d’une conscience perceptive, alors on ne peut leur dénier toute forme de conscience de soi qu’au prix d’une restriction arbitraire et injustifiée »(12)
En résumé, certaines chenilles ont une perception, sinon d’elles-mêmes, du moins de leur organisme. Elles se comportent en êtres capables de mettre en œuvre des moyens et de planifier des actions pour atteindre une fin et de le faire de façon inédite. Il s’en suit analytiquement qu’elles sont capables de raisonner et donc douées de raison. Bien entendu, celle-ci n’est ni humaine, ni discursive. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’UNE raison. Alors sont-elles des personnes ?

Imago d'Ephestia küehniella
Imago d'Ephestia küehniella
La question de l’individualité

Comme le faisait remarquer le philosophe Maurice Blondel, il n’y a pas de personne qui ne soit telle ou telle personne, différente de toutes les autres. Il ne peut être pertinent de parler de personne là où il n’y a pas une individualité, une individualité et pas simplement, ni peut-être nécessairement, un individu. Qu’en est-il en ce qui concerne les chenilles ? Comment en juger ? Les chenilles qui réparent leurs fourreaux ont des comportements dont les séquences semblent assez stéréotypées et s’enchaîner selon des patterns semblables. Mais il en va de même lorsque nous réalisons quelque ouvrage. Il n’y a pas une infinité de façons de s’y prendre pour tricoter un pull mais avec une technique identique ou quasi identique et des laines semblables, il est possible d’obtenir des résultats qui vont varier considérablement. Nos verbalisations suivent des règles fixes, mais aucune ne se ressemblent totalement. C’est à la singularité de l’ouvrage et non à la façon dont il est produit qu’il faut s’intéresser. C’est elle qui peut révéler l’individualité de son auteur. Y a-t-il donc une variabilité individuelle significative dans les réparations des fourreaux ? Je n’ai pas trouvé dans la littérature de données concernant cette variabilité individuelle chez Coleophora limosipennella, ni sur aucun des lépidoptères à fourreau. Par contre j’ai trouvé des données intéressantes sur cette variabilité à propos des larves de trichoptères (phryganes). Par exemple, Molanna angustata Curtis, 1834. Cette espèce de Porte-bois peut atteindre 17 mm de long et 2, 7mm de large. Elle élabore un fourreau en sable de forme tubulaire légèrement pointu d’environ 26 mm de longueur et 3mm de largeur pour les plus grands. Ils sont dotés d’un toit en forme de bouclier qui empêche le fourreau de sombrer au fond de l’eau ou d’être renversé par les vagues et les courants. On pense aussi qu’il sert de protection contre les prédateurs. C’est pour réparer cet abri des dommages causés par l’expérimentateur que les larves montrent une grande variabilité individuelle tant dans la manière de réparer que dans les résultats obtenus. Les larves de Phryganea obsoleta Hagen, 1864 sont capables de distinguer leur abri d’un autre de même taille et de s’y réfugier de préférence. Il semble donc bien individualisé, aux yeux de la larve tout du moins qui sait reconnaître son bien. Il est difficile d’extrapoler d’une espèce à une autre. D’un ordre à un autre, l’extrapolation restera très hypothétique. En application d’un principe philosophique, de philosophie pratique, concernant le règne animal que l’on pourrait appeler principe de générosité (par opposition au principe scientifique de parcimonie) qui stipulerait que tant que l’on n’a pas démontré qu’une espèce du règne animal est dépourvue d’une capacité ou une aptitude que l’on attribue à une autre espèce, elle est réputée la posséder, on peut supposer que les chenilles de Coelophora limosipennella individualisent, elles aussi, leur fourreau. Elles sauraient séparer «le tien du mien». Même si ces chenilles ne vivent pas en communauté où l’individualité et la non-substituabilité d’un individu par un autre reçoivent toute leur dimension, il n’est pas absurde de considérer que les chenilles possèdent une certaine individualité, si ce n’est à nos yeux, du moins aux yeux d’une autre chenille de la même espèce. Il serait peut-être un peu hasardeux néanmoins de considérer que chaque chenille a sa personnalité, c’est-à-dire un caractère, une manière d’être au monde qui lui serait propre. Il serait tout autant hasardeux et bien peu généreux de considérer le contraire.

Tout n’est pas réglé pour autant car surgit un nouveau problème : celui de l’identité personnelle. Certes, celle-ci n’est chez les hommes qu’une illusion aux yeux de certains psychologues ou psychanalystes : « Le moi est bric-à-brac d’identification » affirmait Lacan.
D’autres, surtout des philosophes, considèrent qu’elle est une sorte de quête sans fin, toujours lorsqu’il s’agit de l’homme et exclusivement de lui. Ces philosophes du «manque» et leurs disciples n’auront d’ailleurs sans doute pas eu la patience de lire cet article jusqu’à ce paragraphe. Pour eux il y a l’animal d’un côté et l’homme de l’autre, sans distinction d’espèces. L’homme (le genre ?) est un «trou dans l’être» alors que l’animal, lui, n’est qu’un «creux» pour reprendre les formules célèbres de Maurice Merleau-Ponty. Il est donc évident que celui-ci ne peut être une personne. Illusion, quête, ou donnée, l’identité personnelle suppose une même entité pour laquelle cette question se pose. Or pour les animaux qui muent et se métamorphosent comme les lépidoptères et beaucoup d’autres insectes, la question de l’identité tout court se pose. Car s’il s’agit de la même entité, s’agit-il bien du même organisme ? Et si personnalité il y a, il est difficile d’admettre qu’un être qui vole et butine puisse avoir la même qu’un être qui rampe et grignote. Il faudrait donc admettre que le problème se pose en termes neufs pour chaque avatar de l’insecte. Pourquoi pas ? Après tout il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’un être dont l’organisme se modifie radicalement au cours de sa vie, dont le comportement est différent, présente une personnalité différente à chaque stade.

Une personne ?

Résumons : les chenilles de Caleophora limosipennella sont aptes à ressentir des émotions, elles ont une mémoire, sont capables d’apprentissage. Elles ont une certaine conscience de leur corps sinon d’elles-mêmes. Elles peuvent se comporter rationnellement et faire preuve de créativité. On peut supposer que chacune a sa propre personnalité qui en fait un être singulier, faut-il alors répondre positivement à la question de départ et conclure que les chenilles sont des personnes ?
Les chenilles et tout spécialement celles de Caleophora limosipennella sont des êtres vivants, sensibles, singuliers, créatifs, rationnels certes, mais elles ne sont pas raisonnables, c’est-à-dire des sujets moraux. Pour les philosophes d’inspiration kantienne, les chenilles ne peuvent être des personnes. Si on peut trouver trace de comportements qui manifestent à l’évidence un sens moral chez certains animaux supérieurs vivant en société ou qui élèvent leurs petits, il est difficile d’en trouver de tels chez les chenilles qui ne sont qu’un stade transitoire de l’animal, n’ont rien d’autre à faire que manger pour muer et se métamorphoser dans les meilleures conditions. Les qualifications qui relèvent de la morale ou de jugements de valeur moraux sont simplement inapplicables aux actes des chenilles comme aux chenilles elles-mêmes. Cela sonne comme une absurdité, une « erreur de catégorie » et ne fait que montrer que les qualifications morales, d’application universelle dans le cadre d’une espèce, ne peuvent avoir de signification évidente à l’extérieur de celle-ci. Il n’y a pas lieu de se demander à propos d’une chenille si elle est un être moral car cela n’a pas de sens. Je peux dire en effet d’une chenille de Caleophora limosipennella qu’elle est habile, plus habile que sa voisine qui vit deux feuilles plus bas, cela voudra dire qu’elle sait mieux tailler son fourreau, le réparer, le fixer de façon astucieuse, etc. Que pourrait vouloir dire qu’elle est honnête ? Sincère ? Etc.
Dans ces conditions, exiger d’un être qu’il soit un sujet moral pour le considérer comme une personne, c’est une façon de restreindre a priori la personne à la personne humaine.
Par contre, si avec Peter Singer, le philosophe australien du droit des animaux, on estime qu’est une personne tout être rationnel et conscient de soi alors les chenilles sont des personnes. Bien que je sois pour que l’on définisse des droits pour les animaux et que l’on interdise la vivisection, je considère que cette caractérisation de la notion n’est pas opérante. Dans ce type de caractérisation, la notion de personne n’est en fin de compte qu’une abréviation de l’expression « être à la fois rationnel et conscient de soi » Pourquoi ces deux prédicats et pas d’autres ? Ainsi comprise et quels que soient les prédicats, la notion de personne se réduit à n’être qu’une sélection arbitraire parmi l’ensemble des prédicats applicables à un être vivant.

Lorsque l’on veut considérer l’un de ces êtres comme une personne, il ne suffit pas de vérifier s’il souffre, calcule, est fidèle à sa compagne ou son compagnon, ou bien toute autre propriété que l’on voudra. Pour considérer un être vivant comme une personne, il faut (mais il ne suffit pas) lui conférer une valeur intrinsèque en tant qu’être singulier et non simplement en tant que représentant de telle ou telle espèce. Il faut (mais il ne suffit pas ) s’interdire de le considérer comme quelque chose dont on pourrait disposer et utiliser selon son bon plaisir, que l’on pourrait posséder. C’est d’abord lui reconnaître une dignité et donc le respecter. Lui reconnaître une dignité, c’est, a minima, lui reconnaître le même droit de vivre que nous. Le respecter, c’est le laisser vivre selon ses propres fins : « vivre et laisser vivre ». On voit que tout ce que l’on peut connaître des mœurs, des aptitudes, capacités et compétences d’un être vivant non-humain ne permettra jamais de décider si on doit le considérer comme une personne ou non. Ce n’est pas une question que les sciences, la zoologie, l’éthologie, l’entomologie, etc. peuvent résoudre. Pourtant c’est une question à laquelle les chercheurs répondent souvent par la négative – de façon implicite en général – notamment dans la recherche médicale, les neurosciences et la psychologie animale. Sinon, ils ne pourraient traiter les sujets d’expériences, rats, souris, chiens, chats, chimpanzés comme ils le font.
L’esclave ne diffère en rien de son maître. Ils sont tous les deux de la même espèce et pourtant l’esclave n’est pas considéré comme une personne ni par son maître, ni par les hommes libres dans une société esclavagiste. Le neuropsychologue qui détruit des parties du cerveau d’un chat pour étudier le rêve ne considère pas cette pauvre bête comme une personne, du moins on peut l’espérer. Par contre le même individu s’interdirait sûrement de faire les mêmes manipulations sur le chat de la maison comme le remarque Yves Christen. Félix est alors considéré comme une personne, ce qui n’empêche pas évidement de mal se conduire à son égard. Mais cette conduite est alors répréhensible. Si le dernier né de la famille tire les moustaches de Félix au risque de se faire griffer, son père le grondera, lui qui détruit des parties du cerveau de son sujet de recherche. Les deux chats ne diffèrent pourtant en rien. Ils sont de la même espèce et peuvent même être de la même race. Ces exemples montrent bien que la question n’est pas de savoir si X ou Y est, de fait, une personne. Ce n’est pas une question de fait, mais une question sur ce qui doit être. Et nous savons depuis Hume que ce qui est ne permet en rien de décider ce qui doit être. On ne peut s’autoriser de la science pour décider si tel être vivant est ou non une personne, c’est-à-dire si l’on doit la considérer comme telle et se conduire envers elle en conséquence. Bien plus, la démarche scientifique est réductionniste par méthode. Elle se doit d’objectiver les sujets qu’elle étudie et si l’empathie est un outil heuristique, elle ne peut avoir valeur de preuve. Ses comptes-rendus ne doivent pas laisser place au sentiment et être rédigés dans un langage « objectif » et par là des plus artificiels, pauvres et abscons. Bref, loin de nous conduire à considérer les individus des autres espèces comme des personnes ou à tout le moins des êtres possédant une valeur intrinsèque, elle nous en détourne. Les Humains eux-mêmes, elle ne les considère plus comme des sujets lorsqu’elle s’avise d’en faire des objets d’études.
Justifier notre décision de considérer tel ou tel être vivant comme étant ou n’étant pas une personne, c’est justifier notre façon de se conduire à son égard et les jugements de type moraux que l’on peut porter sur cette conduite, qu’elle soit notre ou celle d’un autre. Ainsi comprise la question de considérer un tel et tel comme une personne suppose qu’il y ait interaction entre ce tel et tel et nous, les membres de l’espèce humaine. Il faut que nous fassions d’une façon ou d’une autre société avec ce tel et tel.

