VEOLIA grand ami de la nature participerait au sauvetage d’un papillon en danger, la laineuse du prunelier, en aménageant une partie de sa carrière à ciel ouvert d’extraction de basalte à Châteaugay. C’est ce message que délivre une des chroniques « écolo » diffusées avant chaque étape du Tour de France sur France 2. En 2019, c’était la carrière de VEOLIA à Lafitte dans les Landes, en 2020 c’est celle de Châteaugay dans le Puy-de-Dôme, en 2021 ?


Comme foutage de gueule, on ne fait pas mieux ! Des pruneliers, il en pousse naturellement tout autour ! Cette carrière n'a rien de paisible et ce n'est pas quelques poissons dans une flaque d'eau qui compensera le saccage de ces terrains qui en libre évolution donnent des chênaies pubescentes naturelles résistantes à la sécheresse riches en espèces et stockant du CO2! Sur le plateau, il existe des tas de petites mares naturelles, fossés, rigoles et points d'eau semi-permanents et les espèces d'oiseaux cités ne dépendent pas de cette mare. D'autant  que l’on oublie de dire qu'à côté l'exploitant a l'autorisation d'exploiter la plus grande partie de cette carrière comme une décharge. C'est ainsi d'ailleurs que la plupart du temps, on remblaie les carrières avec des déchets "inertes"... Déjà l'an dernier, dans ces épisodes de greenwashing avec lesquels le Tour de France espère se donner un vernis écolo, il y avait  aussi un épisode vantant les mérites des "réhabilitations" des carrières par Veolia avec un même discours !

Le choix de cette carrière de Châteaugay ne tient pas du hasard : Veolia veut ouvrir sur le plateau une autre carrière, celle-ci s'épuisant. Ce projet se heurte à une vive opposition des associations locales et des habitants, excepté le petit nombre intéressé financièrement. Et comme par hasard, Veolia est un "partenaire" du Tour de France, c'est-à-dire lui donne de l'argent.

Étrange que le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) accepte de faire cette promotion des carrières de Veolia? Pas tant que cela lorsque l'on sait que lui et Veolia ont signé un partenariat : du fric pour faire tourner le muséum contre le verdissement d'un des plus gros pollueurs de France, bétonneur, goudronneur face auquel se retrouvent les vrais défenseurs de la Nature, ici ou ailleurs comme à Notre Dame des Landes !  Cette infiltration de structures de recherches par ce genre de sociétés privées est un poison grave qu'il faut dénoncer car il décrédibilise gravement la recherche et la parole des chercheurs.
 

Vendredi 11 Septembre 2020 Commentaires (0)

Cet écrit « Qu’est-ce qu’une plante ? » n’est pas une simple mise au point sur et une élucidation philosophique de « l’essence du végétal », c’est un texte militant qui veut à toute force conserver une représentation traditionnelle des plantes qui remonte à Aristote et qui concorde avec celle qu’en ont les végans parce qu’elle justifie leur « zoocentrisme ». « Ce qu’une végane ne veut pas que soit une plante » eût été un titre plus à même de refléter le contenu de cet ouvrage car au terme de la lecture de l’ouvrage, c’est bien la seule chose que l’on aura apprise.


Un livre bien mal titré "Qu'est-ce qu'une plante? " de Florence Burgat (Partie 1)
Florence Burgat Qu’est-ce qu’une plante ? Essai sur la vie végétale, Seuil 2020, 204 pages, 20€. Bibliographie récapitulative des ouvrages cités. Pas d’index. Pas de date de publication des ouvrages originaux, ni des premières éditions.

Cette longue analyse critique a été divisée en trois articles :
 
Un livre bien mal titré "Qu'est-ce qu'une plante? " de Florence Burgat Partie 1
Un livre bien mal titré "Qu'est-ce qu'une plante? " de Florence Burgat (Suite)
Un livre bien mal titré "Qu'est-ce qu'une plante? " de Florence Burgat (Fin)

Avertissons les lecteurs d’emblée : ceux qui ne sont pas accoutumés à une certaine forme d’écriture philosophique trouveront bien des développements de cet ouvrage quelque peu amphigouriques, en tout cas d’un abord difficile.
 
Remarquons ensuite une absence. Aujourd’hui on demande à juste titre à l’auteur d’un ouvrage ou d’un article publié dans une revue scientifique  «une déclaration d’intérêt », les intérêts en question n’étant pas seulement financiers mais pouvant être aussi des intérêts de groupes, comme ceux d’une école de pensée, qui pourraient faire douter de son impartialité ou de son objectivité. Dans le cas de cet ouvrage, la présentation de l’auteure, en quatrième de couverture mentionne seulement qu’elle travaille sur la condition animale et non qu’elle défend la cause animale et qu’elle est végane. Concernant le sujet traité et la façon dont il l’est, le préciser aurait permis d’éclairer le lecteur sur le propos de l’auteure. Tous ceux qui seront intéressés par la question titre ne savent pas forcement qui est Florence Burgat (1)
 
Les récents progrès effectués dans la connaissance des plantes au cours de ces trente dernières années conduisent à un changement radical dans la représentation de ce l’on appelait le règne végétal. Les plantes ne peuvent plus être pensées comme des êtres passifs, immobiles, insensibles à leur environnement et inconscients d’eux-mêmes. Elles communiquent, se défendent, se meuvent. Conscientes de leur propre corps et de sa situation dans l’espace, les plantes ont aussi une mémoire. Leurs comportements sophistiqués impliquent qu’elles possèdent une intelligence comprise comme capacité de résoudre des problèmes. Cette sorte de réhabilitation des végétaux terrestres dans l’ordre du vivant ne fait pas du tout l’affaire des végans et de ceux qui se disent « antispécistes » mais qui sont en fait « zoospécistes ».
 
Florence Burgat est persuadée qu’il  rend plus difficile d’évoquer la souffrance animale et de prôner au nom de la morale un régime végétalien et un mode de vie excluant tout recours à des produits animaux ou utilisant leur force. Si cette réhabilitation est si populaire, ce serait parce que, selon les végans – et leurs idéologues dont l’auteure de cet ouvrage – elle  donne bonne conscience aux gens. Elle leur permettrait de ne pas culpabiliser en ne changeant rien à leurs habitudes alimentaires, vestimentaires, leur mode de vie. Ils pourraient continuer d’utiliser des animaux de rente et notamment de les tuer pour les manger sans problèmes, ni remords. Comme l’écrit l’auteure de cet ouvrage(2): « Cette curieuse générosité épistémologique banalise en tout cas l’idée que puisque tout souffre, dont ces grandes oubliées que sont les plantes, alors tout est permis » (p.13) notamment et surtout d’être « carniste »(3). Le dernier chapitre au titre explicite – « la souffrance des plantes, nouveau contrefeu à la cause des animaux » développe ce point avec véhémence. Disqualifier la possibilité même que les plantes puissent souffrir afin d’éteindre ce « contrefeu », tel est l’objectif de cet ouvrage, sa raison d’être. Pour cela il faut rejeter tout ce qui pourrait conduire à mettre la plante sur un pied d’égalité avec l’animal.

Pour l’A. cette réhabilitation des plantes n’est qu’un anthropomorphisme et un zoocentrisme conduisant à une indistinction et confusion des règnes. Dès les premières pages de l’ouvrage, elle nous donne la réponse à la question qui sert de titre à son livre : « Qu’est-ce qu’une plante ? ». C’est « une vie fixée » et « la vie fixée » est celle qui « ne fait qu’un avec son mode d’être », en des termes plus prosaïques, une plante est un être sans conscience, ni sensibilité qui ne fait que végéter, pousser. Cette vie serait « immobile », « indifférente », sans sensation et donc sans douleur (p.81), une sorte de coma(4) où seules les fonctions vitales seraient assurées(5). « C’est à cette vérité phénoménologique que nous voulons donner la parole pour tenter de caractériser la vie végétale. Une parole qui vient à point nommé puisque certains livres ont instillé dans l’opinion la croyance selon laquelle les plantes vivent, souffrent et meurent comme les humains ou les animaux » (p.12). Traduisons en langage ordinaire : l’A. veut restituer à la plante son statut de légume au sens figuré comme au sens propre pour celles qui sont comestibles. Un statut plus conforme à l’idéologie végane.
 
Son argumentation se fonde sur ce qu’elle considère être deux caractéristiques essentielles des plantes ; c’est-à-dire des caractéristiques qui ne seraient pas de simples propriétés parmi d’autres mais qui exprimeraient ce que sont les plantes, deux caractéristiques constitutives de l’essence de la « végétalité » en quelque sorte. Elles seraient, selon l’A., les suivantes : « elles ne se meuvent pas » (p.12) par opposition aux animaux et elles ne meurent pas comme meurent les animaux, elles ne meurent pas vraiment. L’ennui, c’est que ces deux assertions sont fausses. Les plantes ont des façons variées de se mouvoir, différentes selon les espèces, un mouvement qui n’est en aucun cas une simple réaction à des stimuli extérieurs, et évidement elles finissent toutes par mourir vraiment !  Comme c’est dans l’absence de ces deux propriétés que se logerait la singularité des plantes par rapport aux autres vivants que sont les animaux (humains inclus), je reviendrai plus longuement sur cette double absence par la suite.
Dans cet ouvrage la végétalité est donc définie négativement par comparaison avec les animaux et les humains : l’A. s’efforce de mettre en évidence que les plantes ne possèdent pas les propriétés propres aux humains et animaux qui en font des êtres sensibles et conscients. Comme le lecteur pourra le constater à la lecture de l’ouvrage, s’il n’est pas découragé dès les premières pages, l’A. prête beaucoup à l’animal. Elle en dépouille d’autant la plante et lui ôte ce que l’on serait en droit de lui attribuer au vu des avancées de la biologie végétale.
 
Sa stratégie principale consiste à s’appuyer de façon sélective sur l’histoire de la philosophie en invoquant quelques œuvres de philosophes du passé quand elles vont dans son sens, à savoir l’instauration d’une nette distinction entre l’animal et l’homme d’un côté entre lesquels elle ne fait pas de distinction(6) , le végétal de l’autre et surtout lorsqu’ils font du végétal un être simplement végétatif. C’est ainsi que Heidegger est l’objet d’une vive critique parce qu’il opère le clivage d’une façon qui ne lui convient pas opposant la plante et l’animal d’un côté, l’homme de l’autre (p. 87 et suivantes). La vérité phénoménologique de « la vie fixée » ainsi développée permet d’ignorer largement les découvertes de la biologie végétale de ces cinquante dernières années sans avoir besoin de le justifier.
 
Cet ouvrage ne permettra donc nullement de savoir ce qu’est une plante mais s’il a un intérêt, c’est de donner un aperçu de la vision qu’en ont eu quelques philosophes du passé et comment ceux-ci ont rivalisé d’ingéniosité pour les cantonner dans un statut passif et végétatif, tout en bas de l’échelle des vivants.
 
L’A. a voulu dénoncer ce qu’elle appelle la zoomorphisation des plantes. Mais cette zoomorphisation existe-t-elle ? La plante « zoomorphisée » n’est-elle pas tout simplement de la plante nouvelle que nous livre la biologie végétale actuelle qu’elle refuserait donc d’admettre ? Et que penser de cette « humanisation » intempestive de l’animal qu’elle voudrait faire aller de soi lorsqu’elle oppose la vie végétale et « l’existence animale OU humaine »(7) tandis qu’elle caractérise cette existence comme « individuée, psychique, libre au sein du style comportemental spécifique, inscrite dans le temps fini qu’encadrent la naissance et la mort, et donc inquiète pour elle-même » ? En somme, un bel exemple de la paille et de la poutre !
 
Il y a de plus une ambigüité regrettable : de quelle « vie animale » et de quel animal s’agit-il ? Dans les passages de l’ouvrage où l’A. oppose le règne animal au règne végétal, la « vie animale » à « la vie végétale » biologiquement comprise, l’animal qui est opposé à la plante est une catégorie incluant l’homme, le genre Homo, de façon légitime puisqu’il n’en est qu’un genre parmi d’autres. Mais mettre sur le même pied humains et animaux ne va plus de soi dans des cas où les propriétés attribuées aux derniers ne peuvent l’être que par une extension de celles qui sont propres à l’homme.  
 
Dans ces conditions on peut s’interroger : pourquoi cette extension de l’homme à  l’animal serait légitime et cette même extension de l’homme aux plantes ne le serait pas ? L’A. affirme que « les plantes ne vivent pas dans un monde des signes, c’est-à-dire un monde où circule du symbolique » mais pourquoi les animaux (-non-humains) y vivraient-ils ? Nous ne le savons pas non plus.  Si l’on applique un réductionnisme qui interdit de le conclure dans le cas des plantes, pourquoi ne pas l’appliquer dans le cas des animaux ?
 
L’A. le condamne dans le cas des animaux et refuse qu’on leur applique le canon de Morgan(8) , par contre en ce qui concerne les plantes  « la question (…) ne se pose pas en ces termes dans la mesure ou rien n’invite en réalité ni autorise en vérité à caractériser la vie végétale comme une vie consciente. Il n’y a pas de psychologie végétale, parce qu’il n’y a pas de psyché végétale » (p. 60, souligné par l’auteur). D’une part beaucoup d’expérimentations et observations invitent au contraire à caractériser la vie végétale comme une vie consciente, si l’on veut bien considérer les découvertes concernant le comportement des plantes qui montre une conscience de leur position spatiale donc d’eux-mêmes et des mouvements orientés vers un but (la plante ne fait pas que réagir !) ; d’autre part la question de la conscience et a fortiori de la subjectivité animale ne peut pas recevoir une réponse simple, univoque et non controversée. Selon «l’expertise scientifique » conduite par l’INRA « compte tenu de la quantité limitée de données disponibles et des quelques espèces animales étudiées jusqu'à présent, nous concluons que différentes manifestations de la conscience peuvent être observées chez les animaux mais qu’il faut encore affiner la caractérisation de leur niveau et de leur contenu pour chaque espèce. »(9).  On a là un exemple frappant de la différence de traitement que l’A. réserve aux connaissances sur l’animal et sur la plante.  
 
Cela dit, ce qui, en général, est principalement reproché aux chercheurs qui développent l’éthologie et la neurobiologie végétale, qui attribuent aux plantes une forme de connaissance de leur corps, sorte de  conscience de soi et d’intelligence, ce n’est pas de sombrer dans le zoomorphisme mais de succomber à la tentation de l’anthropomorphisme, non de rapprocher la plante de l’animal mais de l’homme! En fait, les attribuer aux animaux, c’est déjà de l’anthropomorphisme, de telle sorte que le zoomorphisme que l’auteur décèle dans les publications des botanistes contemporains ne serait qu’un anthropomorphisme de second degré.  
 
En termes bergsoniens on pourrait dire que ces cinquante dernières années de recherches sur le végétal l’ont fait passer de la conscience endormie et de l’insensibilité à la conscience éveillée et à la sensibilité, au grand dam des végans. Ce n’est ni faire du zoomorphisme ou de l’anthropomorphisme. Il n’y a pas que les animaux ou les hommes qui vivent, souffrent et meurent. C’est aussi le cas des plantes. Mais affirmer cela, ce n’est pas affirmer que les plantes vivent, souffrent et meurent de la même manière que les humains. C’est cette dernière affirmation qui serait de l’anthropo ou du zoomorphisme. Faute de distinguer clairement entre ces deux affirmations, F. Burgat en vient à nier des évidences. Que les plantes meurent et même qu’elles soient vivantes !
 
Dans le chapitre « l’anthropomorphisation des plantes. Regard sur un symptôme » Florence Burgat, attaque avec virulence deux ouvrages accusés d’anthropomorphiser les plantes, celui de Peter Wohllenben «La vie secrète des arbres» et celui de Stéphano Mancuso et Alessendra Viola  «L’intelligence des plantes». Cette accusation apparaitra à tout le moins comme excessive si l’on distingue bien comme nous l’avons indiqué dans le paragraphe précédent entre affirmer que « les plantes font telle chose ou telle chose, chose que font les hommes et/ou les animaux » et « les plantes le font de la même manière que les hommes et/ou les animaux ». Elle l’apparaitra d’autant plus si l’on sait reconnaître ce qui n’est qu’une façon de parler et de présenter les choses, de les mettre en scène en quelque sorte. 
 
Comme le remarque avec justesse Pierre Donadieu  à propos de l’ouvrage de Peter Wohlleben, ce livre « a surtout le mérite de faire comprendre les écosystèmes forestiers en expliquant la complexité des relations fonctionnelles entre les arbres, leurs commensaux et leurs milieux de vie. Sa verve littéraire emprunte volontiers à la métaphore en prêtant aux arbres des intentions quasi humaines. La société des arbres y acquiert ainsi une existence dont elle dispose rarement dans les publications scientifiques, une sorte de dignité qui inspire le respect comme pour les sociétés animales. » . On pourrait dire la même chose des passages sur la pollinisation dans l’ouvrage de Mancuso et Viola dénoncés par F. Burgat.
 
Aucun lecteur de bonne fois ne prendra au pied de la lettre que les organismes primitifs « ont choisi deux parcours de vie la sédentarité et le nomadisme ». Il est curieux d’ailleurs que F. Burgat critique ce passage de l’ouvrage de Mancuso et Viola alors qu’il ne fait qu’exprimer sur un mode imagé ce qu’elle-même elle exprime dans son jargon lorsqu’elle déclare en début de son ouvrage : « Les plantes ne sont pas douées du mouvement spontané et libre qui fait du lieu occupé un lieu contingent ; celui qui leur échoit est leur nécessité » 
 
Comparons ce qu’elle énonce avec ce qu’écrivent les deux auteurs qu’elle incrimine : « D’emblée les plantes se sont donc retrouvées dans l’obligation de tirer de la terre, du soleil tout ce dont elles ont besoin pour vivre » [ le lieu qui leuréchoit est leur nécessité, en jargon phénoménologique de F. Burgat] ; « de leur côté les animaux ont été contraints de se nourrir d’autres animaux ou de plantes et de développer des formes multiples de mouvement (course, vol, natation) » [« mouvement spontané et libre », « lieu occupé contingent » dans le jargon phénoménologique]. Il y a cependant une différence entre ces deux textes outre celle des styles, imagé d’un côté pour être accessible à tous, abscond de l’autre pour ceux qui ne sont pas familiers avec les tournures et le style de la philosophie dite « continentale » : le statut des plantes n’est pas décrit en terme privatif par Mancuso et Viola alors qu’il l’est par Burgat.
 
