Les politiciens de tout bord, EELV compris, ont condamné « fermement » les « violences » qui se sont produites lors de manifestations en hommage à Rémi Fraisse. Il ne s’agit pas bien entendu des « violences » commises par les forces dites de l’ordre mais de celles de groupes de manifestants. Or la seule violence condamnable dans l’affaire du barrage de Sivens et des manifestations qui en ont suivi, c’est la violence d’État.


Assassinat de Rémi Fraisse : seule la violence d’État est à condamner !
Il est légitime que le porte-parole de France Nature environnement déclare que la lutte contre le barrage de Sivens et autres projets inutiles doit revêtir des formes non-violentes, que c’est de cette façon que doit être continué le combat de Rémi Fraisse qui était non-violent, que c’est la bonne façon de respecter sa mémoire. Mais que dire lorsque c’est un Manuel Valls ou un Bernard Cazeneuve qui ont le culot d’affirmer que les manifestants salissent la mémoire de ce jeune homme alors qu’ils sont largement responsables des agissements des gendarmes mobiles qui l’ont tué, alors qu’ils refusent de mettre en cause ces gendarmes et leurs chefs, alors qu’ils clamaient à l’Assemblée nationale que les forces dites de l’ordre n’avaient rien à se reprocher bien qu’ils aient su depuis le début que c’étaient les gardes mobiles qui l’avaient tué? Ils n’ont aucune légitimité pour tenir de tels propos ! C’est leur hommage de tartuffe qui est abject et salit la mémoire du jeune botaniste ! Un hommage qui leur sert aussi à justifier la répression qu’ils continuent d’ordonner contre ceux qui manifestent contre ce meurtre tandis que Bartolone invente un règlement qui n’existe pas pour refuser la minute de silence en l’honneur de Remi Fraisse demandée par Cécile Duflot à l"Assemblée nationale.
La cause première de la mort de Rémi Fraisse, ce sont eux, c’est l’État PS qui veut empêcher à tout prix qu’au Testet, se crée un nouveau «Notre Dame des Lande». À tout prix, c’est-à-dire en usant de la violence d’état. C’est cette violence qu’il faut d’abord dénoncer lorsqu’elle est utilisée à Sivens ou ailleurs pour que des aménageurs puissent pratiquer la politique du fait accompli. Ce qui fut le cas pour un autre barrage agricole dans le Tarn, celui de Fourogue, déclaré illégal une fois sa construction achevée. Dans ce cas, cette violence d’état n’a plus rien de légitime. Il s’agit bien alors d’une violence tyrannique – ou « hégémonique » comme la qualifie les militants les plus radicaux. C’est cette violence qu’il faut condamner. Elle suscite une résistance légitime, une contre-violence qui peut conduire à des affrontements avec les forces dites de l’ordre.

Ces affrontements peuvent prendre des formes non-violentes ou violentes, les unes et les autres légitimes à défaut d’être légales stricto sensu bien qu’il soit possible pour les fonder en droit d’invoquer l’article 35 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793: « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Cependant les formes violentes de résistance sont peut-être contreproductives car mal vues par une opinion qu’il est indispensable de conquérir pour gagner mais elles n’en sont pas pour autant illégitimes et on peut tout à fait les comprendre dans le cas des contestations écologiques des « projets inutiles » qui mettent à sac la nature.

Les limites de l’action non-violente

Ces formes violentes de résistance ont tendance à se développer lorsque grandissent la frustration de n’être ni entendu ni même écouté et l’exaspération devant les échecs des autres formes de résistance non-violentes légales ou non. C’est exactement ce qui s’est passé à Sivens. Des recours sont en cours. Le barrage sera presque à coup sûr jugé illégal et sans les actions non-violentes d’occupation pacifique des lieux et de grèves de la faim l’irréparable, qui était en train de se produire se serait déjà produit. À ces actions non violentes, l’Etat, le Conseil général, son président, le préfet ont répondu par une répression violente totalement disproportionnée pour permettre, faut-il le rappeler, un chantier illégal. José Bové et d’autres ont mille fois raison de parler de provocation. Aussi la réaction ne s’est pas faite attendre, aux actions non violentes se sont surajoutées des actions violentes de guérilla contre les forces dites l’ordre qui n’avaient rien à faire sur les lieux. Quel ordre républicain s’agissait-il en effet de préserver ? Un ordre d’une république bananière si l’on en juge d’après les conflits d’intérêts concernant ce barrage comme d'après la façon dont il a reçu l’aval des « autorités » alors que le dossier aurait dû être retoqué au premier examen aux dires même des experts gouvernementaux envoyés bien trop tard sur le terrain.