Vivre et laisser vivre

Chacun reconnaîtra facilement qu’un être sauvage ne peut être vraiment tel qu’en liberté. Un tel sauvage, c’est, par exemple, le loup de la fable de La Fontaine Le loup et le chien, libre, non domestiqué, ni apprivoisé. Entre un tel être et l’homme occidental actuel, les interrelations ne peuvent qu’être accidentelles. Le principe de non-intervention « vivre et laisser vivre » doit s’appliquer à ces êtres, ce qui est la seule façon de les respecter, ce qui signifie dans la majorité des cas éviter toute interaction avec eux, sauf observer sans déranger, voir sans être vu... La conclusion qui en découle est donc que, en règle générale, la question de les considérer comme des personnes ne se pose pas et ne doit pas se poser car elle signifierait que nous n’avons pas respecté leur sauvagerie. A la limite, considérer le loup de la fable citée plus haut comme une personne, ce serait lui manquer de respect, le considérer avec une familiarité qui, si elle a lieu d’être avec notre voisin, notre chat ou notre chien, ne doit pas avoir cours avec lui. Encore faut-il distinguer entre ces deux derniers, le chat a daigné être notre commensal et partager notre demeure, le chien lui a été domestiqué. En outre j’ai pris soin de préciser « l’homme occidental actuel » qui n’est plus un chasseur cueilleur et vit dans un monde que la science a désenchanté et que la technique a domestiqué et dénaturé.

La plupart des chenilles de la plupart des espèces sont sauvages. Il faut cependant mettre de côté les vers à soie et autres chenilles de papillons d’élevage comme Ephestia küehniella qui ont un statut difficile à définir. La plupart de nos contemporains ne sont guère tentés de se montrer familier avec une chenille quelle que soit son espèce. Nos relations avec elles sont si limitées qu’en général, la question de savoir si elles sont des personnes est tout à fait saugrenue et ne se pose même pas. Mais il peut y avoir des exceptions. Pour tous ces animaux quels que soient l’espèce, la famille, le genre, l’ordre, la classe auxquels ils appartiennent, les respecter, c’est les laisser vivre, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, ne pas avoir des relations avec eux, quelle qu’en soit la nature. D’ailleurs certaines chenilles, notamment celles qui sont recouvertes de soies ont, grâce à ces soies, les moyens de se faire respecter et de nous tenir à distance. Elles ne sont pas fréquentables : leur contact provoque des démangeaisons douloureuses, des dermites et lorsqu’elles sont en colonies, des gènes respiratoires voire de graves crises d’allergie respiratoires. Les hommes sont leurs prédateurs potentiels. Elles savent se défendre et si colorées soient-elles parfois, elles sont dangereuses sinon pour notre santé, du moins pour notre bien-être.
C’est pour cela que les choses se compliquent. Elles se compliquent aussi avec Caleophora limosipennella et nombre d’autres chenilles qui attaquent nos arbres, nos légumes, nos fruits, nos provisions ou nos habits menaçant ainsi notre propre survie. L’occidental urbain peut estimer qu’en parlant de menace pour notre survie, j’exagère. L’agriculture est sans cesse en crise de surproduction… ce qui n’empêche pas la faim dans le monde. Que cet occidental moyen songe donc à la famine que peut provoquer ailleurs une invasion de criquets, à défaut de se souvenir de la consternation que produisait dans les campagnes une attaque de doryphores ou de hannetons. Il n’y a pas si longtemps, les préfets lançaient des ordres de réquisition pour le « hannetonnage ». C’est contre les colonies de chenilles de Cul brun (Euptoctis chrysorrhoea L. 1758) qu’a été prise en 1796 la première loi sur l’échenillage obligatoire. Caleophora limosipennella se contente de manger des feuilles d’ormes et peut sans doute être tolérée si elle ne pullule pas. Mais parfois, il faudra envisager de détruire un certain nombre d’individus de cette espèce. Cette situation advenant dans un conflit entre la nature et nos cultures.
James Olivier Curwood est connu pour ses romans d’aventure. Ils ont enchanté l’enfance de beaucoup d’entre nous. Qui n’a lu Barry Chien Loup ou Le fils de la forêt ? James Olivier Curwood fut aussi un grand coureur de bois à une époque où les territoires du nord du Canada comportaient encore des forêts et des montagnes inexplorées. Il était aussi un chasseur repenti. Dans un ouvrage paru en 1921, God’s contry – The trail to hapiness, il a posé la maxime non interventionniste «vivre et laisser vivre » et il a esquissé une sorte de philosophie de la nature panthéiste qui conduit à une morale dans laquelle toute parcelle de vie est respectable et a un droit équivalent à vivre mais qui ne signifie pas que tout être a un droit imprescriptible à vivre. Pour survivre, il faut parfois tuer : ma vie valant autant que celle des ravageurs qui la menace, j’ai le droit de la défendre et c’est le cas aussi de toute autre forme de vie. Voici ce qu’il écrivait dans l’ouvrage cité : « Toutefois je tiens à vous assurer que je n’ai pas perdu la tête et que je n’applique pas avec une étroitesse d’esprit ridicule ma maxime : « vivre et laisser vivre » Si cette (…) tribu de fourmis avait envahi ma cabane et dévoré les aliments indispensables à ma subsistance, je l’aurais détruite ou chassée. La nature me donne le droit de me protéger et de protéger mon bien. C’est également le privilège de toute autre étincelle de vie. Si je me tenais debout sur leur fourmilière, ces mêmes insectes m’attaqueraient avec la rage du désespoir. Mais à présent elles ne me font aucun mal, et je ne les moleste pas.»(13) Ce qui est présenté ici de façon intuitive et concrète est développé plus ou moins bien par des philosophes qui se rattachent au courant de l’éthique environnementale.
Nous avons donc des interactions avec les chenilles de Caleophora limosipennella, de Euproctis chrysorrhoea ou autres « teignes ». À l’évidence, elles ne peuvent laisser place à des relations interpersonnelles quelconques puisque lorsqu’elles se produisent, c’est que nous voulons les détruire. Le reste du temps, nous les ignorons et elles passent inaperçues de tous, les entomologistes exceptés. Ce qu’il faut justifier dans ce cas, c’est notre droit de tuer des individus de ces espèces. Pour cela, il faut montrer que nous devons le faire parce que sont en jeu la préservation de notre intégrité physique et, de façon plus générale, notre survie. Cette justification ne remet en aucun cas le droit de vivre de chacune de ces petites chenilles, équivalent à tout autre et donc au nôtre. Conclusion certes contre-intuitive si nous restons dans une perspective anthropocentrique naturelle, mais qui cesse de l’être lorsque nous parvenons à nous en abstraire grâce à l’évidence de la manifestation du vouloir vivre de chaque individu de n’importe quelle espèce, évidence dont ne fera l’expérience que celui ou celle qui saura redevenir un sauvage, s’immerger dans la nature, une nature qui peut être tout à fait ordinaire, que l’on trouvera même en ville, si on sait la chercher auprès des « sauvages de [sa] rue » Les seules autres interactions que l’on peut envisager, ce sont celles que l’entomologiste peut avoir avec elles considérées comme objet d’étude et là encore, la relation est loin d’être celle que l’on suppose entre personnes.
J’ai donc le droit de tuer un ravageur lorsqu’il menace ma vie. Avouons que ce n’est pas, ou du moins que ce n’est plus, souvent le cas pour l’homme occidental. Mais la menace à l’égard de nos biens est plus fréquente et peut être interprétée de façon plus ou moins extensive. Il faut cependant que cette interprétation soit justifiée au cas par cas. La maxime « vivre et laisser vivre » n’équivaut pas à un simple « laisser vivre » interdisant de tuer même le moustique qui me pique. Elle ne nous dit cependant pas en quelles circonstances je suis fondé à exercer cet acte d’ôter une parcelle de vie que je sais avoir autant de valeur que la mienne. Cela est l’objet d’une « délibération morale » qui n’aurait pas lieu d’être si la réponse était donnée d’avance. Elle doit avoir lieu entre moi et ma conscience, mais elle peut – dans certains cas, elle doit – être objet d’un débat collectif. C’est par exemple le cas lorsque l’on a à décider du sort d’individus d’une espèce prétendue invasive ou bien encore lorsque l’on est en face de prédations d’animaux sauvages sur des animaux domestiques comme les loups sur les moutons, sur des cultures comme les sangliers sur les champs de pommes de terre ou comme beaucoup d’insectes sur des cultures diverses et parmi ces derniers les chenilles comme Caleophora limosipennella, Euptoctis chrysorrhoea et autres « teignes ».
Cette maxime n’entrera pas seule en ligne de compte dans la décision ou dans la justification de tuer mais étant donnée la façon dont elle oblige à envisager cet acte, elle le marque comme exceptionnel et de dernier recours. Non seulement la parcelle de vie supprimée équivaut en valeur à celle sauvegardée, mais l’injonction du « laisser vivre » présuppose a fortiori qu’il faut laisser en vie chaque fois que cela est possible et elle impose que cette possibilité ne doit pas être envisagée à la légère.