L’A. prend au pied de la lettre le passage suivant : « L’homme nourrit et soigne le chien, qui en échange, lui accorde sa protection et sa compagnie. Dans le règne végétal, plusieurs plantes ont recouru à une stratégie identique : elles subviennent aux besoins alimentaires de l’homme qui, de son côté, les protège contre les insectes, les nourrit et, surtout, les propagent jusqu’aux régions les plus reculées du globe » Outre que cette théorie n’est pas propre aux auteurs, il ne s’agit ici de rien d’autre que de décrire en terme imagé une relation mutualiste  et pas du tout d’« un étrange finalisme » !
 
Autre passage qui suscite l’ire de l’A. : « Les plantes ayant quant à elles décidé d’obtenir le meilleur résultat en demeurant immobiles, il leur a fallu chercher des solutions tout à fait originales » Il ne le devrait pas puisque d’une part il insiste sur la caractéristique selon elle essentielle, l’immobilité et que d’autre part il affirme que les plantes vont développer des solutions originales par rapport à celles des humains ou des animaux. Donc, aucun anthropomorphisme des lors que l’on distingue entre faire la même chose, faire la même chose de la même manière. Par exemple, ce n’est pas de l’anthropomorphisme de considérer que les plantes respirent. Cela le serait si l’on chercher à localiser chez elles un organe ressemblant à nos poumons.
 
Cela dit, il y a aussi des passages dans l’ouvrage de Mancuso et Violae, surtout dans l’introduction où où l’on pourrait déceler un glissement du « les plantes le font aussi » au « elles le font comme les humains » mais c’est pour les mettre en scène pour expliquer de façon vivante et accessible les stratégies de pollinisation. Cette façon de procéder est certes discutable mais du point de vue pédagogique et de vulgarisation elle a aussi ses mérites en rendant concrète ces notions de mutualisme et de parasitisme, elle parle aux lecteurs.
 
C’est ainsi que sur l’ouvrage de Peter Wholleben, les avis des botanistes et chercheurs dans le domaine du végétal ont été divers. Certains l’ont condamné, c’est le cas de Yves Brunet dans une note de Science et Pseudo science  ou Jacques Tassin dans sa contribution au débat organisé par la Société Française d’Écologie et d’Évolution, contribution  que cite l’A.  D’autres l’on encensé ! C’est le cas notamment de Francis Hallé  qui considère qu’il s’agit d’un bon livre ou d’un autre participant  à la discussion au débat organisé par la Société Française d’Écologie et d’Évolution, Jean François Ponge, directeur de recherche et professeur émérite au Muséum National d’histoire naturelle qui conclut son commentaire en ces termes : « Le livre dérange, c’est aussi son but au-delà de l’émerveillement devant « l’économie de la nature » (la définition originelle de l’écologie), mais c’est avant tout un outil pédagogique qui mériterait d’être entre les mains de tous les étudiants désireux de devenir des gestionnaires de nos forêts. ».
 
Il faut encore ajouter deux choses. Tout d’abord ces façons imagées de présenter les choses sont compensées dans les deux ouvrages en question par une bibliographie détaillée qui renvoie à d’autres ouvrages plus « techniques » et à des articles de revues scientifiques à comité de lecture. Dans celui de Mancuso et Viola c’est même à chaque chapitre qu’est associée une bibliographie commentée et pour certains articles jugés importants, il s’y ajoute une traduction dans la langue maternelle des résumés.
 
Ensuite les botanistes, les spécialistes de physiologie, de neurologie ou éthologie végétale qui écrivent ces ouvrages « grand public »  ont aussi pour but explicitement reconnu de faire changer le regard des gens sur les plantes. Et c’est en définitive ce à quoi s’oppose Florence Burgat qui souhaiterait au contraire que ce regard ne change pas et pour cela appelle à la rescousse les philosophes du passé qui, bien entendu ne pouvaient savoir aux sujet de ces êtres ce que les cinquante dernières années nous ont appris nous mettant face à « un arbre tout neuf » pour reprendre l’expression de Francis Hallé et qui vaut aussi pour beaucoup, sinon toutes les autres plantes. 
 

Notes

  [1] Voici ce qu’elle a répondu à une question de la journaliste Lorène Lavocat de Reporterre qui lui demandait comment elle en était venue à s’intéresser à la cause animale :  « Ce sont des images d’abattage que j’ai vues par hasard dans un film portant sur tout autre chose. En quelques instants, la viande a pris à mes yeux un sens totalement différent et je me suis mise à associer à cette chair inerte la réalité de son processus d’engendrement. J’ai alors pris une décision réfléchie : si je ne voulais pas participer à ce que je venais de voir, il était impératif de cesser de manger les animaux. J’ai compris que la viande n’avait aucune autonomie, qu’elle était la chair équarrie d’un animal tué — de trois millions d’animaux tués chaque jour en France, dans ses abattoirs. » https://reporterre.net/Florence-Burgat-L-institution-de-l-alimentation-carnee-reflete-un-desir-tres


 [2] Dans la suite du texte, l’expression « l’auteure de cet ouvrage » sera abrégée en « A. ».

 [3] On remarquera que cette explication de l’intérêt porté aux découvertes récentes en biologie végétale est à tout le moins peu plausible. Elle repose sur une croyance sans fondement des végans  selon laquelle les gens qui mangent de la viande, s’habillent avec des vêtements en laine ou en cuir ont mauvaise conscience ou se sentent coupables de le faire. Cela a peut-être été leur cas pour eux, et le serait sûrement s’ils en étaient réduits à transgresser les tabous qu’ils se sont créés. Mais il n’y a aucune raison de généraliser cet état d’esprit sur les autres, les « carnistes ». Aucune enquête sociologique n’a été entreprise pour mettre à l’épreuve cette hypothèse. Et ce n’est pas parce que quelques auteurs ont utilisé cette promotion de la plante dans le monde vivant pour justifier que l’on mange de la viande que cela peut être généralisé. Revenons sur terre, les gens n’ont pas besoin d’être déculpabilisés parce qu’ils sont omnivores pour la bonne raison qu’ils ne se sentent pas coupables de le faire et que même s’ils l’étaient, ce n’est pas le fait que les plantes puissent aussi souffrir qui les déculpabiliseraient. Ils veulent que les animaux de rente soit bien traités pendant leur vie et tués sans souffrances inutiles, ce qui est très différent et n’a rien à voir avec une éventuelle sensibilité des plantes.
 
[4] C’est bien ainsi que l’A. considère la vie végétale comme le montre la référence à un des papes de l’antispécisme « Yves Bonnardel attire l’attention sur ce point [tout mouvement n’est pas un mouvement volontaire] et fait remarquer qu’un électroencéphalogramme plat n’est pas incompatible avec la poursuite d’une vie. (…) Ainsi, s’il y a bien « transmission d’informations » qui créent des « effets de chaîne » chez les plantes « cela n’autorise nullement à imaginer qu’une conscience les recueille, et décide d’une réaction à avoir. Encore moins qu’elle les ressent » » (p. 91).
 
[5] Cf. la définition de Bergson opposant l’animal au végétal dans  L’évolution créatrice : « Nous définirions l’animal par la sensibilité et la conscience éveillée, le végétal par la conscience endormie et l’insensibilité ».
[6] Les animaux sont souvent désignés par les végans et les antispécistes sous le vocable  « animaux non humains », expression forgée pour refléter dans le langage le rejet de l’opposition homme /animal.
 
[7] C’est moi qui souligne. De même j’ai mis des majuscules au ‘ou’ du texte pour mettre en évidence ce que l’A. veut faire passer comme allant de soi et qui ne va pas de soi!
 
[8]  Comme l’explique l’article de Wikipédia, le canon de Morgan est un principe de rigueur scientifique énoncé par Lloyd Morgan en 1894 : « Nous ne devons en aucun cas interpréter une action animale comme relevant de l'exercice de facultés de haut niveau, si celle-ci peut être interprétée comme relevant de l'exercice de facultés de niveau inférieur» (C. L. Morgan, An Introduction to Comparative Psychology, Londres, W. Scott, 1903, 2e éd., p. 59.
 
[9] Animal  consciousness,  Le Neindre P, Bernard E, Boissy A, Boivin X, Calandreau L, Delon N, Deputte B, Desmoulin-Canselier S, Dunier M, Faivre N, Giurfa M, Guichet J-L, Lansade L, Larrère R, Mormède P, Prunet P, Schaal B, Servière J, Terlouw C, 2017. EFSA supporting publication 2017:EN-1196. 165 pp. doi:10.2903/sp.efsa.2017.EN-1196
 

Dimanche 21 Juin 2020 Commentaires (0)
Un livre bien mal titré "Qu'est-ce qu'une plante? " de Florence Burgat Partie 1
Un livre bien mal titré "Qu'est-ce qu'une plante? " de Florence Burgat Partie 2
Un livre bien mal titré "Qu'est-ce qu'une plante? " de Florence Burgat (Fin)

« Les plantes ne meurent pas vraiment ». Vraiment ?

Une des thèses fondamentale et récurrente de cet ouvrage est cette curieuse affirmation selon laquelle « les plantes ne meurent pas vraiment » (par exemple, p.11, p.123) contrairement aux animaux. Il est l’un des éléments qui permet à l’auteure de justifier une différence de traitement du végétal et de l’animal (qui lui meure vraiment) conforme aux pratiques et interdits végans sur la consommation de viande et de produits animaux. Il s’agit d’une généralisation d’un cas particulier, celui d’une catégorie d’arbres, les arbres « coloniaires ».
 
Cette généralisation est évidement fausse.  Lorsque Francis Hallé  parle d’une « immortalité virtuelle », il ne s’agit  donc pas de LA plante, mais d’un type de végétaux bien précis : les arbres et il ne s’agit même pas de tous les arbres mais d’un certain type d’arbres. C’est Francis Hallé lui-même qui met en garde contre une généralisation abusive : « Sachez d’abord qu’il ne faut pas généraliser, puisque beaucoup d’arbres n’ont qu’une vie brève, comparable à la vie humaine, un demi-siècle à un siècle ; notre Bouleau d’Europe, les Parasoliers des bords de route en Afrique tropicale en sont des exemples. »(10
 
En outre l’A. semble oublier que les auteurs qu’elle cite à l’appui de cette curieuse assertion précisent bien qu’un arbre peut mourir et pas du tout relativement puisqu’il peut être tué par des causes externes. F. Hallé cite : le vent, le feu, le froid, des pathogènes, un glissement de terrain, ou la tronçonneuse de l’exploitant forestier. De cela on pourrait conclure, contrairement à ce que veut prouver l’auteure dans cet ouvrage qu’il est bien moins grave de tuer une vache ou un agneau, véritable artéfact comparés à l’animal sauvage, créatures mortelles de toute façon, qu’un arbre coloniaire, un chêne par exemple, (voire un végétal, puisqu’elle va généraliser) puisque ce dernier est un être immortel qui ne peut mourir de sa « belle mort » !
 
L’auteure généralise à l’ensemble du règne végétal et  transforme l’immortalité virtuelle, c’est-à-dire l’absence d’un « programme de sénescence » en mourir en « un sens relatif » : « Elle (la plante) ne meure qu’en un sens très relatif (…) Or, mourir en un sens relatif n’est pas mourir, car la mort est la fin absolue et irréversible de tous les possibles. » (p.11). Pour illustrer, peut-être pense-t-elle-même prouver, cette relativité de la mort concernant l’arbre, elle cite les « souches d’arbres abattus » qui « produisent des rejets ou se recouvrent de tissus vivants » mais elle devrait savoir qu’un arbre non dessouché n’est pas « relativement mort » (si l’on ose dire !), il n’est pas mort du tout. Il sera mort si on le dessouche. Elle rapporte aussi des observations de Théophraste, le successeur d’Aristote, ou encore celle de Blaise Cendras qui évoque une « ex-ligne de poteaux de bois dont les branches s’étaient mises à pousser au bout de trois mois » en milieu tropical. C’est le principe du bouturage et du marcottage pour produire un nouvel individu.
 
Mais le point important ici est qu’il ne s’agit pas de l’être initial mais de son tronc qui forme si non un nouvel individu, du moins un nouvel être vivant. A l’appui de cette interprétation la découverte récente qu’une plante traite une bouture d’elle-même comme une étrangère lorsque ses racines rencontrent les racines de cette dernière qui est pourtant génétiquement identique à elle. Physiquement séparée et se développant indépendamment, ce n’est plus la même. Si l’une des deux meurt, elle ne meurt pas relativement, elle disparait définitivement et la survivante bien que génétiquement identique est une autre. Ce qui correspond d’ailleurs bien à l’intuition commune.
Et bien sûr, faisant pièce à cette généralisation indue, il y a les plantes annuelles : c’est-à-dire les plantes qui bouclent leur cycle sur une année civile (de la graine initiale au graines produites) ; c’est-à-dire sous nos latitudes, une plante dont la graine a germé au printemps, et dont la totalité de l’appareil végétatif s’altère et disparaît définitivement en hiver.
 
L’A. qui ne peut pas ignorer l’existence de telles plantes a une vision curieuse du processus : « L’individu [animal] est ou bien encore vivant ou bien déjà mort. À l’inverse, les graines, désormais sèches, antérieurement récoltées au cœur d’un fruit, revivent une fois remises en terre. Les grains de blé, par exemple, doivent mourir pour renaître » (p.15).  Ainsi ressusciter, un miracle que peu de vivants avait pu réussir se trouve banalisé et accompli chaque année par les milliards de plans de blé qui poussent dans les champs ! Mais avant de crier au miracle, il faudrait éviter de confondre dormance et mort car une graine qui est en dormance n’est pas morte, seule le serait une graine ayant perdu son pouvoir de germer et celle-là remise en terre ne revivra pas !
Il faut insister sur ce point, les plantes annuelles ou bisannuelles sont mortelles. C’est-à-dire,  si on considère les membres d’une population supposés de la même espèce, pris un à un, chacun est mortel. La plupart des plantes herbacées sont mortelles, les ligneuses aussi, et les arbres « coloniaires » bien que virtuellement immortels peuvent eux aussi mourir et finissent tous par mourir.
 
« En vous promenant en forêt, ces derniers temps, vous avez peut-être remarqué que de plus en plus d’épicéas sont « secs ». Leurs aiguilles rougissent, chutent, alors que l’écorce se décolle et s’écaille. Bref, l’arbre meurt. Le responsable de ce « carnage » ? Le scolyte, coléoptère xylophage bien connu pour ravager les forêts de résineux. » (11) Quand on voit les ravages que peut provoquer dans une forêt une sécheresse excessive ou une attaque de scolytes tandis qu’une philosophe qui se pique d’écrire un livre de mise au point sur la nature du règne végétal explique que les plantes ne meurent que dans un sens très relatif, en fait ne meurent pas et que cette thèse saugrenue est à la base de ses analyses, on a envie de hausser les épaules, de refermer le livre.
Pourquoi cette curieuse insistance sur cette mortalité « relative » des plantes qui va si manifestement à l’encontre des observations les plus banales ?
Pour pouvoir affirmer que, seule la mort d’un animal est une tragédie car irréversible et définitive. « Mourir en un sens relatif n’est pas mourir, car la mort est la fin absolue et irréversible de tous les possibles » (p. 15) Et si les plantes ne meurent pas, elles sont vivantes mais, en un certain sens, ne vivent pas car « la vie n’est pas le vivre » (titre d’un chapitre). Reprenant les analyses du phénoménologue Renaud Barbaras, l’A. distingue entre « la vie » et « le vivre ». La vie ne serait pas un vivre parce que rien n’est vécu par elle ! « Le vivre est la vie vécue par un vivant mortel » (p.91).  Comme les plantes ne sont pas mortelles, elles sont en vie mais n’ont pas de vie vécue. Elle cite alors Barbaras : « un vivant n’est vivant que s’il est mortel mais il n’est mortel que s’il est d’emblée privé de la surpuissance et de l’éternité de la vie ». Mais quelle est donc cette « vie » dont parle ce philosophe ?  La vie au sens biologique n’a rien d’éternel, elle est apparue et disparaitra de toute façon avec l’agonie du Soleil. Et même si elle est apparue aussi sur d’autres planètes, cela ne lui confère aucune éternité. On croyait naïvement que la vie éternelle n’était pas de ce monde et voilà de Florance Burgat nous explique que les plantes la possède ! Avec les plantes, le ciel est descendu sur la Terre.
 
Elle nous explique que dotée de la surpuissance et de l’éternité de la vie, les plantes n’ont pas de vécu, de vie psychique : « puisque son mode de vie n’est pas celui de l’être-mortel, qu’elle n’est pas une vie inquiète, mais une vie indifférente, qu’elle se reproduit en se divisant, qu’elle renaît sans cesse de ses cendres, qu’elle ne se tient pas dans l’écart mais au contraire dans l’immanence avec son milieu » (p.92). Tout ce verbiage pseudo-hégélien pour nous persuader que c’est très mal de manger le bœuf mais pas les carottes! 
 

« Une vie fixée » certes, mais qui a la bougeotte !
 
Le fondement de sa justification d’une différence d’essence entre l’animal et la plante repose sur une deuxième thèse selon laquelle la vie végétale est une vie « fixée » : « Elles [les plantes] se développent, grandissent, forcissent, se propagent, changent de forme, mais elles ne se meuvent pas » (p. 12) Pour l’auteure cette absence de mouvement est quelque chose de capital, une caractéristique essentielle du mode d’être du végétal. « Cette situation n’est pas un détail formel », le végétal aurait une vie fixée, que l’auteure caractérisera surtout négativement parce qui lui manque en comparaison de la vie animale, ce qui lui permettra de assigner à ce végétal un statut conforme au véganisme.
 
