Ecosophie
Résumé : Cette question peut paraître saugrenue. Elle n’est pourtant que la spécification à une catégorie d’animaux de celle posée par Yves Christen dans son livre qui a pour titre « L’animal est-il une personne ? » Je concède que lorsque l’on se pose une telle question, on pense plutôt aux vertébrés supérieurs qu’aux insectes et bien peu, voire pas du tout à ceux qui n’ont pas atteint leur forme définitive au terme de leur dernière métamorphose. Il est évident que le paradigme de l’animal n’est pas la chenille pour l’homme de la rue, ni pour la plupart des philosophes qui écrivent sur l’éthique animale et environnementale. La chenille serait plutôt un cas limite et l’entomologie, un continent noir. Mais en philosophie, les cas limites mettent les théories à l’épreuve. En outre, même si certaines chenilles sont élevées pour divers usages, elles ne sont ni domestiquées, ni apprivoisées, bien plus : ni domesticables, ni apprivoisables, juste utilisables. Comme beaucoup d’insectes d’ailleurs. Ce sont des animaux sauvages par excellence.
La question « l’animal est-il une personne ? » sous la forme particulière que nous envisagerons ici comme sous sa forme générique est mal posée. Il ne s’agit pas tant de savoir si X ou Y EST une personne que celle de savoir pourquoi il ne faudrait pas le TRAITER COMME TELLE, quelle que soit l’espèce à laquelle appartient X ou Y, voire même simplement quel que soit X ou Y. Ce n’est pas de savoir qu’il s’agit mais de conduite. En ce qui concerne les chenilles, il n’est ni nécessaire, ni utile de les considérer comme des personnes pour leur conférer une valeur intrinsèque, les respecter et les laisser vivre à leur guise. Ce qui vaut pour les chenilles vaut aussi pour tout animal sauvage, du moins dans la plupart des cas et le plus souvent. Par contre pour les animaux domestiqués ou apprivoisés, c’est une autre histoire. Telle est du moins la thèse qui sera argumentée dans cet article.
Yves Christen répond positivement à la question que pose le titre de son livre : les animaux sont des personnes, non pas des personnes humaines, des personnes animales mais des personnes tout de même. D’où il devrait suivre logiquement que les chenilles sont des personnes puisqu’elles sont des animaux et que les animaux le sont. N’allons pas si vite cependant. La question qui sert de titre à l’ouvrage cité présuppose la dichotomie humain/animal. Or cette façon de diviser les êtres vivants en deux genres « le genre humain d’abord, et, d’autre part, tout le reste des bêtes en un seul bloc » est une faute logique que Platon dénonça, il y a bien longtemps, dans Le politique.
« C’est la même, fait-il dire à l’Étranger, que, si, voulant diviser en deux le genre humain, on faisait le partage comme le font la plupart des gens par ici, lorsque, prenant d’abord à part le genre Hellène comme une unité distincte de tout le reste, ils mettent en bloc toutes les autres races, alors qu’elles sont une infinité qui ne se mêlent ni ne s’entendent entre elles, et, parce qu’ils les qualifient du nom unique de Barbares, s’imaginent que, à les appeler ainsi d’un seul nom, ils en ont fait un seul genre »(1) De même pour le genre humain, dit l’Étranger à Socrate le Jeune « J’ai bien vu que détachant une partie, tu t’imaginais que les autres, ainsi laissés de côté, ne formaient qu’un seul genre, du moment que tu avais un nom pour les dénommer tous, celui des bêtes » C’est non seulement faire une faute logique, mais aussi faire preuve de beaucoup trop d’orgueil, ce que l’Etranger va montrer avec tout l’humour caustique dont sait faire preuve Platon : « Or, cela, homme intrépide, c’est ce que ferait, peut-être, tout autre animal doué de raison, comme la grue, par exemple, ou quelque autre : elle aussi distribuerait les noms comme tu fais, isolerait d’abord le genre grues pour l’opposer à tous les autres animaux et se glorifier ainsi elle-même, et rejetterait le reste, hommes compris, en un même tas, pour lequel elle ne trouverait, probablement, d’autre nom que celui de bêtes.»(2) .
« C’est la même, fait-il dire à l’Étranger, que, si, voulant diviser en deux le genre humain, on faisait le partage comme le font la plupart des gens par ici, lorsque, prenant d’abord à part le genre Hellène comme une unité distincte de tout le reste, ils mettent en bloc toutes les autres races, alors qu’elles sont une infinité qui ne se mêlent ni ne s’entendent entre elles, et, parce qu’ils les qualifient du nom unique de Barbares, s’imaginent que, à les appeler ainsi d’un seul nom, ils en ont fait un seul genre »(1) De même pour le genre humain, dit l’Étranger à Socrate le Jeune « J’ai bien vu que détachant une partie, tu t’imaginais que les autres, ainsi laissés de côté, ne formaient qu’un seul genre, du moment que tu avais un nom pour les dénommer tous, celui des bêtes » C’est non seulement faire une faute logique, mais aussi faire preuve de beaucoup trop d’orgueil, ce que l’Etranger va montrer avec tout l’humour caustique dont sait faire preuve Platon : « Or, cela, homme intrépide, c’est ce que ferait, peut-être, tout autre animal doué de raison, comme la grue, par exemple, ou quelque autre : elle aussi distribuerait les noms comme tu fais, isolerait d’abord le genre grues pour l’opposer à tous les autres animaux et se glorifier ainsi elle-même, et rejetterait le reste, hommes compris, en un même tas, pour lequel elle ne trouverait, probablement, d’autre nom que celui de bêtes.»(2) .
Chenille de Macroglossum stellatarum
Dans cette dichotomie homme/animal se loge toute notre suffisance d’espèce qui se veut au-dessus de toutes les autres. Finalement c’est cette suffisance qui justifie cette dichotomie et qui la fonde. Notre syllogisme de départ est donc à remettre en cause, de même que la question « L’animal est-il une personne ? » surtout s’il s’agit de lui apporter une réponse positive.
Il ne peut pas y avoir une réponse positive à une telle question. Elle remettrait en cause les fondements de la dichotomie homme/animal et par là même la catégorie de l’animalité. Répondre positivement à cette question aurait pour conséquence de lui ôter toute signification, le terme «animal» ne prenant sens que dans l’opposition homme/animal. En termes techniques, on dira que dans l’opposition homme/animal, le terme non marqué est « animal », c’est-à-dire, en gros, que ce terme se caractérise « en creux » en quelque sorte, comme ce qui n’est pas humain. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que la majeure partie de l’ouvrage de Y. Christen cherche à établir que ce qui est considéré comme humain peut être attribué à l’animal, effaçant ainsi la distinction et ôtant tout sens assignable à la notion d’animalité, donc à sa question initiale.
Attention cependant à ne pas mal interpréter ce qui vient d’être dit. Si sous une telle forme générale, la question est mal posée, cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas considérer tel ou tel animal, c’est-à-dire un individu d’une autre espèce, comme une personne. Mais il faudra, à chaque fois, non seulement pour chaque espèce, mais peut-être aussi pour chaque cas, se poser à nouveau la question, du moins en théorie, car dans la vie courante, la réponse va souvent tellement de soi que la question ne se pose même pas.
Le bonobo captif devrait être une personne pour l’expérimentateur qui le teste. Se posera alors le problème de sa captivité. Le chien qui fut mon compagnon d’enfance était assurément une personne pour moi, comme pour mon frère et pour toute la famille. C’était même une forte personnalité. Mais ces deux personnes sont sans commune mesure entre elles et toute personne du genre humain. Que faut-il penser en ce qui concerne les chenilles et plus particulièrement encore de cette chenille qui mine une feuille de l’un des ormes de ce parc ?
Pour essayer de justifier l’absence de considération et de respect que les hommes ont à l’égard de telle ou telle espèce animale ou de tel animal particulier, il est tentant de monter qu’il ne possède pas telle ou telle faculté, celle de souffrir et plus généralement d’avoir des émotions, que ses capacités cognitives sont drastiquement limitées, qu’il est une chose vivante certes, mais sans individualité… Lorsqu’au contraire, on veut prendre le contre-pied de cette attitude méprisante qui poussée au bout de sa logique autorise toutes les cruautés, il est tout aussi tentant, bien que plus difficile, de procéder à l’inverse. Ces questions sont, ou semblent être, des questions de fait et dans notre civilisation actuelle, ce sont les sciences qui sont appelées à la rescousse pour trancher de telles questions. Ainsi ce serait à ces sciences de trancher en définitive, au moyen trop souvent de quelques expérimentations fort cruelles. Que les sciences, donc les experts, aient le dernier mot sur ces questions est bien dans l’air du temps. Pourtant, à la question de savoir si tel ou tel animal est ou n’est pas une personne, sciences et experts n’ont strictement rien à répondre. Du moins, c’est ce que nous allons nous efforcer de monter.
Le cas des chenilles est un cas limite, surtout lorsqu’il s’agit de minuscules bestioles de quelques millimètres. C’est ce qui fait son intérêt lorsque dans ce qui suit, nous emprunterons la route habituelle, nous interrogeant sur les aptitudes et capacités d’une chenille, entre autres, celle d’un micolépidoptère parasite de l’orme, Coleophora limosipennella Duponchel 1843, qui a été bien étudiée et qui a la particularité comme son nom l’indique de se construire un fourreau encore appelé case. Bien que les extrapolations d’une espèce à une autre soient hasardeuses et celles d’un genre à l’autre, fussent-ils proches, téméraires, nous y recourrons occasionnellement. Nous ne cherchons pas à établir de vérité scientifique et ce recours occasionnel sera justifié par un principe éthique de générosité.
Nous verrons qu’une connaissance positive des aptitudes et des capacités de la chenille de Coleophora limosipennella ou bien d’Ephestia küehniella Zeller, 1879 – assez surprenantes chez de tels animalcules – peuvent nous inciter à les respecter. Mais est-ce que pour autant nous devons les considérer comme des personnes ? Et comment concilier ce respect qui leur serait dû avec la nécessité dans laquelle nous nous trouvons parfois de les tuer parce qu’elles sont des « ravageurs »(3) ?
Il ne peut pas y avoir une réponse positive à une telle question. Elle remettrait en cause les fondements de la dichotomie homme/animal et par là même la catégorie de l’animalité. Répondre positivement à cette question aurait pour conséquence de lui ôter toute signification, le terme «animal» ne prenant sens que dans l’opposition homme/animal. En termes techniques, on dira que dans l’opposition homme/animal, le terme non marqué est « animal », c’est-à-dire, en gros, que ce terme se caractérise « en creux » en quelque sorte, comme ce qui n’est pas humain. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que la majeure partie de l’ouvrage de Y. Christen cherche à établir que ce qui est considéré comme humain peut être attribué à l’animal, effaçant ainsi la distinction et ôtant tout sens assignable à la notion d’animalité, donc à sa question initiale.
Attention cependant à ne pas mal interpréter ce qui vient d’être dit. Si sous une telle forme générale, la question est mal posée, cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas considérer tel ou tel animal, c’est-à-dire un individu d’une autre espèce, comme une personne. Mais il faudra, à chaque fois, non seulement pour chaque espèce, mais peut-être aussi pour chaque cas, se poser à nouveau la question, du moins en théorie, car dans la vie courante, la réponse va souvent tellement de soi que la question ne se pose même pas.
Le bonobo captif devrait être une personne pour l’expérimentateur qui le teste. Se posera alors le problème de sa captivité. Le chien qui fut mon compagnon d’enfance était assurément une personne pour moi, comme pour mon frère et pour toute la famille. C’était même une forte personnalité. Mais ces deux personnes sont sans commune mesure entre elles et toute personne du genre humain. Que faut-il penser en ce qui concerne les chenilles et plus particulièrement encore de cette chenille qui mine une feuille de l’un des ormes de ce parc ?
Pour essayer de justifier l’absence de considération et de respect que les hommes ont à l’égard de telle ou telle espèce animale ou de tel animal particulier, il est tentant de monter qu’il ne possède pas telle ou telle faculté, celle de souffrir et plus généralement d’avoir des émotions, que ses capacités cognitives sont drastiquement limitées, qu’il est une chose vivante certes, mais sans individualité… Lorsqu’au contraire, on veut prendre le contre-pied de cette attitude méprisante qui poussée au bout de sa logique autorise toutes les cruautés, il est tout aussi tentant, bien que plus difficile, de procéder à l’inverse. Ces questions sont, ou semblent être, des questions de fait et dans notre civilisation actuelle, ce sont les sciences qui sont appelées à la rescousse pour trancher de telles questions. Ainsi ce serait à ces sciences de trancher en définitive, au moyen trop souvent de quelques expérimentations fort cruelles. Que les sciences, donc les experts, aient le dernier mot sur ces questions est bien dans l’air du temps. Pourtant, à la question de savoir si tel ou tel animal est ou n’est pas une personne, sciences et experts n’ont strictement rien à répondre. Du moins, c’est ce que nous allons nous efforcer de monter.
