Des ministres de dix états membres de l’Union européenne, dont le ministre de l’Économie Bruno Le Maire et le ministre délégué chargé de l’Industrie Agnès Pannier-Runacher pour la France, avaient publié le dimanche 11 octobre 2021 une tribune soutenant l’énergie nucléaire, soulignant notamment qu’elle a un rôle à jouer contre le réchauffement climatique. Ce texte met également en avant le fait que le nucléaire "contribue de manière décisive à l'indépendance de nos sources de production d'énergie et d'électricité".

Ce plaidoyer est paru dans Le Figaro alors que la question des modes de production d’énergie pouvant être retenus dans la « taxonomie verte » induisait de profondes divergences au sein de l’Union Européenne. Certains pays, emmenés par la France voulaient que les critères permettent à l’énergie nucléaire d’intégrer cette taxonomie et d’autres comme l’Allemagne et l’Autriche s’y opposaient. D’autres clivages concernent le gaz, d’autres le bois !

Aujourd’hui la commission a tranché : le nucléaire et le gaz seront labellisés « verts » mais seulement en tant qu’« énergie de transition ». Il s’agissait de satisfaire les exigences de la France pour le nucléaire sans trop fâcher l’Allemagne et l’Autriche farouchement opposées à l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie. Macron a donc réussi à faire reculer la Commission qui peint maintenant en vert la production d’électricité nucléaire après s’y être refusée.


Cette taxonomie est un élément que la Commission Européenne souhaite mettre en place pour développer un système de classification au sein de l’Union européenne afin de déterminer si une activité économique est durable et écologique. Il s’agit d’un outil qui devrait servir à orienter les flux de capitaux de la « finance verte » vers des projets éligibles entrant dans le cadre de cette taxonomie.
 
Il faut dire que l’enjeu est de taille pour l'énergie nucléaire puisque cette activité a besoin de capitaux pour se maintenir et se développer. De même les pays qui soutenaient l’introduction du gaz auront besoin des capitaux de la finance verte pour passer de centrales au charbon à des centrales à gaz moins polluantes et moins émettrices de CO2.
 
Sur la base d’un rapport d’experts « indépendants », la Commission propose que pour intégrer la taxonomie, les activités économiques des organisations devront contribuer à un au moins des six objectifs environnementaux énumérés ci-dessous et ne pas porter atteinte aux autres objectifs :
 

1. Atténuation du changement climatique
2. Adaptation au changement climatique
3. Utilisation durable et protection de l’eau et des ressources marines
4. Transition vers une économie circulaire, prévention et recyclage des déchets
5. Prévention et réduction de la pollution
6. Protection des écosystèmes sains
 

Pour figurer dans la taxonomie, une activité économique devra en outre respecter des critères qualitatifs et quantitatifs propres à chaque objectif (méthodologies et seuils).

Tout cela semble très écolo, tout le monde est d’accord sauf qu’il semble évident de prime abord que ni le nucléaire, ni le gaz, ni le bois comme production énergétique ne peuvent entrer dans cette taxonomie. Le nucléaire traîne le boulet des déchets même si l’on suppose charitablement qu’il satisfait au premier objectif, il ne satisfait évidemment pas au 4 (les surgénérateurs s’étant révélé un fiasco), au 5 et 6 non plus ! Le gaz fait piètre figure pour le point 1, le bois pour le 6 et de façon moins évidente pour le 1. On remarquera que, bien qu’elles soient retenues d’emblée, les ENR, si on analyse sérieusement leur impact, ne peuvent prétendre satisfaire ni le 5 pollution sonore et visuelle, ni le 6 puisqu’elles sont des hachoirs à oiseaux et à chauves-souris et artificialisent des écosystèmes à fort degré de naturalité ! Leur insertion dans la taxonomie n’a pourtant soulevé aucune objection ! Les divergences et la foire d’empoigne sont ailleurs.