Certes, cette façon de distinguer l’animal, être qui se meut, du végétal, être qui ne se meut pas, est des plus traditionnelles et l’A. peut appeler à sa rescousse, pour la fonder une cohorte de philosophes du passé. Mais on sait depuis très longtemps qu’il existe des plantes qui bougent. La Sensitive (Mimosa pudica) introduite en Europe au XVIIe siècle qui referme ses feuilles lorsqu’on la touche est sans doute le cas le plus populaire et spectaculaire de ces plantes qui bougent mais il y a aussi les grimpantes et les carnivores. Toutes ces plantes ont posé problème à ces philosophes et posent problème l’A. qui  comme eux voit dans l’absence de mouvement sinon l’essence, du moins une caractéristique distinctive du végétal. Il a donc fallu qu’ils en disposent et pour le résoudre l’A. va s’appuyer sur eux. Les ouvrages auxquels elle se réfère datent pour les plus récents du début et de la première moitié du XXe siècle : L’évolution créatrice de Bergson 1907, Les degrés de l’organique et l’homme de Plessner (un philosophe anthropologue allemand) 1928, des textes de Canguilhem (épistémologue bachelardien) datant des années 50. Or les découvertes qui ont révolutionnée la connaissance des plantes datent d’une trentaine d’années. Devant ces nouvelles connaissances, quelles auraient été les interprétations de ces auteurs qui philosophaient à partir des données et théories biologiques de leur époque ?
 
En tout cas, en s’en tenant à leurs analyses sans prendre en compte ce qui dans les récentes découvertes peut apporter de neuf à la vision du règne végétal, tout se passe comme si l’auteure avait décidé de ne pas en tenir compte. Comme cette option reste dans l’implicite et dans le non-dit, elle n’est pas justifiée. Elle pose pourtant problème. Peut-on philosopher sur le végétal en laissant de côté l’état actuel de la connaissance scientifique en la matière ? Ce n’était pas la façon de procéder des auteurs dont elle utilise les analyses qui toutes s’appuyaient sur les connaissances de leur époque.
 
Dans sa première façon de contourner cette donnée factuelle qui oblige à considérer qu’il y a des plantes qui bougent et pour continuer d’opposer le règne animal au règne végétal, l’A. s’appuie principalement sur les analyses de Bergson dans L’évolution créatrice. Fixité et mobilité y sont considérées non comme des caractères mais des tendances évolutives, ce qui permet à Bergson et à  F. Burgat qui reprend cette interprétation de régler au moins en partie la question de ces contre-exemples à l’absence de mouvements chez les plantes. Ceux qui sont mentionnés dans le texte de Bergson sont ceux des plantes grimpantes, des plantes insectivores et ceux de la Sensitive. Tous ne seraient selon Bergson que des cas marginaux et leurs mouvements limités à seulement des parties de leur organisme : elles ne se déplacent pas. Que la plupart des vivaces à rhizome déplacent leur point d’ancrage lui avait échappé et semble avoir aussi échappé à Burgat. Cela est typique d’une tendance fort répandue de ne prendre en compte que la partie aérienne et visible des végétaux et d’ignorer leur partie souterraine invisible.
 
Car il y a bien des plantes qui non seulement bougent mais qui de plus, peuvent changer de lieu. Leur nombre, comme le nombre d’espèces auxquelles elles appartiennent est loin d’être négligeable. Ces plantes déplacent leur point de fixation migrant progressivement vers des endroits plus favorables.
 
Parmi celles-ci, connue de tous, il y a le muguet. Il n’est nullement nécessaire d’être un botaniste chevronné pour reconnaître un plan de muguet. Il faut déjà connaître un peu plus de botanique pour savoir que cette plante se déplace. Et le muguet n’est pas le seul à déplacer son point de fixation, c’est le cas aussi de plantes aussi communes que le chiendent, le sceaux de Salomon. Elles utilisent le même procédé que le muguet : « Le chiendent a un rhizome qui croît horizontalement dans le sol et produit chaque année une nouvelle pousse dressée, qui porte des feuilles et des fleurs. Les pousses de l’année précédente disparaissent au fur et à mesure, ainsi que les parties les plus âgées du rhizome ; la plante avance au rythme d’allongement de son rhizome. (…). Il en est de même du sceau de Salomon, du muguet … dont le rythme de déplacement est plus faible. (12). Précisons qu’il ne s’agit pas d’une plante qui renaîtrait de ces cendres mais d’un même pied, le muguet étant une plante géophyte, c’est-à-dire une plante dont les bourgeons de renouvellement, ceux qui lui permettent de survivre à la saison défavorable, sont situés dans le sol.
 
Il en va de même pour les orchis et les ophrys mais eux déplacent leur point d’ancrage d’une autre manière comme le rapporte Aline Raynal-Roques dans l’ouvrage cité. Ils produisent « chaque printemps un petit tubercule tandis que se détruit progressivement celui de l’année précédente. La séquence de tubercules progresse en ligne : la plante avance, de tubercules en tubercules, au fil des années. Le déplacement est lent, de l’ordre de quelques centimètres par an. » (13)
 
Dans cette partie souterraine, on peut encore signaler des mouvements particuliers aux plantes à bulbes que Bergson ignorait, en tout cas ne mentionne pas et que Burgat ignore aussi ou passe sous silence. Selon l’espèce, les plantes bulbeuses vont fixer leur bulbe à une profondeur dans le sol optimale pour elles. Par exemple, pour les cormes des Crocus, elle est de 5 à 7 cm, le bulbe de certaines Amaryllis est de 20 à 30 cm.  Or dans les conditions naturelles, c’est-à-dire non plantés par un jardinier ou accidentellement par quelque animal fouisseur, le jeune bulbe commence à se développer juste sous la surface du sol. Il devra s’enfoncer progressivement pour trouver le lieu optimal où se fixer. A cette fin, il produit des « racines tractrices » « qui se développent vers le bas ; puis elles se raccourcissent  en prenant un aspect ridé transversalement ; la traction ainsi réalisée entraîne le bulbe vers le bas. »(14).
 
Donc, les plantes, ou du moins certaines d’entre-elles, non seulement bougent mais changent de place, en déplaçant leur point de fixation vers les endroits les plus favorables. Si l’on veut vraiment étudier les plantes pour elles-mêmes sans faire de zoocentrisme, ce sont à ces façons originales de se déplacer qu’il faut s’intéresser. Il apparaît alors que la mobilité et la fixité ne constituent pas deux pôles ou deux tendances évolutives, l’une propre au règne animal, l’autre au règne végétal et s’opposant mais que dans le cas des végétaux, il y a chez certains d’entre eux une manière originale de combiner fixité et mobilité, au sens changement de lieu comme dans le cas pour les plantes vivaces à rhizomes et à bulbes.  
 
Mais finalement de cette spécificité des plantes, de cette « plantitude » pour reprendre une expression de Marc-André Selosse, l’A. n’a cure. Elle cherche à montrer que, alors que les animaux sont conscients de ce qu’ils font, les plantes ne peuvent pas l’être, y compris lorsque certaines d’entre elles manifestent une aptitude à se mouvoir qui n’est pas marginale dans le règne végétal et qu’elles se meuvent de façon tout à fait originale. Pour l’A., il s’agit, avant tout, de défendre les a priori végans sur le règne végétal en liant la capacité de se mouvoir dont les plantes seraient dépourvues à la conscience dont elles seraient du même coup également dépourvue.
Il y a donc des contre-exemples manifestes à cette absence de mouvement des plantes comme on vient de le rappeler.  Bien qu’elle ne dise rien, ou presque rien, d’eux  F. Burgat n’est sans doute pas sans les ignorer et il faut donc en disposer pour sauver ce qu’elle a posé comme étant par essence le mode de vie du végétal : « la vie fixée ».  Il s’agit de se prémunir contre les découvertes passées, présentes ou à venir de mouvements chez les plantes qui pourraient remettre en question cette conception des plantes comme des légumes au sens figuré et aussi au sens propre pour les comestibles.
 
Aussi l’A. passe d’une simple faculté de se mouvoir à une mobilité dont « les motifs ne seraient pas des causes » ! Mobilité dont seraient pourvus les animaux et dépourvues les plantes.
« Aucune plante ne se meut à la façon des animaux, qui quittent un lieu pour un autre, et ce, pour des motifs qui ne sont pas des causes, affirme-t-elle » Si on peut être d’accord avec le début de cette assertion puisque les animaux ne produisent pas de racines pour se mouvoir comme le font les plantes bulbeuses, il faut cependant reconnaître qu’en écrivant cela, ce n’est pas du tout ce que veut dire l’A.
 
Les plantes ne quitteraient pas un lieu pour un autre pour des motifs qui ne seraient pas des causes, ce que feraient les animaux. Cette assertion est pour le moins obscure. En fait pour tenter de comprendre ce qu’elle veut dire, il faut se reporter quelques pages en arrière où elle livre un aperçu des thèses de Schopenhauer concernant cette question. Il s’agirait d’une volonté sans représentation, un vouloir qui ignore tant son objet que la finalité recherchée par l’action entreprise. Ainsi l’oiseau qui construit un nid n’aurait pas la représentation de ses œufs, ni l’araignée de sa proie lorsqu’elle tisse sa toile. Il s’agirait de rendre intelligible une activité vitale aveugle et dépourvue de finalité  (voir p. 42 – 43 de l’ouvrage).
 
Si certaines activités animales relèvent de cette catégorie, il faut aussi admettre, suivant Schopenhauer et l’A. qu’il en existe d’autres qui ont une fin que l’animal se représente et qu’il poursuit consciemment. En d’autres termes, qu’il choisit effectuer volontairement en toute conscience. Se mouvoir en serait une. En d’autres termes, les animaux qui se déplacent doivent savoir où ils veulent aller et pourquoi. Ce ne serait pas le cas de la plante même si elle se déplace. Pourquoi en serait-il ainsi ? Pourquoi seul, l’animal … Parce qu’il aurait un cerveau ? Les plantes n’ont pas de poumons mais respirent, elles n’ont pas d’estomac mais se nourrissent et nous verrons plus loin la géniale intuition de Bergson à ce sujet. Mais l’un et l’autre peuvent-ils se représenter un but, s’ils n’ont pas de langage peuvent-il avoir des représentations mentales d’un but ? 
 
Cette distinction entre « quitter un lieu pour un autre pour des motifs qui ne sont pas des causes » versus « quitter un lieu pour un autre pour des motifs qui ne sont que des causes »,  pour obscure qu’elle puisse être, reste néanmoins essentielle pour les visées de l’A. En effet, lier mobilité et conscience permettrait certes de conférer une conscience à n’importe quel animal mais  aurait des conséquences catastrophiques pour ce qu’elle cherche à établir, à savoir que la plante ne sait pas ce qu’elle fait, n’a pas conscience de le faire, qu’elle n’a pas de conscience ni d’elle-même, ni de quoi que ce soit. En effet,  «entre la mobilité et la conscience, il y a un rapport évident » écrit Bergson, ce qu’approuve l’A. qui commente « comment, en effet, aller ici plutôt que là, sans intentionnalité ? », cette interrogation étant purement rhétorique.
 
Il faudrait donc accorder la conscience et tout ce que la mobilité implique aux plantes qui déplacent leur point de fixation pour migrer vers un endroit plus favorable mais le refuser à celles qui ne le font pas ? Cela semble peu vraisemblable et en tout cas déplacerait la « césure » à l’intérieur du règne végétal, ce que n’admettrait pas l’A.
 
Mais il y a pire car Bergson va beaucoup plus loin. Il note que la mobilité implique qu’un organisme qui en est doté ait le choix entre des mouvements avec une conscience qui accompagne ces choix. « Mais, affirme-t-il ni cette mobilité, ni ce choix, ni par conséquent cette conscience n’ont pour condition nécessaire la présence d’un système nerveux : celui-ci ne fait que canaliser dans des sens déterminés, et porter à un plus haut degré d’intensité, une activité rudimentaire et vague, diffuse dans la masse de la substance organisée. Plus on descend dans la série animale, plus les centres nerveux se simplifient et se séparent aussi les uns des autres ; finalement, les éléments nerveux disparaissent noyés dans l’ensemble d’un organisme moins différencié. Mais il en est ainsi de tous les autres appareils, de tous les autres éléments anatomiques ; il serait aussi absurde de refuser la conscience à un animal, parce qu’il n’a pas de cerveau, que de le déclarer incapable de se nourrir parce qu’il n’a pas d’estomac » Même si cette assertion est fondée dans L’évolution créatrice sur des raisons discutables dans la mesure où elles supposent une échelle des êtres et tendent à confondre modularité et polyvalence avec indifférenciation, on voit tout le parti que pourraient en tirer les partisans de la neurobiologie végétale et des partisans d’une plante qui saurait ce qu’elle fait et serait consciente bien que n’ayant pas de cerveau. Cette absence de système nerveux et de cerveau étant l’un des arguments principal utilisé par ceux qui refusent de parler d’intelligence et d’activité volontaire chez les plantes. Or, l’A. bien qu’étant de ceux-là,  approuve la conclusion de ce passage que j’ai souligné. Si elle peut le faire, c’est parce qu’elle considère que les déplacements des plantes quand ils existent ont des motifs qui ne sont que des causes. Non conscient donc non intentionnels.
 
Les plantes auraient donc des mouvements mais ne se mouvraient pas : elles ne feraient que réagir à des stimuli externes qui, en sorte la feraient bouger : « les mouvements des plantes sont déterminés par le milieu » (p. 62) elles ne se meuvent pas même si elles en ont l’air. Pour l’A. c’est le milieu qui  les fait se mouvoir et il détermine leurs mouvements, leurs directions ; il provoque leur mouvement et le modèle. Aussi lorsque les plantes nous semblent décider d’aller dans telle direction plutôt que dans telle autre, ce n’est pour l’A. qu’une apparence, en réalité elles réagissent « à une palette de stimuli et sont donc animées de mouvements multiples » (p. 62).
 
Cette façon de concevoir le comportement d’une plante fait irrésistiblement penser à Skinner et à sa théorie du comportement modelé par des « contingences de renforcement » si ce n’est que ce psychologue ne s’est pas intéressé aux plantes et n’a pas tenté d’appliquer à leur comportement sa théorie. De plus, il ne fait pas de distinction entre le comportement animal et humain, l’un est l’autre étant « modelé » de la même façon. Pour Hans Jonas auquel l’A. se réfère, il faut distinguer entre le mouvement purement « réactif » et « local » d’un végétal, en l’occurrence  une plante carnivore – la Vénus attrape-mouche ou dionée – qui referme sur une proie qui a stimulé les poils de ses feuilles aux bords pourvues de dents  avec celui « contrôlé centralement » d’un animal qui ouvre et ferme sa mâchoire. Voici le texte de Jonas qu’elle cite. Cela vaut la peine de le rapporter pour que chacun puisse constater par lui-même que ce n’est pas ce que ce philosophe a écrit de meilleur : «  La plante peut-elle fermer et ouvrir ses feuilles ? L’animal peut librement fermer et ouvrir ses mâchoires  quand il en a envie – pour mâcher, pour bailler, ou simplement pour exercer cette faculté – et il peut arrêter et inverser chaque mouvement en cours ».
 
Ainsi selon Jonas, les animaux peuvent ouvrir et fermer leur gueule pour rien : l’acte gratuit du chien qui prouve sa liberté de mouvement ! Il est évidement pour le moins douteux que l’acte d’ouvrir et de fermer ses mâchoires soit chez un animal libre de tout stimuli interne ou externe ! Bailler est un acte réflexe involontaire qu’un homme peut juste « étouffer », ce que ne fera jamais un animal ! La mastication est une phase de la manducation qui peut certes s’interrompre mais n’est pas un bon exemple d’action libre.  Voilà pour l’animal !
 
Pour la plante, ce n’est guère mieux : si la fermeture de la feuille n’était qu’un simple mouvement réflexe en stimulus/réponse localement provoqué, il se déclencherait quel que soit le stimulus qui excite la surface de la feuille, ce qui n’est pas le cas ! Pour éviter une fermeture intempestive du piège par des gouttes de pluie ou des brindilles poussées par le vent, le piège ne peut se fermer qu'après une double stimulation des poils sensitifs. La fermeture du piège de la dionée est donc un phénomène complexe contrôlé par le transfert de nombreux signaux à travers sa structure. Un premier signal est envoyé par le premier poil sensitif à être touché en direction des autres poils pour les sensibiliser. Puis, un deuxième signal est envoyé par le deuxième poil touché en direction des parties externes des lobes pour induire leur courbure. La nature exacte de ces signaux reste encore largement inconnue. Il faut de plus que la plante « se souvienne » qu’un premier poil a été touché pour qu’elle referme le piège lorsqu’un deuxième poil l’est. En outre, si l’intervalle de temps est trop long, le piège ne se referme pas. On est donc loin d’un mouvement purement réactif et local (15). L’attention aux détails permet d’éviter de dérailler lorsque l’on philosophie.
 
L’idée que les plantes sont passivité pure ne tient pas devant les preuves observationnelles et expérimentales qui montrent le contraire.
 
Même les végétaux qui paraissent immobiles ont des mouvements propres. Les arbres en sont de bons exemples. Les arbres sont les végétaux qui semblent les moins aptes à avoir des mouvements spontanés. Pourtant bien que leurs mouvements soient invisibles à l’œil nu, s’ils restent bien entendu ancrés dans le sol par leurs racines, ils bougent pour s’adapter à leur environnement et cette motricité doit être distinguée de leur croissance. C’est le réseau de la cellulose du bois qui se contracte et se détend et fonctionne ainsi comme un muscle rendant possible ces mouvements(16).  