Le cas des chenilles est un cas limite, surtout lorsqu’il s’agit de minuscules bestioles de quelques millimètres. C’est ce qui fait son intérêt lorsque dans ce qui suit, nous emprunterons la route habituelle, nous interrogeant sur les aptitudes et capacités d’une chenille, entre autres, celle d’un micolépidoptère parasite de l’orme, Coleophora limosipennella Duponchel 1843, qui a été bien étudiée et qui a la particularité comme son nom l’indique de se construire un fourreau encore appelé case. Bien que les extrapolations d’une espèce à une autre soient hasardeuses et celles d’un genre à l’autre, fussent-ils proches, téméraires, nous y recourrons occasionnellement. Nous ne cherchons pas à établir de vérité scientifique et ce recours occasionnel sera justifié par un principe éthique de générosité.
Nous verrons qu’une connaissance positive des aptitudes et des capacités de la chenille de Coleophora limosipennella ou bien d’Ephestia küehniella Zeller, 1879 – assez surprenantes chez de tels animalcules – peuvent nous inciter à les respecter. Mais est-ce que pour autant nous devons les considérer comme des personnes ? Et comment concilier ce respect qui leur serait dû avec la nécessité dans laquelle nous nous trouvons parfois de les tuer parce qu’elles sont des « ravageurs »(3) ?
Ephestia küehniella
Une altérité totale
Devant les insectes, nous sommes devant une altérité totale, comme devant de véritables aliens, pas ceux des romans de science-fiction car ces derniers sont conçus par un auteur humain. Ils ont souvent des réactions, un comportement, des sentiments et une raison qui restent à bien des égards « trop humains », sauf lorsque le romancier les dote d’une conduite absolument indéchiffrable. Devant une chenille ou plus généralement un insecte, il est difficile de pratiquer l’empathie comme mode d’accès à ses cognitions, sensations et sentiments. De là à considérer que ces cognitions, sensations et sentiments n’existent pas, il n’y a qu’un pas, vite franchi. Il l’est même par beaucoup de ceux qui rejettent la théorie cartésienne et malebranchienne des «animaux machines».
Et cela d’autant plus que ni l’anatomie, ni la physiologie ne sont des obstacles à une telle conclusion. Chez l’homme et chez les vertébrés «supérieurs», c’est dans les centres encéphaliques et seulement là que toute sensation peut être perçue. Cela a été établi par l’observation de sujets ayant subi des traumatismes et par les pratiques de l’anesthésie. Le cerveau central est considéré comme le siège de l’esprit (mind) et donc la résidence privilégiée de l’âme (soul). Pour faire bref, sans cerveau, pas d’esprit (mind) et sans esprit, pas d’âme (soul). Les chenilles de toute espèce ont un système nerveux très différent avec deux ganglions cérébroïdes qui ne semblent pas avoir les mêmes fonctions que le cerveau central des vertébrés. Si les liaisons entre ce cerveau et le reste du corps sont interrompues, les conséquences seront catastrophiques pour l’organisme entier alors que des chenilles privées de leurs ganglions cérébroïdes, voire décapitées ne sont que peu affectées et se comportent assez normalement. « Jean Rostand a conservé en vie pendant trente-huit jours des morceaux de chenilles de Bombyx mori L., comprenant les huit anneaux postérieurs (c’est-à-dire, comme il le fait remarquer, plus longtemps que n’aurait vécu la chenille intacte) »(4) .
Les chenilles peuvent-elles avoir des émotions ?
Diderot affirmait à D’Alembert « Cet animal se meut, s’agite, crie (…) Il a toutes vos affections » C’est sans aucun doute vrai pour un chien et seul un cartésien pourrait en douter. Mais une chenille ? Mettre en évidence sa sensibilité lorsqu’on doute qu’elle en ait une est plus difficile. Elle s’agite, se tortille, mais il s’agit peut-être de purs réflexes. Déjà les comportements des vertébrés inférieurs n’ont pas de signification immédiatement transparente et avec eux l’empathie trouve rapidement ses limites. D’où le recours à des expériences fort cruelles. Une grenouille que l’on a décérébrée a perdu toute sensibilité. À demi immergée dans de l’eau dont on augmente progressivement la température, elle se laisse cuire vivante à petit feu, sans réagir. À côté d’elle une compagne d’infortune dont le cerveau est intact et que l’on a simplement rendue aveugle pour éviter des mouvements « inutiles » «s’agite, hausse la tête, sa respiration s’accélère. À mesure que la température s’élève, ces mouvements s’accentuent et l’animal manifeste une anxiété et des réactions croissantes.» A ce stade, on peut considérer que l’expérience est probante : le siège de la sensibilité des grenouilles est le cerveau ; il n’existe pas de sensibilité médullaire. Va-t-on libérer cette pauvre grenouille, lui rendre la vue et la liberté ? Il ne faut pas rêver. Les scientifiques sont impitoyables. « Enfin, vers 42 degrés, l’animal meurt en proie à des convulsions. » (Portier, 1949, p. 95) Il est important de souligner que le comportement de la grenouille au cerveau intact est différent d’un pur réflexe. Une autre grenouille décérébrée restée à l’extérieur du récipient et dont on plonge l’extrémité des pattes postérieures dans l’eau à 42° manifestera une violente contraction de ses muscles. « Cette fois, l’élévation de température ayant été brusque, elle devient efficace pour produire un réflexe. En somme, par ce procédé, [l’expérimentateur] arrive à différencier un réflexe d’une réaction due à la douleur. » (5)
L’expérience a été reproduite sur des chenilles d’Ephestia küehniella L. par Paul Portier(6) . Et là, on met en évidence une différence importante. La chenille privée de ses ganglions cérébroïdes réagit de la même façon que celle qui est intacte. Baignant à moitié dans une eau que l’expérimentateur chauffe très progressivement, l’une et l’autre s’agitent à partir de 25°C et cette agitation croît à mesure que la température augmente. À partir de 30° C et jusqu’aux alentours de 38°C, les chenilles manifestent des réactions violentes. Par des sauts, des contractions musculaires, de vains efforts, elles essaient de se soustraire au supplice. Elles ne crient pas car les chenilles sont muettes. Sinon il est probable que les deux chenilles suppliciées hurleraient….Ensuite leurs réactions déclinent et elles meurent lorsque la température atteint les 40°C. La preuve semble établie, les chenilles de cette espèce possèdent une sensibilité dont les ganglions cérébroïdes ne sont pas le centre exclusif, ni même le centre principal.
Les chenilles possèdent une double chaîne ganglionnaire ventrale qui est dotée de trois paires de ganglions thoraciques et de sept paires de ganglions abdominaux, les ganglions de chaque paire étant reliés par des « nerfs » transversaux. Des investigations plus poussées permettent d’établir que chaque ganglion de cette chaîne possède un ou plusieurs centres de sensibilité. C’est là que les sensations de la chenille seraient perçues. Une expérience dont nous ne pouvons rien connaître et que nous avons toutes les raisons de penser très différente, voire sans rapport, avec celles que nous pouvons avoir. Si les expérimentations précédentes démontrent que les chenilles peuvent avoir des sensations qui ne se résument pas à des simples réflexes, d’autres constatations montrent que cette sensibilité doit être très différente de ce que l’on pourrait attendre. Potier a observé deux chenilles de Cossus dont les parties postérieures avaient été blessées qui se dévoraient vivantes mutuellement, la tête de la première mangeant l’arrière de la seconde et réciproquement sans qu’aucune des deux ne songe à se défendre ou à se soustraire aux mandibules de l’autre. On relève aussi des cas d’autophagie, notamment de chenilles dévorant leur propre intestin : « Lorsque l’on veut « souffler » une chenille pour la conserver en collection, il faut commencer par la vider (…) si, par pression, on expulse l’intestin postérieur seul et que l’on abandonne un instant la chenille à elle-même, on constate qu’elle dévore son propre intestin. »(7) . Il reste qu’il s’agit là de conditions particulières. Il semble naturel de conclure de l’ensemble des données sur cette question que les chenilles de différentes espèces ont bien une sensibilité mais fort différente de celle des animaux «supérieurs». Les chenilles peuvent donc souffrir. Mais peuvent-elles éprouver quelque chose comme du plaisir ? Par exemple celui de dévorer leurs propres tripes lorsqu’elles sont sur le point de mourir ?
Il n’y a pas, à ma connaissance, de recherches sur la capacité des chenilles à éprouver quelque chose qui ressemblerait à du plaisir, qu’elles soient intactes ou privées de leurs ganglions cérébroïdes. Cette absence est en soi très révélatrice de l’attitude des entomologistes et physiologistes à l’égard de leurs objets d’étude. Pourtant si les chenilles peuvent éprouver quelque chose qui ressemble à de la douleur, ne peut-on supposer qu’elles éprouvent aussi quelque chose qui ressemblerait à du plaisir ? Des éthologues soutiennent en effet que l’exécution des différents actes instinctifs s’accompagne chacun d’une émotion particulière, propre à chacun de ces actes. La nutrition, qui permet la conservation de l’individu et la reproduction, qui assure la conservation de l’espèce se manifestent comme des besoins dont la satisfaction procure ou est associée à un plaisir. Nous ne mangeons pas uniquement pour vivre, sinon l’art culinaire n’existerait pas, pas plus que n’existerait parmi les sept péchés capitaux, la gourmandise. Se nourrir est l’une des activités principale des chenilles. On a même l’impression qu’elles s’y adonnent avec une certaine voracité. Les chenilles, ou du moins certaines espèces de chenilles peuvent-elles manifester une certaine gourmandise ?
De nombreuses espèces de chenilles sont monophages ou oligophages. On dit d’une chenille qu’elle est monophage lorsqu’elle ne se nourrit que de plantes appartenant à un même genre botanique, oligophage lorsqu’elle se nourrit de plantes appartenant à une même famille botanique. Polyphages sont les chenilles qui acceptent des plantes appartenant à des familles différentes, parfois éloignées dans la classification botanique. Cependant, nécessité faisant loi, il arrive que des chenilles mono ou oligophages doivent se nourrir d’autres plantes que celles auxquelles va leur préférence. C’est ainsi les chenilles de Inachis Io L. [le Paon du jour] vivent en colonie sur Urtica dioica L. [Grande ortie] et peuvent être considérées comme monophages. Une colonie de ces chenilles vivait en lisière de forêt sur une touffe de Grandes orties qui a été fauchée. N’ayant pas réussi à retrouver un nouveau bouquet d’Orties sur lequel elles auraient pu s’installer, elles s’étaient regroupées sur une touffe de Myrtilles. Mises en présence de feuilles d’Orties, elles se mirent à les manger immédiatement et refusèrent ensuite les feuilles de Myrtilles. On peut en conclure que les feuilles de Myrtilles étaient un ersatz des feuilles d’Orties ou, si l’on ne répugne pas à un vocabulaire mentaliste, que les chenilles d’Inachis Io préfèrent les feuilles d’Orties aux feuilles de Myrtilles. Elles n’aiment pas les feuilles de Myrtilles qu’elles mangèrent, faute de mieux. Elles aiment les feuilles d’Ortie. Que ce goût soit inné ne change rien à cette conclusion. Et de cela il suit logiquement que les chenilles d’Inachis Io éprouvent certaines sensations en mangeant les unes qu’elles n’éprouvent pas en mangeant les autres. En forçant très peu les données, on peut conclure que l’ingestion des unes leur procure un plaisir, une satisfaction que ne leur procure pas l’ingestion des autres.
Même les polyphages ont leurs préférences. Les chenilles des Pieris se nourrissent ordinairement de feuilles contenant des isothiocyanates présents par exemple dans les feuilles de Choux, de Capucines, de Résédas. Elles refusent les autres plantes. Un entomologiste allemand Verschaffelt a réussi à les leur faire accepter en les imprégnant d’essence de moutarde diluée. La préférence est certes innée. Mais elle n’en reste pas moins une préférence et les conclusions ici ne peuvent qu’être les mêmes que dans le cas des Paons du jour.
