Ecosophie
Dans un article déjà ancien de la Revue d’Auvergne (1989, 517 – 518, pp. 249 – 271) les auteurs Y. Lageat et R. Neboit-Guilhot mettent en avant le concept de ‘contrainte’ défini comme « entrave à la liberté d’action » pour analyser « les rapports que des sociétés entretiennent avec le milieu géographique qu’elles occupent dès lors qu’il ne s’identifie pas avec l’espace uniforme et lisse que présupposent certains modèles abstraits » (p.249). Modulo une généralisation et quelques modifications, ce concept et cette approche sont utilisés dans cet article pour spécifier et mettre en évidence certains traits distinctifs de l’attitude écologiste, sa ressemblance avec celle de peuples premiers, sa radicale différence avec l’attitude dominante dans la civilisation occidentale moderne et contemporaine, sa parenté avec la marche de l’évolution et donc sa capacité créatrice. Enfin, l’approche des changements climatiques en termes de contraintes permet de mettre en évidence l’impossibilité de prévoir l’impact positif ou négatif de ces changements sur les activités humaines et d’expliquer pourquoi il en est ainsi.
La notion de ‘contrainte à agir’
●Les différents types de contraintes
Les contraintes à agir ainsi comprises peuvent avoir de multiples origines. Pour ce qui concerne les contraintes naturelles, les auteurs en distinguent trois sortes : d’abord, des contraintes qu’ils qualifient de « statiques » « inhérentes à des données permanentes et stables du milieu ». Le second type de contraintes, les contraintes « aléatoires », que les auteurs envisagent, ce sont les aléas d’ordre divers, apparentés à des risques naturels et associés à des événements météorologiques exceptionnels, tels que les tempêtes, les sécheresses exceptionnelles en relation avec des événements météorologiques ou des accidents climatiques aléatoires. Le troisième qu’ils appellent «contraintes de rétroactions» comprend celles induites par « certaines modifications apportées par l’homme lui-même à son environnement qui s’avèrent porteuses d’effets pervers », sorte de « choc en retour d’actions exercées par l’homme sur le milieu. »
●La notion de liberté d’agir
Chez les auteurs, la notion de «contrainte à agir» et son contraire «la liberté d’agir» sont anthropocentrés. Pour leur propos et le sujet de leurs analyses, cela est naturel. On peut cependant généraliser l’approche de la relation au milieu géographique que ces notions impliquent à tous les individus, ou groupes d’individus vivants, humains ou non pour peu que l’on comprenne la liberté d’agir comme distincte, bien que les englobant, des conduites supposées résulter d’une délibération volontaire ou d’un libre arbitre. Par exemple, un lieu qui fournit à une espèce d’oiseau nourriture en suffisance, endroits pour construire son nid et élever sa nichée sera un lieu qui permet à l’oiseau de jouir de sa liberté d’action. Ces actions ne relèvent évidemment pas d’une délibération volontaire et sont pour l’essentiel des conduites génétiquement programmées et/ou motivées. Il n’est cependant pas contre-intuitif, de considérer que si l’oiseau peut les mener à bien, il a été libre d’agir. Si le milieu géographique où il vit est aussi celui d’un mammifère amateur d’œufs, l’oiseau devra « en tenir compte » sous peine de voir sa couvée échouer. L’existence de tels prédateurs coexistant dans le même lieu est une contrainte à la liberté d’agir de l’oiseau. Un animal sauvage qui agit selon sa nature possède une liberté d’agir dont a été dépossédé un animal domestiqué et dressé. C’est à cette liberté d’agir détruite par la domestication qu’est attaché le loup de la fable.
●Le paradoxe de la Reine Rouge
D’autre part, il faut relativiser l’idée de contraintes physiques immuables du milieu géographique et ne pas oublier le ‘paradoxe de la Reine Rouge’ où Alice et ladite Reine doivent courir sans cesse pour rester à la même place, ce qui représente l’évolution. Les données physiques d’un milieu géographiquement situé changent elles aussi. D’ailleurs les auteurs le reconnaissent au moins en partie lorsqu’ils envisagent les contraintes de rétroaction. Par contre, si les contraintes aléatoires induisent aussi des changements, ceux-ci ne sont envisagés que comme des perturbations temporaires du « cours ordinaire de la vie » qui pourra reprendre au bout d’un temps plus ou moins long. Un changement de contraintes induites par un changement durable voire définitif du milieu n’est pas explicitement envisagé. Cela peut s’expliquer par le fait que de telles évolutions n’entrent pas dans le champ du sujet étudié dans l’article qui traite à partir de l’exemple de l’Auvergne, des «contraintes physiques en moyenne montagne » En outre, excepté le cas d’un changement brutal catastrophique, le milieu physique naturel n’évolue pas toujours d’une manière perceptible à l’échelle d’une génération.