Comme toutes les plantes, les arbres doivent avoir conscience de leur corps dans l’espace pour pouvoir pousser droit comme l’on brillamment démontré les chercheurs du PIAF –Laboratoire de Physique et Physiologie Intégratives de l'Arbre Fruitier et Forestier de l’INRA et de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Ils ont découvert que « les plantes ne peuvent pas maintenir leur port érigé à l’aide de la seule perception de leur inclinaison par rapport à la gravité. Il faut leur adjoindre une perception continue de la propre courbure de leurs tiges et une tendance à la rectification de celle-ci. Il s’agit ainsi d’un phénomène de proprioception, comparable à ce que l’on rencontre chez les animaux et les humains et qui permet aux organismes d’avoir le sens de leur forme et de leur mouvement » (17) ; autrement dit, une certaine conscience de leur propre corps.
 
Et si cela ne suffisait pas, pour achever de battre en brèche cette conception de la plante légume que F. Burgat veut restaurer en ignorant superbement les découvertes récentes sur les végétaux, voici un texte récent de Francis Hallé, un auteur qu’elle aime citer mais mésinterprète en tirant dans son sens la conception de la plante de ce botaniste alors qu’elle en est à certains égards à l’opposé puisque pour lui, l’arbre et plus généralement la plante qui est « en face de nous » n’est plus celui de nos parents et encore moins celui de nos grands-parents « après un demi-siècle de découvertes par les chercheurs du monde entier », a fortiori donc, il n’est plus celui des philosophes du XIX et de la plus part des auteurs sur lesquels F. Burgat appuie sa phénoménologie des plantes. Donc à propos des lianes à vrilles comme la Passiflore ou la Bryone qui ne changent pas de lieu mais ne sont pas immobiles pour autant, Francis Hallé rapporte une expérience qui montre qu’elles sont capables d’anticipation, bien que sans cerveau : « Poussant près d’un support inerte, une jeune liane envoie une vrille dans sa direction. Juste avant que la vrille ne l’atteigne, on déplace le support de cinq centimètres vers la droite. La liane envoie une deuxième vrille et juste avant qu’elle ne touche le support, on déplace à nouveau ce ddernier de cinq centimètre vers la droite. Après avoir répété l’opération quatre ou cinq fois, l’expérimentateur a la surprise de constater que la liane envoie sa prochaine vrille cinq centimètre à droite du support. »(18)
 
Sans doute l’A. n’admettrait pas cette accumulation de faits comme probante : « La pure empiricité ne saurait fournir ses cadres à la pensée qui conceptualise. Prise pour guide, la graduation, qui se constate parfois sur le plan empirique, fait courir le risque d’ l’indistinction. L’observation empirique ne doit pas empêcher le travail du concept, qui sépare et distingue. » (p. 47) Cette curieuse façon de penser le rapport aux données de l’observation et de l’expérimentation rend sa « vérité phénoménologique » impossible à réfuter mais la rend du même coup sans intérêt  et cet ouvrage en a finalement bien peu.
 

Notes

[10] Du bon usage des arbres, p. 23
 
[11] Julien Azémar L’Ardennais, 3/06/2020
 
[12] Aline Raynal-Roques, La botanique redécouverte, Belin/INRA, 1994 p. 271, voir aussi le schéma pour le muguet, p. 272.
 
[13] o. c., p. 270.

[14] Source : Aline Raynal-Roques, o. c., p. 270
 
[15] Source : http://dionee.gr.free.fr/bulletin/txt/d_45_a.htm Sur ce site, l’auteur propose même des expériences à réaliser sur la plante pour déchiffrer, en partie du moins, les arcanes du piège et de la façon dont il fonctionne.
 
[16] Voir un exposé succinct  de cette découverte et de la façon dont ont procédé les biophysiciens dans le dossier de Science et Vie de Mars 2013.
 
 [17] Lenne Catherine, Bodeau Olivier,  Moulia Bruno, 2014. « Percevoir et bouger : les plantes aussi ! » Pour la science, 438, pp.40 – 47 Paris, E. Belin.
 
[18] « Trois idées nouvelles au sujet des arbres », in Qentin Hernieaux et Benoît Timmermans, Philosophie du végétal, Vrin 2018
 

Dimanche 21 Juin 2020 Commentaires (1)
Un livre bien mal titré "Qu'est-ce qu'une plante? " de Florence Burgat (Partie 1)
Un livre bien mal titré "Qu'est-ce qu'une plante? " de Florence Burgat (Suite)
Un livre bien mal titré "Qu'est-ce qu'une plante? " de Florence Burgat (Fin)

La dernière partie de l’ouvrage concernant « le statut moral » des entités naturelles est décevante tant les partis pris de l’A. s’y manifestent. Elle cherche à montrer qu’accorder une «considérabilité» morale aux végétaux se fait au détriment de celle des animaux, voire aurait même pour but de l’ôter aux animaux alors qu’il n’y a pas lieu d’avoir des devoirs moraux directs vis-à-vis des végétaux et d’en faire des sujets de droit.
 
Le chapitre initial de cette partie débute par la tentative de relativiser la répugnance que l’on a face à un chantier d’une coupe rase en la comparant avec l’abatage de bestiaux dans un abattoir. Alors que ce faisant elle joue les animaux de boucherie contre les autres formes de vie, elle reproche aux défenseurs des « droits de la nature » et aux écologistes de « jouer les arbres contre les êtres doués d’une vie psychique individuée » ; ce reproche montrant d’ailleurs qu’elle mésinterprète – volontairement ? – les éthiques biocentristes ou écocentristes.
 
Le chapitre continue par une interprétation biaisée des écrits et déclarations de Levi Strauss pour essayer de réduire ses positions sur les « êtres vivants » à des positions sur les animaux et à tout le moins attribuer un privilège à ces derniers, réduire son biocentrisme à un zoocentrisme.


Toujours dans ce chapitre, l’A. utilise une remarque de F. Hallé à des fins qui ne sont pas celles de ce dernier. F. Hallé observe que l’on peut manger des turions d’asperges sauvages à l’huile d’olive, une tarte aux pommes arrosées « avec un verre de Pic Saint Loup » sans que cela tue les plantes en cause alors que ce n’est pas le cas si le menu comprend une entrecôte, un foie de veau ou un filet de hareng (19). Il illustre ainsi d’une façon plaisante et parlante la résilience des plantes due à leur « décentralisation ». Les plantes sont beaucoup plus résilientes et bien moins fragiles que les animaux. Mais cela n’a rien à voir avec le fait que lorsqu’elles meurent, c’est pour elles tout aussi définitif que pour un animal. La différence est entre un organisme centralisé et un autre qui est modulaire et décentralisé, ce qui le rend plus difficile à tuer. Il ne s’agit pas de différence entre un temps non vécu de la vie végétale et un temps vécu avec son « corollaire » « l’expérience de la mort » de la vie animale « qui englobe ici la vie humaine puisque, sur ce plan en tout cas, il y a égalité des conditions » (p. 139) Non, il n’y pas égalité des conditions. F. Burgat assortit son instrumentalisation de cette citation d’une contrevérité car l’animal n’anticipe ni la douleur, ni la mort. Les animaux n’ont pas conscience qu’ils sont mortels. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne défendent pas leur vie.  
 
Les chapitres suivants ne sont guère plus convaincants avec des citations utilisées de telle sorte qu’elles conduisent de nouveau à attribuer aux auteurs cités des thèses qui ne sont pas leurs. Le cas le plus frappant est l’utilisation que l’A. fait d’un texte tiré du livre de Jean-Yves Goffi  Le philosophe et ses animaux. Du statut éthique de l’animal(20) Une assez longue citation est nécessaire pour bien percevoir la manœuvre. « L’absurdité de l’application rigoureuse d’une éthique qui se déplace du pathocentrisme (la capacité à éprouver des souffrances confère ipso facto des droits particuliers et forts) vers le biocentrisme (les espèces et les écosystèmes sont moralement considérables) n’a guère besoin d’être longuement explicitée. Jean-Yves Goffi la relève à propos de «  l’éthique de la terre » d’Aldo Leopold. Celle-ci inclut dans la communauté morale « les sols, les eaux, les plantes et les animaux, ou collectivement : la terre ». Or, note Jean-Yves Goffi, les idéaux d’égalité qui animent les mouvements de libération des esclaves, des femmes, des minorités devraient logiquement se retrouver à propos des sols, des eaux et des plantes promus dans cette éthique. Si celle-ci n’est pas une coquille vide, ses principes doivent s’incarner. La visée de toute éthique n’est-elle pas pratique ? On peine ici à se représenter « ce que pourrait être, concrètement, la mise en œuvre du slogan ‘liberté et égalité pour les sols, pour les eaux et pour les plantes » et Jean-Yves Goffi ajoute que, conformément à l’exigence de leur éthique, « les partisans de l’émancipation animale considèrent de façon unanime qu’une alimentation végétarienne est obligatoire si l’on veut donner une forme concrète à ses convictions : « s’il faut émanciper aussi les plantes et les eaux, faudra-t-il renoncer à boire de l’eau et à manger des légumes ? Aldo Leopold n’avait pas ces scrupules, lui qui était chasseur et même titulaire de la chaire de gestion du gibier à l’université du Wiscontin » (p. 155 – 157).
 
 Tel que présenté par l’A., on a l’impression que Jean-Yves Goffi procède dans ce texte  à une reductio ad absurdum des éthiques biocentristes et écocentristes. En fait, il n’en est rien. Si l’on replace ce texte dans le contexte qui est le sien, il s’agit pour Jean-Yves Goffi de mettre en évidence que les éthiques de « la libration animale » et celles de « la terre » (écocentrisme) qui pourraient paraître proches ne le sont pas et sont même antagonistes, l’élargissement de la communauté morale aux plantes, aux sols et aux eaux est une absurdité étant donnée la façon dont il est conçu dans le cadre d’une éthique de la libération animale et inversement cette libération est une absurdité dans le cadre d’une éthique de la terre.
 
 

La façon dont l’A. analyse le rapport de la « Commission fédérale suisse d’éthique pour la biotechnologie dans le domaine non humain » (p. 174 – 176) en est elle aussi révélatrice. S’il est vrai qu’une partie des membres de la commission considère qu’il n’y a pas d’indices probants de l’existence d’une forme de vie intérieure chez les végétaux, cela ne signifie pas pour autant qu’ils considèrent que cela est exclu même si ces végétaux n’ont pas stricto sensu « un vécu de conscience », ils peuvent avoir un « vécu », en tout cas une intériorité. D’où : « La majorité des membres de la Commission n’exclut pas l’idée que les plantes soient dotées de sensibilité et considère cette affirmation comme moralement déterminante. Au sein de la majorité, un groupe minoritaire estime que les plantes sont vraisemblablement dotées de sensibilité. Une autre minorité part du principe que les plantes remplissent les conditions nécessaires à l’attribution d’une sensibilité et que celle-ci est moralement déterminante. » (21) Donc dans le doute et logiquement, contrairement à ce que laisse entendre F. Burgat « Propriété absolue sur les végétaux: sur ce point également, la majorité des membres refuse, pour des raisons morales, l’idée d’une propriété absolue sur les plantes, qu’il s’agisse d’une collectivité végétale, d’une espèce ou d’un individu. Selon cette position, personne n’est en droit de disposer des végétaux selon son bon plaisir. » (22) Cela revient de ce point de vue à mettre sur un pied d’égalité plantes et animaux et  cela ne convient pas à Florence Burgat comme ne lui convient pas le biocentrisme de la commission. La conclusion du rapport selon laquelle les plantes doivent être respectées en raison de leur valeur morale ne fait nullement son affaire. Pas de « devoir direct » envers les plantes et donc pas de droits, tel est son crédo.
 
Plutôt que de continuer à analyser le détail de cette partie, il me paraît plus intéressant de se demander pourquoi cette obstination à ne pas accepter que l’on puisse avoir des devoirs directs envers les membres du règne végétal. Les éthiques de la nature, objet de sa vindicte, ne refusent pas la sensibilité ou l’intelligence aux animaux. En fait, le problème ne se pose pas du tout en ces termes parce qu’elles ne sont pas pathocentristes(23).
 
Citons l’auteure : « L’impossibilité de protéger de nos actes destructeurs les végétaux – ne constituent-ils pas la base de l’alimentation de la plupart des êtres vivants ? – alors qu’ils sont pourtant sensibles et intelligents équivaudrait à une autre prétendue impossibilité, celle d’abattre massivement les animaux, qui sont eux sensibles et intelligents, pour une boucherie de gourmandise ». On se débarrasserait ainsi « du poids, de la culpabilité et de la responsabilité, de la violence, de nos rapports avec les animaux et cette épargne n’a pas de prix » (p. 174 – 175, souligné par l’auteure). On remarquera tout d’abord que le passage en incise révèle le fond de la pensée de l’auteure : elle ne considère pas les végétaux comme des êtres vivants. Sinon, elle ne pourrait affirmer cette énormité : les plantes sont à la base de la nourriture de la plupart des êtres vivants ! Car, enfin, les végétaux sont aussi des êtres vivants et peut-être même en constituent-ils la partie la plus importante. Pourtant, s’il arrive à certains d’en parasiter d’autres, ils sont pour l’essentiel autotrophes !
 
Est-ce par gourmandise que l’immense majorité des humains mangent de la viande ? Aimer manger de la viande, ce n’est pas de la gourmandise, ce sont les raffinements culinaires qui peuvent passer pour tels et d’ailleurs lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il est gourmand, on pense plutôt à sa propension à se gaver de desserts et autres friandises plutôt que de viande. La viande n’est pas une friandise pour les humains ; pour les chiens peut-être encore que le mien adorait le chocolat !
 
Comme je l’ai dit en début de cette critique, ce sont les végans qui s’imaginent que ceux qui mangent de la viande se sentent coupables de le faire. Non, ils suivent leur nature d’omnivore sans se poser de problèmes. En fait le succès des ouvrages et articles qui rapportent les découvertes actuelles sur les végétaux s’expliquent pour une part parce qu’elles sont assez inattendues, donc objet de surprise et de curiosité. Il vient aussi de ce qu’il semble en consonance avec ce besoin de renouer avec une chose devenue rare et du coup précieuse, une nature le moins anthropisé  possible.
 
En fait le problème d’une sensibilité et intelligence végétale pour un végan est bien plus grave. Il rend sa morale inopérante. Le principe d’égalité de traitement est un principe moral universel, guère contestable. En tout cas il est un des  fondements du pathocentrisme et de l’antispécisme en général et de celui de l’A. qui s’efforce de nous faire admettre qu’humain et animaux sont existentiellement semblables. S’il faut reconnaître que les plantes sont conscientes et sensibles, l’injonction végane qui ordonne au nom de la morale de ne pas utiliser de produits animaux vaut aussi pour les végétaux.
 
Comme le dit si bien l’A. elle-même, une éthique « ne veut pas demeurer une coquille vide, ses principes doivent s’incarner. La visée de toute éthique n’est-elle pas pratique ? » Or, il est évident que pour les humains et les espèces du « règne animal » se nourrir ni de produits animaux, ni végétaux n’est pas possible. Donc l’éthique animale végane est une coquille vide. Il y a fort à parier que plus les connaissances sur les végétaux progresseront et plus la morale végane zoocentriste devra remettre en cause le principe d’égalité qui garantit à une éthique individualiste son universalité et devra faire preuve de favoritisme, un favoritisme en faveur des animaux qui éclate à toutes les pages de ce livre. Telle est, selon nous, la raison profonde de cet acharnement à rétablir une différence ontologique entre les deux règnes, à ce refus de voir dans les plantes des êtres sensibles, dotés d’une conscience de leur corps, c’est-à-dire d’un « corps propre » pour reprendre une terminologie phénoménologique chère à l’A.(24)
 
Plus qu’un nouveau contre-feu à la cause animale qu’il s’agit d’éteindre, c’est l’éthique végane qu’il s’agit de préserver et d’immuniser contre les découvertes de la biologie végétale. Et c’est pour cela que les adeptes du véganisme et du zoocentrisme ne veulent pas voir la plante toute neuve que cette discipline découvre. La « vérité phénoménologique » qu’y oppose l’auteure se résume à n’être rien d’autre qu'un déni de réalité et un parti-pris conduisant à une forme d'obscurantisme.
 
Voici donc un ouvrage dont on peut s’éviter la lecture sauf si l’on s’intéresse à l’idéologie végane. Cette (trop) longue critique sera alors nécessaire pour éviter au lecteur de s’y perdre.

Notes

[19] F. Burgat transcrit  de façon erronée le propos de F. Hallé. La tarte aux pommes qu’il prend comme exemple devient tarte aux pommes de terre dans le texte rapporté par F. Burgat. Ce serait un mauvais exemple comme tout le monde peut en convenir : la pomme de terre mangée ne se développera pas en un nouveau plan. Elle aura disparu définitivement. 
 