On pourra peut-être objecter que ces préférences innées sont là pour assurer la survie de la chenille en lui faisant choisir ce qui est bon pour son développement. Nous même, nous sommes sans doute phylogénétiquement conditionnés à préférer les aliments ayant un goût sucré. Ce qui n’empêche pas que nous éprouvions du plaisir lorsque nous mangeons du chocolat, que nous recrachions un fruit trop âpre, mais que nous nous régalions d’une poire bien mûre… « Chez beaucoup d’animaux omnivores, par exemple, il existe un mécanisme qui fait qu’ils préfèrent les nourritures contenant un minimum de fibre et un maximum de sucre, de lipides et d’amidon. Dans les conditions «normales» de la vie sauvage, ce mécanisme déclencheur adapté phylogénétiquement est manifestement utile à la survie, mais, chez l’homme civilisé, il se produit une recherche de biens dépassant la normale ; quand l’individu s’y laisse aller, cela devient une passion funeste pour sa santé (par exemple le pain blanc, le chocolat, etc., qui entraînent chez des millions de personnes la constipation et l’obésité )» (8) La prise de nourriture est une des activités principales des chenilles, voire l’activité principale. Lorsqu’elles peuvent s’y adonner en fonction de leurs préférences, il y a tout lieu de penser qu’elles en retirent un certain plaisir. Les ganglions cérébroïdes seraient les organes élaborateurs des sensations gustatives.
En résumé, les chenilles de nombreuses espèces peuvent à coup sûr souffrir et probablement aussi ressentir du plaisir, bref avoir des émotions dont nous ne pourrons jamais saisir la teneur car beaucoup trop différentes de notre propre expérience émotionnelle.(9)
Devant les insectes, nous sommes devant une altérité totale, comme devant de véritables aliens, pas ceux des romans de science-fiction car ces derniers sont conçus par un auteur humain. Ils ont souvent des réactions, un comportement, des sentiments et une raison qui restent à bien des égards « trop humains », sauf lorsque le romancier les dote d’une conduite absolument indéchiffrable. Devant une chenille ou plus généralement un insecte, il est difficile de pratiquer l’empathie comme mode d’accès à ses cognitions, sensations et sentiments. De là à considérer que ces cognitions, sensations et sentiments n’existent pas, il n’y a qu’un pas, vite franchi. Il l’est même par beaucoup de ceux qui rejettent la théorie cartésienne et malebranchienne des «animaux machines».
Et cela d’autant plus que ni l’anatomie, ni la physiologie ne sont des obstacles à une telle conclusion. Chez l’homme et chez les vertébrés «supérieurs», c’est dans les centres encéphaliques et seulement là que toute sensation peut être perçue. Cela a été établi par l’observation de sujets ayant subi des traumatismes et par les pratiques de l’anesthésie. Le cerveau central est considéré comme le siège de l’esprit (mind) et donc la résidence privilégiée de l’âme (soul). Pour faire bref, sans cerveau, pas d’esprit (mind) et sans esprit, pas d’âme (soul). Les chenilles de toute espèce ont un système nerveux très différent avec deux ganglions cérébroïdes qui ne semblent pas avoir les mêmes fonctions que le cerveau central des vertébrés. Si les liaisons entre ce cerveau et le reste du corps sont interrompues, les conséquences seront catastrophiques pour l’organisme entier alors que des chenilles privées de leurs ganglions cérébroïdes, voire décapitées ne sont que peu affectées et se comportent assez normalement. « Jean Rostand a conservé en vie pendant trente-huit jours des morceaux de chenilles de Bombyx mori L., comprenant les huit anneaux postérieurs (c’est-à-dire, comme il le fait remarquer, plus longtemps que n’aurait vécu la chenille intacte) »(4) .
Les chenilles peuvent-elles avoir des émotions ?
Diderot affirmait à D’Alembert « Cet animal se meut, s’agite, crie (…) Il a toutes vos affections » C’est sans aucun doute vrai pour un chien et seul un cartésien pourrait en douter. Mais une chenille ? Mettre en évidence sa sensibilité lorsqu’on doute qu’elle en ait une est plus difficile. Elle s’agite, se tortille, mais il s’agit peut-être de purs réflexes. Déjà les comportements des vertébrés inférieurs n’ont pas de signification immédiatement transparente et avec eux l’empathie trouve rapidement ses limites. D’où le recours à des expériences fort cruelles. Une grenouille que l’on a décérébrée a perdu toute sensibilité. À demi immergée dans de l’eau dont on augmente progressivement la température, elle se laisse cuire vivante à petit feu, sans réagir. À côté d’elle une compagne d’infortune dont le cerveau est intact et que l’on a simplement rendue aveugle pour éviter des mouvements « inutiles » «s’agite, hausse la tête, sa respiration s’accélère. À mesure que la température s’élève, ces mouvements s’accentuent et l’animal manifeste une anxiété et des réactions croissantes.» A ce stade, on peut considérer que l’expérience est probante : le siège de la sensibilité des grenouilles est le cerveau ; il n’existe pas de sensibilité médullaire. Va-t-on libérer cette pauvre grenouille, lui rendre la vue et la liberté ? Il ne faut pas rêver. Les scientifiques sont impitoyables. « Enfin, vers 42 degrés, l’animal meurt en proie à des convulsions. » (Portier, 1949, p. 95) Il est important de souligner que le comportement de la grenouille au cerveau intact est différent d’un pur réflexe. Une autre grenouille décérébrée restée à l’extérieur du récipient et dont on plonge l’extrémité des pattes postérieures dans l’eau à 42° manifestera une violente contraction de ses muscles. « Cette fois, l’élévation de température ayant été brusque, elle devient efficace pour produire un réflexe. En somme, par ce procédé, [l’expérimentateur] arrive à différencier un réflexe d’une réaction due à la douleur. » (5)
L’expérience a été reproduite sur des chenilles d’Ephestia küehniella L. par Paul Portier(6) . Et là, on met en évidence une différence importante. La chenille privée de ses ganglions cérébroïdes réagit de la même façon que celle qui est intacte. Baignant à moitié dans une eau que l’expérimentateur chauffe très progressivement, l’une et l’autre s’agitent à partir de 25°C et cette agitation croît à mesure que la température augmente. À partir de 30° C et jusqu’aux alentours de 38°C, les chenilles manifestent des réactions violentes. Par des sauts, des contractions musculaires, de vains efforts, elles essaient de se soustraire au supplice. Elles ne crient pas car les chenilles sont muettes. Sinon il est probable que les deux chenilles suppliciées hurleraient….Ensuite leurs réactions déclinent et elles meurent lorsque la température atteint les 40°C. La preuve semble établie, les chenilles de cette espèce possèdent une sensibilité dont les ganglions cérébroïdes ne sont pas le centre exclusif, ni même le centre principal.
Les chenilles possèdent une double chaîne ganglionnaire ventrale qui est dotée de trois paires de ganglions thoraciques et de sept paires de ganglions abdominaux, les ganglions de chaque paire étant reliés par des « nerfs » transversaux. Des investigations plus poussées permettent d’établir que chaque ganglion de cette chaîne possède un ou plusieurs centres de sensibilité. C’est là que les sensations de la chenille seraient perçues. Une expérience dont nous ne pouvons rien connaître et que nous avons toutes les raisons de penser très différente, voire sans rapport, avec celles que nous pouvons avoir. Si les expérimentations précédentes démontrent que les chenilles peuvent avoir des sensations qui ne se résument pas à des simples réflexes, d’autres constatations montrent que cette sensibilité doit être très différente de ce que l’on pourrait attendre. Potier a observé deux chenilles de Cossus dont les parties postérieures avaient été blessées qui se dévoraient vivantes mutuellement, la tête de la première mangeant l’arrière de la seconde et réciproquement sans qu’aucune des deux ne songe à se défendre ou à se soustraire aux mandibules de l’autre. On relève aussi des cas d’autophagie, notamment de chenilles dévorant leur propre intestin : « Lorsque l’on veut « souffler » une chenille pour la conserver en collection, il faut commencer par la vider (…) si, par pression, on expulse l’intestin postérieur seul et que l’on abandonne un instant la chenille à elle-même, on constate qu’elle dévore son propre intestin. »(7) . Il reste qu’il s’agit là de conditions particulières. Il semble naturel de conclure de l’ensemble des données sur cette question que les chenilles de différentes espèces ont bien une sensibilité mais fort différente de celle des animaux «supérieurs». Les chenilles peuvent donc souffrir. Mais peuvent-elles éprouver quelque chose comme du plaisir ? Par exemple celui de dévorer leurs propres tripes lorsqu’elles sont sur le point de mourir ?
Il n’y a pas, à ma connaissance, de recherches sur la capacité des chenilles à éprouver quelque chose qui ressemblerait à du plaisir, qu’elles soient intactes ou privées de leurs ganglions cérébroïdes. Cette absence est en soi très révélatrice de l’attitude des entomologistes et physiologistes à l’égard de leurs objets d’étude. Pourtant si les chenilles peuvent éprouver quelque chose qui ressemble à de la douleur, ne peut-on supposer qu’elles éprouvent aussi quelque chose qui ressemblerait à du plaisir ? Des éthologues soutiennent en effet que l’exécution des différents actes instinctifs s’accompagne chacun d’une émotion particulière, propre à chacun de ces actes. La nutrition, qui permet la conservation de l’individu et la reproduction, qui assure la conservation de l’espèce se manifestent comme des besoins dont la satisfaction procure ou est associée à un plaisir. Nous ne mangeons pas uniquement pour vivre, sinon l’art culinaire n’existerait pas, pas plus que n’existerait parmi les sept péchés capitaux, la gourmandise. Se nourrir est l’une des activités principale des chenilles. On a même l’impression qu’elles s’y adonnent avec une certaine voracité. Les chenilles, ou du moins certaines espèces de chenilles peuvent-elles manifester une certaine gourmandise ?
De nombreuses espèces de chenilles sont monophages ou oligophages. On dit d’une chenille qu’elle est monophage lorsqu’elle ne se nourrit que de plantes appartenant à un même genre botanique, oligophage lorsqu’elle se nourrit de plantes appartenant à une même famille botanique. Polyphages sont les chenilles qui acceptent des plantes appartenant à des familles différentes, parfois éloignées dans la classification botanique. Cependant, nécessité faisant loi, il arrive que des chenilles mono ou oligophages doivent se nourrir d’autres plantes que celles auxquelles va leur préférence. C’est ainsi les chenilles de Inachis Io L. [le Paon du jour] vivent en colonie sur Urtica dioica L. [Grande ortie] et peuvent être considérées comme monophages. Une colonie de ces chenilles vivait en lisière de forêt sur une touffe de Grandes orties qui a été fauchée. N’ayant pas réussi à retrouver un nouveau bouquet d’Orties sur lequel elles auraient pu s’installer, elles s’étaient regroupées sur une touffe de Myrtilles. Mises en présence de feuilles d’Orties, elles se mirent à les manger immédiatement et refusèrent ensuite les feuilles de Myrtilles. On peut en conclure que les feuilles de Myrtilles étaient un ersatz des feuilles d’Orties ou, si l’on ne répugne pas à un vocabulaire mentaliste, que les chenilles d’Inachis Io préfèrent les feuilles d’Orties aux feuilles de Myrtilles. Elles n’aiment pas les feuilles de Myrtilles qu’elles mangèrent, faute de mieux. Elles aiment les feuilles d’Ortie. Que ce goût soit inné ne change rien à cette conclusion. Et de cela il suit logiquement que les chenilles d’Inachis Io éprouvent certaines sensations en mangeant les unes qu’elles n’éprouvent pas en mangeant les autres. En forçant très peu les données, on peut conclure que l’ingestion des unes leur procure un plaisir, une satisfaction que ne leur procure pas l’ingestion des autres.
Même les polyphages ont leurs préférences. Les chenilles des Pieris se nourrissent ordinairement de feuilles contenant des isothiocyanates présents par exemple dans les feuilles de Choux, de Capucines, de Résédas. Elles refusent les autres plantes. Un entomologiste allemand Verschaffelt a réussi à les leur faire accepter en les imprégnant d’essence de moutarde diluée. La préférence est certes innée. Mais elle n’en reste pas moins une préférence et les conclusions ici ne peuvent qu’être les mêmes que dans le cas des Paons du jour.
On pourra peut-être objecter que ces préférences innées sont là pour assurer la survie de la chenille en lui faisant choisir ce qui est bon pour son développement. Nous même, nous sommes sans doute phylogénétiquement conditionnés à préférer les aliments ayant un goût sucré. Ce qui n’empêche pas que nous éprouvions du plaisir lorsque nous mangeons du chocolat, que nous recrachions un fruit trop âpre, mais que nous nous régalions d’une poire bien mûre… « Chez beaucoup d’animaux omnivores, par exemple, il existe un mécanisme qui fait qu’ils préfèrent les nourritures contenant un minimum de fibre et un maximum de sucre, de lipides et d’amidon. Dans les conditions «normales» de la vie sauvage, ce mécanisme déclencheur adapté phylogénétiquement est manifestement utile à la survie, mais, chez l’homme civilisé, il se produit une recherche de biens dépassant la normale ; quand l’individu s’y laisse aller, cela devient une passion funeste pour sa santé (par exemple le pain blanc, le chocolat, etc., qui entraînent chez des millions de personnes la constipation et l’obésité )» (8) La prise de nourriture est une des activités principales des chenilles, voire l’activité principale. Lorsqu’elles peuvent s’y adonner en fonction de leurs préférences, il y a tout lieu de penser qu’elles en retirent un certain plaisir. Les ganglions cérébroïdes seraient les organes élaborateurs des sensations gustatives.