●Les contraintes à agir comme entités relationnelles
Les auteurs estiment qu’il n’y a pas de déterminisme inéluctable et invariable dans la façon dont les contraintes pèsent sur les activités humaines. « Fussent-elles associées à des données permanentes, les contraintes n’ont d’incidences réelles que par rapport à tel ou tel mode d’occupation du sol, telle ou telle activité économique » Ce sont des entités relationnelles susceptibles d’évoluer au cours du temps. « Aptitudes et contraintes sont des notions éminemment relatives » considèrent-ils. Relatives à la manière dont le milieu est utilisé et /ou modifié, relatives au temps au cours duquel un groupe peut l’utiliser successivement de différentes manières. De même qu’il n’y a pas de déterminisme inéluctable et invariable dans la façon dont ces contraintes pèsent sur les activités humaines, il n’y en a pas sur la façon dont elles pèsent sur celles des autres espèces. Face à une pénurie dans la ressource, son indisponibilité provisoire ou définitive, plusieurs stratégies sont possibles : limitation des naissances ou des individus du groupe, changement de comportement alimentaire, migrations saisonnières, etc. La différence ici vient que pour de nombreuses espèces, ces stratégies diverses sont le fruit de mécanismes évolutifs et sont fréquemment génétiquement préprogrammées avec quelque souplesse cependant sans laquelle elles perdraient toute efficacité. Par exemple, des espèces migratrices peuvent se sédentariser sur un territoire ou inversement devenir migratrices et quitter ce territoire certaines saisons. Enfin, il n’est pas inutile de préciser que les contraintes sont celles d’un type de milieu dans un lieu géographiquement situé.
●Les différents types de contraintes
Les contraintes à agir ainsi comprises peuvent avoir de multiples origines. Pour ce qui concerne les contraintes naturelles, les auteurs en distinguent trois sortes : d’abord, des contraintes qu’ils qualifient de « statiques » « inhérentes à des données permanentes et stables du milieu ». Le second type de contraintes, les contraintes « aléatoires », que les auteurs envisagent, ce sont les aléas d’ordre divers, apparentés à des risques naturels et associés à des événements météorologiques exceptionnels, tels que les tempêtes, les sécheresses exceptionnelles en relation avec des événements météorologiques ou des accidents climatiques aléatoires. Le troisième qu’ils appellent «contraintes de rétroactions» comprend celles induites par « certaines modifications apportées par l’homme lui-même à son environnement qui s’avèrent porteuses d’effets pervers », sorte de « choc en retour d’actions exercées par l’homme sur le milieu. »
●La notion de liberté d’agir
Chez les auteurs, la notion de «contrainte à agir» et son contraire «la liberté d’agir» sont anthropocentrés. Pour leur propos et le sujet de leurs analyses, cela est naturel. On peut cependant généraliser l’approche de la relation au milieu géographique que ces notions impliquent à tous les individus, ou groupes d’individus vivants, humains ou non pour peu que l’on comprenne la liberté d’agir comme distincte, bien que les englobant, des conduites supposées résulter d’une délibération volontaire ou d’un libre arbitre. Par exemple, un lieu qui fournit à une espèce d’oiseau nourriture en suffisance, endroits pour construire son nid et élever sa nichée sera un lieu qui permet à l’oiseau de jouir de sa liberté d’action. Ces actions ne relèvent évidemment pas d’une délibération volontaire et sont pour l’essentiel des conduites génétiquement programmées et/ou motivées. Il n’est cependant pas contre-intuitif, de considérer que si l’oiseau peut les mener à bien, il a été libre d’agir. Si le milieu géographique où il vit est aussi celui d’un mammifère amateur d’œufs, l’oiseau devra « en tenir compte » sous peine de voir sa couvée échouer. L’existence de tels prédateurs coexistant dans le même lieu est une contrainte à la liberté d’agir de l’oiseau. Un animal sauvage qui agit selon sa nature possède une liberté d’agir dont a été dépossédé un animal domestiqué et dressé. C’est à cette liberté d’agir détruite par la domestication qu’est attaché le loup de la fable.
●Le paradoxe de la Reine Rouge
D’autre part, il faut relativiser l’idée de contraintes physiques immuables du milieu géographique et ne pas oublier le ‘paradoxe de la Reine Rouge’ où Alice et ladite Reine doivent courir sans cesse pour rester à la même place, ce qui représente l’évolution. Les données physiques d’un milieu géographiquement situé changent elles aussi. D’ailleurs les auteurs le reconnaissent au moins en partie lorsqu’ils envisagent les contraintes de rétroaction. Par contre, si les contraintes aléatoires induisent aussi des changements, ceux-ci ne sont envisagés que comme des perturbations temporaires du « cours ordinaire de la vie » qui pourra reprendre au bout d’un temps plus ou moins long. Un changement de contraintes induites par un changement durable voire définitif du milieu n’est pas explicitement envisagé. Cela peut s’expliquer par le fait que de telles évolutions n’entrent pas dans le champ du sujet étudié dans l’article qui traite à partir de l’exemple de l’Auvergne, des «contraintes physiques en moyenne montagne » En outre, excepté le cas d’un changement brutal catastrophique, le milieu physique naturel n’évolue pas toujours d’une manière perceptible à l’échelle d’une génération.