« Même quand tu es pacifiste, ils sont en mode barbare »

Tout amoureux et protecteur d’une Nature mal en point ne peut qu’être scandalisé comme le fut Rémi Fraisse devant l’énormité de la chose : l’édification protégée par la force publique d’un barrage illégal sur l’une des dernières zones humides du département dans un secteur en partie classé pour la protection de la faune et de la flore au bénéfice exclusif d’une poignée d’agriculteurs pratiquant une maïsiculture intensive qui empoisonne les sols et assèche les rivières ! Devant la violence déployée par les flics, il est apparu à beaucoup d’opposants à ce barrage qu’agir de manière non-violente est illusoire. Ce que peut reconnaître même un disciple de Gandhi. En effet pour Gandhi la non-violence est une éthique relative. Le recours à l'action violente ne peut être écartée par principe car il est des situations où l’action non-violente devient inadaptée et pour Gandhi mieux vaut la violence que la lâcheté.
CRS à Toulouse, 8 /11/2014. Manifestation hommage à Rémi Fraisse
CRS à Toulouse, 8 /11/2014. Manifestation hommage à Rémi Fraisse

La technique de l'écrasement de la tête
La technique de l'écrasement de la tête
Ainsi un manifestant venu pour le rassemblement festif et pacifique du samedi 25 octobre a déclaré à Médiapart « Je n’avais jamais vu ça et je ne suis pas venu pour ça. Mais, après ça, vous ne pouvez que rester.» Il n’est donc nullement étonnant que Rémi Fraisse, non-violent mais personne déterminée aux dires de son père se soit retrouvé, pour son malheur, en première ligne d’affrontements dont il n’avait pas l’expérience et ne mesurait pas tous les dangers. Selon le témoignage que son amie a confié à Reporterre « Les flics tiraient en rafale. Le spectacle était très violent, l’ambiance très particulière, nous n’avions jamais vécu ça. Face à une telle scène d’incompréhension et d’injustice, Rémi ne pouvait que réagir d’une manière ou d’une autre. (…) Je l’ai vu partir d’un coup en criant «Allez, faut y aller ! » Il a commencé à courir devant. Il n’avait rien pour se protéger, il n’a pas mesuré ce qui l’attendait. »

Le drôle de jeu des forces dites de l’ordre

Pour ce qui concerne les dérapages des manifestations en hommage à la mémoire de Rémi Fraisse et contre «les violences policières», les forces dites de l’ordre semblent jouer un drôle de jeu. Selon les témoignages de participants et de journalistes, « la police se déguise de plus en plus en «casseurs», dont l’image violente est utilisée ensuite par les médias » (Reporterre, 3 novembre 2014). La manifestation qui s’est tenue à Nantes le samedi 1er novembre après-midi était majoritairement pacifique. Pourtant les affrontements ont rapidement commencé et pour amorcer ces affrontements, il semble bien qu’il y ait eu provocation policière voir l’article sur le site de Reportette ici
De même dans d’autres villes. Ainsi à Toulouse, le 1er novembre, selon les témoignages de participants « si les forces de l'ordre, en nombre disproportionné, n'avaient pas bloqué les manifestants sur la place du Capitole pour les empêcher de défiler, il y aurait certainement eu moins de violence » affirme une manifestante. Un toulousain explique «(le)Rassemblement (…) a souhaité à un moment sortir de cette place du Capitole encerclée par les forces de l'ordre. En tout début de cette marche paisible, les premières grenades lacrimo lancées dans la rue Lafayette ne pouvaient avoir un rôle apaisant sur les participants! » «La même stratégie a été employé à Albi lundi dernier (ndl : le 27 octobre). Les forces de l'ordre sont allées jusqu'à pousser les plus extrémistes vers la dizaine de sacs de pavés entreposés á proximité du lieu de la manif. Il s'agit soit d'incompétence soit de provocation. Les deux hypothèses sont révoltantes. » On trouvera ces témoignages sur le site du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du TESTET ici