En résumé, les chenilles de nombreuses espèces peuvent à coup sûr souffrir et probablement aussi ressentir du plaisir, bref avoir des émotions dont nous ne pourrons jamais saisir la teneur car beaucoup trop différentes de notre propre expérience émotionnelle.(9)
Fourreau de Coleophora limosipennella
Des capacités cognitives des chenilles
Des chenilles seraient pourvues de mémoire. C’est ce que mettent en évidence des expériences menées par un biologiste allemand, Herbert Brandt sur Ephestia küehniella L. [la pyrale de la farine] ; expériences rapportées par P. Portier(10) . Ce même auteur a montré aussi que les chenilles de cette espèce étaient capables d’une certaine forme d’apprentissage. Cependant, ces expérimentations se déroulent dans des conditions très artificielles. Plus intéressantes à mon sens sont celles de style éthologique comme celle-ci effectuée sur Dictyoploca japonica, une chenille qui tisse un cocon en forme de filet à larges mailles carrées dans des circonstances ordinaires. Si on l’oblige à construire celui-ci sur du verre, une situation que la chenille ne rencontre jamais dans la nature, elle modifie la partie qui est en contact avec le verre qui se compose alors de mailles très serrées. Même si la séquence du filage du cocon est fixe et peu ou pas modifiable(11) , il existe tout de même certaine latitude dans sa conception qui permet une adaptation pour laquelle la chenille doit faire preuve d’un certain discernement, voire de créativité. On trouve d’autres manifestations de créativité chez des chenilles d’autres espèces, par exemple chez Catopsilia crocale Cramé, une piéride volant à Bornéo et Java. La chenille de ce papillon est capable de sauter, capacité peu commune chez les chenilles et dont sont dépourvues, à ma connaissance, nos chenilles indigènes. La chenille de Catopsilia crocale se chrysalide au sol. On dépose les chenilles sur leur plante nourricière dont la tige plonge dans une bouteille qui est placée dans un bassin rempli d’eau. Une chenille prête à chrysalider descend le long de la tige. Elle rencontre l’eau et remonte. Après avoir effectué plusieurs allers et retours, elle se décide à sauter et y employant toutes ses forces, elle réussit un saut d’une vingtaine de centimètres, ce qui lui permet de rejoindre la terre ferme pour se préparer à sa grande transformation. Les moins agiles ne sautent pas assez loin, tombent dans l’eau et se noient.
P. Portier rapporte que la chenille de la Teigne furieuse d’Amérique ( ?) tisse son cocon sur les arbres « au voisinage de feuilles et de branches mortes » Si ces feuilles viennent à manquer, elle s’associe avec d’autres chenilles de la même espèce. Ensembles, elles tuent les feuilles en les mâchant à l’insertion du pétiole. Les feuilles desséchées et recroquevillées offrent alors un milieu propice à la construction des cocons. De même que les lionnes sont capables d’actions concertées dans une chasse collective, de même ces chenilles peuvent coopérer et faire preuve d’initiatives pour modifier leur milieu et le rendre plus favorable à leur dessein. Si d’autres cas de coopération pouvaient être bien documentés, il faudrait supposer que les chenilles d’une même espèce, comme les fourmis, les abeilles ou les termites ont des moyens pour communiquer entre elles.
Les prouesses étonnantes des chenilles qui construisent des fourreaux ont fait l’objet de nombreuses observations et expérimentations et sont bien documentées. C’est en particulier le cas de Coleophora limosipennella Duponchel, 1843 [Porte-fourreau de l’Orme]. Le papillon est un microlépidoptère blanc grisâtre, pourvu de longues antennes annelées, de 10 à 13 mm d’envergure. La petite chenille vit cachée dans un fourreau d’environ 6 mm de longueur, un peu incurvé, brun, présentant sur le côté supérieur des dents semblables à celle des feuilles d’Ormes dont elle se nourrit. Elle attache son fourreau à la surface inférieure de la feuille et procède un peu comme une mineuse. Elle découpe un orifice circulaire et sans sortir totalement de son fourreau, elle mange le parenchyme en épargnant l’épiderme au-dessus et au-dessous. Les feuilles attaquées portent des tâches brun-jaunâtres caractéristiques. Le fourreau s’avère être une construction complexe. La partie antérieure comporte un orifice circulaire permettant à la chenille de sortir la partie antérieure de son corps pour se nourrir. Le plan de ce cet orifice est incliné sur l’axe du fourreau tel que lorsqu’il est fixé à la feuille, il forme un angle aigu avec elle. L’autre extrémité est fermée par deux ou trois valves accolées qui s’ouvrent lorsque la chenille recule et presse sur elles, lui permettant d’expulser ses excréments qui sont projetés loin du fourreau. Lorsqu’elle se retire, les valves se ferment automatiquement et s’ajustent parfaitement. Il faut que les découpes soient d’une précision absolue pour que l’appareil fonctionne correctement. La chenille qui travaille sans patron coupe d’emblée les deux moitiés du fourreau avec une précision si parfaite qu’une fois assemblée, les lignes de soudures sont indécelables même à la loupe. Sa virtuosité dépasse de loin celle du meilleur tailleur humain que l’on puisse imaginer. Bien entendu cette virtuosité est phylogénétiquement héritée. Mais ce bagage inné n’empêche nullement la chenille de faire preuve de créativité dans ce travail de construction ou de réparation de son fourreau. Ainsi elle réussit à faire face à l’adversité lorsque l’entomologiste, Réaumur en la circonstance, profite du fait qu’elle est presque sortie entièrement de son fourreau en s’alimentant pour lui arracher brusquement.
Désarroi de la pauvre bête qui d’abord se réfugie dans la mine puis recule, passe la partie postérieure de son corps hors du trou à la recherche de son fourreau pour essayer de le réintégrer. En vain ! Le fourreau a disparu. Après plusieurs essais, elle rentre à nouveau dans la mine et se remet à manger. Il s’agit pour elle non seulement de se nourrir mais aussi de se tailler un nouveau fourreau dans l’épiderme de la feuille. Elle va découper des morceaux symétriques dans le toit et le plancher de la mine. Et avec la virtuosité dont elle fait preuve pour ces travaux de tailleurs, elle confectionne un habit semblable à celui que Réaumur lui avait subtilisé. Mais pour cela, elle doit résoudre un problème assez difficile. Comme elle est à l’intérieur de la feuille, si elle se bornait à découper l’épiderme en dessus et en dessous d’elle et les réunir pour en faire les parois de son fourreau, celui-ci détaché de la feuille tomberait et la chenille avec lui. Elle doit donc procéder autrement. Elle commence par découper une longueur identique de l’épiderme de la feuille au-dessus et au-dessous d’elle et elle les réunit par des fils de soie qu’elle sécrète. Elle laisse une petite longueur intacte et procède ensuite à une nouvelle découpe de l’épiderme au-dessus et au-dessous d’elle qu’elle réunit avec des fils de soie comme précédemment et ainsi de suite jusqu’à la dimension voulue. Le fourreau reste attaché à la feuille et ne tombe pas. A la fin, la chenille sectionne toutes les attaches, n’en laissant qu’une ou deux, ténues. Elle sort alors la tête et pattes par ce qui sera l’extrémité antérieure du fourreau. Avec ses pattes écailleuses, elle s’agrippe au bord du trou et opère une traction brusque qui libère le fourreau de ses dernières attaches. Elle le fixe alors à la plante par la partie antérieure et se retourne pour entreprendre les finitions dont celle qui consiste à garnir de soie l’intérieur du fourreau, ce qui lui assure solidité et confort. Lorsqu’elle confectionne ce fourreau dans des conditions normales, elle choisit toujours pour opérer une région voisine du bord ce qui lui permet d’obtenir facilement la courbure et la forme qu’elle désire. Dans le cas présent, elle a opéré au milieu de la feuille dans des conditions nouvelles et défavorables.
La chenille du Porte-case de l’Orme sait faire face à bien d’autres mauvais tours que lui inflige un chenapan d’entomologiste, mauvais tours qui sont autant de situations nouvelles pour elle et dans lesquelles elle doit faire preuve de discernement et de créativité dans la mise en œuvre de ses talents de tailleur. En voici un exemple rapporté par Paul Portier : « Qu’arrive-t-il si, d’un coup de ciseaux, on coupe la partie postérieure du fourreau pendant que la chenille mine une feuille ? A moins que le dégât ne soit trop grand, auquel cas, la chenille construit un nouveau fourreau, elle se met immédiatement à refaire une partie postérieure neuve composée de soie. Mais, ainsi constitué, le fourreau ne possède pas, à son extrémité postérieure, les deux valves si bien ajustées qui permettent le rejet des excréments avec fermeture automatique et étanche, dès que l’acte est accompli. On voit alors la petite chenille pratiquer avec ses mâchoires, une fente à la partie postérieure et supérieure du fourreau, puis renforcer les bords de cette fente au moyen de soie convenablement appliquée, et l’appareil, ainsi constitué, fonctionnera aussi bien que celui qu’on a enlevé » (1949, p.153) Comme le conclut l’auteur, ces observations et expériences montrent «à l’évidence» le pouvoir d’invention des chenilles de cette espèce. Elles résolvent des problèmes qui ne leur sont jamais posés dans la nature et font preuve de «véritables initiatives» Cette espèce de chenille excelle dans la confection de fourreaux, elle possède à cet effet une compétence inégalée qu’elle exerce de façon créative. D’autres espèces du même genre ou de genres proches ne possèdent pas une compétence aussi développée ou ne savent pas l’exercer de façon créative. C’est le cas de nombreuses espèces de chenilles se construisant des fourreaux à falbalas comme Coleophora serenella Zeller 1849, qui, selon Réaumur, est incapable de se construire un nouveau fourreau lorsque l’on a détruit le sien. Osons un parallèle avec l’homme, au risque d’encourir le courroux des humanistes. Le domaine dans lequel l’homme excelle et qui est caractéristique de son espèce, c’est le langage. Peu de psycholinguistes contestent aujourd’hui que cette virtuosité est due à une aptitude phylogénétiquement héritée. Certains auteurs n’hésitent pas à parler d’un instinct du langage, par exemple Steven Pinker(1994). De même que nous faisons tous preuve de créativité dans l’exercice de cette compétence, de même, toute proportion gardée, la chenille du Porte-fourreau de l’Orme fait preuve de créativité en exerçant ses talents de couturier. Ce qui est donné à notre espèce ne l’est pas à des espèces très proches. Il en va de même chez les Coleophora. Que ces compétences soient phylogénétiquement héritées n’empêchent pas que les actes qui les mettent en œuvre ne soient nullement phylogénétiquement préformés. Ce n’est pas le cas pour l’homme, il n’y a pas de raison a priori que cela soit le cas pour les autres espèces. Et les expériences faites sur Coleophora limosipennella montrent que ce n’est pas non plus le cas pour elle.
Il est également remarquable que les chenilles qui sont capable de confectionner un nouveau fourreau lorsque le leur a été détruit par l’expérimentateur le font à leur taille. Ce qui permet de supposer qu’elles ont une certaine représentation de leur corps, donc un embryon au moins de la conscience d’elles-mêmes. Comme l’affirme D. R. Griffin, « si les animaux sont doués d’une conscience perceptive, alors on ne peut leur dénier toute forme de conscience de soi qu’au prix d’une restriction arbitraire et injustifiée »(12)
En résumé, certaines chenilles ont une perception, sinon d’elles-mêmes, du moins de leur organisme. Elles se comportent en êtres capables de mettre en œuvre des moyens et de planifier des actions pour atteindre une fin et de le faire de façon inédite. Il s’en suit analytiquement qu’elles sont capables de raisonner et donc douées de raison. Bien entendu, celle-ci n’est ni humaine, ni discursive. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’UNE raison. Alors sont-elles des personnes ?