Conclusions

Résumons : telle ou telle chenille ne sera pas, le plus souvent, considérée comme une personne dans la vie de tous les jours, mais cela n’est pas nécessaire pour que j’ai l’obligation de la respecter, c’est-à-dire de la laisser vivre à sa guise sauf s’il advenait qu’elle me nuise gravement. Ce qui vaut pour la chenille vaut pour tout animal sauvage. De plus, en ce qui concerne les mammifères ou les oiseaux sauvages, non seulement il n’est pas nécessaire de pouvoir ou devoir les considérer comme des personnes pour les respecter mais il est impératif que l’occidental contemporain ne les considère pas comme tels. Les respecter, pour un occidental moyen, c’est n’avoir pas d’interaction avec eux ou en avoir le minimum.
Cette conclusion vaut pour les membres des espèces sauvages non anthropophiles, à l’exclusion de toute autre. Elle ne vaut pas non plus pour les animaux domestiqués, apprivoisés ou captifs.
Elle a son champ d’application dans l’habituel, le ὡς ἐπὶ τὸ πολύ d’Aristote, dans les situations ordinaires. Il est évident que dans les situations extraordinaires, les catastrophes telles que les marées noires par exemple, il faut soigner ou tenter de soigner les Cormorans, Sternes, Macareux, Fous de Bassan, Goélands, … De même, on se sent obligé de venir en aide à un animal blessé, un oiseau tombé du nid, un cerf pourchassé par une meute de chiens lors d’une chasse à courre… Dans ce dernier cas s’instaure une relation interpersonnelle et il s’agit de venir au secours d’une personne en danger. Le conflit avec le veneur éclate parce que lui ne considère le cerf aux abois qui s’est réfugié dans votre jardin que comme un gibier à tuer. Vous, vous le considérez comme une personne, pas comme une personne humaine bien entendu, comme une personne tout de même. Et c’est en cela que vous vous manifestez comme humain. On l’oublie trop souvent mais «inhumain» ne veut pas dire «non humain», mais signifie «cruel». Comme l’affirmait David Hume : « Il n’est pas d’humains, ni certes de créatures sensibles dont le bonheur ou le malheur nous touche en quelque mesure, quand ils sont proches de nous et qu’on les représente sous de vives couleurs : mais cela procède uniquement de la sympathie et ce n’est pas la preuve de la réalité d’une telle affection universelle pour l’humanité, puisque ce souci s’étend plus loin que notre propre espèce »(14) Ce souci, cette bienveillance dans le cas qui nous occupe renforce tout à la fois la maxime « laisser vivre » appliquée à un cerf dans les situations ordinaires et elle est un puissant motif pour lui venir en aide lors qu’il est en danger.
Mais tous les cas ne sont pas aussi nets et simples. Dans certaines situations, à elle seule la maxime «laisser vivre» sous-détermine notre conduite envers les animaux sauvages. Elle peut être déclinée en plusieurs versions pas toujours conciliables. Cela provient du fait qu’il n’y a pas dans la réalité de distinctions aussi tranchées que l’opposition sauvage/familier (domestique) pourrait le laisser entendre, que les milieux artificialisés et naturels s’interpénètrent et qu’il nous arrive de fréquenter des animaux sauvages, du moins de les observer vivre.
Parti herboriser tôt un matin d’été pour profiter de la fraicheur et des belles lumières, j’examinai un pierrier d’éboulis calcaire fin en voie de stabilisation colonisé par des touffes d’Allium narcissifolium Vill., 1779 [Ail à feuilles de narcisse] que survolaient des papillons du genre Erebia [Moiré], peut-être Erebia euryale Esper, 1805 [Moiré frange-pie] un papillon assez commun en montagne. L’un d’entre eux se prit malencontreusement dans la toile d’une araignée. Le malheureux se débattait désespérément et plus il se débattait, plus il se prenait dans les fils du piège. Je me suis empressé de libérer avant qu’il n’abime ses ailes. Le pauvre papillon resta quelques instants étourdi sur ma main secourable avant de reprendre son vol. Mais du coup, j’avais privé l’araignée de sa proie et, plus grave peut-être pour elle, endommagé sa toile sur laquelle elle s’affairait, pressée de la réparer. Je n’ai pourtant rien à reprocher aux araignées, ni d’aversion particulière pour ces bêtes contrairement à beaucoup de mes contemporains. Avais-je le droit de spolier l’araignée ? Peut-être pas. Devais-je venir en aide au papillon ? Sûrement, car si je ne l’avais pas fait, je l’aurai sans doute regretté… Sympathie spontanée contre une non-intervention réfléchie ? Mais pourquoi cette sympathie envers la proie plutôt qu’envers le prédateur ? Sensiblerie d’un occidental végétarien à ses heures, peu habitué à tuer pour manger, d’autres le faisant pour lui ? Les enfants sont souvent choqués lorsqu’ils sont les témoins d’une scène de prédation. Mais pas toujours. Ils ont parfois des réactions étonnantes. Ainsi cette petite fille qui plaignait ce pauvre lion qui venait de manquer une gazelle et n’aurait rien à manger. Pour revenir au papillon et à l’araignée de mon histoire, il faut souligner qu’il n’est rien arrivé de très grave ni d’irréversible à l’araignée. Elle aura réparé sa toile dans laquelle d’autres proies viendront se faire prendre, proies qui n’auront pas la chance de se faire piéger sous les yeux d’un promeneur sensible à leur détresse. Le papillon par contre allait perdre la vie, situation irréversible s’il en existe. Il n’est certain ni que les papillons aillent au paradis, ni qu’ils ressusciteront des morts à la fin des temps. Je ne peux croire que ce malheureux Moiré ne souffrait pas. Certes, il est impossible de s’imaginer ce qu’il ressentait mais cela devait être atroce. Ce sauvetage du lépidoptère tirait l’injonction du « laisser vivre » vers un « ne pas laisser mourir ». Valable sans restriction en ce qui concerne les animaux familiers avec lesquels nous faisons société d’une façon ou d’une autre, ce principe, ainsi décliné, ne peut valoir qu’exceptionnellement en ce qui concerne les espèces sauvages. En général, nous ne sommes pas présents lors des scènes de prédation et si nous le sommes, nous ne sommes pas pour autant en situation d’intervenir ou nous ne le souhaitons pas.
Soit un très jeune bouquetin, sa mère qui le défend vaillamment contre deux aigles affamés et un observateur à proximité. Pour ce dernier « il est des moments où l’on pense intervenir : ce chevreau est si mignon. Mais l’aigle lui aussi a son importance dans l’écosystème. Il faut se dire que la nature est bien faite et qu’une intervention, fût-elle minime, est malvenue. En intervenant, peut-être sauverais-je un chevreau, mais j’effraierais aussi des aigles et induirais automatiquement un changement dans leur comportement futur. Bien caché sur mon épaule rocheuse, je me contente donc du rôle de spectateur »(15) Une valorisation de la communauté biotique «la nature est bien faite» implique une non-intervention. La maxime « laisser vivre » se décline alors comme «ne pas interférer», « ne pas s’en mêler » : « Il importe de laisser chaque être vaquer à ses activités en respectant le mode de vie qui est le sien – même si ce dernier nuit à l’existence d’autres êtres, doués ou non de sensibilité »(16) quand il s’agit d’animaux sauvages avec lesquels nous n’avons pas d’interactions et que nous ne fréquentons qu’à distance, leur distance de fuite, où d’attaque.
Des décisions inverses auraient pu être prises dans chacun de ces cas. Les délibérations morales ne peuvent suivre des principes moraux avec autant de rigueur que les théorèmes des axiomes dans un système formel. Et c’est heureux ainsi car cela montre que la raison pratique n’est pas formalisable, qu’elle recèle une part d’intuition irréductible qui l’individualise.

Pour terminer, je vais répondre à deux objections. La première est celle qui estime qu’en refusant de considérer les animaux sauvages comme des personnes, on nuit à la cause animale. La seconde est le reproche de passivité.
Une des raisons de considérer tel ou tel animal comme une personne, c’est pouvoir exiger de ne plus le considérer comme propriété des êtres humains. Et tant qu’il n’en est pas ainsi, « l’animal en question sera toujours considéré comme « animal d’élevage », ou bien «animal de chasse », un «animal de rodéo», un « animal domestique » ou toute autre modalité d’appropriation des animaux réduisant ces derniers à n’avoir d’autre existence que celle que notre usage leur reconnaît, et à n’avoir d’autre valeur que celle que nous voulons bien leur conférer »(17) L’auteur, Gary L. Francione ajoute : « Tenir les animaux pour la propriété des êtres humains revient à leur dénier toute valeur inhérente ou intrinsèque, et autorise de façon générale à ignorer les intérêts (de quelque ordre que ce soit) qui peuvent bien être les leurs, pour notre plus grand profit. »(18) Même si le statut juridique des animaux sauvages est différent selon les états, on peut tout à fait souscrire à cette analyse comme à beaucoup de celles de cet auteur et soutenir son engagement en faveur des animaux. Pour autant, cela ne nous oblige pas à considérer les animaux sauvages comme des personnes. Leur témoigner le respect qu’implique la maxime « vivre et laisser vivre » est suffisant pour refuser que l’on puisse les considérer comme des objets qui nous appartiennent et qui n’ont d’autre valeur que de nous être utiles d’une façon ou d’une autre. Comme ils ne peuvent nous appartenir en aucune façon, le commerce de ces animaux, par exemple, ne peut qu’être interdit, de même qu’est interdit aujourd’hui le commerce d’êtres humains sous toutes ses formes. On évite toute une série de difficultés et de perplexités philosophiques et toute hiérarchie discutable entre les espèces car établie d’un point de vue humain. Ce qui ne veut pas dire que tous les problèmes sont résolus en ce qui concerne les chenilles. Une des espèces de papillon dont les chenilles sont mentionnées dans cet article, la teigne de la farine, Ephestia küehniella, est élevée pour ses œufs que l’on fait parasiter par Trichogramma brassicae Bezdenko, 1968, un micro-Hyménoptère, dans le cadre d’un procédé de lutte biologique contre la pyrale du maïs [Ostrinia nubilalis Hübner, 1796)]. Cette utilisation de ce lépidoptère et de ses œufs est un élément essentiel d’une technique de substitution à l’épandage de pesticides comme à l’utilisation de maïs génétiquement modifiés tels que le maïs Bt. Faut-il considérer la production massive et l’élevage de teignes de la farine et donc de leurs chenilles pour obtenir des œufs que l’on fera parasiter par un Trichogramme est moralement condamnable ? Le lecteur tranchera. S’il m’a suivi jusqu’ici, il a tous les éléments pour le faire.
Enfin, il ne faut pas confondre la volonté de non intervention dans la vie sauvage avec de la passivité. Faire appliquer cette maxime suppose que l’on défende avec ardeur les lambeaux de territoires où la nature sauvage a été le moins dénaturée, que l’on milite pour rendre à cette nature des espaces suffisants où on la laissera faire, quoi qu’elle fasse. Ce qui signifie qu’il faudra moins d’humains occupant moins de place. C’est ainsi retrouver les principes de l’écologie profonde tels que définis par son fondateur Arnes Næss et notamment les points 4 et 5 de la «plateforme pour l’écologie profonde» : « 4. L’épanouissement de la vie humaine et des cultures est compatible avec une baisse substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non humaine exige une telle baisse» ; « 5. Les ingérences humaines dans le monde non-humain sont excessives et la situation empire rapidement.»(19)
Chenilles d'Inachis Io sur Grande ortie - Paon du jour
Chenilles d'Inachis Io sur Grande ortie - Paon du jour