Les pays nordiques font pression pour assouplir les règles sur la gestion durable des forêts, afin de faire entrer plus facilement dans la taxonomie des projets de production d’énergie à partir de cette biomasse, ce qui d’ailleurs ne doit pas déplaire à la France (voir ses projets de mix énergétique!). Il semble qu’ils aient eu gain de cause. Non seulement le bois est intégré à la taxonomie mais il l’est de façon très laxiste. Alors que le rapport scientifique exigeait que les arbres dans les forêts plantées ou en régénérations naturelles ne soient pas abattus avant 20 ans d’âge, la commission a « oublié » d’intégrer ce critère, ce qui laisse beaucoup de « souplesse » et permet aux sylvicultures dites « dynamiques » de sévir !
 

Qui dit bataille, dit alliance. La France (enfin le gouvernement actuel) a combattu vigoureusement le projet initial qui excluait le nucléaire. Emmanuel Macron a menacé de bloquer ce dossier si ce dernier n’en faisait pas partie. Sa stratégie a été de faire alliance avec les pays qui défendent le gaz naturel pour pousser leurs revendications respectives. Et loin de s’en cacher, il l’a revendiqué, s’attirant de ce fait l'ire des associations qui se posent en « défenseur du climat ». Alliance un peu cynique1 et de circonstance puisque dans sa programmation pluriannuelle de l’énergie, le gouvernement a décider d’interdire le chauffage au gaz dans les constructions nouvelles ! Mais alliance qui a porté ses fruits. Le nucléaire et le gaz ont été finalement retenus dans le projet de taxonomie de la Commission européenne, certes en tant qu’énergie de transition2, mais retenus tout de même !

En se plongeant dans la lecture – aride – des textes de l’UE (en anglais souvent sans traduction dans les langues des pays membres alors que la GB ne fait plus partie de l’ UE), on peut admirer les contorsions auxquelles se livre la commission pour justifier l’introduction du nucléaire alors même que les différents rapports d’expertise qu’elle a demandés ne sont pas aussi favorables qu’elle aurait aimé, voire sur certains points défavorables.


 

Sans surprise, le rapport de plus de 300 pages compilé par les experts maison, le Centre commun de recherche (CCR) [en anglais JRC Joint Research Centre] émet un avis favorable à l’inclusion du nucléaire. Mais cet avis devait être soumis à d’autres comités experts pour « review ». Sans surprise non plus, l’avis du groupe d'experts « visé à l'article 31 du traité Euratom » donne une évaluation positive du rapport du CCR mais il y a un bémol de taille : les experts en question ne sont pas unanimes et en annexe de leur rapport on trouve une « Opposing opinion » de Claudia Engelhardt, experte allemande qui conteste le rapport pour ce qui est des accidents possibles et de leurs conséquences. Elle le conteste également pour n'avoir pas pris en considération les risques de prolifération nucléaire. La commission va estimer qu’il ne faut pas en tenir compte :  « il convient de noter que l'évaluation de ces questions n'était pas incluse dans le champ d'application des travaux spécifiés dans les Termes de Référence fournis au CCR, car le cadre d'évaluation était basé sur la procédure suivie par le TEG. » En termes clairs, ce n’était pas le sujet !!!!


Le rapport des experts du Comité scientifique de la Santé Environnement et des Risques Emergents (SCHEER) est beaucoup plus gênant : les commissaires se plaignent que le temps qui leur a été imparti pour commenter ce rapport était trop court.


Cela précisé, ils considèrent que comparer l’énergie nucléaire à d’autres technologies de production d’énergie comme « ne nuisant pas plus » n’est pas la même chose que d’établir qu’elle ne nuit pas de manière significative à la réalisation des autres objectifs de la taxonomie. Les experts considèrent que l’existence d’un cadre réglementaire pour l’exercice de cette activité n’est pas suffisante en soi pour atténuer tous les risques qui peuvent en découler et ils demandent une analyse plus approfondie concernant notamment les activités d’extraction et de broyage. Ils soulignent aussi les incertitudes concernant le stockage définitif des déchets nucléaires de haute activité qui restent pour eux une question exigeant encore des recherches.