Des chenilles seraient pourvues de mémoire. C’est ce que mettent en évidence des expériences menées par un biologiste allemand, Herbert Brandt sur Ephestia küehniella L. [la pyrale de la farine] ; expériences rapportées par P. Portier(10) . Ce même auteur a montré aussi que les chenilles de cette espèce étaient capables d’une certaine forme d’apprentissage. Cependant, ces expérimentations se déroulent dans des conditions très artificielles. Plus intéressantes à mon sens sont celles de style éthologique comme celle-ci effectuée sur Dictyoploca japonica, une chenille qui tisse un cocon en forme de filet à larges mailles carrées dans des circonstances ordinaires. Si on l’oblige à construire celui-ci sur du verre, une situation que la chenille ne rencontre jamais dans la nature, elle modifie la partie qui est en contact avec le verre qui se compose alors de mailles très serrées. Même si la séquence du filage du cocon est fixe et peu ou pas modifiable(11) , il existe tout de même certaine latitude dans sa conception qui permet une adaptation pour laquelle la chenille doit faire preuve d’un certain discernement, voire de créativité. On trouve d’autres manifestations de créativité chez des chenilles d’autres espèces, par exemple chez Catopsilia crocale Cramé, une piéride volant à Bornéo et Java. La chenille de ce papillon est capable de sauter, capacité peu commune chez les chenilles et dont sont dépourvues, à ma connaissance, nos chenilles indigènes. La chenille de Catopsilia crocale se chrysalide au sol. On dépose les chenilles sur leur plante nourricière dont la tige plonge dans une bouteille qui est placée dans un bassin rempli d’eau. Une chenille prête à chrysalider descend le long de la tige. Elle rencontre l’eau et remonte. Après avoir effectué plusieurs allers et retours, elle se décide à sauter et y employant toutes ses forces, elle réussit un saut d’une vingtaine de centimètres, ce qui lui permet de rejoindre la terre ferme pour se préparer à sa grande transformation. Les moins agiles ne sautent pas assez loin, tombent dans l’eau et se noient.
P. Portier rapporte que la chenille de la Teigne furieuse d’Amérique ( ?) tisse son cocon sur les arbres « au voisinage de feuilles et de branches mortes » Si ces feuilles viennent à manquer, elle s’associe avec d’autres chenilles de la même espèce. Ensembles, elles tuent les feuilles en les mâchant à l’insertion du pétiole. Les feuilles desséchées et recroquevillées offrent alors un milieu propice à la construction des cocons. De même que les lionnes sont capables d’actions concertées dans une chasse collective, de même ces chenilles peuvent coopérer et faire preuve d’initiatives pour modifier leur milieu et le rendre plus favorable à leur dessein. Si d’autres cas de coopération pouvaient être bien documentés, il faudrait supposer que les chenilles d’une même espèce, comme les fourmis, les abeilles ou les termites ont des moyens pour communiquer entre elles.
Les prouesses étonnantes des chenilles qui construisent des fourreaux ont fait l’objet de nombreuses observations et expérimentations et sont bien documentées. C’est en particulier le cas de Coleophora limosipennella Duponchel, 1843 [Porte-fourreau de l’Orme]. Le papillon est un microlépidoptère blanc grisâtre, pourvu de longues antennes annelées, de 10 à 13 mm d’envergure. La petite chenille vit cachée dans un fourreau d’environ 6 mm de longueur, un peu incurvé, brun, présentant sur le côté supérieur des dents semblables à celle des feuilles d’Ormes dont elle se nourrit. Elle attache son fourreau à la surface inférieure de la feuille et procède un peu comme une mineuse. Elle découpe un orifice circulaire et sans sortir totalement de son fourreau, elle mange le parenchyme en épargnant l’épiderme au-dessus et au-dessous. Les feuilles attaquées portent des tâches brun-jaunâtres caractéristiques. Le fourreau s’avère être une construction complexe. La partie antérieure comporte un orifice circulaire permettant à la chenille de sortir la partie antérieure de son corps pour se nourrir. Le plan de ce cet orifice est incliné sur l’axe du fourreau tel que lorsqu’il est fixé à la feuille, il forme un angle aigu avec elle. L’autre extrémité est fermée par deux ou trois valves accolées qui s’ouvrent lorsque la chenille recule et presse sur elles, lui permettant d’expulser ses excréments qui sont projetés loin du fourreau. Lorsqu’elle se retire, les valves se ferment automatiquement et s’ajustent parfaitement. Il faut que les découpes soient d’une précision absolue pour que l’appareil fonctionne correctement. La chenille qui travaille sans patron coupe d’emblée les deux moitiés du fourreau avec une précision si parfaite qu’une fois assemblée, les lignes de soudures sont indécelables même à la loupe. Sa virtuosité dépasse de loin celle du meilleur tailleur humain que l’on puisse imaginer. Bien entendu cette virtuosité est phylogénétiquement héritée. Mais ce bagage inné n’empêche nullement la chenille de faire preuve de créativité dans ce travail de construction ou de réparation de son fourreau. Ainsi elle réussit à faire face à l’adversité lorsque l’entomologiste, Réaumur en la circonstance, profite du fait qu’elle est presque sortie entièrement de son fourreau en s’alimentant pour lui arracher brusquement.
Désarroi de la pauvre bête qui d’abord se réfugie dans la mine puis recule, passe la partie postérieure de son corps hors du trou à la recherche de son fourreau pour essayer de le réintégrer. En vain ! Le fourreau a disparu. Après plusieurs essais, elle rentre à nouveau dans la mine et se remet à manger. Il s’agit pour elle non seulement de se nourrir mais aussi de se tailler un nouveau fourreau dans l’épiderme de la feuille. Elle va découper des morceaux symétriques dans le toit et le plancher de la mine. Et avec la virtuosité dont elle fait preuve pour ces travaux de tailleurs, elle confectionne un habit semblable à celui que Réaumur lui avait subtilisé. Mais pour cela, elle doit résoudre un problème assez difficile. Comme elle est à l’intérieur de la feuille, si elle se bornait à découper l’épiderme en dessus et en dessous d’elle et les réunir pour en faire les parois de son fourreau, celui-ci détaché de la feuille tomberait et la chenille avec lui. Elle doit donc procéder autrement. Elle commence par découper une longueur identique de l’épiderme de la feuille au-dessus et au-dessous d’elle et elle les réunit par des fils de soie qu’elle sécrète. Elle laisse une petite longueur intacte et procède ensuite à une nouvelle découpe de l’épiderme au-dessus et au-dessous d’elle qu’elle réunit avec des fils de soie comme précédemment et ainsi de suite jusqu’à la dimension voulue. Le fourreau reste attaché à la feuille et ne tombe pas. A la fin, la chenille sectionne toutes les attaches, n’en laissant qu’une ou deux, ténues. Elle sort alors la tête et pattes par ce qui sera l’extrémité antérieure du fourreau. Avec ses pattes écailleuses, elle s’agrippe au bord du trou et opère une traction brusque qui libère le fourreau de ses dernières attaches. Elle le fixe alors à la plante par la partie antérieure et se retourne pour entreprendre les finitions dont celle qui consiste à garnir de soie l’intérieur du fourreau, ce qui lui assure solidité et confort. Lorsqu’elle confectionne ce fourreau dans des conditions normales, elle choisit toujours pour opérer une région voisine du bord ce qui lui permet d’obtenir facilement la courbure et la forme qu’elle désire. Dans le cas présent, elle a opéré au milieu de la feuille dans des conditions nouvelles et défavorables.
La chenille du Porte-case de l’Orme sait faire face à bien d’autres mauvais tours que lui inflige un chenapan d’entomologiste, mauvais tours qui sont autant de situations nouvelles pour elle et dans lesquelles elle doit faire preuve de discernement et de créativité dans la mise en œuvre de ses talents de tailleur. En voici un exemple rapporté par Paul Portier : « Qu’arrive-t-il si, d’un coup de ciseaux, on coupe la partie postérieure du fourreau pendant que la chenille mine une feuille ? A moins que le dégât ne soit trop grand, auquel cas, la chenille construit un nouveau fourreau, elle se met immédiatement à refaire une partie postérieure neuve composée de soie. Mais, ainsi constitué, le fourreau ne possède pas, à son extrémité postérieure, les deux valves si bien ajustées qui permettent le rejet des excréments avec fermeture automatique et étanche, dès que l’acte est accompli. On voit alors la petite chenille pratiquer avec ses mâchoires, une fente à la partie postérieure et supérieure du fourreau, puis renforcer les bords de cette fente au moyen de soie convenablement appliquée, et l’appareil, ainsi constitué, fonctionnera aussi bien que celui qu’on a enlevé » (1949, p.153) Comme le conclut l’auteur, ces observations et expériences montrent «à l’évidence» le pouvoir d’invention des chenilles de cette espèce. Elles résolvent des problèmes qui ne leur sont jamais posés dans la nature et font preuve de «véritables initiatives» Cette espèce de chenille excelle dans la confection de fourreaux, elle possède à cet effet une compétence inégalée qu’elle exerce de façon créative. D’autres espèces du même genre ou de genres proches ne possèdent pas une compétence aussi développée ou ne savent pas l’exercer de façon créative. C’est le cas de nombreuses espèces de chenilles se construisant des fourreaux à falbalas comme Coleophora serenella Zeller 1849, qui, selon Réaumur, est incapable de se construire un nouveau fourreau lorsque l’on a détruit le sien. Osons un parallèle avec l’homme, au risque d’encourir le courroux des humanistes. Le domaine dans lequel l’homme excelle et qui est caractéristique de son espèce, c’est le langage. Peu de psycholinguistes contestent aujourd’hui que cette virtuosité est due à une aptitude phylogénétiquement héritée. Certains auteurs n’hésitent pas à parler d’un instinct du langage, par exemple Steven Pinker(1994). De même que nous faisons tous preuve de créativité dans l’exercice de cette compétence, de même, toute proportion gardée, la chenille du Porte-fourreau de l’Orme fait preuve de créativité en exerçant ses talents de couturier. Ce qui est donné à notre espèce ne l’est pas à des espèces très proches. Il en va de même chez les Coleophora. Que ces compétences soient phylogénétiquement héritées n’empêchent pas que les actes qui les mettent en œuvre ne soient nullement phylogénétiquement préformés. Ce n’est pas le cas pour l’homme, il n’y a pas de raison a priori que cela soit le cas pour les autres espèces. Et les expériences faites sur Coleophora limosipennella montrent que ce n’est pas non plus le cas pour elle.
Il est également remarquable que les chenilles qui sont capable de confectionner un nouveau fourreau lorsque le leur a été détruit par l’expérimentateur le font à leur taille. Ce qui permet de supposer qu’elles ont une certaine représentation de leur corps, donc un embryon au moins de la conscience d’elles-mêmes. Comme l’affirme D. R. Griffin, « si les animaux sont doués d’une conscience perceptive, alors on ne peut leur dénier toute forme de conscience de soi qu’au prix d’une restriction arbitraire et injustifiée »(12)
En résumé, certaines chenilles ont une perception, sinon d’elles-mêmes, du moins de leur organisme. Elles se comportent en êtres capables de mettre en œuvre des moyens et de planifier des actions pour atteindre une fin et de le faire de façon inédite. Il s’en suit analytiquement qu’elles sont capables de raisonner et donc douées de raison. Bien entendu, celle-ci n’est ni humaine, ni discursive. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’UNE raison. Alors sont-elles des personnes ?
Imago d'Ephestia küehniella
La question de l’individualité
Comme le faisait remarquer le philosophe Maurice Blondel, il n’y a pas de personne qui ne soit telle ou telle personne, différente de toutes les autres. Il ne peut être pertinent de parler de personne là où il n’y a pas une individualité, une individualité et pas simplement, ni peut-être nécessairement, un individu. Qu’en est-il en ce qui concerne les chenilles ? Comment en juger ? Les chenilles qui réparent leurs fourreaux ont des comportements dont les séquences semblent assez stéréotypées et s’enchaîner selon des patterns semblables. Mais il en va de même lorsque nous réalisons quelque ouvrage. Il n’y a pas une infinité de façons de s’y prendre pour tricoter un pull mais avec une technique identique ou quasi identique et des laines semblables, il est possible d’obtenir des résultats qui vont varier considérablement. Nos verbalisations suivent des règles fixes, mais aucune ne se ressemblent totalement. C’est à la singularité de l’ouvrage et non à la façon dont il est produit qu’il faut s’intéresser. C’est elle qui peut révéler l’individualité de son auteur. Y a-t-il donc une variabilité individuelle significative dans les réparations des fourreaux ? Je n’ai pas trouvé dans la littérature de données concernant cette variabilité individuelle chez Coleophora limosipennella, ni sur aucun des lépidoptères à fourreau. Par contre j’ai trouvé des données intéressantes sur cette variabilité à propos des larves de trichoptères (phryganes). Par exemple, Molanna angustata Curtis, 1834. Cette espèce de Porte-bois peut atteindre 17 mm de long et 2, 7mm de large. Elle élabore un fourreau en sable de forme tubulaire légèrement pointu d’environ 26 mm de longueur et 3mm de largeur pour les plus grands. Ils sont dotés d’un toit en forme de bouclier qui empêche le fourreau de sombrer au fond de l’eau ou d’être renversé par les vagues et les courants. On pense aussi qu’il sert de protection contre les prédateurs. C’est pour réparer cet abri des dommages causés par l’expérimentateur que les larves montrent une grande variabilité individuelle tant dans la manière de réparer que dans les résultats obtenus. Les larves de Phryganea obsoleta Hagen, 1864 sont capables de distinguer leur abri d’un autre de même taille et de s’y réfugier de préférence. Il semble donc bien individualisé, aux yeux de la larve tout du moins qui sait reconnaître son bien. Il est difficile d’extrapoler d’une espèce à une autre. D’un ordre à un autre, l’extrapolation restera très hypothétique. En application d’un principe philosophique, de philosophie pratique, concernant le règne animal que l’on pourrait appeler principe de générosité (par opposition au principe scientifique de parcimonie) qui stipulerait que tant que l’on n’a pas démontré qu’une espèce du règne animal est dépourvue d’une capacité ou une aptitude que l’on attribue à une autre espèce, elle est réputée la posséder, on peut supposer que les chenilles de Coelophora limosipennella individualisent, elles aussi, leur fourreau. Elles sauraient séparer «le tien du mien». Même si ces chenilles ne vivent pas en communauté où l’individualité et la non-substituabilité d’un individu par un autre reçoivent toute leur dimension, il n’est pas absurde de considérer que les chenilles possèdent une certaine individualité, si ce n’est à nos yeux, du moins aux yeux d’une autre chenille de la même espèce. Il serait peut-être un peu hasardeux néanmoins de considérer que chaque chenille a sa personnalité, c’est-à-dire un caractère, une manière d’être au monde qui lui serait propre. Il serait tout autant hasardeux et bien peu généreux de considérer le contraire.