Notes
(1) 262d, trad. A. Diès, les Belles Lettres.
(2) 263c – e
(3) Les données de cet article sont en partie tirées de la somme que constitue l’ouvrage de Paul Portier, La biologie des lépidoptères. Cette synthèse, sans équivalent, date de 1949. Elle mériterait d’être actualisée. Néanmoins les observations et les résultats expérimentaux utilisés ici restent valables. Les progrès ultérieurs réalisés en entomologie ne les remettent pas en question.
(4) Portier, 1949, p. 96
(5) Portier, ibid.
(6) Potier 1949, p. 97
(7) Potier, ibid., p. 57
(8) Konrad Lorenz, Evolution et modification du comportement ; l’inné et l’acquis, trad. française, L. Jospin, Payot, Paris 1974, p.27 – 28.
(9) Cette question reste controversée. Au le chapitre 5 de son livre Taking Animals Seriously : Mental Life and Moral Status, Cambridge University Press, 1996, David DeGrazia essaie d’établir que les insectes ne n’ont pas de sensations. Mais ses données sont maigres et peu concluantes. On trouvera une mise au point comprenant de nombreuses données et une importante bibliographie dans l’article de l’entomologiste Jeffrey A. Lockwood « Not to Harm a Fly: Our Ethical Obligations to Insects » Between the Species (volume IV, n°3, été 1988, p. 204 – 211) comprenant notamment l’important ouvrage de M.S. Dawkins, Animal Suffering : The Science of Animal Welfare. Chapman and Hall, New York, 1980. Cet article apporte des éléments à notre moulin pour ce qui concerne la sensibilité des insectes et leurs capacités cognitives : « De très nombreuses données empiriques confortent l'idée que les insectes ressentent la douleur et sont conscients de leurs sensations. Dans la mesure où leur douleur leur importe, il est dans leur intérêt de ne pas y être soumis, et leurs conditions de vie sont aggravées par la douleur. De plus, en tant qu'êtres conscients, les insectes ont des projets concernant leur propre avenir (même s'il s'agit d'un avenir immédiat) et leur mort met fin à ces projets. » On trouvera une traduction française de cet article, due à Laurent Dervaux, dans Les Cahiers Antispécistes, n°23 (décembre 2003) sous le titre « « Ne pas faire de mal à une mouche » Nos obligations morales à l’égard des insectes. »
(10) Portier 1949, p.99
(11) Rémi Chauvin, Progrès récents de la physiologie de l’insecte, publications de la Société de Zoologie Agricole, Laboratoire de Zoologie de la Faculté des Sciences de Bordeaux, Talence, 1955, p.66
(12) D. R. Griffin, Animal Minds : Beyond Cognition to Consciousness, Chicago, University of Chicago Press, 2001, p. 274, cité par G. L. Francione, « Taking Sentience Seriously », Journal for Animal Law and Ethics, n°1, 2006, pp. 1 – 20, repris dans G. L. Francione, Animals as Persons : Essays on the Abolition of Animal Exploitation, New York, Colombia UP, 2008, trad. fr. Hicham-Stéphane Afeissa, o. c., p. 210.
(13) Trad. Fr. Louis Positif, p.1021, Laffont, Paris, 1992
(14) David Hume, A Treatrise of Human Nature, trad. française, André Leroy, Aubier – Montaigne, p. 598
(15) François Cardonne, Approcher l’animal en milieu naturel, Acte Sud, Pari, 2004, p. 97
Le combat a duré deux heures. Il a eu une fin heureuse pour la mère et son petit ; malheureuse pour les deux aigles qui se sont lassés devant la résistance de l’étagne et ont quitté la place le ventre vide alors qu’ils devaient être affamés. Leur survie était aussi en jeu. L’auteur a donc eu raison de ne pas intervenir. Entre les aigles et le chevreau, il ne fallait pas choisir. Le droit à la vie des aigles équivalait à celui du chevreau. Mais certaines personnes peuvent être choquées par une telle passivité devant un acte de prédation. Les herbivores sont si beaux, si mignons… Il est pourtant difficile en toute cohérence de condamner l’aigle ou de parler de cruauté dans la nature. C’est souvent le même individu qui a essuyé une larme de bon matin en voyant un petit chamois enlevé par un aigle, qui s’attable le midi devant une paire de côtelettes d’agneau après avoir dégusté en entrée une tranche de foie gras, la course en montagne lui ayant ouvert l’appétit.
(16) John Braid Callicott, o. c., p. 326
(17) G. L. Francione, « Taking Sentience Seriously », Journal for Animal Law and Ethics, n°1, 2006, pp. 1 – 20, repris dans G. L. Francione, Animals as Persons : Essays on the Abolition of Animal Exploitation, New York, Colombia UP, 2008, trad. fr. Hicham-Stéphane Afeissa, o. c., p. 197.
(18) Ibid., p. 197
(19) « 4. The flourishing of human life and cultures is compatible with a substantial decrease of human population. The flourishing of nonhuman life requires such a decrease.
5. Present human interference with the nonhuman world is excessive, and the situation is rapidly worsening »
Arne Næss, Ecology, community and lifestyle, Cambridge University Press, 1989, trad. fr. (modifiée par moi, JFD) C. Ruelle, Écologie, communauté et style de vie, Paris, « Dehors », Édition MF, p. 61

Photos
De haut en bas,
Anthere Wikicommons ;
A. M. Liosi, Wikicommons ;
CABI ;
© Jean-Yves Baugnée/Lepidoptera of belgium, où l'on trouvera d'autres photographies de Coleophora limosipennella
Sarefo Wikicommons ;
Frédérique Ehrhardt - Cernay (68) - 22/07/2007 /Papillons du Poitou-Charente où l'ontrouvera beaucoup de photographies de ces chenilles comme des stades antérieurs et postérieurs des métamorphoses de Inachis io ;
Korall,Un Paon-du-jour (Inachis io) à Lill-Jansskogen, Stockholm, Suède. Wikicommons.
Inachis Io - Paon du jour
Inachis Io - Paon du jour

Vendredi 23 Décembre 2011 Commentaires (1)
Un Coucou de Greenpeace depuis l’intérieur de la centrale de Nogent
Un Coucou de Greenpeace depuis l’intérieur de la centrale de Nogent

Dimanche 11 Décembre 2011 Commentaires (0)

Quel spectacle affligeant que ces élus de gauche à des postes aussi stratégiques que la Région ou la mairie de Paris, Jean-Paul Huchon et Bertrand Delanoë se faisant photographier en compagnie du PDG du Groupe Bolloré à l’occasion de l’inauguration d’Autolib, un service dit public, faussement écologique et qui sera réservé, de fait, aux franciliens aisés !


Autolib, c’est cher !

Ce « nouveau service public », vu son prix, sera réservé aux gens aisés qui ne veulent pas prendre les transports en commun ; ce que tous les commentateurs, même favorables à Autolib reconnaissent. Et paradoxe, il a été promu par des élus de gauche et pas seulement à la Région où à la mairie de Paris. A Sud de Seine, il l’a été aussi par les quatre maires, qu’ils soient PS – comme Pascal Buchet, maire de Fontenay et Philippe Kaltenbach, maire de Clamart, ou PC comme Marie-Hélène Amiable, maire de Bagneux et Catherine Margaté, maire de Malakoff. Malgré l’opposition des écologistes isolés lors du vote à l’agglo, moins seuls car rejoints par une partie des conseillers de gauche à Fontenay-aux-Roses, Sud de Seine va débourser 600 000 € pour bénéficier de ce service. Paris déboursera 30 millions et la Région a mis 50 millions au pot, chaque ville ou agglo participante, 50 000€ par place de station autolib…

Autolib, c’est nul !

Et pourtant, ce service est nul socialement puisque ceux qui ne peuvent pas se payer une voiture et son entretien seront aussi exclus d’Autolib, trop cher. Il est tout autant nul écologiquement. Qui pourrait croire que les quelques 12 000 voitures d’Autolib vont apporter une diminution significative du bruit et de la pollution atmosphérique alors que leur nombre reste insignifiant par rapport à celui du parc d’automobiles à moteur thermique qui tous les jours asphyxient et étourdissent l’Ile de France ? Le gain marginal sera compensé, et au-delà, par le transport par camions à moteur thermique des voitures Autolib électriques en surnombre dans une station à une autre qui en manquera. Sans compter que ces voitures en libre-service renforcent le modèle de la voiture individuelle comme mode de déplacement privilégié…des privilégiés, donc comme mode de transport auquel tous aspirent par mimétisme, les transports en commun étant juste bons pour le commun des mortels qu’évidemment personne ne veut être. Cette dévalorisation des TC que renforce Autolib est aussi vieille que la généralisation de la voiture individuelle. Elle a aussi, et de plus en plus, des raisons objectives qui se déclinent comme allongement des temps de parcours, cadences de passage insuffisantes, confort nul. Et pour les longs trajets, l’orient-express ne fait plus rêver. Tout l’argent dépensé, les crédits consommés pour Autolib seront autant de moins qui iront abonder les fonds nécessaires à une amélioration indispensable des TC.

Autolib, c’est une bonne opération pour le groupe Bolloré !

Le groupe Bolloré a remporté l’appel d’offre pour Autolib, notamment parce qu’il s’engage à prendre le déficit éventuel d’exploitation à sa charge jusqu’à 60 millions d’euros. Comme il n’est pas du tout assuré que ce système de location de voiture en « trace directe » calqué sur le système Vélib fonctionne, c’était pour les collectivités un avantage non négligeable. Pour autant le groupe Bolloré n’est pas devenu brusquement philanthrope. S’il tient autant à Autolib, c’est pour pouvoir réaliser une expérience grandeur nature pour ses batteries qui sont d’un type différent de celles de ses concurrents et démontrer ainsi leur fiabilité tout en se faisant une publicité énorme. Il espère prendre ainsi un avantage décisif sur ses concurrents, notamment lors des appels d’offres. Question pub, ça marche déjà, il n’y a qu’à lire l’article sur Autolib dans le magazine de Fontenay du mois de décembre. Il ne fait pas dans la dentelle. On y apprend que ces batteries sont recyclables à 100 % (sic!).
L’offre faite par Bolloré était sans aucun doute « la mieux-disante » selon le jargon des appels d’offres mais était-il pour autant nécessaire que, lors de l’inauguration, Huchon et de Delanoë, les deux élus PS – donc de gauche en principe – qui occupent des postes clé en Ile de France s’affichent à côté du PDG d’un groupe dont les valeurs ne devraient pas tout à fait être les leurs?