[20] Ce livre paru en 1994 est aujourd’hui malheureusement introuvable sauf d’occasion, à un prix rédhibitoire de 375€. Je l’avais payé à l’époque 170 Francs, soit environ 26 €. C’est dommage car c’est un ouvrage remarquable. Comme indiqué dans la quatrième de couverture « le but de ce livre est de clarifier le débat contemporain (…) suscité autour des « droits de l’animal », en poursuivant un triple objectif : exposer les arguments des philosophes (essentiellement de langue anglaise) qui prônent la libération animale et la défense des « intérêts » des animaux. Montrer ensuite le prolongement de ces analyses à des questions dites d’ « éthique de l’environnement ». Enfin, rappeler que les discussions de ces questions mortelles ne se comprennent qu’à la lumière de théories méta-éthiques élaborées, comme le prescriptivisme de R. M. Hare, l’intuitionnisme de G. E. Moore ou le subjectivisme de D. Hume. L’objectif de l’ouvrage est d’éviter les outrances et les caricatures des « amis des animaux » comme de leurs adversaires. » Buts et objectifs sont parfaitement remplis. Evidemment il faudrait aujourd’hui ajouter des compléments car depuis la date de parution de l’ouvrage des courants de pensée comme l’écoféminisme, les éthiques du care, etc. sont apparus. Le véganisme et l’antispécisme ont conquis des positions de pouvoir universitaire, dans les pays anglo-saxons et maintenant en France et dans les pays latins. Mais cela n’ôte en rien à l’intérêt de cet ouvrage. Au contraire ! Les textes qu’analyse dans cet ouvrage J. Y. Goffi sous-tendent les débats plus récents. Les protagonistes de ces débats soit les reprennent, les prolongent et les enrichissent, soit considèrent qu’il faut les rectifier, soit encore qu’ils sont à rejeter ou du moins qu’il faut s’en détacher.
[21] La dignité de la créature dans le règne végétal. La question du respect des plantes au nom de leur valeur morale, Commission fédérale suisse d’éthique pour la biotechnologie dans le domaine non humain  Berne, 2008, p. 16. Ce texte permet de saisir les différentes options qui s’affrontent sur cette question et les courants éthiques auxquels elles se rattachent qui sont clairement définis. Il est curieux que n’ait pas été envisagé et discuté le point de vue écocentrique. Un bel effort d’objectivité et de clarification accessible en ligne : https://www.ekah.admin.ch/inhalte/_migrated/content_uploads/f-Broschure-Wurde-Pflanze-2008.pdf
[22] p. 20. Le rapport précise  qu’«une minorité est d’avis que l’utilisation des plantes ne peut pas être limitée dès lors qu’elles sont la propriété de quelqu’un. » (p. 20) Les divergences persistantes entre les membres de cette commission sur ces questions qui sont donc rapportées. Remarquons qu’il en va de même sur ce point pour les animaux.
 
[23] « Pathocentrisme: cette position est axée sur la sensibilité. Les organismes vivants comptent au nom de leur valeur morale dès lors qu’ils sont dotés de sensibilité et peuvent donc ressentir quelque chose comme « bien » ou « mal » » (La dignité …, o. c., p. 13). Cette définition est parmi les plus claires de cette position qui est celle de l’A.
 
[24] D’ailleurs cette universalité l’éthique végane ne peut la revendiquer  car une telle éthique n’est praticable que dans les pays occidentaux développés depuis la fabrication à échelle industrielle de la vitamine B12.

 

Dimanche 21 Juin 2020 Commentaires (0)

La question du rôle joué par la pollution aux particules fines dans la propagation du virus Covid 19 est controversée. Mais le débat prend parfois d'étranges formes. Un exemple en est donné par un article de Cathy Clerbaux paru sur le site "The conversation" rejetant comme non scientifique une étude émanant de la Société de médecine environnementale italienne et des universités de Bologne et Bari et signée par 12 chercheurs. On peut s'interroger sur les motifs de cet avis de non-recevoir. Il faut une certaine naïveté pour croire que celui-ci n'est que volonté de défendre une science authentique.


Une version adoucie et abrégée de cet article a d'abord été proposée comme commentaire sous l'article paru sur le site de The conversation intitulé "Pourquoi on ne peut pas affirmer que « la pollution transporte le coronavirus »"  de Cathy Clerbaux, directrice de recherche au CNRS, laboratoire LATMOS, Institut Pierre Simon Laplace, Sorbonne Université.  Jugée sans doute trop longue, elle a été censurée. J'ai alors proposé un commentaire beaucoup plus court qui en est un résumé. Il a été publié. J'ai cependant jugé utile de le développer et de l'enrichir. Cela a donné le présent article.

En annexe, afin que le lecteur se fasse une idée par lui-même s'il le désire, on trouvera la traduction en français de l'article des chercheurs italiens que j'ai réalisée ainsi qu'un lien vers l'original auquel on devra se reporter.

L'article de "The conversation" est accessible en suivant ce lien https://theconversation.com/pourquoi-on-ne-peut-pas-affirmer-que-la-pollution-transporte-le-coronavirus-137143#comment_2219167

Il y a deux parties très différentes dans ce texte : une partie didactique sur les particules fines et une critique étrange sur la « note » émanant d’institutions médicales et scientifiques italiennes et signée par des chercheurs renommés.
Contrairement à ce que déclare Mme Cathy Clerbaux ce texte apporte du nouveau et  ne se borne pas à résumer  «  une dizaine d’autres articles qui étudient les corrélations entre les niveaux de particules et occurrences de contaminations à différents virus, comme la rougeole, etc. » Certes, c’est effectivement ce que font les auteurs dans la première partie de leur travail  mais c’est dans le but de montrer que dans l’état des connaissances, il a été établi que les épidémies de la grippe aviaire, du RSV ou de la rougeole sont accélérées et aggravées en présence de pollution aux particules fines qui pourraient être des vecteurs de ces virus et que l’on peut donc raisonnablement suspecter qu’il en va de même pour le Covid-19.
Ensuite par une analyse fine des différences dans le développement  de l’épidémie dans le Nord, à Rome et dans le sud de l’Italie, lors d’épisodes de pollution aux particules fines qui ont sévi dans le Nord mais pas à Rome et dans le Sud, les auteurs de la « note » que Mme Cathy Clerbaux méprise comme non-scientifique réussissent à mettre en évidence le rôle de ces particules comme accélérateur et agent aggravant de l’épidémie.
C’est cette partie de l’article qui est originale. Après l’avoir étudiée, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur les assertions de Mme Cathy Clerbaux. A-t-elle lu cet article en entier ?
 

Pour que cette directrice de recherche du CNRS daigne se pencher et discuter du fond d’un article, il faut que celui-ci est été publié dans une revue de renom selon la procédure coutumière et soit construit selon un plan consacré, faute de quoi d’ailleurs il ne serait effectivement pas publié : standardisation, quand tu nous tiens !  L’article des italiens ne respecte pas la forme canonique de ces articles de revue scientifique, forme qu’elle détaille avec luxe de précisions. Elle ne mentionne portant pas une particularité du texte qui aurait dû attirer ses foudres : il est rédigé en italien et pas en anglais, idiome obligé en la matière comme l’était avant lui le latin ! Elle nous livre aussi avec un luxe de détail le processus de publication de ces revues à comité de lecture, le fameux contrôle par les pairs auquel le texte des chercheurs italiens n’a pas été soumis. Pas d’attente stressante du verdict de l’éditeur de la revue !  La messe est dite. Ce non-respect des procédures et de la forme condamnent cet article selon Mme Cathy Clerbaux, un article qui ne vaudrait même pas la peine que l’on s’y arrête.
Telle est sa critique procédurière et sans intérêt dont les motivations sont obscures. Comme elle travaille sur le même sujet que les chercheurs italiens, on peut penser que son propos qui tente de discréditer leur travail participe de cette lutte au couteau que se livre des groupes de chercheurs concurrents.  En tout cas, son article  ne permettra pas à un lecteur une meilleure appréhension de cette question controversée.
 
Sa critique se résume donc à reprocher à l’étude des chercheurs italiens de n’être pas publiée dans une revue scientifique reconnue. Et alors ? Une critique des faits et arguments qui y sont exposés, voilà qui aurait été plus intéressant que des considérations sur la validation entre pairs qui n’est pas non plus un critère exempt de toute critique et qui, en l’occurrence, n’est ni recherché, ni applicable à ce type de texte qui n’est pas pour autant dénué de toute valeur scientifique et qui doit composer avec l’urgence.  
L’auteure reconnait que le processus de publication d’un article dans une revue dont elle détaille les étapes est long : plusieurs mois. D’ici là, on peut espérer que la pandémie ne sera plus qu’un mauvais souvenir.
Elle oublie de mentionner que cette « note » est présentée comme un « position paper », c’est-à-dire un document rédigé pour appuyer et justifier les recommandations des institutions desquelles il émane, à savoir dans le cas présent la Société italienne de médecine environnementale, les Universités de Bologne et de Bari. Il est co-signé par 12 chercheurs appartenant à ces institutions. S’il n’est pas « validé » selon la procédure qui parait la seule valable aux yeux de l’auteure, il mérite néanmoins quelque créance puisque l’on peut supposer que les institutions en cause ne s’engagent pas à la légère. Ces recommandations qui concluent l’article valent pour l’épidémie actuelle dans l’immédiat et on comprend aisément qu’elle ne peut être « validée » selon les standards d’une revue scientifique. Mais de là à dire qu’elle est sans valeur et d’un intérêt minime, voire nul, il y a un gouffre que l’auteure franchi allègrement !
Sous couleur de proposer des critères de fiabilité des informations, il s’agit d’un dénigrement qui manque pour le moins de fair-play.
Loin de moi de suggérer que cet article des chercheurs italiens clôt le débat sur la question de savoir si les épisodes de pollution aux particules ont un effet direct ou s’il n’est qu’indirect du fait qu’ils vont rendre plus vulnérables les gens en aggravant des maladies existantes et en rendant moins efficace leur système immunitaire. L’effet de cette pollution aux particules fines pouvant bien entendu être les deux, direct et indirect. Il n’en reste pas moins qu’il est une contribution intéressante et instructive sur le sujet. Il montre que les particules fines sont un cofacteur puissant de la pandémie.
Cela dit il faut noter qu’une étude plus récente des mêmes auteurs met en évidence de l’ARN du COVID 19 sur des particules fines de la région de Bologne. Elle a été publiée en preprint, c’est-à-dire sans avoir été soumise à une revue par des pairs.  
Une autre « étude » menée par des chercheurs de l’université de Harvard va dans le sens de l’étude italienne. Selon cette étude pour toute hausse, modeste, de 1 µg/m3 d’air de la teneur en particules fines PM2,5, le risque de mortalité s’élève de 15%. (Voir l’article du Journal de l’environnement qui donne un lien vers cette étude, http://www.journaldelenvironnement.net/article/les-particules-fines-puissant-cofacteur-du-covid-19,105045) Il s’agit d’un « preprint » que l’auteur principal Xiao Wu, un biostatisticien de cette université, a rendu public sans qu’il soit validé par des pairs. A mettre au panier lui aussi ?
L’auteure insiste sur le fait que corrélation n’est pas cause mais à la lecture de l’article italien, on est vite persuadé que c’est aussi le cas de ses rédacteurs. La mise en évidence d’une corrélation si elle est une condition nécessaire d’une relation causale, elle n’en est pas une condition suffisante. Et  donner des raisons à l’appui de la thèse selon laquelle les particules fines seraient des vecteurs du Cov-19, est l’objectif poursuivi dans cet article.
 
C’est précisément ce qu’ils vont montrer dans la suite de leur article pour ce qui est de l’épidémie actuelle du Covid 19 en Italie.
Que la pollution aux particules fines jouent un rôle dans la façon dont l’épidémie se propage et s’aggrave, les auteurs de la « note » le montrent par la mise en évidence d’une accélération et aggravation de l’épidémie dans le Nord de l’Italie (Lombardie, …) corrélées avec les épisodes d’augmentation de ce type de pollution, alors que cela ne se produit pas dans le sud, ni à Rome qui ne les subissent pas et  bien que dans cette ville comme dans le sud de la péninsule, le virus et l’épidémie soient présents et les contaminations entre individus aussi.
 Ce qui permet de mettre en évidence un rôle vecteur des particules en question.
Cependant les auteurs restent prudents et estiment qu’il faut plus de recherches pour confirmer cela, notamment sur les facteurs d’inactivation du virus. Mais en attendant, ils incitent les autorités à prendre des mesures pour restreindre cette pollution dans le cadre de la lutte contre la pandémie en Italie. Et là était le but de la « note ». S’il avait fallu attendre les procédures de validation complaisamment décrites par Mme. Cathy Clerbaux …
 
D’un point de vue de philosophie des sciences, on ne peut  que constater que les auteurs de l’article que Mme Cathy Clerbaux méprise ont appliqué une démarche rigoureuse en utilisant de façon astucieuse une « logique de la découverte » à la Stuart Mill. Seule certes, elle ne peut avoir valeur de preuve. Il faudrait être assuré en effet, que les épisodes de pollution aux particules fines exceptés, le cas de Rome et celui des provinces du Nord de l’Italie sont semblables relativement au virus. C’est le fameux « toutes choses égales par ailleurs ». D’ailleurs les auteurs en semblent bien conscients d’où leur appel à des études sur les facteurs d’inactivation du virus qui pourraient expliquer les différences mises en évidence dans l’article : « Outre les concentrations de particules atmosphériques, en tant que vecteur du virus, les conditions environnementales de certaines zones territoriales peuvent également avoir influencé son taux d'inactivation. » (Traduction JFD).
Mon propos n’était pas de dire que cet article des chercheurs italiens prouve que les particules fines sont des vecteurs du virus, ce serait aller au-delà de ce que les auteurs eux-mêmes estiment avoir établi. Ils mettent en évidence une forte présomption, en tout cas une présomption suffisante pour justifier leur recommandation de prendre des mesures de réduction de cette pollution dans le cadre de la lutte contre l pandémie actuelle.
En conclusion, je dirai qu’outre l’aspect didactique de la première partie, l’intérêt de cet article de The Conversation est de montrer que la controverse nécessaire à l’avancement des sciences n’est pas toujours exempte de mauvaise foi mais pour cela il faut avoir lu l’article des chercheurs italiens !
 

Samedi 9 Mai 2020 Commentaires (0)

David Provost « Vers une gestion antispéciste et utilitariste de nos forêts » Amorce, 16 décembre 2019

Voilà un texte qui semble pour le moins original : un antispéciste qui tente de convaincre les autres antispécistes de la nécessité de la chasse comme d’un moindre mal en l’état actuel de la société pour réguler les populations animales dans les forêts dans l’intérêt des animaux non humains et humains. Pour les animaux non humains, il s’agit de préserver leur milieu de vie et pour les animaux humains la ressource en bois, économiquement et écologiquement indispensable. Pour les uns et les autres préserver les puits de carbone que ces forêts constituent.
Faute de mieux et en attendant une société idéale antispéciste où l’on renoncerait à la chasse comme outil de régulation pour recourir à des méthodes de « stérilisation à grande échelle » à mettre au point, les chasseurs sont donc confortés par cet antispéciste dans le statut qu’ils revendiquent de « premiers écologistes » de France !
Mazette !


À propos d’un article publié dans une revue antispéciste : Vers une gestion antispéciste et utilitariste de nos forêts.
Pour lire l'article :
https://lamorce.co/vers-une-gestion-antispeciste-et-utilitariste-de-nos-forets/


A y regarder de près cependant, cela n’est pas aussi étonnant que l’on pourrait le croire au premier abord. Ce texte se rattache par certaines des idées qu’il développe à un courant de l’antispécisme qui fait florès aux USA, le RWAS (Reducing Wild-Animal Suffering [Pour réduire la souffrance des animaux sauvages]) qui prêche la nécessité d’actions interventionnistes plus ou moins radicales pour artificialiser les écosystèmes naturels (allant jusqu’à leur suppression pure et simple) sur la base de l’hypothèse de « la prédominance de la souffrance ». Selon cette hypothèse à laquelle ce texte fait référence la valeur nette de la vie sauvage – sa valeur positive (le bien-être qu’elle contient) moins sa valeur négative (le mal-être qu’elle contient) – serait négative.[1]
 

Pour bien saisir la portée de cet article et ses objectifs, il faut le contextualiser : il est écrit par un antispéciste [je présume] dans une revue antispéciste à l’intention de lecteurs antispécistes. Il s’agit de faire admettre à ceux-ci qu’est conforme à leur idéologie une gestion productiviste des forêts avec pour corollaire la nécessité d’une régulation des populations d’animaux qui y vivent. Son refus d’accorder même par précaution et au bénéfice du doute aux arbres en particulier et aux plantes en général une forme de « sentience »[2] sous prétexte que cela est controversé parmi les biologistes n’a rien d’étonnant. Que l’attribution d’une telle « sentience » aux insectes soit elle aussi controversée, ainsi qu’il le reconnait, ne l’empêche pas de la leur attribuer, précisément « au bénéfice du doute ». Ce «deux poids, deux mesures» est en parfait accord avec l’idéologie antispéciste et  est admis sans restriction aucune par tous ceux qui se réclament de cette idéologie. En effet les végans les plus rigoristes et les anti-spécistes refusent les produits de la ruche ! Tous considèrent que la « sentience » ne peut que concerner des animaux.
Pour réserver la sentience à ce que l’on appelait le règne animal, l’auteur ne démérite pas dans l’art du « cherry picking » que savent si bien manier les végans et les antispécistes.  Il cite une tribune dont l’auteur principal est un biologiste retraité, opposé depuis le début de l’essor de la neurobilogie végétale. Cet article est paru dans la revue même qui a publié de nombreux articles consacrés à la «neurobiologie végétale ». Pour lui cela est concluant alors que cette tribune a fait dans cette même revue l’objet d’une controverse que l’auteur passe sous silence. C’est d’ailleurs dans cette revue qu’est paru l’un des premiers articles de « neurobiologie végétale »[3]

L’auteur aura d’autant moins de mal à faire admettre cette absences de sensibilité chez les plantes qu’il écrit pour un lectorat déjà convaincu et qu’étendre la sensibilité aux plantes semble sinon contre-intuitif, du moins va à l’encontre de l’opinion la plus communément admise. Pourtant les nouvelles avancées concernant ce sujet amènent à accumuler les preuves d’une sentience chez les plantes de la modeste arabette aux arbres les plus imposants. Si les antispécistes s’arcboutent sur ce refus, c’est qu’il est essentiel pour leur théorie.  Si l’on admet que les plantes sont – ou risque d’être, sentientes, il faut leur accorder le même statut moral qu’ils accordent aux animaux. Et du coup, l’antispécisme est réduit à l’absurde ou bien, il faudra trouver un autre critère que la « sentience » pour séparer les animaux des végétaux et réserver aux premier une considération morale ! Mais dans ce cas, se retournent  contre l’antispécisme tous les arguments que les philosophes antispécistes ont développés pour montrer que la « sentience » est le seul critère valable pour attribuer la «considération morale ». En fait, il est facile de voir que le prétendu antispécisme propose un critère qu’il suppose, sans doute à tort, être coextensif au règne animal, et  qui exclut de la considération morale toutes les autres formes de vie. C’est pourquoi on peut dire qu’il est une sorte de « zoospécisme » !