●Les contraintes à agir comme entités relationnelles
Les auteurs estiment qu’il n’y a pas de déterminisme inéluctable et invariable dans la façon dont les contraintes pèsent sur les activités humaines. « Fussent-elles associées à des données permanentes, les contraintes n’ont d’incidences réelles que par rapport à tel ou tel mode d’occupation du sol, telle ou telle activité économique » Ce sont des entités relationnelles susceptibles d’évoluer au cours du temps. « Aptitudes et contraintes sont des notions éminemment relatives » considèrent-ils. Relatives à la manière dont le milieu est utilisé et /ou modifié, relatives au temps au cours duquel un groupe peut l’utiliser successivement de différentes manières. De même qu’il n’y a pas de déterminisme inéluctable et invariable dans la façon dont ces contraintes pèsent sur les activités humaines, il n’y en a pas sur la façon dont elles pèsent sur celles des autres espèces. Face à une pénurie dans la ressource, son indisponibilité provisoire ou définitive, plusieurs stratégies sont possibles : limitation des naissances ou des individus du groupe, changement de comportement alimentaire, migrations saisonnières, etc. La différence ici vient que pour de nombreuses espèces, ces stratégies diverses sont le fruit de mécanismes évolutifs et sont fréquemment génétiquement préprogrammées avec quelque souplesse cependant sans laquelle elles perdraient toute efficacité. Par exemple, des espèces migratrices peuvent se sédentariser sur un territoire ou inversement devenir migratrices et quitter ce territoire certaines saisons. Enfin, il n’est pas inutile de préciser que les contraintes sont celles d’un type de milieu dans un lieu géographiquement situé.
Applications
1 – Sagesse écologique versus arrogance prométhéenne ; la spécificité de l’homme occidental
Peut-on considérer comme ‘naturelle’, une contrainte de rétroaction telle que définie par les auteurs ? Ce qui est naturel est, par convention, indépendant de toute action humaine. Prenons par exemple une contrainte liée aux risques d’éboulement de terrain. Elle peut être due à des facteurs tels que la nature du terrain, l’inclinaison de la pente, l’altitude qui interdit une végétalisation suffisante et pérenne, combinée à la violence des précipitations en ce lieu hostile. Cette contrainte est naturelle et rentre dans la première des catégories distinguées. Une contrainte du même type peut être due à une déforestation des pentes liées à une surexploitation du milieu résultant elle-même d’une surpopulation du secteur géographique considéré, une vallée alpine au XIXème siècle par exemple. Dans les deux cas, il s’agit de contraintes « physiques » mais dans le second, Il s’agit d’un risque d’origine anthropique que l’on ne peut qualifier de naturel précisément parce qu’il est d’origine anthropique.
Cependant tout individu ou groupe d’individus d’une espèce quelconque apporte à son milieu des modifications, si insignifiantes soient-elles pour certains d’entre eux. Elles ont pour but, conscient ou non, soit de le rendre propice à leur survie, soit sont la conséquence de l’utilisation des ressources qu’ils y trouvent pour assurer leur subsistance. Ces modifications peuvent ou non induire de nouvelles contraintes, être favorables ou neutres. Si l’on veut considérer ces contraintes physiques de rétroaction comme des contraintes naturelles, il faut éviter de traiter l’espèce humaine, l’homme, comme une espèce à part. C’est possible bien que l’espèce humaine ait la particularité d’apporter des modifications à son milieu qui sont de véritables transformations. Aujourd’hui dans la civilisation occidentale, elles peuvent être si poussées qu’elles lui permettent de pouvoir rendre habitable pour elle-même tout lieu de la surface terrestre et même au-delà. L’espèce humaine est donc celle qui a développé une civilisation capable de s’affranchir le plus complètement, mais évidemment jamais totalement, des contraintes physiques en n’importe quel lieu géographique où se trouve quelques-uns de ses membres. Mais cette médaille a un revers : plus cet affranchissement est poussé, plus le milieu doit être transformé avec des effets pervers aussi indésirables qu’inéluctables et imprévus, l’homme occidental subissant comme une sorte de choc en retour de nouvelles contraintes, des contraintes rétroactives au sens des auteurs, plus lourdes encore que celles dont il a voulu s’affranchir. S’il existe une particularité de cette espèce telle qu’elle s’est développée dans la civilisation occidentale, elle est là. Elle est la seule à être parfois capable de s’affranchir des contraintes physiques de son milieu géographique, ou du moins de passer outre et de se voir confrontée en retour à d’autres contraintes physiques plus lourdes et de les faire peser sur d’autres civilisations et d’autres espèces qu’elle-même. La généralisation d’une notion appliquée d’abord aux actions des sociétés humaines à toute action d’individu et de groupe humain ou non, permet de mettre en évidence qu’entre l’espèce humaine et les autres espèces, il y a à la fois continuité et rupture. Continuité parce que les uns et les autres subissent le poids des contraintes physiques du lieu géographique dans lequel ils vivent et doivent compter avec. Rupture car alors que les espèces non-humaines n’ont d’autre choix que de s’adapter, les hommes peuvent aussi tenter de s’en affranchir, ce qui est le cas de la civilisation occidentale depuis au moins deux siècles… mais avec une telle attitude, les ennuis commencent et le poids de nouvelles contraintes se font durement sentir, les contraintes de rétroaction apparaissent de plus en plus pesantes.