Des élus de gauche ?

Autolib : La Gauche parisienne et francilienne aurait-elle perdu tous ses principes ?
Il aura fallu beaucoup d’adresse et de rapidité à Jean-Paul Huchon pour pouvoir assister à cette inauguration et figurer sur les photos souvenirs. En effet le même jour, aux même heures il y avait aussi l’inauguration, en grandes pompes, par le Président de la République lui-même, des nouvelles voitures qui vont équiper le RER A. A cette occasion Jean-Paul Huchon, qui est aussi président du Syndicat des Transports d’Ile de France, ne pouvait manquer de faire le voyage inaugural en compagnie de Nicolas Sarkozy. Il faut dire que ce jour est à marquer d’une pierre blanche car ces messieurs ne prennent le RER qu’en de telles occasions. En temps normal, ils préfèrent voyager en limousine avec chauffeur et commettre parfois des excès de vitesses lorsqu’ils prennent le volant de ces luxueuses et puissantes berlines. À la Station Châtelet, arguant peut-être d’une pressante envie, Jean-Paul s’esquive et laisse tomber Nicolas. Sarkozy terminera le voyage seul, voyage au bout duquel il prononcera un éloge appuyé du mode de déplacement en transport en commun qu’il fréquente si peu et pour lesquels il n’a rien promis, pas un seul kopek. Mais quand même, ce jour-là, gauche et droite jouaient à front inversé. L’ami du Président de la République lui faisait concurrence et ce Président de droite faisait l’éloge des transports que tout un chacun utilise tandis que le Président de gauche de la région s’en dispensait pour faire celui d’un mode de location de véhicule individuel réservé de fait aux bobos et autres friqués. L’empressement de Huchon à rejoindre Vincent Bolloré et ses voitures peut laisser songeur.

Autolib : La Gauche parisienne et francilienne aurait-elle perdu tous ses principes ?
Et que dire de cette autre photographie officielle de Vincent Bolloré entouré des maires ou des élus représentant les communes ou agglomérations adhérentes au syndicat Autolib ? Delanoë a permis à l’ami de Sarkozy de peaufiner son image et celle de son groupe, eux qui tiennent à cette image au point d’attaquer systématiquement en diffamation tous les reportages ou témoignages sur leur pratique qui pourraient l’entacher.
Au premier rang, presqu’à côté du PDG qui, habillé en clair tranche sur les élus qui l’entourent, presque tous vêtus de teintes sombres– le héros et les figurants, il y a Philippe Kaltenbach(PS) tout sourire. Il n’y avait pourtant pas de quoi se réjouir ! Représentait-il Clamart ou Sud de Seine à cette inauguration que l’on aurait pu espérer plus discrète ? On y voit aussi un représentant de Malakoff, ville communiste… Et aussi un représentant de Fontenay, Gérard Mahé (PS) à gauche, le premier du troisième rang. On se demande ce qu’il avait à faire là puisque le Conseil municipal n’avait pas encore délibéré. Il a d’ailleurs bien failli se prononcer contre la convention d’occupation de la voirie avec Autolib. A cause des voix de l’UMP venant au secours du maire PS mis en difficulté par une partie de sa majorité PS, PC et écolo, cela n’a pas été le cas. Un maire qui était tellement sûr du résultat du vote que faisant l’impasse de l’avis qu’il croyait négligeable des écologistes, il avait fait publier dans le magazine de la ville un article sur Autolib plus élogieux que la plaquette publicitaire la plus élogieuse.

Toutes ces pantalonnades, ces petites manœuvres dérisoires pour faire accepter un « service » dispendieux et inutile laissent un goût amère. À force de gérer à courte vue, la gauche aurait-elle perdu tous ses principes ?

Photos, de haut en bas : H. GARAT/Mairie de Paris , Sophie Robichon/Mairie de Paris

Dimanche 11 Décembre 2011 Commentaires (3)

Pour son premier déplacement de la campagne présidentielle vendredi dernier, Eva Joly a choisi l'Auvergne pour populariser le thème de la biodiversité dont les autres candidats ne parleront guère. Elle a indiqué qu’elle fera de la défense de la biodiversité « un thème fondamental » de sa campagne. « C'est un thème un peu méconnu, une urgence pas complètement perçue » alors que « notre avenir en dépend », a-t-elle déclaré. « Nous vivons à crédit sur le dos de la nature. Dans ce domaine comme dans tant d'autres, le Grenelle de l'environnement a été lessive par la machine UMP et le fantasme productiviste » a regretté la candidate écologiste.


Au côté d’Allain Bougrain-Dubourg,  Eva JOLY  vole au secours du Milan Royal.
Le matin, Eva Joly a visité un centre de soins de la LPO à Clermont-Ferrand, aux côtés du président de la Ligue Allain Bougrain-Dubourg. Ce dernier a souligné que l’on «s'intéresse plus aux enjeux économiques, un peu moins (…) au vivant». Il s'est réjoui qu'Eva Joly soit présente pour « porter le message de la biodiversité ».
L’après-midi la candidate écologiste a participé au lâcher d’une buse variable qui avait été traitée dans ce centre de soin. Le lâcher a eu lieu à Saint-Bonnet-près-Orcival, non loin de Clermont-Ferrand. Le rapace s’est envolé sur un site où évoluaient plus de de 200 milans royaux. Ce fut l’occasion pour Eva Joly de prendre la défense des oiseaux, et tout particulièrement celle du Milan Royal. L’Auvergne abrite sur son territoire 5% de la population mondiale de cette espèce de rapaces mais ce rapace est menacé par l'utilisation dans l'agriculture d'un anti-coagulant, la bromadiolone, destiné à empoisonner les campagnols terrestres (ou rats taupiers), petits rongeurs qui, lorsqu’ils pullulent constituent l’essentiel de ses proies . Prévus pour la dératisation en milieu urbain, les anticoagulants ont été utilisés en pleine nature où leurs effets se sont révélés désastreux. « Je suis venue ici pour exiger l'interdiction » de ce produit a déclaré la candidate écologiste qui a qualifié son autorisation de « criminelle et irresponsable ». La LPO Auvergne a retrouvé cette semaine les cadavres de vingt-deux rapaces dont 14 Milans Royaux et 8 Buses Variables morts empoisonnés par la bromadiolone dans le secteur de Bourg-Lastic.

Au cours de la campagne de destruction des campagnols de 2010, la moitié des effectifs de milans du secteur avait été tuée. « Il faut arrêter ce massacre » a déclaré Eva Joly qui a ajouté : « Si nous ne faisons rien, les Milans Royaux seront exterminés » Une réunion se tiendra mardi prochain à la Préfecture de Clermont-Ferrand à la demande de la LPO. Rappelons que la Buse Variable et le Milan Royal sont protégés en France par l’arrêté ministériel du 17 avril 1981. En outre, le Milan Royal est également protégé à l’échelon européen (Annexe I de la directive Oiseux) et il est classé dans la catégorie des espèces quasi-menacées sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).
Qui pourra dire après cette visite et cet engagement d’Eva Joly que les écologistes, abandonnent leurs thèmes fondamentaux et qu’ils ne s’intéressent plus ni à l’environnement, ni à la nature ? Les journaux nationaux et des journaux régionaux de plusieurs régions se sont fait l’écho de cette visite et, du coup, ont attiré l’attention de la France entière sur la situation du Milan Royal et plus généralement des dangers de l’utilisation de poisons dans une agriculture productiviste. La question de la biodiversité et des menaces qui pèsent sur elle est ainsi apparue sur le devant de la scène. Pour tous les amoureux de la Nature, pour tous ses défenseurs, la candidature d’Eva joly est une candidature utile. À eux de faire qu’elle soit un succès.
Au côté d’Allain Bougrain-Dubourg,  Eva JOLY  vole au secours du Milan Royal.

Photos de haut en bas : La Montagne, AFP - Thierry Zoccolan

Lundi 5 Décembre 2011 Commentaires (0)

Encore un article sur le nucléaire.... L'écologie ne se réduit pas au nucléaire. Certes. Mais l'écologie, c'est d'abord défendre la vie et la nature. Si un accident nucléaire se produit, il n'y aura plus rien à défendre sur des kilomètres carrés et des kilomètres carrés et avec un peu de malchance ce sera toute la planète qui sera contaminée. Si l'on en juge par le compte rendu qu'ont donné les journaux de cette visite inopinée, il y a vraiment de quoi se faire du souci.


Centrale de Paluel
Centrale de Paluel
Mort de rire, mort de peur... en attendant d'être mort tout court ...

Claude Birraux, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) s'est rendu à la centrale de Paluel dans la nuit de Mercredi 30 novembre. Il était accompagné d'inspecteurs de l'ASN qui ont réalisé un exercice de simulation de perte totale des alimentations électriques et du diesel de secours du réacteur numéro 1 qui nécessitait son branchement sur la tranche numéro 2 pour rétablir l'alimentation en énergie.
C'est une panne similaire à celle qui a provoqué l'accident dans la centrale de Fukushima en mars. L'alerte a été lancée à 22h. Les agents d'astreinte sont arrivés rapidement sur les lieux. La suite cependant est moins rassurante. Selon l'AFP, et d'après la conférence de presse donnée par le parlementaire, les déconvenues s'enchaînent : à 23h30, les agents annoncent qu'une clef nécessaire pour ouvrir un panneau d'alimentation électrique est actuellement en commande et n'est pas disponible sur le site... A 00h00, l'équipe arrive dans le local électrique de la tranche 1 mais les indications du document de procédure ne correspondent pas au panneau électrique qu'ils y trouvent. Comme le local n'est pas numéroté les agents ne savent pas s'ils sont dans le bon local ou dans un autre ce qui expliquerait que les clés qui sont sur le panneau semblent mal étiquetées. Après plusieurs allers et retours entre la Tranche 1 et la Tranche 2, les agents découvrent qu'une partie des instructions qu'ils ont entre les mains est inexacte. Pour autant l'opération d'urgence qu'ils doivent effectuer ne l'est toujours pas. Les agents prennent sur eux de se rendre dans la tranche 3. Les agents ne sont pas tirés d'affaire pour autant car le guide de procédure d'EDF comportait plusieurs inexactitudes. Finalement les agents sont arrivés à leurs fins malgré ce guide technique qui comporte de nombreuses erreurs et lacunes et n'est pas opérationnel aux dires mêmes de l'ASN. Or ce guide est en vigueur depuis 3 ans. Il y a de quoi avoir des frayeurs rétrospectives ! Le personnel a tout de même réussi à réaliser l'opération demandée. Que ce serait-il passé en cas d'alerte véritable dans l'une de ces centrales que l'on clame être les plus sûres du monde ? On imagine bien ces diverses péripéties comme autant de scènettes d'un gag qui serait à faire mourir de rire, si l'on n'était pas déjà mort de peur.