Quoi qu’il en soit, ce zoospécisme est bien pratique pour faire accepter aux antispécistes les coupes rases et l’artificialisation des forêts considérées comme des forêts de production et réduites à des plantations d’arbres. Et il est bien vrai que pour une morale antispéciste, cela n’a rien de scandaleux.
 

[1] Passons sur le fait qu’il faut supposer que bien-être peut être mesuré et que la grandeur qui est ainsi mesurée est extensive ! une quantité ou une intensité ??? Sinon la précision de la formule et son caractère testable n’est qu’un leurre ! (Qui peut prouver que la copulation d’un lapin de garenne provoque chez lui un bien être supérieur, égal ou inférieur à la souffrance qu’il éprouve lorsqu’il est tué par un renard ? De plus une telle soustraction n’est possible que si les termes sont des choses semblables (les torchons et les serviettes !), le mal être n’est pas un bien être négatif.
 
[2] Les philosophes végans et/ou antispécistes spécifient la « sentience »comme étant la « faculté de sentir, de percevoir une sensation ». En bon français le terme équivalent serait « sentiment » mais dans un de ses sens aujourd’hui peu usité, voire tombé en désuétude.

[3]  Eric D. Brenner, Rainer Stahlberg, Stefano Mancuso, Jorge Vivanco, František Baluška, Elizabeth Van Volkenburgh, « Plant neurobiology: an integrated view of plant signaling », Trends in Plant Science, Volume 11, Issue 8, 2006, Pages 413-419.
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Il est très intéressant de s’attarder sur ce texte et d’en faire la critique car cela permet de mettre en évidence que l’antispécisme accepte et même justifie l’artificialisation de la Nature et donc entre en opposition frontale avec ce que défendent les protecteurs de cette Nature. En effet quelles gestion forestière s’agit-il de faire admettre aux végans antispécistes et pour quelles forêts ? L’auteur ne s’en cache pas : il proclame que la gestion forestière vertueuse et durable est une gestion productiviste à base de coupes rases et de récoltes précoces qui tendent à réduire les forêts à des plantations d’arbres.

Mais de même qu’il est certain qu’un lapin qui mange ses salades n’est pas le bienvenu dans le jardin d’un maraîcher, de même un cerf ou un chevreuil qui broute les jeunes pousses n’est pas le bienvenu dans ces plantations d’arbres que certains s’obstinent à nommer des forêts. Et c’est de ce type de forêts qu’il est question dans ce texte, forêt dans lesquelles il faut « réguler » et « réguler » fortement les populations d’animaux qui seraient susceptibles d’y prospérer trop vigoureusement. Cette régulation est le corollaire indispensable de ce mode de gestion. Et bien entendu, cette régulation pose pour le moins un grave problème aux antispécistes. L’auteur qui est un fervent adepte de ce type de gestion et de forêt va devoir justifier cette régulation. Et là, ce n’est pas comme lorsqu’il s’agissait de montrer que les coupes rases étaient moralement acceptables, il n’est plus en terrain conquis avec ses lecteurs anti-spécistes. D’autant que pour lui, à l’heure actuelle, il n’y a pas d’autres moyens de réguler ces populations animales de façon efficace que – horresco referens !  - la chasse !!!
 
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Pour convaincre ses lecteurs il va employer deux types d’arguments : des arguments tirés d’une morale utilitariste et des arguments de fait. Ces derniers sont pour le moins discutables que l’on soit ou non « antispéciste ».

Tout d’abord, selon les principes utilitaristes que se donne l’auteur, il apparait que le sacrifice d’une ou plusieurs vies est justifié dès lors qu’il permet de maximiser la survie du plus grand nombre. Cela est parfaitement conforme à l’éthique développée par les philosophes référents de l’animalisme, Peter Singer notamment. Partant de cela, l’auteur veut convaincre les lecteurs antispécistes que, en attendant mieux, la chasse est le meilleur outils, bien meilleur que la prédation telle qu’elle joue dans les chaînes trophiques naturelles parce que moins douloureuse. Non seulement cela reste à prouver mais à l’occasion l’auteur se contredit.

Cela reste à prouver : lors d’une chasse, les animaux touchés et blessés ne sont pas toujours tués sur le coup et s’enfuient avec pour destin une plus ou moins longue agonie ou s’ils sont simplement estropiés, ils sont condamnés à une survie brève et misérable. Ce n’est pas pour rien qu’après une battue, les gardes-chasse  recherchent pour l’achever le gibier blessé avec des « chiens de sang ».

L’auteur se contredit. Il commence par expliquer que la venaison, viande qui n’est certes pas éthique, est  pourtant une viande plus « éthique » ou « moins immorale » que la viande des bêtes d’élevage car les animaux sauvages tués à la chassent ont eu une vie meilleure que ces dernières. Supprimer la chasse reviendrait à remplacer de la venaison par de la viande d’élevage moins éthique, dans l’état actuel d’une société spéciste. Mais dans la suite pour éliminer la possibilité d’une régulation naturelle par des prédateurs comme le loup, il s’appuie sur l’hypothèse de la prédominance de la souffrance dans la vie des animaux sauvage. Et donc qu’en fin de compte dans un élevage paysan, l’animal de rapport serait plus heureux que l’animal sauvage ! Par voie de conséquence, la viande d’élevage paysan serait plus éthique que les venaisons.

Pour l’auteur, ce n’est pas seulement du point de vue des intérêts humains qu’il faut maîtriser la taille des populations d’ongulés dans une forêt, c’est dans l’intérêt de ces ongulés eux-mêmes et des autres animaux résidant dans cette forêt : si l’équilibre animal/forêt est rompu, la forêt ne peut plus être régénérée et c’est le milieu de vie des animaux qui est atteint entrainant des famines et les calamités associées. C’est peut-être vrai pour les plantations d’arbres, mais cela l’est beaucoup moins pour les forêts gérées selon des méthodes proches des processus naturels et encore moins pour les forêts laissées en libre évolution.
 
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L’utilitarisme avec ses notions fumeuses de « maximisation des préférences»  considère que l’intérêt bien compris de tous exige en la circonstance que l’on en élimine quelques-uns. Si chacun compte pour un, difficile de décider lesquels seront sacrifiés ! Se pose aussi le problème de déterminer qui est en droit de décider ? Bien entendu et sous-entendu, ceux qui gèrent les forêts, c’est-à-dire des membres de l’espèce humaine ! A force de contorsions, l’antispéciste se mord la queue ; en d’autres termes plus académiques, il se contredit ![1]

L’idée de « chasseurs régulateurs de la faune sauvage » découle en droite ligne des dires des chasseurs eux-mêmes qui cherchent à verdir leur loisir. Mais la prédation naturelle diffère de cette régulation sur un point essentiel : Le loup vise les sujets les plus faibles, le chasseur s’en prend au contraire aux plus vigoureux, par exemple aux mâles qui ont les plus beaux « trophées ». Indirectement le prédateur naturel contribue à la bonne santé des populations de proies, le chasseur ne contribue à rien de tel pour son gibier : il aurait même tendance à avoir l’effet inverse.

Outre l’horrible caractère « holiste » de cette objection aux yeux de l’auteur, il est évident qu’elle ne serait pas recevable pour lui qui ne se soucie pas de la santé des populations animales mais qui cherche simplement à les restreindre pour pouvoir continuer tranquillement sa gestion productiviste qui réduit les forêts à des plantations d’arbres dans lesquelles les animaux quels qu’ils soient ne sont pas les bienvenus ! Il se peut que faute de prédateurs, les populations d’ongulés soient trop importantes dans les forêts mais c’est surtout au regard d’une gestion et d’une exploitation productiviste de la forêt qu’elles sont jugées telles. Il se peut tout autant que ce ne soit pas le cas[2]

En outre contrairement à ce qui est souvent affirmé, (ONF, Chasseurs), la présence de prédateurs n’est pas toujours nécessaire pour la régulation de certaines populations d’ « ongulés », gibier fort prisé des forêts. Les populations de chevreuils montrent une tendance naturelle à l’autorégulation en fonction des ressources disponibles. Par exemple, dans le cas des chevreuils vivant dans l’est du Jütland, une région pauvre en ressources, les chevreuils sont prospères mais peu nombreux. Dans la forêt de Chizé, « forêt mise en Réserve Biologique Intégrale », la population de chevreuils est l’une des populations de grands herbivores en Europe, et la première en France, qui s’est stabilisée naturellement (i.e., présente une croissance annuelle nulle sans prélèvements par l’homme)[3]. Pour les autres populations françaises, on ne saura pas car les grands régulateurs font parler les fusils.

Le cas du canton de Genève en Suisse est intéressant : la chasse y est interdite depuis le 14 mai 1974. En l’absence de prédateurs, ce sont les gardes-faunes qui en font office lorsqu’il s’agit d’opérer le minimum de suppressions jugées nécessaires. Le nombre de tirs de régulation est très faible, en moyenne 20 à 25 en ce qui concerne les chevreuils dont la population est en croissance forte après s’être reconstituée[4].

On remarquera que, autant que la forêt et peut-être plus qu’elle, ce sont les cultures qui sont le plus impactées par la faune sauvage et ce sont presque toujours les dégâts causés à ces cultures qui sont à l’origine des régulations. C’est le cas notamment avec les sangliers qui subissent des tirs de régulation plus nombreux : «Tous les partenaires comprennent l'intérêt de maintenir les effectifs de sangliers (espèce très prolifique) à une densité en rapport avec l'alimentation que peuvent fournir nos forêts (et non notre agriculture !) »[5]. Dans les cas où des régulations sont décidées, étant données les précautions prises et la préparation, il est certain qu’elles sont effectuées  avec le minimum de souffrance pour les individus tués. Les chasseurs dénoncent pourtant ces façons de procéder comme des méthodes de braconniers ne respectant pas l’éthique de la chasse. Ce reproche ne tient pas comme le montre Robert Hainard « S’il faut une éthique pour limiter le chasseur qui tiendrait à tuer le plus possible, lorsqu’il s’agit d’opérer un minimum de suppressions jugées nécessaires, il est normal de le faire par les moyens les plus faciles et les plus économiques » [6] Les victimes des tirs de régulation sont en nombre infime par rapports aux hécatombes permises par les plans de chasse, quelles que soient les espèces ! Mais le reproche essentiel n’est peut-être pas là en ce qui concerne la chasse. Le chasseur est un prédateur en concurrence avec d’autres qui chassent sur les mêmes terrains et qu’il ne supporte pas, les « nuisibles », les « puants », les lynx, les loups…Comme l’écrit Hainard « Ils [les chasseurs] voudraient aménager la nature, favoriser les espèces amusantes à chasser et bonnes à manger » Une forme de régulation tout à fait particulière et fort intéressée ! N’est-ce pas cela qu’un antispéciste devrait condamner : l’aménagement des forêts au seul profit du prédateur humain qui y sévit [7] , [8]  ?
 
Cette alternative à la chasse telle qu’elle est pratiquée dans le Canton de Genève  pour réaliser les régulations estimées nécessaires n’est même pas envisagée dans ce texte et il est assez cocasse qu’un antispéciste reprenne sans examen critique les dires des chasseurs et de l’ONF, les uns pour justifier leur passe-temps, l’autre essentiellement pour justifier une pratique qui lui permet de gagner de l’argent. L’auteur considère cependant que cette régulation par la chasse n’est qu’un pis-aller dans le contexte de la société spéciste actuelle, le moins mauvais choix, la réintroduction de carnivore comme le loup étant le pire.
 
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La chasse comme moyen de réguler les populations d’ongulés en forêt ne peut pas être admise dans une société antispéciste idéale puisque si l’on l’admettait comme éthique, il faudrait admettre au nom du principe d’égalité de traitement les massacres comme moyen de réguler la population humaine mondiale qui est bien trop importante, cette surpopulation portant de graves atteintes au milieu de vie de tous les êtres sentients qui l’habitent. Or il est évident qu’une telle conclusion est inacceptable. Un utilitariste pourrait éviter cette conclusion en distinguant entre « intérêt à ne pas souffrir » et « intérêt à vivre » comme le fait Péter Singer, le pape de la « libération animale ». Pour ce dernier si l’intérêt à ne pas souffrir est le même pour tout être doté d’une « sentience », l’intérêt à vivre des humains est supérieur à celui des animaux ; les hommes étant capables d’avoir des désirs pour l’avenir, ce qui ne serait pas le cas des animaux qui ne vivent qu’au jour le jour[9] . Ce distinguo ainsi spécifié lui permet de justifier bien des choses, notamment de tuer des animaux dès lors que cela peut (ou pourrait) se réaliser sans qu’ils souffrent.

L’auteur de cet article en bon antispéciste végan avance au contraire l’hypothèse d’un égal intérêt à vivre des animaux et des humains. Ce qui lui permet de rendre son utilitarisme parfaitement compatible avec l’antispécisme. Mais rend totalement immorale toute régulation qu’elle soit le fait de chasseurs agissant pour leur plaisir ou de gardes dans le cadre de leur travail.

La solution qui serait utilitariste et antispéciste, donc pleinement morale serait, selon lui, la stérilisation à grande échelle. Mais cette stérilisation à grande échelle appliquée à des humains sans leur demander leur avis reste, elle aussi inacceptable même si elle heurte moins qu’un massacre programmé. Pourquoi serait-elle moralement bonne appliquée aux seuls animaux ? Humains et herbivores ne portent-ils pas atteinte à leur milieu de vie à cause de leur trop grand nombre et leur reproduction inconsidérée ? Pour les hommes, il s’agit de la planète et pour les ongulés, plus modestement des forêts où ils vivent.

Pour sauver la solution qu’il considère  antispéciste, l’auteur va employer un argument formellement identique à celui de P. Singer. Si un humain et un animal ont le même intérêt à vivre, l’intérêt à se reproduire des humains est supérieur à celui des animaux, qui selon l’auteur est très faible donc le principe d’égalité de traitement ne joue pas en ce qui concerne la reproduction. Assez curieusement, l’auteur de cet article estime qu’ « il est probable que les animaux non humains n’éprouvent pas une frustration due à l’impossibilité de se reproduire, du moins pas autant que les humains qui, eux, vivent dans des sociétés où l’idéologie “pro-reproduction” est très marquée ». Les humains seraient conditionnés culturellement et non naturellement à se reproduire … Plus exactement, la frustration induite par le fait de ne pas avoir de descendance serait culturelle. Je n’en sais rien mais je crois qu’il faut être aveugle pour ne pas voir que la reproduction est une des grandes affaires de la vie d’un animal à laquelle il s’emploie en dépensant énormément d’énergie et au risque de sa vie. Il faut donc qu’il y puise ou s’attend à y puiser une grande satisfaction. Pour croire que cela l’indiffère, il faut être aveugle ou aveuglé et n’avoir jamais observé un animal, ne serait-ce qu’un moineau des villes!
 
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L’auteur convoque la lutte contre le réchauffement climatique pour justifier sa conception de la gestion des forêts, de leur exploitation dans le cadre d’une gestion productiviste et de leur défense nécessaire contre la dent des animaux. A tort car les forêts de production soumises à une gestion du type de celle qu’il préconise n’en fera pas des puits de carbone. Non seulement l’exploitation forestière n’est pas en elle-même une composante très importante de la lutte contre l’effet de serre mais si c’est une exploitation productiviste du style de celle retenue par l’auteur, elle peut rendre la forêt émettrice de GES.

L’article de Naudts et al., « Europe's forest management did not mitigate climate warming»[10] montre en se fondant sur plus de deux siècles et demi d’archives concernant les forêts européennes que celles-ci non seulement n’ont pas joué le rôle de puits de carbone que l’on pouvait espérer mais qu’au contraire elles ont participé au changement climatique actuel. Ce ne sont pas les forêts comme telles qui sont en cause mais leur gestion, notamment l’exportation de bois hors de ces forêts, leur exploitation intensive, l’inversion par rapport à l’année initiale (1750) de la proportion entre résineux et feuillus, la mise en exploitation de boisements laissés en libre évolution. Cet article a fait l’effet d’un « pavé  dans la mare » en remettant en cause les idées reçues sur la gestion des forêts européennes tempérées bien que d’autres études plus partielles ou sur des forêts d’un autre continent aient déjà abouti à des conclusions analogues.

La théorie à laquelle semble se référer l’auteur selon laquelle les vieilles forêts auraient un bilan carbone neutre date des années 60. On sait aujourd’hui qu’elle est fausse mais certains s’en servent encore pour freiner la mise en place de protections pour les forêts anciennes et la promotion d’une sylviculture dite « dynamique »

Tout à l’inverse de celle-ci et de l’exploitation productiviste mise en avant dans cet article, une gestion écologique des forêts exploitées se doit pour être efficace en  termes de carbone et de biodiversité  et  de  rentabilité  économique, d’allonger les cycles sylvicoles, d’éviter les coupes rases et de préférer les interventions prudentes et continues, de conserver bois mort et rémanents en forêt, de favoriser le mélange des essences, de privilégier les traitements irréguliers à couvert continu.[11]

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Une stérilisation à grande échelle des animaux devenus indésirables dans une forêt de production silencieuse et totalement artificialisée à coup de coupes rases et de plantations en rang d’oignons, tel est l’idéal à quoi on devrait tendre une gestion antispéciste et utilitariste. Tout le contraire d’une forêt naturelle en libre évolution.

Tous les antispécistes utilitaristes ne seraient sans doute pas d’accord avec la gestion forestière défendues dans cet article. Les arguments avancés à l’appui de cette gestion sont loin d’être convaincant et certains ne le seraient même pas aux yeux d’un antispéciste. Cependant, cet article est instructif en ce qu’il montre que la gestion forestière que l’on peut défendre d’un point de vue antispéciste et utilitariste s’oppose à une gestion écologique. Elle fait bon marché de la naturalité, de la biodiversité que les protecteurs de la nature et certains écologistes défendent et auxquelles ils  sont atttachés tandis qu’il y a des antispécistes qui n’ont aucun souci de cela. Pour eux, au contraire, une artificialisation de la nature est tout à fait souhaitable.