Des escadrons de gendarmerie et de CRS tirant au flash ball dans le visage de manifestants pour l’essentiel pacifiques, les bombardant de grenades de toutes sortes justifiant ainsi la contre-violence de quelques-uns venus pour en découdre ou simplement excédés par les brutalités policières, les interdictions de manifester, l’intransigeance du gouvernement, des Valls, Cazeneuve et compagnie, la duplicité du chef de l’Etat qui depuis le début ne pouvait pas ne pas savoir… Le contraste est saisissant avec le laisser-faire de ces mêmes forces de l’ordre lors des manifestations organisées par la FNSEA ou ses fédérations départementales. Absentes ou passives, elles laissent couvrir de fumier et de purin la façade des préfectures, incendier des bâtiments administratifs, s’en prendre aux véhicules d’agents de l’état, martyriser des animaux !
Cette violence et ces dégradations sont sans communes mesure avec celles qui ont pu être commises la même semaine lors des manifestations en hommage à Rémi Fraisse et pour protester contre les violences policières dont les médias nous rebattent les oreilles et dont se gargarisent les politiciens pour les condamner. Dans ce dernier cas, les policiers se sont livrés à de nombreuses arrestations musclées alors qu’aucun agriculteur n’a été arrêté, aucune intervention des forces dites de l’ordre pour empêcher les dégradations à Clermont-Ferrand, Nantes, Châlons-en-Champagne, Laon… où les dégâts se chiffrent en centaines de milliers d’euros. À Châlons, le journal local l’Union/L’Ardennais décrit en ces termes l’état des lieux vandalisés par les troupes mobilisées par la FNSEA : « Ils laissent derrière eux un spectacle de désolation : traces de bûcher à la Porte Sainte-Croix, façade de la préfecture et du conseil général recouverte de lisier, chaussée jonchée d'excréments, odeur insoutenable(…) Des jets de pommes de terre ont notamment brisé des vitres au conseil général et à la préfecture. Sans parler du grand nettoyage à effectuer aussi bien devant la Draaf au Mont-Bernard, dont l'accès a été symboliquement muré, qu'en centre-ville. » Pourquoi une telle différence de traitement ?
Il y a certes des raisons de fond. La FNSEA et ses troupes ne contestent nullement l’ordre établi, le libéralisme et le productivisme. Au contraire, pour elle et ses troupes, il faut s’affranchir de toute règle et notamment des règles sociales et environnementales pour être compétitif et pour cela, elles peuvent compter sur l’État et un gouvernement Hollande/Valls dépourvu de toute sensibilité écologique comme de toute volonté de remettre en question la mondialisation libérale. Il y a aussi des raisons plus conjoncturelles, Valls cherchant à l’évidence de nouveaux alliés essaye de s’attirer les bonnes grâces des agriculteurs. Mais il y a surtout que comme d’autres avant eux, Valls, Hollande et compagnie ont peur de la FNSEA et de ses troupes comme ils ont eu peur des « bonnets rouges » et comme ils ont peur des « syndicats » de patrons routiers. Ils en ont peur parce qu’ils ont peur de la violence dont ils sont capables et dont les manifestations de cette semaine organisées par la FNSEA donnent un échantillon.
Les agriculteurs de la FNSEA, les patrons routiers, les « bonnets rouges » usent de la violence, incendient, cassent, dégradent, bloquent les routes et se moquent pas mal de l’effet que leurs actions et exactions peuvent avoir sur l’opinion publique. Ils cherchent à instaurer un rapport de force favorable en leur faveur.