Certes, les hommes n’ont pas l’exclusivité d’introduire dans leur milieu de vie des modifications porteuses d’effets inattendus et pervers pour eux-mêmes et d’autres mais peu d’espèces ne l’ont fait avec autant d’ampleur. Et parmi les groupes humains, il faut encore distinguer. Il existe des ‘peuples premiers’ qui savent utiliser la nature qui les entoure tout en en prenant soin grâce à leur sagesse immémoriale. Ce qui n’est pas le cas de l’homme occidental qui l’épuise et la souille. S’adapter aux contraintes du lieu, c’est sagesse écologique, les ignorer ou croire et vouloir s’en affranchir, c’est faire preuve soit d’ignorance, soit d’une arrogance démesurée bien illustrée par le mythe de Prométhée ou de celui d'Icare qui voulait s’affranchir de la pesanteur(*).
Les ingénieurs des ponts et chaussées tracent le réseau d’autoroutes en gommant les reliefs, taillant dans le vif des montagnes, les creusant, en effaçant rivières et vallées par des viaducs gigantesques par brute force et dans une débauche d’énergie, héritiers de ceux qui tissèrent le réseau de voies ferrées au XIXème siècle à grand renfort de tunnels, de viaducs et autres ouvrages de l’art mais qui composaient encore un peu avec les contraintes géographiques : il s’agissait de s’ingénier à franchir les obstacles, pas de les effacer. Quel contraste avec les voies immémoriales tracées, générations après générations, par les pieds d’innombrables voyageurs ou par ceux de leurs montures et bêtes de somme. Quelle connaissance tacite, quelle intelligence des lieux, quel sens de la pente, du dosage de l’effort, quel à propos dans le choix des passages, des « pas » et des gués ! Le tracé s’adapte à la géographie et la morphologie des lieux traversés, il ne les transforme pas, joue avec les obstacles pour se jouer d’eux, ignorant la ligne droite que les ingénieurs modernes sacralisent et sachant faire un détour, ce que les modernes refusent. Bref, la finesse contre la brutale géométrie.
Alors que l’attitude écologiste vis-à-vis des contraintes naturelles d’un milieu terrestre spécifié est de «s’adapter plutôt que de transformer», celle dominante dans la civilisation occidentale est de «transformer plutôt que s’adapter» Par manque de moyens donc par nécessité, mais aussi par conviction l’attitude de ceux que naguère, l’occidental conquérant appelait «des sauvages» est bien plus proche de la maxime écologiste qui s’avère être pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre une pensée sauvage.