 


[1] D’une façon plus générale, il n’est pas du tout certain que l’utilitarisme, s’il peut être un fondement philosophique au véganisme et aux théories de la libération animale soit parfaitement compatible avec l’antispécisme.

[2] Voir Pierre Rigaux 2019, Pas de fusils dans la Nature, Ch.4 Editions humen Sciences/Humensis, Paris

[3] Anderson, Duncan & Linnell. 1998. The European Roe deer: the biology of success. Scandinavian Univ. Press ; Van Laere & Delorme 2007. Le chevreuil. Belin / Eveil Nature collection. Voir en ligne une présentation des résultats et d’autres références  http://www.cebc.cnrs.fr/Fconservation/chevreuil.htm
 
[4] Cf. République et Canton de Genève |Département du territoire Direction générale de l'agriculture et de la nature 2018,  Gestion des espèces pouvant être chassées* selon la Loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages Organisation, coût et bilan; Genève 2014-2017  , Annexe 4 . Avec les cultures riveraines, les chevreuils ont découvert un milieu qui leur est favorable et une nourriture abondante. Ceci pourrait expliquer que la population du canton de Genève soit en forte croissance alors que celle de la forêt de Chizé est stationnaire.
Les tirs sont nécessaires surtout pour les sangliers mais les problèmes posés par les sangliers sont les mêmes dans tous les cantons, que la chasse soit autorisée Canton de vaud par ex. ou interdite Canton de Genève.
 
[5] Cf. République et Canton de Genève |Département du territoire Direction générale de l'agriculture et de la nature 2018,  Gestion des espèces pouvant être chassées* selon la Loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages Organisation, coût et bilan; Genève 2014-2017 , page 6.  Voir aussi les Annexe 3 et 4.
 
[6] Hainard Robert 2003, Mammifères sauvages d’Europe, Quatrième édition revue et augmentée, p. 14 ; Delachaux et Niestlé, Lausanne-Paris.

[7] Les forestiers déplorent les dégâts commis par le cerf  comme les écorçages et les abroutissement. Mais le cerf est aujourd’hui cantonné dans les forêts par la pression humaine et les cultures alors qu’il serait plutôt un animal des paysages ouverts avec des arbres espacés tant il est important pour lui de voir pour sa survie et d’être vu pour sa vie sociale. On peut donc dire, selon Robert Hénard que « en un sens, il ne dégrade pas tant les forêts qu’il les aménage à son usage ». Il ne fait rien d’autre que ce que font les humains en forêt qu’ils soient sylviculteurs ou chasseurs. Et comme il est en forêt chez lui autant que les humains, et même d’avantage, voilà un beau sujet de méditation pour les antispécistes qui seraient tentés de suivre l’auteur de l’article.
 
[8] On remarquera par parenthèse que l’aménagement de la nature par l’homme est à son apogée dans les cultures, là où la naturalité est voisine de zéro. Dans ces cultures les animaux sauvages ne sont pas tolérés et c’est parce qu’ils quittent la forêt pour se nourrir que les chevreuils, les sangliers etc. doivent être « régulés », c’est-à-dire éliminés. Le gentil chevreuil tué par un affreux chasseur scandalise le végan ou l’antispéciste mais sait-il, cet antispéciste, ce végan que même si la chasse était abolie, il faudrait encore tuer des chevreuils et des cerfs pour préserver les cultures de maïs, de soja, les arbres fruitiers, et toutes les cultures nécessaires à un régime végan non spéciste, l’expérience montrant que toutes les méthodes de protection ne suffisent pas toujours, ne sont pas toujours possible à mettre en œuvre et sont souvent mises en échec! Et cela ne s’arrête pas  aux ongulés. Sont aussi sujets actuels ou potentiels à la mitraille dans ce but les lièvres et les lapins, les mustélidés, les rongeurs, les oiseaux comme les corneilles ou les étourneaux, etc.  Manger végétalien, c’est, tout comme les « carnistes » « avoir du sang sur les mains » pour reprendre le titre d’un article de Mike Archer, biologiste australien!  On objectera peut-être que les intentions ne sont pas les mêmes mais du point de vue utilitariste, cela est sans importance, seul le résultat compte.
 
[9] Ce qui est d’ailleurs discutable, au moins pour tous ceux qui font des réserves pour la mauvaise saison. Même si ce souci de l’avenir est génétiquement prédéterminé, il n’en reste pas moins un souci et d’autant plus impérieux à calmer qu’il est « instinctif ». Et que penser du moineau mâle qui construit et décore son nid pour attirer une femelle ? On peut bien dire sans trop faire d’anthropomorphisme qu’il a des projets et des espérances !

[10]Science 05 Feb 2016 : 597-600.
 
[11] Rossi  M.,  André  J.,  Vallauri  D.,  2015.  Le  carbone  forestier en  mouvements. Éléments  de  réflexion  pour  une politique maximisant les atouts du bois. Lyon, Rapport REFORA).
On se rapportera également à un article de Thierry Gauquelin et Wolfgang Cramer  paru sur le site « The Conversation » : « La forêt française et ses sols pour limiter les gaz à effet de serre » en 2018, https://theconversation.com/la-foret-francaise-et-ses-sols-pour-limiter-les-gaz-a-effet-de-serre-96065 T. Gauquelin est Chercheur à l'Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale, Aix-Marseille Université (AMU) ; Wolfgang Cramer est Directeur de Recherche CNRS, Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale (IMBE), il est un des co-auteurs des divers rapport du GIEC et co-fondateur du réseau "Mediterranean Experts on Environmental and Climate Change" (MedECC). Dans cet article, on apprend aussi plusieurs bonnes nouvelles, notamment que la forêt française se porte bien malgré les aléas climatiques et que c’est aussi le cas de la forêt méditerranéenne malgré les incendies, grâce au fort pouvoir de régénération du pin d’Alep qui y a un rôle d’espèce pionnière.
À propos d’un article publié dans une revue antispéciste : Vers une gestion antispéciste et utilitariste de nos forêts.

Jeudi 30 Janvier 2020 Commentaires (4)

Si le nourrissage des oiseaux de jardin en hiver peut leur être d’une aide appréciable surtout en ville ou en campagne dans les secteurs d’agriculture intensive, cela peut aussi avoir des effets néfastes sur eux si celui-ci n’est pas effectué selon les règles. Comme souvent, l’enfer peut être pavé de bonnes intentions : mal fait le nourrissage est la cause de maladies émergentes, notamment chez les espèces granivores.


Lorsqu’un nombre important d’animaux se regroupe sur un même lieu, le risque de transmission de maladie augmente. C’est ainsi que le nourrissage des oiseaux des jardins peut, s’il estmalconduit, contribuer à la dynamique de transmission des maladies entre oiseaux d’une même espèce ou d’espèces différentes.

Un point qu’il faut tout d’abord rappeler et souligner : on ne nourrit les oiseaux qu’en hiver !  Non seulement une fois la mauvaise saison passée il faut il faut les laisser retrouver leur nourriture habituelle et se débrouiller seuls, il en va de leur indépendance, c’est-à-dire leur survie mais de plus certaines maladies particulièrement à risque pour les oiseaux sont hautement saisonnières. Par exemple, le pic d’observation de mortalité des verdiers survient par exemple au printemps. Et les mangeoires, lieu de concentration d’individus favorisent la contamination exactement comme les concentrations de populations humaines dans les villes favorisent le développement d’épidémies.

En hiver par contre, les nourrir, c’est leur donner un précieux coup de main pour surmonter les périodes de froidures au cours desquelles d’ailleurs, ils souffrent moins du froid que la faim.  Encore faut-il le faire correctement !
L’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), le Muséum national d’histoire naturelle, le centre vétérinaire de la faune sauvage et des écosystèmes et les laboratoires vétérinaires départementaux recommandent quelques pratiques simples pour minimiser l’impact du nourrissage sur l’apparition de maladies chez les oiseaux des jardins.
 

Le tableau ci-dessous que je reprends au site Vigie Nature présente les règles qu’il faut impérativement suivre si l’on veut que le nourrissage hivernal des oiseaux leur soit profitable.

 
Nourrir les oiseaux en hiver : Certes, mais le faire correctement pour éviter qu’ils en meurent !

Nourrir les oiseaux en hiver : Certes, mais le faire correctement pour éviter qu’ils en meurent !

Jeudi 23 Janvier 2020 Commentaires (0)

Surtout si vous êtes écolo. Si après avoir lu cet ouvrage vous estimez encore que l’éolien industriel a, en France, un intérêt quelconque d’un point de vue écologique, de deux choses l’une ou vous n’avez pas compris (relisez attentivement l’ouvrage, il n’est pas très long !), ou vous êtes de mauvaise foi (vous avez des intérêts financiers ou autres dans cette industrie ou vous ne voulez pas savoir pour ne pas changer votre programme).


« Le scandale éolien » d’Antoine Waechter : un livre à lire absolument !
On peut discuter des choix de stratégie ou de tactique politique d’Antoine Waechter. Il ne viendrait pourtant à l’idée de personne de contester sa profonde sensibilité écologique et son engagement écologiste. Son livre est un réquisitoire sans concession contre le déploiement de l’éolien industriel en France métropolitaine et une critique radicale des mythes qui l’accompagnent. Non seulement aujourd’hui, en France métropolitaine, il ne sert à rien et notamment pas à limiter les émissions de GES mais de plus son déploiement inconsidéré et incontrôlé est une catastrophe écologique, environnementale, sociétale, sanitaire. Alors que « la multiplication des aérogénérateurs représente la plus vaste opération de démolition du paysage français » non seulement l’Etat ne fait rien mais « il protège les spéculateurs du vent contre les citoyens qu’il est censé protéger » tel est le scandale de l’éolien que cet ouvrage dénonce. Par la suite, j’omettrai l’adjectif « métropolitaine » pour faire court et utiliserai ‘France’ pour une abréviation de ‘France métropolitaine’.
Avec cet ouvrage allant à contre-courant de l’écologiquement-politiquement correct, Antoine Waechter assume d’être traité d’être pro-nucléaire comme il a assumé naguère d’être accusé par les pro-nucléaire d’être un partisan d’un retour à la bougie.
A cela il rétorque que « dans leur démarche, les militants pro-nucléaires et les militants pro-éoliens adhèrent à la même croyance qu’il existe une échappatoire technologique à la finitude du monde » (p. 20). J’aimerai souligner ce passage de l’ouvrage car il témoigne bien du point de vue écologiste adopté dans l’ouvrage. Pour Antoine Waechter, il s’agit de rejeter cette croyance qui conduit à s’en remettre à des « outils monstrueux  que la dimension et le centralisme placent hors du champ de la démocratie citoyenne ». Il a mille fois raison. S’en remettre à de tels outils non « conviviaux» au sens d’Illich est antinomique avec l’écologisme. Mais sa position est qu’en ce qui concerne le nucléaire, nous sommes condamnés, au moins à moyen terme à vivre avec.

Il prend acte de l’incapacité des énergies intermittentes et notamment de l’éolien industriel, les machines actuelles fussent-elles démesurées, à remplacer le nucléaire pour produire de l’électricité en France. L’éolien et le solaire ne pourront pas remplacer le nucléaire, aujourd’hui comme à moyen, voire à long terme à cause de cette intermittence, de la faible intensité énergétique qui oblige à mobiliser de grandes surfaces, de l’impossibilité de piloter la production, de l’impossibilité de la stocker sans pertes excessives.

Il rappelle  l’échec des anti-nucléaires à contrer le programme électronucléaire du gouvernement français à son début dans les années 1970 – 80  et constate l’incapacité actuelle des écologistes partisans de l’éolien industriel d’avoir un discours de vérité sur la nécessaire réduction drastique de nos consommations énergétiques. C’est à cause de cette incapacité même et faute de prendre le risque politique d’un tel discours, que les Verts sont devenus des propagandistes de l’éolien. « Au point de promouvoir la croissance verte, décalcomanie du modèle économique qui nous conduit à l’impasse » (p. 19).

En dehors des difficultés techniques insurmontables qu’il y aurait pour remplacer le nucléaire par l’éolien industriel et le solaire, il y a une autre difficulté à ce remplacement. Cette difficulté est politique : « les rapports de force sont, en France, nettement en faveur de l’atome, résultat des visions convergentes des militaires (la bombe) et des technostructures industrielles » (p. 23). Et cela n’est, pour Waechter, pas prêt de changer : « Les verts ont arraché au candidat Hollande la fermeture de la centrale de Fessenheim (deux réacteurs)… en contrepartie de la mise en service de l’EPR de Flamanville » (P.23)

Mais la sortie du nucléaire n’est pas pour demain : « Qui peut croire que les pouvoirs publics soient prêts à sortir, même progressivement, du nucléaire alors qu’ils investissent plus de 10 milliards d’euros dans un EPR dont la durée de vie est de 60 ans ? » (p. 25)

J’insiste sur ce point car il est très important pour comprendre  la position d’Antoine Waechter, le nucléaire sera, que nous le voulions ou non un composant majeur du mix énergétique français. Il reste pour Waechter un outil « monstrueux que la dimension et le centralisme placent hors du champ de la démocratie citoyenne » (p. 20). Mais il faudra faire avec.

Dans ce contexte, développer d’autres outils tout aussi monstrueux,  les éoliennes industrielles est un non-sens d’un point de vue écologique. L’éolien industriel ne se substituera pas au nucléaire, il sera un complément dans la volonté de produire et de consommer toujours plus d’énergie.

C’est, dénonce Waechter, une escroquerie intellectuelle de « laisser croire que les énergies renouvelables permettent de se dégager à la fois du nucléaire et des énergies fossiles » (p. 26). Pour sortir du nucléaire, il n’y a qu’un moyen : recourir aux énergies fossiles. C’est ce qu’a fait l’Allemagne. Pour Waechter, c’est l’exemple à ne pas suivre : recourir aux éoliennes industrielles, la biomasse et le charbon pour sortir du nucléaire, c’est le faire « au détriment de la lutte contre la dérive du climat, de l’affectation prioritaire des terres agricoles à la production alimentaire et de la protection des paysages » (p. 28).

Donc, en résumé le nucléaire, c’est charybde, en sortir à la manière allemande, c’est scylla et aujourd’hui comme dans un avenir prévisible, il n’y a pas d’autres moyens d’en sortir. En d’autres termes, mieux vaut le nucléaire sans éolien (ou avec très peu selon des conditions très strictes d’implantation) qu’une sortie du nucléaire avec éolien et en recourant au charbon. Pourquoi ? Parce que « le climat est la principale menace » (p. 82) indépendamment des ravages environnementaux des mines de lignites et des pollutions qui résultent  de sa combustion. La production d’électricité par des centrales au charbon est fortement émettrice de CO2 et l’éolien ne peut même pas servir à limiter ces émissions de GES à cause de son intermittence. On comprend pourquoi Waechter a tenu au début de son ouvrage à distinguer « écologiste » et « anti-nucléaire », l’anti-nucléaire étant celui pour qui le refus de l’atome est un principe fondamental, pour Waechter un dogme.  
 
Les écologistes seraient selon Waechter confrontés à un « dilemme tragique : devoir choisir entre le danger de l’atome et la dérive du climat. » Il choisit le danger de l’atome, alors que d’autres ont choisi de « reculer sur le front du climat ». Il y a bien une échappatoire à ce dilemme, c’est « une diminution drastique de la consommation d’énergie » (p. 26). Pas la recherche d’une énergie de substitution. Waechter nous rappelle une notion fondamentale pour les écologistes et bien oubliée par certains, celle de « seuil » : la meilleure énergie est celle qui n’est pas consommée et cela pas seulement parce que cette non consommation se traduit par une économie nette mais parce que, comme le souligne Waechter, au-delà d’un certain SEUIL, « elles (les sortes d’énergie) deviennent toutes pénalisantes pour la nature et le milieu de vie des hommes. Une exploitation excessive de  bois tue la forêt. Une forte consommation d’énergie fossile altère le climat. Le nucléaire est une menace. L’hydraulique rompt la continuité des cours d’eau et en artificialise le fonctionnement. L’éolien industriel abîme les paysages et ajoute une cause de mortalité pour les oiseaux et les chauves-souris… » (p. 79). 

En ce qui concerne la croyance en la substitution de l’éolien au nucléaire ou au fossiles : « l’erreur réside moins dans la possibilité théorique d’une substitution intégrale du renouvelable aux énergies à forte densité que dans l’absence d’une condition fondamentale : il n’y a pas d’échappatoire aux limites sans décroissance significative de la consommation d’énergie » (p. 26). « La réduction de la consommation d’électricité est le seul moyen d’échapper au dilemme du choix entre le nucléaire et le climat » (p.81). C’est donc, vers cette décroissance qu’il faut tendre selon Waechter. Le développement de la voiture électrique est de ce point de vue une solution « idiote ». Une transition écologique véritable, c’est de faire émerger « un mode de vie à basse consommation énergétique » (p. 85). Celle-ci ne peut être que progressive et en attendant, il faut vivre avec le nucléaire.
 
Dans le chapitre « Quelle alternative ? » l’A. rappelle que l’objectif d’une transition énergétique « raisonnable » serait de « réduire notre impact » et il donne quelques pistes. Là encore il met en avant une évidence ignorée de la plupart des « faiseurs d’opinions » et des Verts (EELV) ou sur laquelle ils jettent un voile pudique lorsqu’ils en sont conscients. La croissance démographique de la population, y compris française, est l’un des principaux facteurs qui réduit à néant tous nos efforts de réduction, l’autre étant le « consumérisme énergétivore ». Personne ne remet en cause ni l’un, ni l’autre : « C’est le malheur de tous les plans climat-énergie que les collectivités sont invitées à élaborer : les efforts de créativité pour économiser l’énergie aboutissent à des gains dérisoires du fait de cette double croissance » (p. 81).