En ce qui concerne l'impact des rayonnements sur l'environnement, les experts du SCHEER jugent simpliste (simplistic) le concept développé dans le rapport technique du Centre Commun de Recherche (CCR) selon lequel "les normes de contrôle de l'environnement nécessaires pour protéger la population générale sont susceptibles d'être suffisantes pour garantir que les autres espèces ne soient pas mises en danger". Cela ne permettra pas, selon eux d'estimer les risques potentiels pour l'environnement, sans évaluation de ces risques notamment en qui concerne l’eau et les ressources.

La réponse de la Commission ne manque pas de sel ! Je cite « la Commission a dûment pris en compte et traité les observations du SCHEER. En particulier, les activités d'extraction et de broyage n'ont pas été incluses dans cet acte délégué et les autres observations ont été traitées par les critères de sélection technique » [trad JFD]. Donc l’activité de production d’énergie sera intégrée dans la taxonomie sans que soit pris en compte l’aspect production du combustible sans laquelle, cette activité ne peut pas exister ! Comme la compilation du CCR elle-même soulignait un lourd impact sur les objectifs autre que l’atténuation et l’adaptation au changement climatique de l’activité prise dans sa totalité, la Commission a donc décidé d’en exclure une partie !

Ceci montre de façon criante que les rapports divers auxquels se réfère la Commission ne sont là que pour donner à ses décisions une apparence de scientificité afin de leur conférer l’autorité de la science (qui oserait discuter les avis d’un panel d’experts indépendants appartenant à des organismes divers) et une objectivité dont elles sont dépourvues car n’étant que très partiellement le reflet de ces consultations d’experts alors qu’elles sont pour l’essentiel le résultat d’un marchandage avec les chefs d’état ou leurs représentants. C’est ce marchandage qui dicte, in fine, ce qu’il faut retenir ou non des avis d’experts ! En caricaturant à peine, je dirais que s’il avait été décidé pour quelque obscure raison que le bleu du ciel devait être rouge, les expertises commandées auraient été tordues suffisamment pour appuyer cette assertion dans le fleuve des considérants qui coiffent l’énoncé de l’arrêté proprement dit.

Ces considérants se réfèrent longuement à des expertises dont n’est retenu que ce qui conforte l’arrêté proprement dit. Ils ont pour fonction de le rendre indiscutable et de lui donner la légitimité qui sinon lui manque, les Commissaires n'en ayant que bien peu puisqu'il leur manque la légitimité populaire. Car ces gens là ne sont pas élus mais nommés à la suite d'obscures et byzantines tractations. Et cela ne vaut pas que dans ce cas précis mais dans toutes les productions de la Commission : directives, règlements, actes (arrêtés) de diverses natures. Voilà pourquoi dans l’UE les technocrates règnent et pourquoi, avec des institutions de ce type, il ne peut en être autrement.


1 Je dis quelque peu cynique seulement parce que la situation en France et dans les pays qui militent pour l’introduction du gaz n’est pas la même. la Hongrie, la Pologne ou la République tchèque ont besoin du gaz pour passer d’une production d’électricité par des centrales à charbon à une électricité produite par des centrales au gaz moins polluantes et moins émettrices de CO2.
2 Comme l’explique assez clairement le journal 20 minutes : « Les activités classées dans la taxonomie le sont en trois niveaux. Les activités déjà durables, celles qui ne sont pas durables en soi mais permettent à d’autres activités de contribuer de manière substantielle à l’un des six autres objectifs de la taxonomie (la production de batterie électrique, par exemple), et celles de transition, pour lesquelles il n’existe pas de solution de remplacement bas carbone, mais dont les émissions de gaz à effet de serre correspondent aux meilleures performances du secteur. »https://www.20minutes.fr/planete/3194683-20211220-ue-tout-comprendre-taxonomie-verte-dossier-pousse-paris-aller-clash-nucleaire


Vendredi 7 Janvier 2022 Commentaires (0)

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