Et si c’était pour demain sur une Terre trop peuplée, surexploitée ? C’est en tout cas ce que découvre Barrent, le héros d’Oméga un roman de Robert Sheckley, lorsqu’il réussit à revenir sur la planète. Cela n’a rien de réjouissant et cette anticipation grinçante prend des allures de cauchemar. Est-elle inéluctable ?


La nature réduite à des espaces verts de proximité?
Sans doute si l’on néglige encore longtemps la «bombe P», «P» pour population. C’est pourtant ce que font les politiques de tout bord, même ceux qui se nomment les «décroissants». Ceux qui ont compris qu’il y avait déjà trop d’humains sur Terre et qu’une décroissance de la population par un contrôle des naissances volontariste était nécessaire ne sont qu’une poignée. Parmi eux, il y a « l’écologie profonde » d’Arne Næss au nom de l’impérieuse nécessité de la préservation d’une nature sauvage (y compris pour l’avenir de notre propre espèce), quelques écologistes « réformistes » ou « superficiels » lucides et donc néomalthusiens, des naturalistes dont les yeux ont été ouverts par leurs pratiques professionnelles et tous les amoureux de la vraie nature. Pour tous les autres, il est sacrilège d’envisager de fixer des limites au « droit de se reproduire » des humains, de fixer des limites à l’occupation de l’espace par notre espèce, de renoncer à une complète domestication de la nature dans un monde totalement occidentalisé.
Les auteurs de SF savent brosser des tableaux vivants d’avenirs pas toujours improbables. Fasse que celui qui est dépeint ci-dessous avec un zeste d’humour noir n’advienne jamais.

« La route passait devant de grands hangars puis s’engageait dans les bois. Barrent continua à avancer(...)

il s’engagea dans le bois. (...) Il se fraya un chemin à travers d’épais sous-bois pour atteindre les hautes futaies. Bientôt, il marcha à l’ombre de chênes gigantesques. Invisibles dans les frondaisons, d’innombrables oiseaux chantaient. Parfois, des brindilles craquaient au passage d’un petit rongeur. Au loin, il aperçut un écriteau blanc fixé à un arbre. Il alla dans cette direction ; lorsqu’il fut assez près, il put lire : PARC NATIONAL DE FORESTDALE. LES CAMPEURS SONT LES BIENVENUS. Il fut un peu déçu. Évidemment, il ne s’était pas attendu à trouver la forêt vierge(...). En fait sur une planète aussi ancienne et civilisée que la Terre, il ne devait plus y avoir de terres vierges du tout, sauf ce qui en avait été préservé dans les parcs nationaux.
Le soleil approchait de l’horizon, les ombres s’allongeaient ; un petit vent frais se leva. Barrent trouva un endroit confortable au pied d’un chêne gigantesque, se fit un matelas de feuilles et s’allongea. (...)

− Bonsoir, dit une voix tout près de son oreille droite.
Il se rejeta violement du côté opposé à la voix, et se retrouva debout, l’arme à la main.
− C’est une bien belle soirée dans le Parc National de Forestdale continua la voix. La température est de vingt-cinq degrés huit dixièmes, le taux d’humidité de vingt-trois pour cent et le baromètre est fixe à sept cent trente-neuf millimètres. Les vieux campeurs connaissent bien ma voix. Mais si vous êtes un nouvel amoureux de la nature, permettez que je me présente. Je suis votre ami le Chêne, et je me réjouis de vous souhaiter la bienvenue dans notre belle forêt nationale.
Barrent essaya de percer la pénombre du crépuscule, se demandant ce que signifiait cette plaisanterie. La voix semblait effectivement parvenir du chêne sous lequel il était allongé.
− Chacun peut maintenant librement profiter de la nature, et trouver le calme et la solitude à dix minutes de marche d’un transport public. Pour ceux qui ne recherchent pas la solitude nous organisons des visites guidées à un tarif symbolique. N’oubliez pas de recommander à vos amis notre accueillant parc national avec ses arbres magnifiques et ses belles clairières. Tous les amoureux du grand air seront cordialement bienvenus.
Un panneau s’ouvrit dans l’écorce du chêne. Il en sortit un plateau avec un sac de couchage, une bouteille thermos et un panier-repas.
− Je vous souhaite une bonne soirée, au sein des splendeurs et des merveilles de la nature dit le chêne. Et maintenant, l’Orchestre Symphonique placé sous la direction d’Otter Krug, exécute pour vous Forêt alpine d’Ernesto Nestrichala, dans un enregistrement National North American Broadcasting Company. Votre ami le Chêne vous dit bonsoir.»

Robert Sheckley 1960, The satuts civilization, trad. française Frank Straschiltz, 1968, sous le titre Oméga, édition Opta, réimpression Presses Pocket, 1977, p.p. 145 – 146.

Faut-il rappeler qu’aujourd’hui, le camping est, sinon interdit, du moins strictement réglementé dans les parcs nationaux où des restes de nature sont parqués dans des réserves aux contours absurdes. Des «réserves», comme pour les Indiens ! N’y-a-t-il pas d’autres alternatives que celles d’encager le sauvage ou le saccager : l’aménager étant aussi une façon radicale et insidieuse de le détruire?
Un petit regret : dans cette description, Robert Sheckley a oublié l’inévitable page de pub qui va avec l’encas et la fourniture du sac, en France ce serait «Choconou» et «Au jeune campeur» par exemple.

Quelques mots sur le roman d’où est tiré cet extrait. C’est l’histoire d’un homme qui, victime d’une erreur judiciaire d’un genre inédit, est déporté sur Oméga, une planète bagne qui s’organise selon ses propres lois et coutumes ; des lois et coutumes très spéciales ignorées des nouveaux arrivants qui doivent pourtant les respecter à la lettre, lois qui récompensent le meurtre, la drogue, etc., et obligent à les pratiquer sous peine de sanctions comme ne tardera pas à s’apercevoir le héros. Il réussira néanmoins à revenir sur Terre, une Terre qui est, elle aussi, devenue une sorte d’enfer.
Ironie, pessimisme, humour noir, voire macabre, ton sarcastique, ce roman corrosif et caustique est un roman d’aventure captivant qui fait rire parfois jaune et une fois refermé, donne à penser. Ce genre d’humour grinçant dans des situations décalées est la « marque de fabrique » de Robert Sheckley (1928 – 2005).

Dimanche 22 Avril 2012 Commentaires (0)
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