Dans ce chapitre Waechter s’inscrit en faux contre le tout électrique (voiture, chauffage, climatisation) au regard duquel il met en avant des alternatives permettant de réduire cette consommation électrique et donc de fermer des réacteurs devenus inutiles. Limiter le risque nucléaire sans « nuire » au climat.

J’espère avoir mis en évidence que la position qu’il développe et notamment sa dénonciation de l’éolien s’effectue sur des bases écologistes, que ceux qui se disent écologistes et partisans de l’éolien ignorent ou ont oubliées, en tout cas négligent.

Waechter n’est pas devenu pro-nucléaire pour autant. Il ne s’agit pas de multiplier les centrales nucléaires pour produire toujours autant sinon plus d’énergie tout en augmentant pas les émissions de GES, il s’agit au contraire d’en réduire progressivement  le nombre  pour arriver asymptotiquement à s’en dispenser en faisant « émerger un mode de vie à basse consommation énergétique ».
 
*****
 
Après avoir montré ce qu’a d’original la position de A. Waechter par rapport à la fois aux inconditionnels de l’éolien que l’on trouve à EELV  et aux nucléocrates, je vais reprendre le détail de quelques chapitres du livre.
 
Les développements  concernant la critique technique et économique de l’éolien, bien qu’assez brefs  sont d’utiles synthèses. Un chapitre est consacré aux nuisances subies par les riverains proches ou plus éloignés mais aussi à leur déni et au refus d’en tenir compte tant des pouvoirs publiques que des développeurs de cette technologie. Il débute par une défense des opposants aux projets d’implantation qui ne sont ni des Nimby bornés, ni majoritairement des pro-nucléaires comme le déclarent les « idéologues du vent, dont une partie des Verts ». Je ne résiste pas au plaisir de citer ce passage qui correspond à ce que non seulement je pense mais aussi que je ressens comme un scandale et une sorte de trahison : « Ces derniers [les Verts inconditionnels du vent] adoptent , en effet, la même attitude vis-à-vis des opposants que celle qu’ils dénonçaient de la part des nucléocrates. Et, ironie de l’Histoire, les voilà devenus les meilleurs soutiens du capitalise international qui s’investit dans la spéculation du vent » (p. 42).
 
Il n’y a pas que les Verts qui se renient sur ce sujet. Les grandes associations France Nature Environnement et LPO ont une position pour le moins ambigüe et leur silence étonne. C’est ce que souligne l’auteur à juste titre au début de son chapitre sur « le mépris de la Nature » où il montre en détail les dégâts qu’occasionne à la naturalité et à la biodiversité le développement de l’éolien industriel. Si pour FNE, c’est, selon Waechter, pour ne pas déparer du « politiquement correct », le cas de la LPO est plus trouble ; la filière éolienne étant l’un de ses clients, ses salariés contribuant aux études d’impact et effectuant des suivis après l’installation des machines. Pour ceux qui ignoreraient encore les dégâts causés par les éoliennes, la lecture de ce chapitre clair précis, concis sera éclairante.  Pour ceux qui sont portés à croire les propos rassurants des promoteurs éoliens, cette lecture sera salutaire, du moins s’ils sont de bonne foi.
 
Le chapitre qui suit est consacré à la destruction des paysages. C’est le plus original de ce réquisitoire contre les éoliennes industrielles. Il faut le lire. Aucun résumé ne peut rendre justice de la profondeur et de la subtilité des arguments sur ce qu’est un paysage, le beau, comment les éoliennes les enlaidissent et les détruisent et pourquoi cette destruction n’est en rien une conséquence anecdotique du déploiement d’une filière par ailleurs inutile.
 
« Pour construire un édicule de 25 m2 d’emprise au sol, haut de 3mètresn il faut un permis de construire signé par le maire, est c’est heureux. Aucun permis de construire spécifique n’est exigé pour planter un mât de 200 mètres de haut dans un socle de béton de 1500 à 2000 mètres cubes » (p.69). Dans ce chapitre (p. 69 et sq.) Waechter analyse par le menu tout ce qui est fait au niveau législatif ou réglementaire pour permettre aux « spéculateurs du vent » d’implanter leurs machines où ils veulent et pour réduire les possibilités des gens de se défendre devant les tribunaux. Les gens concernés ne sont pas consultés ou mal ; les études d’impact sont inconsistantes et réalisées par des bureaux d’études liés aux promoteurs … C’est là le cœur du scandale selon Waechter : « L’état défend les spéculateurs du vent contre les citoyens qu’il est censé protéger  et s’évertue, décret après décret, à neutraliser les résistances populaires jusqu’à affaiblir l’état de droit » (p. 72).
 
Après une ultime dénonciation de l’éolien industriel avec une argumentation implacable comme appartenant à « l’ancien monde des autoroutes, des lignes à grande vitesse, des gros équipements, des barrages qui noient les hameaux, des Center Parcs, des centrales nucléaires …. Imposés aux habitants », l’ouvrage se termine par quelques brèves réponses à des idées reçues sur la filière éolienne industrielle.
 
Je le répète : écologistes, lisez ce livre écrit par un écologiste. Pour ceux qui n’avaient qu’une vague idée des nuisances de l’éolien industriel et n’y croyait pas vraiment, car la dénonciation venait de nucléocrates ou de défenseurs du productivisme, la prise de conscience sera peut-être difficile et douloureuse mais salutaire. Pour ceux qui étaient dans les luttes contre ces outils monstrueux, il constitue une aide pour le débat.
 
Néanmoins, le scandale de l’éolien doit-il conduire à minimiser celui du nucléaire ? Bien que Waechter se borne à critiquer l’éolien industriel et rejeter une sortie du nucléaire du type allemand qui entraînerait une augmentation des émissions de GES, il se positionne nettement pour une décroissance  progressive de la filière nucléaire en réduisant les besoins en électricité. Pour lui « réduire la transition écologique à sa seule dimension énergétique est un contre-sens » Il est contre l’organisation de la croissance de la consommation d’électricité qui serait « un retour aux orientations politiques des années 1960, lorsque le gouvernement Messmer mettait en place le programme électronucléaire français. » Il ajoute « Imaginer, dans ce but, une électrification de la mobilité individuelle relève du grand guignol. » Il montre qu’il n’est pas possible de se passer totalement d’énergies carbonées d’ici 2050. Le croire est dangereux car cette croyance entrainera de très graves impacts environnementaux.
 
*****
 
J’en viens maintenant aux réserves que m’inspire cet ouvrage.  
 
1°) La situation qui est décrite dans cet ouvrage vaut essentiellement pour la France métropolitaine dont on sait que la nucléarisation de sa production électrique fait d’elle une exception. Dans certains cas, les ENR peuvent avoir un rôle à jouer comme par exemple dans le cas des ZNI (zones non interconnectées)  comme des îles ou des villages sans infrastructures d’acheminement du courant. Dans ce cas, le solaire ou l’éolien avec batteries et groupes électrogènes en secours peut être une solution. Mais ce sera pour des usages où l’électricité a un rôle irremplaçable comme éclairer, faire fonctionner les téléphones cellulaires et les ordinateurs et non pour se chauffer ou pour recharger les batteries pour les moteurs des véhicules électriques. C’est d’ailleurs à ces usages que l’électricité devrait être réservée comme cela ressort d’ailleurs de la critique que fait Waechter d’une transition « énergétique » qui viserait au « tout électrique » : électrification des déplacements motorisés, électrification du chauffage notamment qu’il rejette.
 
On peut aussi estimer que dans  le cas de vents réguliers et constants comme les alizés, le recours à l’éolien peut se justifier à condition que les installations se fassent dans des zones où ne passent pas d’oiseaux migrateurs, que le sol sous-marin s’y prête sans perturbations majeures et qu’elles soient assez éloignées des côtes et des zones de pêche.
 
2°) La force du dilemme que formule Waechter (nucléaire ou dérive climatique) ne peut valoir que pour la France ou pour des pays pour lesquels l’électricité nucléaire a une place très importante dans le mix énergétique. Mais cette force diminue en proportion de l’importance du nucléaire dans le mix électrique d’un pays. On ne peut recommander de construire des centrales nucléaires pour remplacer d’autre modes de production d’électricité actuellement en fonction. Plus le nombre de centrales augmente et plus le danger du nucléaire augmente.
 
D’ailleurs Waechter ne propose pas de construire des centrales mais de moins consommer d’électricité en France pour pouvoir fermer des centrales nucléaires françaises : il rejette l’électrification des déplacements individuels et condamne le chauffage électrique.
 
Donc, il faut le dire nettement : de façon générale, à l’échelle mondiale, le nucléaire ne peut pas être une solution, le risque et trop grand, la technologie trop complexe  et/ou les investissements trop lourds pour beaucoup de pays, le risque de prolifération de l’arme nucléaire trop important.
 
3°) De plus, le dilemme (devoir choisir entre le danger du nucléaire et la dérive du climat) en est-il bien un ? Il est certain que les centrales nucléaires un fois en activité avec des barres de combustible nucléaire installées ne dégagent pas de CO2. Mais si l’on prend en compte le cycle de vie, les choses sont moins claires et le nucléaire moins vertueux. Elles sont moins claires car les estimations varient fortement d’une étude à l’autre, d’un pays à l’autre, selon l’origine et la qualité du combustible nucléaire, l’évaluation de l’aval de la production (traitement, stockage des déchets, démantèlement  des installations, …). La fourchette de résultats est très large : entre 1,4 et 288 grammes de CO2/kWh. Cela peut paraître étrange mais en ce qui concerne les émissions de GES dans le cadre d’une ACV, on ne sait pas très bien ce qu’il en est du nucléaire. 66 gr serait une moyenne mais elle est sans doute sous-évaluée. Les gisements d’uranium seront de plus en plus rares et de plus en plus difficiles à exploiter, ce qui conduit Benjamin Sovacool l’un des rares auteurs à avoir produit une synthèse sur les recherches concernant le cycle de vie du nucléaire à estimer « qu’à l’avenir l’empreinte carbone de l’énergie nucléaire augmentera à cause du minerai d’uranium, de la vétusté des centrales (…) et des besoins en énergie pour la gestion et le stockage des déchets » (1).
 
Il faut aussi prendre en compte lorsque l’on calcule les émissions de CO2 selon une analyse en ACV   qu’aujourd’hui les gisements se trouvent à l’étranger, ceux exploités par Orano (ex-Areva)  sont au Canada, au Niger, au Gabon, en RDC et au Kazakhstan(*). Quand Orano ouvre dans ce dernier des mines en rasant des forêts, les émissions de carbone sur l’ensemble du cycle de vie me semblent encore sous-estimées.
 
En général, les gisements se trouvent dans des zones désertiques ou forestières, souvent sans infrastructures adéquates qu’il faut construire : pistes d’atterrissage, routes, etc. qui ne sont pas pris en compte. N’y figurent pas non plus celles des expéditions militaires pour « sécuriser » en territoire africain par exemple, les approvisionnements des centrales nucléaires françaises à l’électricité si merveilleusement décarbonée.  On peut estimer qu’un système de cogénération Chaleur/électricité au gaz ne sera pas plus émetteur qu’une centrale nucléaire si on prend en compte, comme on le devrait, le cycle de vie. En tout cas, il y a là des recherches à faire pour tenter d’y voir plus clair et que bien entendu, on ne fait pas.
 
Et même si le nucléaire restait le moins émetteur, il n’y a pas que les GES et le réchauffement climatique à prendre en compte. Il y a les sites pollués, l’eau radioactive, les terres des habitants riverains dévastées. Parce qu’il faut beaucoup de roches et que les procédés d’extraction de l’uranium de ces roches est très polluant, les mines sont des atteintes graves à l’environnement, au moins aussi polluant que l’extraction des terres rares nécessaires à une transition énergétique fondées sur le « tout électrique ». Ni les Inuits, ni les Touaregs, ni les Kazakhs n’ont à faire les frais d’une transition énergétique à la française !

Le nucléaire induit des ravages écologiques dans d’autres pays plus graves que ne le fait le développement inconsidéré de l’éolien industriel dans le nôtre.
 
Certes d’un pur point de vue technique, le nucléaire peut sans doute être un candidat au moins aussi valable que les ENR ou plus précisément aussi peu valable pour réduire les émissions de GES, il n’en reste pas moins que pour des raisons écologiques, sociétales et sociales, il doit être rejeté.  
 
Un écologiste ne peut accepter les éoliennes industrielles sauf cas bien particuliers mais il ne peut accepter non plus un développement du nucléaire, ni laisser croire que son développement ou son maintien serait une solution satisfaisante pour réduire les émissions de GES.
 
__________
 
(*) Au Kazakhstan, premier producteur mondial d’uranium, Orano (ex-Areva) va raser une forêt protégée pour exploiter un gisement. La dérogation de l’entreprise française a été obtenue lors de la visite de Bruno Le Maire fin juillet dans ce pays d’Asie centrale devenu stratégique pour l’industrie nucléaire française.
 
***
 
Antoine Waechter, Le scandale éolien Broché 21 x 0,6 x 14,7 cm, 98 pages, Editions Baudelaire 2019, Lyon ISBN-13 : 979-1020325297, prix : 11€
 


Jeudi 19 Décembre 2019 Commentaires (0)

Ceux qui voulaient éviter le totalitarisme et la dérive fascisante en votant Macron se sont bien fait berner. La République en Marche est en route vers un état policier fascisant sous la bannière du grand chef, entouré de sa cour, de madame, de son second, de ses lieutenants préposés aux basses-œuvres, de ses adjudants chargés d’encadrer et de faire filer droit et au pas cadencé la piétaille des députés et autres élus. Avec la complicité active ou silencieuse de ces derniers, le chef et ses hommes liges lâchent leurs chiens qui se déchaînent sur le vulgum pecus qui ose protester.


C’est la démocratie de la matraque et de la justice aux ordres. Les uns éborgnent, mutilent, cognent ; les autres embastillent et condamnent. Les médias main stream  achetés par les milliardaires ou vendus au pouvoir du Chef applaudissent, travestissent. Pour les journalistes qui veulent faire leur travail et informer les gens des brutalités et de la violence exercée par les petites mains de cet état policier, ils sont gazés, matraqués, cibles des LBD, emprisonnés et leur matériel cassé.

Aujourd’hui la coupe est pleine et les dites FDO ont beau cogner, les juges embastiller, le grand vent de la révolte qui s’est levé avec les Gilets Jaunes vient de se renforcer du refus de la énième réforme scélérate, celle des retraites. Il est en train de se transformer en ouragan qui pourrait bien balayer tous ces malfaisants. Ils pètent  de  trouille. La rue leur fait peur, les mouvements sociaux qui convergent et s’unissent les effraient. Pour conjurer le sort, il y a des mots et des expressions qu’il ne faut pas prononcer : ‘ grève’, ‘ grève générale’ ou ‘historique’. Et aussitôt le média du pouvoir  France TV, ex ORTF obtempère et ordonnent qu'ils soient bannis à l'antenne. Ne surtout pas donner des idées aux cerveaux disponibles qui baillent devant leur TV.

C’est la note de service hallucinante de la direction de France TV à ses journalistes qu’a révélée la CGT. L’ultra libéralisme, ce n’est pas la liberté, c’est la dictature et le mal élu, le Grand chef n’en est en définitive que le larbin. Voici le fac-similé du communiqué de presse de la CGT France TV.

En marche vers un régime totalitaire : état policier et médias muselés

Dimanche 8 Décembre 2019 Commentaires (0)

Dans le cadre de la grève du 5 décembre, des militants de l’Amassada ont réussi à bloquer le chantier du méga transformateur RTE de Saint-Victor et Malvieu. Les FDO ne pouvant être partout à la fois étaient en sous-effectif, ce qui a contribué à rendre la répression inefficace. Pour ceux qui ignoreraient l’objet de cette lutte, voir le texte de l’affiche ci-dessous où je reprends le communiqué de l’Amassada sur cette action réussie.


Grève du 5 décembre : Blocage du chantier du méga transformateur de RTE à Saint-Victor et Melvieu (Aveyron)
Ce 5 décembre, succès du blocage de la route empruntée quotidiennement
par un incessant trafic de camions. Une petite cinquantaine de personnes
a suffi pour bloquer la sortie des gravats du chantier de 10 h du matin
jusqu’à la fin de la journée. La gendarmerie en sous-effectif  n’a rien
pu faire pour nous déloger de la D31. Dans un étrange ballet ensoleillé
une trentaine de gendarmes nous poussait et telle de l’eau nous coulions
sur la route, sans laisser prise aux provocations des flics. A une
bifurcation nous avons décidé de remonter vers le point de blocage en
prenant par les champs pour revenir devant les flics. Nous sommes ainsi
remontés au carrefour de départ pour constater joyeusement que les 10
camions bloqués n’avaient pas bougé d’un poil. Les renforts militaires
n’arrivant pas, comme c’est le cas habituellement, ce sont les
camionneurs qui ont fini par faire demi-tour sous nos applaudissements.
La gendarmerie a aussitôt reflué, nous laissant maîtres des lieux.

Cette petite brèche ouverte dans le déroulement normal du chantier d’une
grosse infrastructure RTE en cours de construction nous redonne du
courage. Nous saluons aussi les syndicalistes CGT EDF qui nous ont
apporté leur soutien. Tout le monde a bien compris que bousiller les
retraites, spéculer sur l’électricité et annihiler le peu de terres
agricoles qui reste sont des actes qui appartiennent à une même logique
de destruction.

Aussi nous invitons tous les gens qui peuvent à venir lundi 9 à 9h00 à
La Baraque de Saint-Victor pour recommencer une action du même type.
Avec dans les sacs de quoi pic niquer et son gilet jaune. Soyons
nombreu.x.ses ! Faire plier le gouvernement sur ces infâmes projets
exige de le bloquer sur ses plus gros chantiers !

Pas res nos arresta,
L’Amassada en exil

Source et infos complémentaires : https://douze.noblogs.org/post/2019/12/06/greve-de-la-destruction-du-monde-a-saint-victor/

Voir aussi https://www.lamuledupape.com/?s=amassada

Samedi 7 Décembre 2019 Commentaires (0)
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