Tout n’est pas réglé pour autant car surgit un nouveau problème : celui de l’identité personnelle. Certes, celle-ci n’est chez les hommes qu’une illusion aux yeux de certains psychologues ou psychanalystes : « Le moi est bric-à-brac d’identification » affirmait Lacan.
D’autres, surtout des philosophes, considèrent qu’elle est une sorte de quête sans fin, toujours lorsqu’il s’agit de l’homme et exclusivement de lui. Ces philosophes du «manque» et leurs disciples n’auront d’ailleurs sans doute pas eu la patience de lire cet article jusqu’à ce paragraphe. Pour eux il y a l’animal d’un côté et l’homme de l’autre, sans distinction d’espèces. L’homme (le genre ?) est un «trou dans l’être» alors que l’animal, lui, n’est qu’un «creux» pour reprendre les formules célèbres de Maurice Merleau-Ponty. Il est donc évident que celui-ci ne peut être une personne. Illusion, quête, ou donnée, l’identité personnelle suppose une même entité pour laquelle cette question se pose. Or pour les animaux qui muent et se métamorphosent comme les lépidoptères et beaucoup d’autres insectes, la question de l’identité tout court se pose. Car s’il s’agit de la même entité, s’agit-il bien du même organisme ? Et si personnalité il y a, il est difficile d’admettre qu’un être qui vole et butine puisse avoir la même qu’un être qui rampe et grignote. Il faudrait donc admettre que le problème se pose en termes neufs pour chaque avatar de l’insecte. Pourquoi pas ? Après tout il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’un être dont l’organisme se modifie radicalement au cours de sa vie, dont le comportement est différent, présente une personnalité différente à chaque stade.
Une personne ?
Résumons : les chenilles de Caleophora limosipennella sont aptes à ressentir des émotions, elles ont une mémoire, sont capables d’apprentissage. Elles ont une certaine conscience de leur corps sinon d’elles-mêmes. Elles peuvent se comporter rationnellement et faire preuve de créativité. On peut supposer que chacune a sa propre personnalité qui en fait un être singulier, faut-il alors répondre positivement à la question de départ et conclure que les chenilles sont des personnes ?
Les chenilles et tout spécialement celles de Caleophora limosipennella sont des êtres vivants, sensibles, singuliers, créatifs, rationnels certes, mais elles ne sont pas raisonnables, c’est-à-dire des sujets moraux. Pour les philosophes d’inspiration kantienne, les chenilles ne peuvent être des personnes. Si on peut trouver trace de comportements qui manifestent à l’évidence un sens moral chez certains animaux supérieurs vivant en société ou qui élèvent leurs petits, il est difficile d’en trouver de tels chez les chenilles qui ne sont qu’un stade transitoire de l’animal, n’ont rien d’autre à faire que manger pour muer et se métamorphoser dans les meilleures conditions. Les qualifications qui relèvent de la morale ou de jugements de valeur moraux sont simplement inapplicables aux actes des chenilles comme aux chenilles elles-mêmes. Cela sonne comme une absurdité, une « erreur de catégorie » et ne fait que montrer que les qualifications morales, d’application universelle dans le cadre d’une espèce, ne peuvent avoir de signification évidente à l’extérieur de celle-ci. Il n’y a pas lieu de se demander à propos d’une chenille si elle est un être moral car cela n’a pas de sens. Je peux dire en effet d’une chenille de Caleophora limosipennella qu’elle est habile, plus habile que sa voisine qui vit deux feuilles plus bas, cela voudra dire qu’elle sait mieux tailler son fourreau, le réparer, le fixer de façon astucieuse, etc. Que pourrait vouloir dire qu’elle est honnête ? Sincère ? Etc.
Dans ces conditions, exiger d’un être qu’il soit un sujet moral pour le considérer comme une personne, c’est une façon de restreindre a priori la personne à la personne humaine.
Par contre, si avec Peter Singer, le philosophe australien du droit des animaux, on estime qu’est une personne tout être rationnel et conscient de soi alors les chenilles sont des personnes. Bien que je sois pour que l’on définisse des droits pour les animaux et que l’on interdise la vivisection, je considère que cette caractérisation de la notion n’est pas opérante. Dans ce type de caractérisation, la notion de personne n’est en fin de compte qu’une abréviation de l’expression « être à la fois rationnel et conscient de soi » Pourquoi ces deux prédicats et pas d’autres ? Ainsi comprise et quels que soient les prédicats, la notion de personne se réduit à n’être qu’une sélection arbitraire parmi l’ensemble des prédicats applicables à un être vivant.
Comme le faisait remarquer le philosophe Maurice Blondel, il n’y a pas de personne qui ne soit telle ou telle personne, différente de toutes les autres. Il ne peut être pertinent de parler de personne là où il n’y a pas une individualité, une individualité et pas simplement, ni peut-être nécessairement, un individu. Qu’en est-il en ce qui concerne les chenilles ? Comment en juger ? Les chenilles qui réparent leurs fourreaux ont des comportements dont les séquences semblent assez stéréotypées et s’enchaîner selon des patterns semblables. Mais il en va de même lorsque nous réalisons quelque ouvrage. Il n’y a pas une infinité de façons de s’y prendre pour tricoter un pull mais avec une technique identique ou quasi identique et des laines semblables, il est possible d’obtenir des résultats qui vont varier considérablement. Nos verbalisations suivent des règles fixes, mais aucune ne se ressemblent totalement. C’est à la singularité de l’ouvrage et non à la façon dont il est produit qu’il faut s’intéresser. C’est elle qui peut révéler l’individualité de son auteur. Y a-t-il donc une variabilité individuelle significative dans les réparations des fourreaux ? Je n’ai pas trouvé dans la littérature de données concernant cette variabilité individuelle chez Coleophora limosipennella, ni sur aucun des lépidoptères à fourreau. Par contre j’ai trouvé des données intéressantes sur cette variabilité à propos des larves de trichoptères (phryganes). Par exemple, Molanna angustata Curtis, 1834. Cette espèce de Porte-bois peut atteindre 17 mm de long et 2, 7mm de large. Elle élabore un fourreau en sable de forme tubulaire légèrement pointu d’environ 26 mm de longueur et 3mm de largeur pour les plus grands. Ils sont dotés d’un toit en forme de bouclier qui empêche le fourreau de sombrer au fond de l’eau ou d’être renversé par les vagues et les courants. On pense aussi qu’il sert de protection contre les prédateurs. C’est pour réparer cet abri des dommages causés par l’expérimentateur que les larves montrent une grande variabilité individuelle tant dans la manière de réparer que dans les résultats obtenus. Les larves de Phryganea obsoleta Hagen, 1864 sont capables de distinguer leur abri d’un autre de même taille et de s’y réfugier de préférence. Il semble donc bien individualisé, aux yeux de la larve tout du moins qui sait reconnaître son bien. Il est difficile d’extrapoler d’une espèce à une autre. D’un ordre à un autre, l’extrapolation restera très hypothétique. En application d’un principe philosophique, de philosophie pratique, concernant le règne animal que l’on pourrait appeler principe de générosité (par opposition au principe scientifique de parcimonie) qui stipulerait que tant que l’on n’a pas démontré qu’une espèce du règne animal est dépourvue d’une capacité ou une aptitude que l’on attribue à une autre espèce, elle est réputée la posséder, on peut supposer que les chenilles de Coelophora limosipennella individualisent, elles aussi, leur fourreau. Elles sauraient séparer «le tien du mien». Même si ces chenilles ne vivent pas en communauté où l’individualité et la non-substituabilité d’un individu par un autre reçoivent toute leur dimension, il n’est pas absurde de considérer que les chenilles possèdent une certaine individualité, si ce n’est à nos yeux, du moins aux yeux d’une autre chenille de la même espèce. Il serait peut-être un peu hasardeux néanmoins de considérer que chaque chenille a sa personnalité, c’est-à-dire un caractère, une manière d’être au monde qui lui serait propre. Il serait tout autant hasardeux et bien peu généreux de considérer le contraire.
Tout n’est pas réglé pour autant car surgit un nouveau problème : celui de l’identité personnelle. Certes, celle-ci n’est chez les hommes qu’une illusion aux yeux de certains psychologues ou psychanalystes : « Le moi est bric-à-brac d’identification » affirmait Lacan.
D’autres, surtout des philosophes, considèrent qu’elle est une sorte de quête sans fin, toujours lorsqu’il s’agit de l’homme et exclusivement de lui. Ces philosophes du «manque» et leurs disciples n’auront d’ailleurs sans doute pas eu la patience de lire cet article jusqu’à ce paragraphe. Pour eux il y a l’animal d’un côté et l’homme de l’autre, sans distinction d’espèces. L’homme (le genre ?) est un «trou dans l’être» alors que l’animal, lui, n’est qu’un «creux» pour reprendre les formules célèbres de Maurice Merleau-Ponty. Il est donc évident que celui-ci ne peut être une personne. Illusion, quête, ou donnée, l’identité personnelle suppose une même entité pour laquelle cette question se pose. Or pour les animaux qui muent et se métamorphosent comme les lépidoptères et beaucoup d’autres insectes, la question de l’identité tout court se pose. Car s’il s’agit de la même entité, s’agit-il bien du même organisme ? Et si personnalité il y a, il est difficile d’admettre qu’un être qui vole et butine puisse avoir la même qu’un être qui rampe et grignote. Il faudrait donc admettre que le problème se pose en termes neufs pour chaque avatar de l’insecte. Pourquoi pas ? Après tout il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’un être dont l’organisme se modifie radicalement au cours de sa vie, dont le comportement est différent, présente une personnalité différente à chaque stade.
Une personne ?
Résumons : les chenilles de Caleophora limosipennella sont aptes à ressentir des émotions, elles ont une mémoire, sont capables d’apprentissage. Elles ont une certaine conscience de leur corps sinon d’elles-mêmes. Elles peuvent se comporter rationnellement et faire preuve de créativité. On peut supposer que chacune a sa propre personnalité qui en fait un être singulier, faut-il alors répondre positivement à la question de départ et conclure que les chenilles sont des personnes ?
Les chenilles et tout spécialement celles de Caleophora limosipennella sont des êtres vivants, sensibles, singuliers, créatifs, rationnels certes, mais elles ne sont pas raisonnables, c’est-à-dire des sujets moraux. Pour les philosophes d’inspiration kantienne, les chenilles ne peuvent être des personnes. Si on peut trouver trace de comportements qui manifestent à l’évidence un sens moral chez certains animaux supérieurs vivant en société ou qui élèvent leurs petits, il est difficile d’en trouver de tels chez les chenilles qui ne sont qu’un stade transitoire de l’animal, n’ont rien d’autre à faire que manger pour muer et se métamorphoser dans les meilleures conditions. Les qualifications qui relèvent de la morale ou de jugements de valeur moraux sont simplement inapplicables aux actes des chenilles comme aux chenilles elles-mêmes. Cela sonne comme une absurdité, une « erreur de catégorie » et ne fait que montrer que les qualifications morales, d’application universelle dans le cadre d’une espèce, ne peuvent avoir de signification évidente à l’extérieur de celle-ci. Il n’y a pas lieu de se demander à propos d’une chenille si elle est un être moral car cela n’a pas de sens. Je peux dire en effet d’une chenille de Caleophora limosipennella qu’elle est habile, plus habile que sa voisine qui vit deux feuilles plus bas, cela voudra dire qu’elle sait mieux tailler son fourreau, le réparer, le fixer de façon astucieuse, etc. Que pourrait vouloir dire qu’elle est honnête ? Sincère ? Etc.