Faire régner la terreur

L’État PS redoute aussi mais d’une toute autre manière les défenseurs de l’environnement, les zadistes fondamentalement pacifistes, les jeunes et moins jeunes qui cherchent à créer des espaces de liberté pour expérimenter d’autres façons de vivre ensemble, de préparer un autre avenir dans un monde qui resterait vivable. Sa hantise : des ZAD partout ! Il redoute toute cette mouvance qu’il peine d’ailleurs à cerner. C’est pourquoi il veut s’en débarrasser pendant qu’il est encore temps : l’étouffer dans l’œuf en quelque sorte pendant qu’il est encore le plus fort, qu’il n’a pas à craindre les affrontements directs dont il se croit assuré de sortir vainqueur et qu’il n’a pas à se soucier des réactions d’une opinion publique partagée. D’où ce déchaînement de violence, ces arrestations musclées et massives : il s’agit de faire peur, de terroriser ces contestataires, zadistes, naturalistes, écologistes, paysans pour qu’ils rentrent dans le rang, qu’ils arrêtent de manifester, d’occuper les sites des grands et petits chantiers inutiles ; comme l’a bien dit Mathieu Burnel lors de l’émission « Nulle part ailleurs » le 31/10/2014. C’est râté ! Des manifestations ont tout de même lieu malgré les interdictions et le déploiement des forces de police, la zone du barrage de Sivens est à nouveau totalement occupée et les zadistes s’organisent, ceux de Notre-Dame des Landes tiennent bon et cette forme d’action tend à faire école : « Cours camarade ! Le vieux monde est derrière toi ! » Daniel Mermet, Hommage à Rémi Fraisse)

Daniel Mermet rend hommage à Rémi Fraisse pour les 20 ans des Ogres de Barback.

Choisis ton camp camarade ! Le vent se lêve. Hommage à Rémi Fraisse
« C’est l’histoire de deux enterrements. Voilà deux enterrements qui tombent nez à nez, face à face.

Le premier c’est un enterrement très important… C’est l’enterrement du roi du pétrole, le patron de Total mort accidentellement.

Hommage de la nation unanime ! Hommage de tous les médias ! Hommage de la terre entière ! Un hommage vibrant !

Le deuxième enterrement… C’est celui de Rémi, Rémi Fraisse, 21 ans, tué par une grenade offensive tirée par un gendarme, dans une manif’ contre le barrage de Sivens.

Hommage beaucoup moins vibrant ! Le premier ministre parle de « casseurs », on parle de «bavure», on dit que « si l’on veut mourir pour des idées il faut assumer ».

A l’enterrement du patron de Total le roi du pétrole, on l’a peu souligné, il y avait des oiseaux. des oiseaux endeuillés.

Des mouettes. Des goélands tout en noir. Le noir de la marée noire. Le noir de l’Erika. Le naufrage pour lequel Total a été condamné.

C’était des oiseaux du parti des oiseaux, le parti de Rémi, le parti des « djihadistes verts ».

Rémi Fraisse est un « djihadistes verts » ! C’est l’expression de Xavier Beulin de la FNSEA.

Passé le respect à l’égard des morts, les deux figures en quelques jours sont devenues les symboles de notre présent.

Deux symboles inconciliables. Il faut choisir son camp : l’assassinat ou l’accident. L’oligarchie a choisi! Le gouvernement a choisi !

Le cynisme, la violence, le mépris, et tout ce qui dégoute et fait gonfler les rangs de la Marine.

Alors choisi ton camps camarade. Le vent se lève, il n’y a pas d’arrangement.

Cours camarade ! Les oiseaux noirs en mourant te regardent. Cours camarade ! Le vieux monde est derrière toi ! »

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Photos (de haut en bas) :

Laetitia Guneau, Jacob Chetrit (la France VUE D'ICI - plus de photos sur le site de Médiapart), Fred Marie(Destination reportage ici)

N. B. : Cliquez sur les photos pour les agrandir. Pour revenir au texte cliquer à nouveau sur la photo.

Lundi 10 Novembre 2014 Commentaires (0)
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