Paluel n'a pas été choisie au hasard : la tranche 3 a eu une fuite d'iode radioactif depuis plusieurs mois

Cette inspection inopinée n'arrivait sans doute pas par hasard. La CGT énergie qui, tout le monde en conviendra aisément, n'est pas spécialement antinucléaire avait publié un communiqué en Juin dont le titre était : « Centrale de Paluel : EDF sur les traces de Tepco ? »
Dans ce communiqué la CGT évoquait une fuite d'iode radioactif dans l'une des tranches de la centrale, fuite qui durait depuis plusieurs mois. Ce que démentait EDF tout en confirmant l'existence « d'une légère inétanchéité » (sic) sur l'un des ensembles combustibles du réacteur 3, c'est-à-dire sur des matériaux hautement radioactifs. Les rejets s'élevaient, selon le directeur adjoint de la production, à 30% de la valeur qui conduirait à arrêter le réacteur. Donc il a continué de fonctionner en fuyant. Scandaleux? Non, voyons : le directeur de la sureté des réacteurs à l'IRSN n'a-t-il pas déclaré « Il n'y a rien qui nous inquiète dans tout cela »? Il faut vraiment avoir le mauvais esprit dont font preuve les antinucléaire pour douter de sa parole ! Hélas, même pas : « Il faut resserrer les boulons. Même à un million par jour, cela coûte parfois moins cher d'arrêter un réacteur que de l'exploiter en courant un risque » s'insurge un responsable de la CGT.

Centrale du Blayet (Gironde)
Centrale du Blayet (Gironde)
Les comiques sont aussi à la Centrale du Blayet

Selon le communiqué de l'AFP repris par plusieurs jour naux, l''inspection menée par le sénateur Bruno Sido, vice-président de l'Opecst, à la centrale du Blayais (Gironde) a elle aussi mis en lumière les difficultés des agents à se repérer dans le maquis documentaire d'EDF décrivant les consignes à suivre en cas d'incident.
Pour répondre à cette question simple posée par l'ASN«quel est le critère conduisant à l'arrêt du pompage d'eau en cas d'inondation?», iI aura ainsi fallu une demi-heure et quatre personnes compulsant frénétiquement leurs fiches pour répondre. Les agents d'EDF cherchaient dans la rubrique «pompage» alors que la réponse se trouvait dans la rubrique «inondation» !
Finalement, cela ne nous fait pas rire.
Décidement tout va pour le mieux dans ce meilleur des mondes des centrales nucléaires françaises. Gardez-donc vos pastilles d'iode sous votre oreiller et des conserves dans votre cellier. Avec Hollande ou Sarkosy, la menace va durer.

Photos : Wikipédia

Samedi 3 Décembre 2011 Commentaires (0)

Grâce à eux il y aura un peu moins de poisons dans les boues de la station d’épuration d’Achères, ces boues que l’Ile-de-France épand dans les champs de la Région Centre, c’est-à-dire chez le voisin. Sans leur intervention, le CEA de Fontenay-aux-Roses aurait rejeté des métaux lourds hautement toxiques et autres poisons dans les égouts en les diluant suffisamment pour que ces rejets soient conformes aux normes.


Logo de l'ASN
Logo de l'ASN
Rappel des faits

Au cours d’une inspection inopinée du centre CEA de Fontenay-aux-Roses sur le thème « Surveillance de l’environnement » le 4/9/2009 les inspecteurs de l’ASN se sont inquiétés des modalités de rejets d’effluents contenus dans la cuve n°5 du bâtiment n°18 (INB n°165 – Procédé) qui contient environ 20 m3 d’effluents chargés en nitrates, sulfates et surtout en métaux (chrome, fer, nickel, aluminium, argent, zinc, traces de cadmium…), substances « dangereuses et prioritaires au sens des directives européennes en vigueur du fait de leur impact sur le milieu ». Comme ces effluents ne sont pas radioactifs, le CEA envisageait de les rejeter purement et simplement dans les égouts lors de la vidange du bassin de stockage des eaux d’extinction d’incendie, ce qui les délayait suffisamment pour que les teneurs des rejets respectent les valeurs limites du règlement d’assainissement. L’ASN a estimé que la dilution programmée de ces effluents toxiques n’était pas une solution satisfaisante. Elle a donc demandé au CEA de Fontenay-aux-Roses de rechercher d’autres possibilités de traitement de ces effluents et de lui faire part des « résultats de [ses] recherches et de la solution retenue avec les justifications associées préalablement à sa mise en œuvre. »

Des champs au bout du voyage

Les rejets du CEA s’effectuent dans les réseaux d’assainissement de la ville et du département. Ils aboutissent en fin de parcours dans la station d’épuration d’Achères pour traitement avant rejet dans la Seine. Les résidus de ces traitements sont des «boues» dans lesquelles les métaux lourds cités dans laettre de l’ASN sont piégés. Ces boues sont épandues dans des champs de la région Centre. La concentration dans les sols de métaux toxiques due à l’épandage de ces boues est parfois telle que les champs d’épandage deviennent impropres à la culture. Il y a risque de contamination des nappes phréatiques par percolation et des rivières par ruissellement. Ces épandages sont l’objet d’arrêtés préfectoraux qui font contre eux l’unanimité des populations et des élus toutes sensibilités politiques confondues des communes concernées et notamment de celles d’Aubigny, de Saint Germain du Puy, de Saint Palais, de Neuvy deux Clochers, de Morogues, de Parassy, de Saint Georges sur Moulon, de Méry ès Bois, de Blancafort , d'Henrichemont, … Villes et villages de ce Berry qui fut cher au cœur de Georges Sand . Ces petites bourgades sont inconnues de beaucoup de Franciliens et en particulier de beaucoup de Fontenaisiens. C’est pourtant les champs de ces communes qui sont la destination ultime de leurs excréments, de leurs eaux « usées », des effluents des laboratoires et autres entreprises … bref, de tout ce qui est rejeté dans les égouts d’une partie de la région parisienne. Ce sont de petites communes. Le Berry, c’est assez loin pour qu’on ne voie, ni ne sente rien de Paris ou de Fontenay. Mais ce sont des terres agricoles qui sont au bout du voyage. Tôt ou tard les métaux lourds pris dans les boues reviendront directement ou indirectement dans le cycle alimentaire humain d’autant que ces boues sont parfois utilisées comme fertilisants. Des boues non contaminées pourraient être en effet de bons fertilisants, pas des boues assaisonnées au cadmium, plomb, nickel, etc.

Enfin une réponse du CEA et une bonne réponse !


Il est donc très important de savoir ce qu’il est advenu des effluents contenus dans la cuve N°5 du bâtiment 18 du centre, de savoir aussi comment le CEA de Fontenay-aux-Roses compte traiter à l’avenir les effluents de cette catégorie qui transitent dans les égouts de notre territoire communal. Très important mais très difficile, le CEA ayant répondu une première fois d’une façon dilatoire à cette question que j’avais soulevée via la CLI, une réponse propre à susciter bien des interrogations et soupçons.

Aux inspecteurs de l’ASN qui ont contrôlé le CEA de Fontenay-aux-Roses un jour de septembre 2009 : la terre nourricière berrichonne peut  leur dire «Merci !»
Une nouvelle démarche a donc été entreprise par la municipalité cette fois, soutenue par le Conseil municipal qui a voté à l’unanimité un vœu que j’ai présenté au nom de mon groupe EE-LV. Suite à l’envoi de ce vœu au CEA par le Maire qui relayait ainsi ces demandes d’éclaircissement, nous avons eu, Ô surprise, une réponse et je la crois satisfaisante malgré le scepticisme de certains collègues. Disons que je fais assez confiance à l’ASN pour veiller à sa mise en œuvre. Dans cette réponse au maire, Pascal Buchet, la directrice du CEA nous informe que les effluents en question ne seront pas rejetés dans le réseau d’assainissement (comme prévu initialement). Elle précise qu’étant donné que « par évaporation le niveau diminue d’environ 6 m3 par an et qu’il y a environ 16 m3 d’effluents, il a été proposé à l’ASN d’attendre l’évaporation totale des effluents. Les résidus seront ensuite séchés puis conditionnés en vue de leur évacuation via une filière autorisée. Par courrier du 27 juin 2011, l’ASN nous a fait part de son accord pour cette solution » On peut supposer que le résidu sera incinéré en circuit fermé dans une usine spécialisée. Évidemment cela coûtera plus cher que le rejet dans les égouts, solution qui était plus économique à défaut d’être plus écologique.

Pour l’incinération des boues d’épuration.

Parce que les installations nucléaires sont dangereuses, un danger sans commune mesure avec d’autres installations industrielles ou de recherche, elles sont étroitement surveillées, en tout cas bien mieux surveillées que d’autres activités. Sans ces inspections périodiques de l’ASN, les métaux lourds se seraient retrouvés dans les boues d’Achères et de là elles auraient contribuées à empoisonner les sols, la terre nourricière, la nature. Combien de laboratoires doivent faire ce que le CEA n’a pas pu faire grâce à un contrôle efficace des inspecteurs de l’ASN ? Il n’est guère possible d’interdire par un règlement d’assainissement tout rejet dans les égouts d’effluents industriels contenant des substances toxiques dès lors que celles-ci ne dépassent pas un seuil réglementaire qui pour certaines d’entre elles considérées comme très toxiques est très bas. Même en admettant qu’on le fasse, il resterait une contamination par des antibiotiques, œstrogènes contraceptifs, résidus de traitements médicaux, PCB, etc. qui ne sont pas éliminés par l’épuration biologique. Bref, avec ou sans rejets industriels ou d’établissements de recherche, les boues sont polluées, même séchées et conditionnées sous formes de granulés présentés comme des fertilisants. D’ailleurs leur utilisation est interdite dans le cahier des charges de l’agriculture biologique. La seule solution est l’incinération à très haute température et en circuit fermé telle qu’elle se pratique en Suisse depuis que l’épandage des boues a été interdit par des votations citoyennes. En France, on n’en est pas là… Des projets d’épandage en forêt sont à l’étude. Ce qui est inacceptable. Vigilance donc et affaire à suivre.

Iconographie Gilblog
Défilé dans les rues de Bourges
Défilé dans les rues de Bourges

Lundi 28 Novembre 2011 Commentaires (0)

En snobant le Conseil Fédéral des Verts le samedi 19, Eva Joly a refusé à juste titre de se faire la VRP d’un accord qu’elle n’a pas négocié et qu’elle n’aurait pas signé. Elle au moins, ne sera pas passée sous les fourches caudines du PS. Trois jours plus tard la revoilà, plus virulente que jamais, elle vilipende un PS obéissant aux lobbies qu’elle a combattus toute sa vie, considère Hollande et son staff comme des ringards et campe sur ses positions. Bravo Éva ...


Les écologistes comptent sur Eva Joly
Quel meilleur hommage à son attitude que le discours de bienvenue que lui a adressé François Lotteau, maire de Rully et Secrétaire régional Europe Écologie les Verts Bourgogne lors de sa visite à Rully le jeudi 24 novembre 2011 ?