Dans ces conditions, exiger d’un être qu’il soit un sujet moral pour le considérer comme une personne, c’est une façon de restreindre a priori la personne à la personne humaine.
Par contre, si avec Peter Singer, le philosophe australien du droit des animaux, on estime qu’est une personne tout être rationnel et conscient de soi alors les chenilles sont des personnes. Bien que je sois pour que l’on définisse des droits pour les animaux et que l’on interdise la vivisection, je considère que cette caractérisation de la notion n’est pas opérante. Dans ce type de caractérisation, la notion de personne n’est en fin de compte qu’une abréviation de l’expression « être à la fois rationnel et conscient de soi » Pourquoi ces deux prédicats et pas d’autres ? Ainsi comprise et quels que soient les prédicats, la notion de personne se réduit à n’être qu’une sélection arbitraire parmi l’ensemble des prédicats applicables à un être vivant.
Lorsque l’on veut considérer l’un de ces êtres comme une personne, il ne suffit pas de vérifier s’il souffre, calcule, est fidèle à sa compagne ou son compagnon, ou bien toute autre propriété que l’on voudra. Pour considérer un être vivant comme une personne, il faut (mais il ne suffit pas) lui conférer une valeur intrinsèque en tant qu’être singulier et non simplement en tant que représentant de telle ou telle espèce. Il faut (mais il ne suffit pas ) s’interdire de le considérer comme quelque chose dont on pourrait disposer et utiliser selon son bon plaisir, que l’on pourrait posséder. C’est d’abord lui reconnaître une dignité et donc le respecter. Lui reconnaître une dignité, c’est, a minima, lui reconnaître le même droit de vivre que nous. Le respecter, c’est le laisser vivre selon ses propres fins : « vivre et laisser vivre ». On voit que tout ce que l’on peut connaître des mœurs, des aptitudes, capacités et compétences d’un être vivant non-humain ne permettra jamais de décider si on doit le considérer comme une personne ou non. Ce n’est pas une question que les sciences, la zoologie, l’éthologie, l’entomologie, etc. peuvent résoudre. Pourtant c’est une question à laquelle les chercheurs répondent souvent par la négative – de façon implicite en général – notamment dans la recherche médicale, les neurosciences et la psychologie animale. Sinon, ils ne pourraient traiter les sujets d’expériences, rats, souris, chiens, chats, chimpanzés comme ils le font.
L’esclave ne diffère en rien de son maître. Ils sont tous les deux de la même espèce et pourtant l’esclave n’est pas considéré comme une personne ni par son maître, ni par les hommes libres dans une société esclavagiste. Le neuropsychologue qui détruit des parties du cerveau d’un chat pour étudier le rêve ne considère pas cette pauvre bête comme une personne, du moins on peut l’espérer. Par contre le même individu s’interdirait sûrement de faire les mêmes manipulations sur le chat de la maison comme le remarque Yves Christen. Félix est alors considéré comme une personne, ce qui n’empêche pas évidement de mal se conduire à son égard. Mais cette conduite est alors répréhensible. Si le dernier né de la famille tire les moustaches de Félix au risque de se faire griffer, son père le grondera, lui qui détruit des parties du cerveau de son sujet de recherche. Les deux chats ne diffèrent pourtant en rien. Ils sont de la même espèce et peuvent même être de la même race. Ces exemples montrent bien que la question n’est pas de savoir si X ou Y est, de fait, une personne. Ce n’est pas une question de fait, mais une question sur ce qui doit être. Et nous savons depuis Hume que ce qui est ne permet en rien de décider ce qui doit être. On ne peut s’autoriser de la science pour décider si tel être vivant est ou non une personne, c’est-à-dire si l’on doit la considérer comme telle et se conduire envers elle en conséquence. Bien plus, la démarche scientifique est réductionniste par méthode. Elle se doit d’objectiver les sujets qu’elle étudie et si l’empathie est un outil heuristique, elle ne peut avoir valeur de preuve. Ses comptes-rendus ne doivent pas laisser place au sentiment et être rédigés dans un langage « objectif » et par là des plus artificiels, pauvres et abscons. Bref, loin de nous conduire à considérer les individus des autres espèces comme des personnes ou à tout le moins des êtres possédant une valeur intrinsèque, elle nous en détourne. Les Humains eux-mêmes, elle ne les considère plus comme des sujets lorsqu’elle s’avise d’en faire des objets d’études.
Justifier notre décision de considérer tel ou tel être vivant comme étant ou n’étant pas une personne, c’est justifier notre façon de se conduire à son égard et les jugements de type moraux que l’on peut porter sur cette conduite, qu’elle soit notre ou celle d’un autre. Ainsi comprise la question de considérer un tel et tel comme une personne suppose qu’il y ait interaction entre ce tel et tel et nous, les membres de l’espèce humaine. Il faut que nous fassions d’une façon ou d’une autre société avec ce tel et tel.
Vivre et laisser vivre
Chacun reconnaîtra facilement qu’un être sauvage ne peut être vraiment tel qu’en liberté. Un tel sauvage, c’est, par exemple, le loup de la fable de La Fontaine Le loup et le chien, libre, non domestiqué, ni apprivoisé. Entre un tel être et l’homme occidental actuel, les interrelations ne peuvent qu’être accidentelles. Le principe de non-intervention « vivre et laisser vivre » doit s’appliquer à ces êtres, ce qui est la seule façon de les respecter, ce qui signifie dans la majorité des cas éviter toute interaction avec eux, sauf observer sans déranger, voir sans être vu... La conclusion qui en découle est donc que, en règle générale, la question de les considérer comme des personnes ne se pose pas et ne doit pas se poser car elle signifierait que nous n’avons pas respecté leur sauvagerie. A la limite, considérer le loup de la fable citée plus haut comme une personne, ce serait lui manquer de respect, le considérer avec une familiarité qui, si elle a lieu d’être avec notre voisin, notre chat ou notre chien, ne doit pas avoir cours avec lui. Encore faut-il distinguer entre ces deux derniers, le chat a daigné être notre commensal et partager notre demeure, le chien lui a été domestiqué. En outre j’ai pris soin de préciser « l’homme occidental actuel » qui n’est plus un chasseur cueilleur et vit dans un monde que la science a désenchanté et que la technique a domestiqué et dénaturé.
La plupart des chenilles de la plupart des espèces sont sauvages. Il faut cependant mettre de côté les vers à soie et autres chenilles de papillons d’élevage comme Ephestia küehniella qui ont un statut difficile à définir. La plupart de nos contemporains ne sont guère tentés de se montrer familier avec une chenille quelle que soit son espèce. Nos relations avec elles sont si limitées qu’en général, la question de savoir si elles sont des personnes est tout à fait saugrenue et ne se pose même pas. Mais il peut y avoir des exceptions. Pour tous ces animaux quels que soient l’espèce, la famille, le genre, l’ordre, la classe auxquels ils appartiennent, les respecter, c’est les laisser vivre, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, ne pas avoir des relations avec eux, quelle qu’en soit la nature. D’ailleurs certaines chenilles, notamment celles qui sont recouvertes de soies ont, grâce à ces soies, les moyens de se faire respecter et de nous tenir à distance. Elles ne sont pas fréquentables : leur contact provoque des démangeaisons douloureuses, des dermites et lorsqu’elles sont en colonies, des gènes respiratoires voire de graves crises d’allergie respiratoires. Les hommes sont leurs prédateurs potentiels. Elles savent se défendre et si colorées soient-elles parfois, elles sont dangereuses sinon pour notre santé, du moins pour notre bien-être.
C’est pour cela que les choses se compliquent. Elles se compliquent aussi avec Caleophora limosipennella et nombre d’autres chenilles qui attaquent nos arbres, nos légumes, nos fruits, nos provisions ou nos habits menaçant ainsi notre propre survie. L’occidental urbain peut estimer qu’en parlant de menace pour notre survie, j’exagère. L’agriculture est sans cesse en crise de surproduction… ce qui n’empêche pas la faim dans le monde. Que cet occidental moyen songe donc à la famine que peut provoquer ailleurs une invasion de criquets, à défaut de se souvenir de la consternation que produisait dans les campagnes une attaque de doryphores ou de hannetons. Il n’y a pas si longtemps, les préfets lançaient des ordres de réquisition pour le « hannetonnage ». C’est contre les colonies de chenilles de Cul brun (Euptoctis chrysorrhoea L. 1758) qu’a été prise en 1796 la première loi sur l’échenillage obligatoire. Caleophora limosipennella se contente de manger des feuilles d’ormes et peut sans doute être tolérée si elle ne pullule pas. Mais parfois, il faudra envisager de détruire un certain nombre d’individus de cette espèce. Cette situation advenant dans un conflit entre la nature et nos cultures.
James Olivier Curwood est connu pour ses romans d’aventure. Ils ont enchanté l’enfance de beaucoup d’entre nous. Qui n’a lu Barry Chien Loup ou Le fils de la forêt ? James Olivier Curwood fut aussi un grand coureur de bois à une époque où les territoires du nord du Canada comportaient encore des forêts et des montagnes inexplorées. Il était aussi un chasseur repenti. Dans un ouvrage paru en 1921, God’s contry – The trail to hapiness, il a posé la maxime non interventionniste «vivre et laisser vivre » et il a esquissé une sorte de philosophie de la nature panthéiste qui conduit à une morale dans laquelle toute parcelle de vie est respectable et a un droit équivalent à vivre mais qui ne signifie pas que tout être a un droit imprescriptible à vivre. Pour survivre, il faut parfois tuer : ma vie valant autant que celle des ravageurs qui la menace, j’ai le droit de la défendre et c’est le cas aussi de toute autre forme de vie. Voici ce qu’il écrivait dans l’ouvrage cité : « Toutefois je tiens à vous assurer que je n’ai pas perdu la tête et que je n’applique pas avec une étroitesse d’esprit ridicule ma maxime : « vivre et laisser vivre » Si cette (…) tribu de fourmis avait envahi ma cabane et dévoré les aliments indispensables à ma subsistance, je l’aurais détruite ou chassée. La nature me donne le droit de me protéger et de protéger mon bien. C’est également le privilège de toute autre étincelle de vie. Si je me tenais debout sur leur fourmilière, ces mêmes insectes m’attaqueraient avec la rage du désespoir. Mais à présent elles ne me font aucun mal, et je ne les moleste pas.»(13) Ce qui est présenté ici de façon intuitive et concrète est développé plus ou moins bien par des philosophes qui se rattachent au courant de l’éthique environnementale.
Nous avons donc des interactions avec les chenilles de Caleophora limosipennella, de Euproctis chrysorrhoea ou autres « teignes ». À l’évidence, elles ne peuvent laisser place à des relations interpersonnelles quelconques puisque lorsqu’elles se produisent, c’est que nous voulons les détruire. Le reste du temps, nous les ignorons et elles passent inaperçues de tous, les entomologistes exceptés. Ce qu’il faut justifier dans ce cas, c’est notre droit de tuer des individus de ces espèces. Pour cela, il faut montrer que nous devons le faire parce que sont en jeu la préservation de notre intégrité physique et, de façon plus générale, notre survie. Cette justification ne remet en aucun cas le droit de vivre de chacune de ces petites chenilles, équivalent à tout autre et donc au nôtre. Conclusion certes contre-intuitive si nous restons dans une perspective anthropocentrique naturelle, mais qui cesse de l’être lorsque nous parvenons à nous en abstraire grâce à l’évidence de la manifestation du vouloir vivre de chaque individu de n’importe quelle espèce, évidence dont ne fera l’expérience que celui ou celle qui saura redevenir un sauvage, s’immerger dans la nature, une nature qui peut être tout à fait ordinaire, que l’on trouvera même en ville, si on sait la chercher auprès des « sauvages de [sa] rue » Les seules autres interactions que l’on peut envisager, ce sont celles que l’entomologiste peut avoir avec elles considérées comme objet d’étude et là encore, la relation est loin d’être celle que l’on suppose entre personnes.