2 – L'adaptation à une contrainte naturelle la neutralise sans créer de contraintes de rétroaction
Il ne faut pas nier que parfois, un groupe vivant dans un lieu donné, n’a, pour diverses raisons, d’autre choix que de tenter de passer outre les contraintes physiques de ce lieu où il vit sans que l’on puisse parler pour autant d’ignorance ou d’arrogance. Tout juste peut-on invoquer l’obstination de s’accrocher à sa terre natale, si ingrate fût-elle. Un pays de moyenne montagne sous un climat marqué d’influences océaniques n’est guère favorable aux cultures et notamment aux cultures céréalières. C’est le cas du Massif Central qui fut pourtant jusqu’à un passé relativement récent «un pays de labour, où l’on pensait à nourrir les hommes avant de nourrir les bêtes. Autant dire que l’on faisait de nécessité vertu» (Lageat Y. et Neboit-Guilhot R., o.c., p. 254) Les contraintes physiques – dans ce cas la nature des sols, l’altitude et le climat – ne permettaient que des rendements céréaliers médiocres et irréguliers surtout lorsque les étés étaient particulièrement « pourris » avec des températures relativement fraîches et beaucoup de précipitations. Les contraintes n’étaient pas ignorées, elles étaient subies. Si l’on ne peut s’affranchir de contraintes telles que celles induites par la géographie physique du lieu, il faut subir ou s’adapter. L’adaptation dans le cas présent signifie développer un autre mode d’utilisation du sol : l’élevage, le fourrage et l’exploitation forestière qui sont en quelque sorte la vocation de ces terres, vocation qui n’a pu s’exprimer que tardivement. Lorsque la région était un « pays de labours », les contraintes et notamment les contraintes induites par le climat n’étaient pas les mêmes que celles d’aujourd’hui où les « surfaces fourragères occupent en Auvergne 80% de la SAU (surface agricole utilisée) » (ibid., p.259). Elles changent de nature. De contraintes « statiques », elles deviennent « aléatoires » L’adaptation aux contraintes climatiques « statiques » d’étés frais et humides les neutralisent en tant que contraintes. On pourrait dire qu’elle les transforme en «conditions» tandis qu’elles étaient des contraintes fortes auparavant. Les contraintes aléatoires redoutées par les laboureurs, les années à fortes précipitations et étés pourris, ne le sont pas ou le sont beaucoup moins pour l’éleveur qui redoute bien plus les années de sécheresses qui étaient bénédiction pour les cultures céréalières : « ceux qui vivaient de la terre redoutaient naguère l’excès d’humidité qui obérait les moissons […] Désormais les calamités naturelles, ce sont les années sèches» (p. 259)(**)
3 – De l’absence de déterminisme climatique sur les activités humaines et en conséquence de l’impossibilité de prédire l’impact d’un changement du climat local sur celles-ci.
Y. Lageat et R. Neboit-Guilhot considèrent dans leur article que le climat est une donnée permanente et stable du milieu. Pour eux, les aléas climatiques comme les années de sécheresse et de chaleur exceptionnelle, ou au contraire les étés pourris et les précipitations diluviennes ne sont que des accidents qui « surviennent sans périodicité fixe ».Ils apportent leurs lots de désolation mais sont temporaires. Le changement climatique ne tenait pas encore le devant de la scène. Néanmoins l’analyse qu’ils font sur le cas du Massif central permet de tirer des leçons concernant les conséquences possibles de ce changement parce qu’elle met bien en évidence l’absence de déterminisme climatique sur des activités qui sont celles qui dépendent le plus des conditions climatiques du lieu où elles s’exercent : l’agriculture.
Une modification dans le mode d’occupation de la SAU modifie les contraintes climatiques, voire même comme le montre le cas traité par les auteurs, les inversent tandis que leur nature même change, le climat lui-même n’étant pas modifié. A l’inverse, pour « répondre » à une modification du climat, on peut concevoir qu’une modification du mode d’occupation de la SAU neutralisera les contraintes nouvelles.
Si incontestablement la forêt demande pour prospérer une humidité certaine, ce n’est pas le cas du fourrage qui réclame aussi du soleil et de la sécheresse en été pour que les foins se déroulent dans de bonnes conditions. Il faut donc nuancer les propos des auteurs sur le fourrage : un été trop pluvieux et froid n’est pas bon pour le fourrage en moyenne montagne, dans les Dores par exemple. Il n’est pas optimum non plus pour le tourisme. Certaines exploitations des Monts Dores sont entièrement consacrées à la production de fourrage avec comme appoint l’hébergement saisonnier pour touristes et estivants. Un climat plus chaud et plus sec serait bénéfique à leur activité, leur permettant d’avoir plusieurs regains et d’exploiter des zones qui lors d’étés un peu pluvieux mais pas forcément «pourris» ne le sont pas. De même chacun sait que le mauvais temps fait fuir le touriste vers des lieux où les cieux sont supposés plus cléments. Enfin, un climat plus chaud et plus sec rendrait peut-être à ces terres de moyenne montagne une vocation céréalière suffisante pour les besoins des populations locales qui bénéficierait alors d’une agriculture diversifiée propice à une autosuffisance alimentaire qui peut devenir une impérieuse nécessité à cause de l’épuisement des énergies de stock. Avec un peu d’optimisme, on peut supposer qu’un réchauffement climatique rendrait clémente la vie dans ces régions avec des étés plus chauds et plus secs affaiblissant les influences océaniques néfastes sans ôter les influences fastes et notamment des précipitations suffisantes. Cependant il faut aussi souligner qu’une trop bonne adaptation aux conditions climatiques moyennes du milieu rend plus vulnérable aux conjonctions climatiques particulières aléatoires comme une sécheresse prolongée par exemple. Un dérèglement climatique avec des variations aléatoires de grandes amplitudes pourrait alors être particulièrement difficile à supporter ici comme ailleurs.