Madame,
Merci. Pour moi ce simple mot suffirait.
Mais je dois quelques mots d'explication devant l'impressionnante assemblée médiatique venue aujourd'hui dans mon village pour vous accueillir.
Je reprendrai un seul des qualificatifs dont vous affublent certains ces jours-ci : l'amateurisme. Saviez-vous, Madame, que vous êtes un amateur ? J'accorde à ceux que votre façon de faire de la politique désoriente, que vous n'êtes pas une professionnelle de la politique. Si l'on en juge par l'intensité de leur colère, je crois pouvoir dire qu'ils ont peur. Ils ont peur que les Françaises et les Français ne trouvent en vous celle qui porte le refus de la politique politicienne.
Ce matin, dans le Figaro, vous êtes une erreur de casting. Vous ne jouez pas le jeu, en effet. Ça tombe bien, le jeu politique n'amuse plus les électeurs.Ceux qui ne votaient plus choisiront celle qui dit : « stop ». Celle qui dit que la politique n'est pas une question de casting, ceux que la crise actuelle jette à la rue, perdent leur emploi, ne peuvent plus se soigner, sont victimes en première ligne des maladies professionnelles, celles et ceux dont les enfants subissent le plus durement les effets de la pollution de l'air ou de la dégradation de la qualité de l'alimentation.
Ceux qui ne votaient plus choisiront celle qui veut chasser Sarkozy, celle qui est prête sans aucune ambiguïté à apporter son soutien au PS pour y parvenir. Mais celle qui dit en même temps que cela ne suffit pas. Celle qui dit que le soutien des écologistes n'est pas un chèque en blanc. Qu'il sera au contraire une garantie pour que l'alternance ne soit pas qu'un jeu politicien mais une vraie alternative.
Je crois qu'autre chose encore vous met au ban de l'oligarchie et des barons de la politique.
Vous êtes une amatrice, Madame, une erreur dans leur jeu parce que vous en refusez les règles, mais pourquoi subissez-vous leur mépris, leurs sarcasmes, leur haine parfois, en tout cas leur agressive condescendance.
C'est que vous êtes une femme.
Vous ne pouvez donner de leçons aux hommes.
On en est encore là, en France, on ne peut confier de choses sérieuses à une femme.
Mais votre cas pose problème à la classe politique masculine. Votre métier, la manière dont vous l'avez exercé, vos engagements, montrent ce que vous savez faire, ce que vous savez être.
Une femme qui tient tête, qui lutte et qui gagne, contre la corruption, contre les paradis fiscaux, contre l'asservissement de la politique aux affaires. Une autre façon de faire de la politique, menée par une femme. Les Françaises et les Français peuvent voter pour vous, pour « l'erreur de casting » que les écologistes sont fiers de soutenir.
Un exemple aujourd'hui : pendant que d'autres soi-disant responsables de l'économie et de l'emploi montrent une proximité inquiétante avec le lobby nucléaire, vous, nous rencontrons les travailleurs du nucléaire, ceux qui subissent les conditions de travail et les risques sanitaires de leur métier difficile, ceux qui risquent de perdre leur emploi dans des entreprises qui se vantent d'être des fleurons mais qui sont incapables de prévenir leur évolution.
Les écologistes, avec vous Madame, ne cèdent pas aux lobbies, mais sont aux côtés de ceux qui luttent, dans l'industrie nucléaire, pour leur emploi et leur santé.Il faut sortir du nucléaire parce qu'il faut sortir de l'impasse.
Aujourd'hui, en Bourgogne, vous vanterez aussi la beauté, la culture transmise, l'art du goût, la saveur de la vie. Tout ce que l'écologie politique veut défendre et promouvoir. La qualité de la viticulture, la qualité de l'alimentation, produite par des paysans qui ont droit à la terre, droit à vivre de leur travail, leur lutte qui est la même dans toutes les parties du monde, nous en parlerons aussi cet après-midi.
Je vous souhaite, après les questions des journalistes, selon la tradition bourguignonne : 'Bon appétit et large soif


Photo : Gilles Dufour

Samedi 26 Novembre 2011 Commentaires (0)
La Bernache du Canada classée comme chassable : Un cadeau pré-électoral pour les chasseurs au mépris de la démocratie. Il faut réagir vite!
La Bernache du Canada bénéficie d'une protection totale sur le territoire français depuis l'arrêté ministériel du 17 avril 1981 relatif aux oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire. Elle est inscrite à l'annexe II de la directive Oiseaux de l'Union européenne. Il est donc interdit de la détruire, la mutiler, la capturer ou l'enlever, de la perturber intentionnellement ou de la naturaliser, ainsi que de détruire ou enlever les œufs et les nids, et de détruire, altérer ou dégrader son milieu. Qu'elle soit vivante ou morte, il est aussi interdit de la transporter, colporter, de l'utiliser, de la détenir, de la vendre ou de l'acheter.
Excepté pour faire plaisir aux chasseurs, le changement de statut de la Bernache du Canada n’a aucune justification au moins pour plusieurs raisons. Certes, il s’agit d’une espèce exotique mais qui ne se montre pas envahissante. Les effectifs de cette oie sont en expansion mais restent très faibles et n’atteignent pas 5000 pour toute la France. Il n’est pas prouvé qu’elle nuise aux espèces indigènes même lorsqu’il y a concurrence comme avec l’oie cendrée. Selon le RAC sa présence serait même profitable aux autres couvées car elle a un comportement très agressif à l’égard des prédateurs qui s’approche de leur nids, défendant par là même ceux des autres espèces nichant à proximité qui ont ainsi un meilleur succès reproductif malgré quelques cas de conflits avec des foulques et d’autres oies. Si sur certains plans d’eau, elles sont trop nombreuses et salissent les berges, il suffirait de prélever quelques œufs de leurs nids pour réduire leur nombre. Les dommages qu’elles sont susceptibles de produire sont plutôt redoutés que réels.

La Bernache du Canada classée comme chassable : Un cadeau pré-électoral pour les chasseurs au mépris de la démocratie. Il faut réagir vite!
A supposer que dans certains cas particuliers, concentrations d’individus par exemple, il devienne nécessaire de « réguler » une population locale, le recours à la chasse n’est ni utile, ni neceesaire puisqu’il existe des possibilités d’intervention par des agents de l’ONCFS. Ces interventions sont codifiées comme on peut le voir sur le site de la direction départementale des Territoires (DDT) du Cher. (voir annexes)
Du 8 au 28 novembre 2011, une consultation publique est mise en place concernant ce projet de classer la bernache du Canada parmi les espèces nuisibles et chassables. Une consultation publique permet au gouvernement de recueillir l’opinion de la population sur un projet de loi, ou un arrêté éventuel qui doit agir en tenant compte de ces avis.
0r le Rassemblement pour l'Abolition de la Chasse vient d’apprendre que dans une lettre du 28octobre 2011 à une fédération départementale des chasseurs, lettre qui n’était pas censée être rendue publique, la directrice du cabinet de la ministre de l'Ecologie indique que (…) « La ministre a décidé de rendre chassable et nuisible la Bernache du Canada. » Le rassemblement s’indigne à juste titre. Il écrit dans son communiqué de presse : « Ainsi, le gouvernement met en place deux consultations alors que Madame Kosciusko-Morizet, ministre de l’Ecologie, a déjà pris [la décision] ! Comment peut-on qualifier un tel comportement ? Abus de pouvoir et de confiance, tromperie, mépris de la population, négation des principes élémentaires de la démocratie ? L’approche d’élections n’a jamais été une période favorable à la faune sauvage. Les chasseurs se voient systématiquement offrir quelques cadeaux… en échange de quelques voix. Pourtant, les politiques ne savent-ils pas que les chasseurs représentent maintenant seulement 1,7% de la population ? »

La Bernache du Canada classée comme chassable : Un cadeau pré-électoral pour les chasseurs au mépris de la démocratie. Il faut réagir vite!
Le pigeon ramier aussi

Même chose pour le pigeon ramier. Une consultation publique est mise ne place aux mêmes dates (du 8 au 28 novembre) concernant la date de la fermeture de la chasse au pigeon ramier. Dans cette lettre à la fédération de chasseurs du 28 octobre, on peut lire : « Je peux déjà vous annoncer que [...] la ministre a décidé de repousser au 20 février la date de fermeture du pigeon. » De qui se moque –t-on?

Réagissons !

- Participez à ces deux consultations, via Cyber @cteurs en cliquant ici pour la Bernache, ici pour les dates de chasse du pigeon ramier
- Ecrivez à votre député et/ou à la ministre de l’écologie (Madame Natalie Kosciusko-Morizet, Ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, Hôtel de Roquelaure, 246, Boulevard Saint-Germain ─75007Paris … pour lui faire part de votre indignation contre ce déni de démocratie.

Annexes

Extraits de la lettre de Pierre Athanaze - Président de l’ASPAS à la ministre de l’environnement :
« Nous devrions nous féliciter des mesures de consultation qui sont prises pour ces projets. Mais malheureusement, nous avons dû nous rendre à l’évidence, cette consultation est, au mieux factice, au pire manipulatrice ! En effet, par courrier en date du 28 octobre 2011, soit 12 jours avant le lancement de ladite « consultation », Mme Daveu, votre Directrice de cabinet écrivait à M. Shane, Président de la Fédération Départementale des Chasseurs du Pas-de-Calais : « Je peux déjà vous annoncer qu’à l’issue du CNCFS qui s’est réuni le 20 octobre 2011 et des avis rendus par le GEOC sur la base d’études scientifiques, la Ministre a décidé de repousser au 20 février la date de fermeture du pigeon. Cette mesure, que vous avez portée, entrera en vigueur dès cette année. De plus, dans le cadre d’un plan de contrôle de l’espèce, la Ministre a décidé de rendre chassable et nuisible la Bernache du Canada. Dans un premier temps, son statut sera modifié jusqu’au 10 février 2015. » ! Cette fausse consultation publique, alors que votre décision est déjà prise et annoncée au monde de la chasse, est une atteinte grave au principe même de démocratie dont la consultation publique devrait être un élément phare.Aussi, vous comprendrez notre consternation en voyant que non seulement ces décisions offrent aux chasseurs une 91ème espèce chassable, mais que la chasse au pigeon ramier se fera alors qu’il est en pleine période de migration prénuptiale. Soit en totale infraction avec la directive « Oiseaux ».
Je ne vous cacherai pas, Madame la Ministre, ma tristesse de vous voir capituler ainsi devant le lobby des chasseurs en leur accordant de nouveaux cadeaux, à quelques mois des prochaines échéances électorales. Pensez-vous vraiment que la faune sauvage puisse être marchandée contre l’espoir de quelques bulletins de vote ?