S’il est vrai qu’un changement climatique avec tendance au réchauffement est en œuvre, cet exemple de réactions aux contraintes que le climat impose en un lieu donné, l’absence de déterminisme qu’il met en lumière, tout cela montre qu’il est difficile d’en prévoir l’impact pour les populations humaines à l’échelon local d’autant qu’il est aussi difficile de prévoir comment se traduira à cet échelon le supposé réchauffement global.
Notes
(*) - Sans doute cela fut-il le cas aussi d’autres civilisations : celle de l’Ile de Pâque, ou des Incas qui ne purent supporter les contraintes rétroactives induites par les changements qu’elles avaient fait subir à leur milieu et qui disparurent, moururent comme aiment le dire certains ethnologues et philosophes. Il y a une différence cependant avec la civilisation occidentale. Celles-là étaient locales, celle-ci est en voie de mondialisation.
(**) - Ici encore la qualification ‘naturelle’, bien que conforme à l’usage ordinaire et administratif-juridique est assez impropre. Il n’y a calamité que parce qu’il y a culture, donc rien de naturel.
1 – Sagesse écologique versus arrogance prométhéenne ; la spécificité de l’homme occidental
Peut-on considérer comme ‘naturelle’, une contrainte de rétroaction telle que définie par les auteurs ? Ce qui est naturel est, par convention, indépendant de toute action humaine. Prenons par exemple une contrainte liée aux risques d’éboulement de terrain. Elle peut être due à des facteurs tels que la nature du terrain, l’inclinaison de la pente, l’altitude qui interdit une végétalisation suffisante et pérenne, combinée à la violence des précipitations en ce lieu hostile. Cette contrainte est naturelle et rentre dans la première des catégories distinguées. Une contrainte du même type peut être due à une déforestation des pentes liées à une surexploitation du milieu résultant elle-même d’une surpopulation du secteur géographique considéré, une vallée alpine au XIXème siècle par exemple. Dans les deux cas, il s’agit de contraintes « physiques » mais dans le second, Il s’agit d’un risque d’origine anthropique que l’on ne peut qualifier de naturel précisément parce qu’il est d’origine anthropique.
Cependant tout individu ou groupe d’individus d’une espèce quelconque apporte à son milieu des modifications, si insignifiantes soient-elles pour certains d’entre eux. Elles ont pour but, conscient ou non, soit de le rendre propice à leur survie, soit sont la conséquence de l’utilisation des ressources qu’ils y trouvent pour assurer leur subsistance. Ces modifications peuvent ou non induire de nouvelles contraintes, être favorables ou neutres. Si l’on veut considérer ces contraintes physiques de rétroaction comme des contraintes naturelles, il faut éviter de traiter l’espèce humaine, l’homme, comme une espèce à part. C’est possible bien que l’espèce humaine ait la particularité d’apporter des modifications à son milieu qui sont de véritables transformations. Aujourd’hui dans la civilisation occidentale, elles peuvent être si poussées qu’elles lui permettent de pouvoir rendre habitable pour elle-même tout lieu de la surface terrestre et même au-delà. L’espèce humaine est donc celle qui a développé une civilisation capable de s’affranchir le plus complètement, mais évidemment jamais totalement, des contraintes physiques en n’importe quel lieu géographique où se trouve quelques-uns de ses membres. Mais cette médaille a un revers : plus cet affranchissement est poussé, plus le milieu doit être transformé avec des effets pervers aussi indésirables qu’inéluctables et imprévus, l’homme occidental subissant comme une sorte de choc en retour de nouvelles contraintes, des contraintes rétroactives au sens des auteurs, plus lourdes encore que celles dont il a voulu s’affranchir. S’il existe une particularité de cette espèce telle qu’elle s’est développée dans la civilisation occidentale, elle est là. Elle est la seule à être parfois capable de s’affranchir des contraintes physiques de son milieu géographique, ou du moins de passer outre et de se voir confrontée en retour à d’autres contraintes physiques plus lourdes et de les faire peser sur d’autres civilisations et d’autres espèces qu’elle-même. La généralisation d’une notion appliquée d’abord aux actions des sociétés humaines à toute action d’individu et de groupe humain ou non, permet de mettre en évidence qu’entre l’espèce humaine et les autres espèces, il y a à la fois continuité et rupture. Continuité parce que les uns et les autres subissent le poids des contraintes physiques du lieu géographique dans lequel ils vivent et doivent compter avec. Rupture car alors que les espèces non-humaines n’ont d’autre choix que de s’adapter, les hommes peuvent aussi tenter de s’en affranchir, ce qui est le cas de la civilisation occidentale depuis au moins deux siècles… mais avec une telle attitude, les ennuis commencent et le poids de nouvelles contraintes se font durement sentir, les contraintes de rétroaction apparaissent de plus en plus pesantes.
Certes, les hommes n’ont pas l’exclusivité d’introduire dans leur milieu de vie des modifications porteuses d’effets inattendus et pervers pour eux-mêmes et d’autres mais peu d’espèces ne l’ont fait avec autant d’ampleur. Et parmi les groupes humains, il faut encore distinguer. Il existe des ‘peuples premiers’ qui savent utiliser la nature qui les entoure tout en en prenant soin grâce à leur sagesse immémoriale. Ce qui n’est pas le cas de l’homme occidental qui l’épuise et la souille. S’adapter aux contraintes du lieu, c’est sagesse écologique, les ignorer ou croire et vouloir s’en affranchir, c’est faire preuve soit d’ignorance, soit d’une arrogance démesurée bien illustrée par le mythe de Prométhée ou de celui d'Icare qui voulait s’affranchir de la pesanteur(*).
Les ingénieurs des ponts et chaussées tracent le réseau d’autoroutes en gommant les reliefs, taillant dans le vif des montagnes, les creusant, en effaçant rivières et vallées par des viaducs gigantesques par brute force et dans une débauche d’énergie, héritiers de ceux qui tissèrent le réseau de voies ferrées au XIXème siècle à grand renfort de tunnels, de viaducs et autres ouvrages de l’art mais qui composaient encore un peu avec les contraintes géographiques : il s’agissait de s’ingénier à franchir les obstacles, pas de les effacer. Quel contraste avec les voies immémoriales tracées, générations après générations, par les pieds d’innombrables voyageurs ou par ceux de leurs montures et bêtes de somme. Quelle connaissance tacite, quelle intelligence des lieux, quel sens de la pente, du dosage de l’effort, quel à propos dans le choix des passages, des « pas » et des gués ! Le tracé s’adapte à la géographie et la morphologie des lieux traversés, il ne les transforme pas, joue avec les obstacles pour se jouer d’eux, ignorant la ligne droite que les ingénieurs modernes sacralisent et sachant faire un détour, ce que les modernes refusent. Bref, la finesse contre la brutale géométrie.
Alors que l’attitude écologiste vis-à-vis des contraintes naturelles d’un milieu terrestre spécifié est de «s’adapter plutôt que de transformer», celle dominante dans la civilisation occidentale est de «transformer plutôt que s’adapter» Par manque de moyens donc par nécessité, mais aussi par conviction l’attitude de ceux que naguère, l’occidental conquérant appelait «des sauvages» est bien plus proche de la maxime écologiste qui s’avère être pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre une pensée sauvage.
2 – L'adaptation à une contrainte naturelle la neutralise sans créer de contraintes de rétroaction
Il ne faut pas nier que parfois, un groupe vivant dans un lieu donné, n’a, pour diverses raisons, d’autre choix que de tenter de passer outre les contraintes physiques de ce lieu où il vit sans que l’on puisse parler pour autant d’ignorance ou d’arrogance. Tout juste peut-on invoquer l’obstination de s’accrocher à sa terre natale, si ingrate fût-elle. Un pays de moyenne montagne sous un climat marqué d’influences océaniques n’est guère favorable aux cultures et notamment aux cultures céréalières. C’est le cas du Massif Central qui fut pourtant jusqu’à un passé relativement récent «un pays de labour, où l’on pensait à nourrir les hommes avant de nourrir les bêtes. Autant dire que l’on faisait de nécessité vertu» (Lageat Y. et Neboit-Guilhot R., o.c., p. 254) Les contraintes physiques – dans ce cas la nature des sols, l’altitude et le climat – ne permettaient que des rendements céréaliers médiocres et irréguliers surtout lorsque les étés étaient particulièrement « pourris » avec des températures relativement fraîches et beaucoup de précipitations. Les contraintes n’étaient pas ignorées, elles étaient subies. Si l’on ne peut s’affranchir de contraintes telles que celles induites par la géographie physique du lieu, il faut subir ou s’adapter. L’adaptation dans le cas présent signifie développer un autre mode d’utilisation du sol : l’élevage, le fourrage et l’exploitation forestière qui sont en quelque sorte la vocation de ces terres, vocation qui n’a pu s’exprimer que tardivement. Lorsque la région était un « pays de labours », les contraintes et notamment les contraintes induites par le climat n’étaient pas les mêmes que celles d’aujourd’hui où les « surfaces fourragères occupent en Auvergne 80% de la SAU (surface agricole utilisée) » (ibid., p.259). Elles changent de nature. De contraintes « statiques », elles deviennent « aléatoires » L’adaptation aux contraintes climatiques « statiques » d’étés frais et humides les neutralisent en tant que contraintes. On pourrait dire qu’elle les transforme en «conditions» tandis qu’elles étaient des contraintes fortes auparavant. Les contraintes aléatoires redoutées par les laboureurs, les années à fortes précipitations et étés pourris, ne le sont pas ou le sont beaucoup moins pour l’éleveur qui redoute bien plus les années de sécheresses qui étaient bénédiction pour les cultures céréalières : « ceux qui vivaient de la terre redoutaient naguère l’excès d’humidité qui obérait les moissons […] Désormais les calamités naturelles, ce sont les années sèches» (p. 259)(**)
3 – De l’absence de déterminisme climatique sur les activités humaines et en conséquence de l’impossibilité de prédire l’impact d’un changement du climat local sur celles-ci.