Gérard Charollois, Président CVN

« Décidément, le monde de la chasse ridiculise les politiques en leur faisant formuler des promesses avant même le résultat de pseudo consultations. Rappelons que la chasse en février est radicalement illégale au regard de l'article 7 de la directive sur la conservation des oiseaux (numéro 2009 1147) et que la France est l’unique pays en Europe à autoriser la chasse de 60 espèces d'oiseaux, dont 37 espèces d’oiseaux d’eau. Le Conseil d’État l’a déjà jugé. Mais que valent le droit, la volonté démocratique du pays, le respect dû aux animaux et à la nature, face aux exigences du lobby chasse? La Convention Vie et Nature répond à cette agression du gouvernement par l’invitation des électeurs à «réguler» le personnel politique par les bulletins de vote en appliquant l’adage «qui va à la chasse perd sa place»...
CVN

Régulation des populations de Bernaches du Canada

"L’Etat a prévu une régulation de cette espèce et a pour cela sollicité l’avis du Conseil national de la protection de la nature sur un protocole d’intervention envisagé pour la régulation de ces oiseaux. En effet, la bernache du Canada étant une espèce protégée au titre de l’arrêté ministériel modifié du 17 avril 1981, sa régulation doit faire l’objet d’une dérogation.
Ainsi, trois modalités de prélèvements sont définies dans le Cher par l’arrêté préfectoral du 26 mars 2009 : stérilisation des œufs, capture des individus, tir des oiseaux. Ces opérations sont encadrées par le service départemental du Cher de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS).
La procédure à suivre par les propriétaires est la suivante :
1 - Le propriétaire constate la présence de Bernaches du Canada sur sa propriété.
2 - Il prévient le service départemental de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (par téléphone au n° suivant : 02.21.37.75.48. - ou à l’adresse électronique suivante : sd18@oncfs.gouv.fr en précisant le nom de sa propriété, ainsi que ses coordonnées (pour définir sa situation géographique) et le nombre d’oiseaux qu’il estime présents sur sa propriété.
3 - Les agents de l’ONCFS se déplacent afin d’appréhender au mieux la configuration des lieux et de définir la méthode la plus adaptée à mettre en œuvre pour détruire les oiseaux (stérilisation des œufs ou tir).
4 - Avec l’accord du propriétaire, la date et la méthode d’intervention sont définies. Si des tirs sont programmés, le propriétaire ou d’autres personnes désignées par le propriétaire peuvent être associés à l’opération de tir qui reste sous contrôle de l’ONCFS."
Site de la direction départementale des Territoires (DDT) du Cher


Crédit Photo :
Wikipédia
De haut en bas :
Donna Dewhurst, Alan Wilson www.naturespicsonline.com, Pascal Godart.
La Bernache du Canada classée comme chassable : Un cadeau pré-électoral pour les chasseurs au mépris de la démocratie. Il faut réagir vite!

Vendredi 25 Novembre 2011 Commentaires (2)

Les nucléocrates qui dirigent EDF sont aux abois. EDF vient d’être condamnée à 1,5 millions d’euros par le tribunal correctionnel de Nanterre pour "complicité de piratage informatique" et de recel de documents confidentiels volés par un hacker, Alain Quiros, sur l'ordinateur de Yannick Jadot, qui était à l’époque dirigeant de Greenpeace et est aujourd’hui porte-parole d'Eva Joly, candidat écologiste à la présidentielle.


Une faillite morale

La présidente du tribunal, Isabelle Prévost-Desprez, a jugé "impossible" que les deux anciens plus hauts responsables de la sécurité d'EDF, l'ancien policier Pierre-Paul François et l'ancien contre-amiral Pascal Durieux, aient agi seuls, comme le dit EDF.
Déclarés coupables, ils ont été condamnés à trois ans de prison, dont six mois fermes pour Pierre-Paul François et un an ferme pour Pascal Durieux. Ce dernier est frappé en outre de 10.000 euros d'amende. EDF avait passé pour l'opération Greenpeace un contrat de "veille stratégique" en 2004 avec une société de renseignement privée, Kargus Consultant qui a pour gérant un ancien agent de la DGSE Thierry Lorhoest. Ce dernier a été condamné à un an de prison ferme et son « agent de recherche » , Jean-François Dominguez à trois dont deux avec sursis et 4000 euros d’amende. Le Hacker quant à lui a écopé de deux ans de prison dont dix-huit mois avec sursis et une amende de 4000 euros.
Yannick Jadot a déclaré que ce jugement était emblématique. « C'est le triple zéro d'EDF. Le nucléaire est une faillite industrielle, financière et clairement une faillite morale », a-t-il ajouté

Avec l’ouverture du marché de l’énergie, nul n’est obligé de choisir EDF comme fournisseur d’électricité.

Lors de la séance du Conseil municipal du 9 juin 2011, j’ai défendu un vœu au nom du groupe des Verts qui demandait que l’on profite de l’ouverture du marché de l’énergie pour dénoncer notre contrat de fourniture de l’électricité avec EDF. Nous voulions une électricité d’origine non nucléaire produite par une coopérative d’intérêt général en respectant des exigences éthiques, sociales et environnementales. Ni la majorité à laquelle nous appartenons pourtant, ni les groupes d’opposition n’ont voté ce vœu sous des prétextes divers. Il a fait l’union contre lui des pro-nucléaires de droite comme de gauche, avec les nostalgiques de l’EDF entreprise publique qui n’ont pas vraiment tiré les conséquences de sa mutation, même si l’Etat reste actionnaire. Les communistes nous ont accusés d’être les suppôts du libéralisme et de la dérégulation….
Maintenant qu’EDF est condamnée, au moins en première instance, à une forte amande pour complicité de piratage informatique envers une association, comment devrons-nous qualifier tous ceux qui défendent contre vents et marées cette entreprise et ses responsables condamnés lourdement par la justice française ?

Vendredi 11 Novembre 2011 Commentaires (0)

Dans une lettre ouverte aux syndicats de l’énergie auxquels elle propose une rencontre, Eva Joly dénonce les manipulations, les mensonges et la mauvaise foi d’Henri Proglio, le PDG d’EDF dans ses déclarations publiées dans le Parisien du 9/11/2011. Ce journal a offert à ce dernier sa une et une place disproportionnée dans le dossier qu’il a publié sur l’énergie. Voici la lettre d’Eva Joly dans son intégralité.


Manipulations, mensonges et mauvaise foi du PDG d'EDF : Eva Joly écrit aux syndicats de l'énergie pour les dénoncer.
Paris, le 9 novembre 2011
Chers amis,
L’élection présidentielle de 2012 est l’occasion d’un grand débat sur l’avenir énergétique de la France. Un débat crucial à l’heure où la France doit choisir entre deux chemins : persister dans le choix du nucléaire ou investir dans la transition énergétique que j’appelle de mes vœux.
En tant que travailleurs, professionnels du secteur de l’énergie, vous êtes au cœur de ce nécessaire grand débat. C’est vous qu’il concerne en premier lieu. La transition énergétique dont la France a besoin ne pourra se faire qu’avec vous. Pourtant depuis plusieurs jours, les partisans du renouvellement du parc nucléaire s’évertuent à montrer cette transition comme une impasse, voire comme une menace pour vos emplois et votre activité. Ils induisent pourtant les Français en erreur.
C’est dans ce sens que vont les dernières déclarations de M. Proglio dans Le Parisien. Il n’hésite pas à menacer les salariés : « sortir du nucléaire, ce serait mettre des centaines de milliers d’emplois en péril et tourner le dos à l’excellence industrielle française ». Loin de ces caricatures, de ces manipulations, je souhaite rétablir des faits et engager avec vous l’avenir énergétique de notre pays.
M. Proglio est d’une mauvaise foi terrible en affirmant que 400 000 emplois dans le nucléaire sont voués à disparaître. Les emplois directs sont de l’ordre de 125.000, et les salariés du nucléaire peuvent être les premiers à bénéficier des créations d’emplois de la transition énergétique. Cette transition permettra de garantir le nombre d’emplois actuels et d’en créer au moins 600 000 supplémentaires, dont une grande partie dans les énergies renouvelables. L’Allemagne nous a déjà ouvert la voie : pour 40 000 emplois dans l’industrie nucléaire, elle en a créé 370 000 dans les énergies renouvelables.

M. Proglio spécule en nous promettant 100 000 emplois issus du développement du nucléaire à l’étranger, alors que les erreurs industrielles se multiplient et qu’après Fukushima l’exportation du nucléaire apparaît comme une aberration: ces emplois n’existent pas.
M. Proglio trompe les salariés en estimant à 500 000 le nombre d’emplois menacés dans l’industrie à cause de la supposée augmentation du prix de l’électricité. Lui qui aime dire que le prix de l’électricité en Allemagne est très élevé ne sait-il pas que l’industrie allemande est bien plus florissante que la nôtre ? C’est en misant sur l’innovation verte, à commencer par des procédés de fabrication plus économes en énergie, que l’industrie française trouvera sa place sur les marchés mondiaux.
La sortie progressive du nucléaire offre un avenir à notre excellence industrielle. Ces dernières années, les énergies renouvelables ont représenté la grande majorité des investissements énergétiques. Quand certains rêvent d’une renaissance de l’industrie nucléaire, nous assistons dans le monde entier au développement généralisé de l’industrie des énergies renouvelables. Les exemples de sites industriels sauvés par ces marchés porteurs se multiplient. Et c’est sans compter sur l’héritage nucléaire qui nous impose de former et d’embaucher des personnels compétents pour améliorer la sécurité des centrales en fin de vie, pour développer une filière de démantèlement capable de satisfaire les besoins mondiaux en la matière. La voie que nous proposons, c’est en définitive une voie d’excellence industrielle pour la France : l’excellence écologique.
Je souhaite aussi garantir la qualité des emplois dans le secteur énergétique. Alors que l’industrie nucléaire s’est fourvoyée depuis trop longtemps dans la sous-traitance et la précarité, je veux travailler avec vous pour garantir la qualité des conditions de travail dans les secteurs de la transition énergétique. Permettez-moi, à ce sujet, de vous faire part de mon inquiétude quant aux conditions d’emplois et de travail sur le site du chantier EPR de Flamanville : les différents niveaux de sous-traitance et l’absence de garantie de sureté sur le site exposent les travailleurs à des risques innaceptables. Une politique de transition énergétique, qui intégrera le travail nécessaire au démantèlement des centrales, exigera de mon point de vue le retour au principe de l’employeur unique pour en finir avec cette mise en danger des travailleurs et des travailleuses. De la même manière, cette transition permettra de pérenniser les emplois en étudiant les conditions de la conversion des salariés vers l’avenir énergétique, garantissant à chacune et à chacun un revenu et une formation.
Mesdames, messieurs, c’est pour ces raisons que je souhaite vous rencontrer dans les meilleurs délais, pour que nous travaillions ensemble à ce chemin d’avenir. C’est avec les citoyens et les travailleurs que nous inventerons un futur énergétique soutenable pour la France.
Eva Joly

Vendredi 11 Novembre 2011 Commentaires (0)
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