Y. Lageat et R. Neboit-Guilhot considèrent dans leur article que le climat est une donnée permanente et stable du milieu. Pour eux, les aléas climatiques comme les années de sécheresse et de chaleur exceptionnelle, ou au contraire les étés pourris et les précipitations diluviennes ne sont que des accidents qui « surviennent sans périodicité fixe ».Ils apportent leurs lots de désolation mais sont temporaires. Le changement climatique ne tenait pas encore le devant de la scène. Néanmoins l’analyse qu’ils font sur le cas du Massif central permet de tirer des leçons concernant les conséquences possibles de ce changement parce qu’elle met bien en évidence l’absence de déterminisme climatique sur des activités qui sont celles qui dépendent le plus des conditions climatiques du lieu où elles s’exercent : l’agriculture.
Une modification dans le mode d’occupation de la SAU modifie les contraintes climatiques, voire même comme le montre le cas traité par les auteurs, les inversent tandis que leur nature même change, le climat lui-même n’étant pas modifié. A l’inverse, pour « répondre » à une modification du climat, on peut concevoir qu’une modification du mode d’occupation de la SAU neutralisera les contraintes nouvelles.
Si incontestablement la forêt demande pour prospérer une humidité certaine, ce n’est pas le cas du fourrage qui réclame aussi du soleil et de la sécheresse en été pour que les foins se déroulent dans de bonnes conditions. Il faut donc nuancer les propos des auteurs sur le fourrage : un été trop pluvieux et froid n’est pas bon pour le fourrage en moyenne montagne, dans les Dores par exemple. Il n’est pas optimum non plus pour le tourisme. Certaines exploitations des Monts Dores sont entièrement consacrées à la production de fourrage avec comme appoint l’hébergement saisonnier pour touristes et estivants. Un climat plus chaud et plus sec serait bénéfique à leur activité, leur permettant d’avoir plusieurs regains et d’exploiter des zones qui lors d’étés un peu pluvieux mais pas forcément «pourris» ne le sont pas. De même chacun sait que le mauvais temps fait fuir le touriste vers des lieux où les cieux sont supposés plus cléments. Enfin, un climat plus chaud et plus sec rendrait peut-être à ces terres de moyenne montagne une vocation céréalière suffisante pour les besoins des populations locales qui bénéficierait alors d’une agriculture diversifiée propice à une autosuffisance alimentaire qui peut devenir une impérieuse nécessité à cause de l’épuisement des énergies de stock. Avec un peu d’optimisme, on peut supposer qu’un réchauffement climatique rendrait clémente la vie dans ces régions avec des étés plus chauds et plus secs affaiblissant les influences océaniques néfastes sans ôter les influences fastes et notamment des précipitations suffisantes. Cependant il faut aussi souligner qu’une trop bonne adaptation aux conditions climatiques moyennes du milieu rend plus vulnérable aux conjonctions climatiques particulières aléatoires comme une sécheresse prolongée par exemple. Un dérèglement climatique avec des variations aléatoires de grandes amplitudes pourrait alors être particulièrement difficile à supporter ici comme ailleurs.
S’il est vrai qu’un changement climatique avec tendance au réchauffement est en œuvre, cet exemple de réactions aux contraintes que le climat impose en un lieu donné, l’absence de déterminisme qu’il met en lumière, tout cela montre qu’il est difficile d’en prévoir l’impact pour les populations humaines à l’échelon local d’autant qu’il est aussi difficile de prévoir comment se traduira à cet échelon le supposé réchauffement global.
Notes
(*) - Sans doute cela fut-il le cas aussi d’autres civilisations : celle de l’Ile de Pâque, ou des Incas qui ne purent supporter les contraintes rétroactives induites par les changements qu’elles avaient fait subir à leur milieu et qui disparurent, moururent comme aiment le dire certains ethnologues et philosophes. Il y a une différence cependant avec la civilisation occidentale. Celles-là étaient locales, celle-ci est en voie de mondialisation.
(**) - Ici encore la qualification ‘naturelle’, bien que conforme à l’usage ordinaire et administratif-juridique est assez impropre. Il n’y a calamité que parce qu’il y a culture, donc rien de naturel.
Lundi 10 Septembre 2012
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