J’ai donc le droit de tuer un ravageur lorsqu’il menace ma vie. Avouons que ce n’est pas, ou du moins que ce n’est plus, souvent le cas pour l’homme occidental. Mais la menace à l’égard de nos biens est plus fréquente et peut être interprétée de façon plus ou moins extensive. Il faut cependant que cette interprétation soit justifiée au cas par cas. La maxime « vivre et laisser vivre » n’équivaut pas à un simple « laisser vivre » interdisant de tuer même le moustique qui me pique. Elle ne nous dit cependant pas en quelles circonstances je suis fondé à exercer cet acte d’ôter une parcelle de vie que je sais avoir autant de valeur que la mienne. Cela est l’objet d’une « délibération morale » qui n’aurait pas lieu d’être si la réponse était donnée d’avance. Elle doit avoir lieu entre moi et ma conscience, mais elle peut – dans certains cas, elle doit – être objet d’un débat collectif. C’est par exemple le cas lorsque l’on a à décider du sort d’individus d’une espèce prétendue invasive ou bien encore lorsque l’on est en face de prédations d’animaux sauvages sur des animaux domestiques comme les loups sur les moutons, sur des cultures comme les sangliers sur les champs de pommes de terre ou comme beaucoup d’insectes sur des cultures diverses et parmi ces derniers les chenilles comme Caleophora limosipennella, Euptoctis chrysorrhoea et autres « teignes ».
Cette maxime n’entrera pas seule en ligne de compte dans la décision ou dans la justification de tuer mais étant donnée la façon dont elle oblige à envisager cet acte, elle le marque comme exceptionnel et de dernier recours. Non seulement la parcelle de vie supprimée équivaut en valeur à celle sauvegardée, mais l’injonction du « laisser vivre » présuppose a fortiori qu’il faut laisser en vie chaque fois que cela est possible et elle impose que cette possibilité ne doit pas être envisagée à la légère.
Conclusions
Résumons : telle ou telle chenille ne sera pas, le plus souvent, considérée comme une personne dans la vie de tous les jours, mais cela n’est pas nécessaire pour que j’ai l’obligation de la respecter, c’est-à-dire de la laisser vivre à sa guise sauf s’il advenait qu’elle me nuise gravement. Ce qui vaut pour la chenille vaut pour tout animal sauvage. De plus, en ce qui concerne les mammifères ou les oiseaux sauvages, non seulement il n’est pas nécessaire de pouvoir ou devoir les considérer comme des personnes pour les respecter mais il est impératif que l’occidental contemporain ne les considère pas comme tels. Les respecter, pour un occidental moyen, c’est n’avoir pas d’interaction avec eux ou en avoir le minimum.
Cette conclusion vaut pour les membres des espèces sauvages non anthropophiles, à l’exclusion de toute autre. Elle ne vaut pas non plus pour les animaux domestiqués, apprivoisés ou captifs.
Elle a son champ d’application dans l’habituel, le ὡς ἐπὶ τὸ πολύ d’Aristote, dans les situations ordinaires. Il est évident que dans les situations extraordinaires, les catastrophes telles que les marées noires par exemple, il faut soigner ou tenter de soigner les Cormorans, Sternes, Macareux, Fous de Bassan, Goélands, … De même, on se sent obligé de venir en aide à un animal blessé, un oiseau tombé du nid, un cerf pourchassé par une meute de chiens lors d’une chasse à courre… Dans ce dernier cas s’instaure une relation interpersonnelle et il s’agit de venir au secours d’une personne en danger. Le conflit avec le veneur éclate parce que lui ne considère le cerf aux abois qui s’est réfugié dans votre jardin que comme un gibier à tuer. Vous, vous le considérez comme une personne, pas comme une personne humaine bien entendu, comme une personne tout de même. Et c’est en cela que vous vous manifestez comme humain. On l’oublie trop souvent mais «inhumain» ne veut pas dire «non humain», mais signifie «cruel». Comme l’affirmait David Hume : « Il n’est pas d’humains, ni certes de créatures sensibles dont le bonheur ou le malheur nous touche en quelque mesure, quand ils sont proches de nous et qu’on les représente sous de vives couleurs : mais cela procède uniquement de la sympathie et ce n’est pas la preuve de la réalité d’une telle affection universelle pour l’humanité, puisque ce souci s’étend plus loin que notre propre espèce »(14) Ce souci, cette bienveillance dans le cas qui nous occupe renforce tout à la fois la maxime « laisser vivre » appliquée à un cerf dans les situations ordinaires et elle est un puissant motif pour lui venir en aide lors qu’il est en danger.
Mais tous les cas ne sont pas aussi nets et simples. Dans certaines situations, à elle seule la maxime «laisser vivre» sous-détermine notre conduite envers les animaux sauvages. Elle peut être déclinée en plusieurs versions pas toujours conciliables. Cela provient du fait qu’il n’y a pas dans la réalité de distinctions aussi tranchées que l’opposition sauvage/familier (domestique) pourrait le laisser entendre, que les milieux artificialisés et naturels s’interpénètrent et qu’il nous arrive de fréquenter des animaux sauvages, du moins de les observer vivre.
Parti herboriser tôt un matin d’été pour profiter de la fraicheur et des belles lumières, j’examinai un pierrier d’éboulis calcaire fin en voie de stabilisation colonisé par des touffes d’Allium narcissifolium Vill., 1779 [Ail à feuilles de narcisse] que survolaient des papillons du genre Erebia [Moiré], peut-être Erebia euryale Esper, 1805 [Moiré frange-pie] un papillon assez commun en montagne. L’un d’entre eux se prit malencontreusement dans la toile d’une araignée. Le malheureux se débattait désespérément et plus il se débattait, plus il se prenait dans les fils du piège. Je me suis empressé de libérer avant qu’il n’abime ses ailes. Le pauvre papillon resta quelques instants étourdi sur ma main secourable avant de reprendre son vol. Mais du coup, j’avais privé l’araignée de sa proie et, plus grave peut-être pour elle, endommagé sa toile sur laquelle elle s’affairait, pressée de la réparer. Je n’ai pourtant rien à reprocher aux araignées, ni d’aversion particulière pour ces bêtes contrairement à beaucoup de mes contemporains. Avais-je le droit de spolier l’araignée ? Peut-être pas. Devais-je venir en aide au papillon ? Sûrement, car si je ne l’avais pas fait, je l’aurai sans doute regretté… Sympathie spontanée contre une non-intervention réfléchie ? Mais pourquoi cette sympathie envers la proie plutôt qu’envers le prédateur ? Sensiblerie d’un occidental végétarien à ses heures, peu habitué à tuer pour manger, d’autres le faisant pour lui ? Les enfants sont souvent choqués lorsqu’ils sont les témoins d’une scène de prédation. Mais pas toujours. Ils ont parfois des réactions étonnantes. Ainsi cette petite fille qui plaignait ce pauvre lion qui venait de manquer une gazelle et n’aurait rien à manger. Pour revenir au papillon et à l’araignée de mon histoire, il faut souligner qu’il n’est rien arrivé de très grave ni d’irréversible à l’araignée. Elle aura réparé sa toile dans laquelle d’autres proies viendront se faire prendre, proies qui n’auront pas la chance de se faire piéger sous les yeux d’un promeneur sensible à leur détresse. Le papillon par contre allait perdre la vie, situation irréversible s’il en existe. Il n’est certain ni que les papillons aillent au paradis, ni qu’ils ressusciteront des morts à la fin des temps. Je ne peux croire que ce malheureux Moiré ne souffrait pas. Certes, il est impossible de s’imaginer ce qu’il ressentait mais cela devait être atroce. Ce sauvetage du lépidoptère tirait l’injonction du « laisser vivre » vers un « ne pas laisser mourir ». Valable sans restriction en ce qui concerne les animaux familiers avec lesquels nous faisons société d’une façon ou d’une autre, ce principe, ainsi décliné, ne peut valoir qu’exceptionnellement en ce qui concerne les espèces sauvages. En général, nous ne sommes pas présents lors des scènes de prédation et si nous le sommes, nous ne sommes pas pour autant en situation d’intervenir ou nous ne le souhaitons pas.
Soit un très jeune bouquetin, sa mère qui le défend vaillamment contre deux aigles affamés et un observateur à proximité. Pour ce dernier « il est des moments où l’on pense intervenir : ce chevreau est si mignon. Mais l’aigle lui aussi a son importance dans l’écosystème. Il faut se dire que la nature est bien faite et qu’une intervention, fût-elle minime, est malvenue. En intervenant, peut-être sauverais-je un chevreau, mais j’effraierais aussi des aigles et induirais automatiquement un changement dans leur comportement futur. Bien caché sur mon épaule rocheuse, je me contente donc du rôle de spectateur »(15) Une valorisation de la communauté biotique «la nature est bien faite» implique une non-intervention. La maxime « laisser vivre » se décline alors comme «ne pas interférer», « ne pas s’en mêler » : « Il importe de laisser chaque être vaquer à ses activités en respectant le mode de vie qui est le sien – même si ce dernier nuit à l’existence d’autres êtres, doués ou non de sensibilité »(16) quand il s’agit d’animaux sauvages avec lesquels nous n’avons pas d’interactions et que nous ne fréquentons qu’à distance, leur distance de fuite, où d’attaque.
Des décisions inverses auraient pu être prises dans chacun de ces cas. Les délibérations morales ne peuvent suivre des principes moraux avec autant de rigueur que les théorèmes des axiomes dans un système formel. Et c’est heureux ainsi car cela montre que la raison pratique n’est pas formalisable, qu’elle recèle une part d’intuition irréductible qui l’individualise.
Pour terminer, je vais répondre à deux objections. La première est celle qui estime qu’en refusant de considérer les animaux sauvages comme des personnes, on nuit à la cause animale. La seconde est le reproche de passivité.
Une des raisons de considérer tel ou tel animal comme une personne, c’est pouvoir exiger de ne plus le considérer comme propriété des êtres humains. Et tant qu’il n’en est pas ainsi, « l’animal en question sera toujours considéré comme « animal d’élevage », ou bien «animal de chasse », un «animal de rodéo», un « animal domestique » ou toute autre modalité d’appropriation des animaux réduisant ces derniers à n’avoir d’autre existence que celle que notre usage leur reconnaît, et à n’avoir d’autre valeur que celle que nous voulons bien leur conférer »(17) L’auteur, Gary L. Francione ajoute : « Tenir les animaux pour la propriété des êtres humains revient à leur dénier toute valeur inhérente ou intrinsèque, et autorise de façon générale à ignorer les intérêts (de quelque ordre que ce soit) qui peuvent bien être les leurs, pour notre plus grand profit. »(18) Même si le statut juridique des animaux sauvages est différent selon les états, on peut tout à fait souscrire à cette analyse comme à beaucoup de celles de cet auteur et soutenir son engagement en faveur des animaux. Pour autant, cela ne nous oblige pas à considérer les animaux sauvages comme des personnes. Leur témoigner le respect qu’implique la maxime « vivre et laisser vivre » est suffisant pour refuser que l’on puisse les considérer comme des objets qui nous appartiennent et qui n’ont d’autre valeur que de nous être utiles d’une façon ou d’une autre. Comme ils ne peuvent nous appartenir en aucune façon, le commerce de ces animaux, par exemple, ne peut qu’être interdit, de même qu’est interdit aujourd’hui le commerce d’êtres humains sous toutes ses formes. On évite toute une série de difficultés et de perplexités philosophiques et toute hiérarchie discutable entre les espèces car établie d’un point de vue humain. Ce qui ne veut pas dire que tous les problèmes sont résolus en ce qui concerne les chenilles. Une des espèces de papillon dont les chenilles sont mentionnées dans cet article, la teigne de la farine, Ephestia küehniella, est élevée pour ses œufs que l’on fait parasiter par Trichogramma brassicae Bezdenko, 1968, un micro-Hyménoptère, dans le cadre d’un procédé de lutte biologique contre la pyrale du maïs [Ostrinia nubilalis Hübner, 1796)]. Cette utilisation de ce lépidoptère et de ses œufs est un élément essentiel d’une technique de substitution à l’épandage de pesticides comme à l’utilisation de maïs génétiquement modifiés tels que le maïs Bt. Faut-il considérer la production massive et l’élevage de teignes de la farine et donc de leurs chenilles pour obtenir des œufs que l’on fera parasiter par un Trichogramme est moralement condamnable ? Le lecteur tranchera. S’il m’a suivi jusqu’ici, il a tous les éléments pour le faire.
Enfin, il ne faut pas confondre la volonté de non intervention dans la vie sauvage avec de la passivité. Faire appliquer cette maxime suppose que l’on défende avec ardeur les lambeaux de territoires où la nature sauvage a été le moins dénaturée, que l’on milite pour rendre à cette nature des espaces suffisants où on la laissera faire, quoi qu’elle fasse. Ce qui signifie qu’il faudra moins d’humains occupant moins de place. C’est ainsi retrouver les principes de l’écologie profonde tels que définis par son fondateur Arnes Næss et notamment les points 4 et 5 de la «plateforme pour l’écologie profonde» : « 4. L’épanouissement de la vie humaine et des cultures est compatible avec une baisse substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non humaine exige une telle baisse» ; « 5. Les ingérences humaines dans le monde non-humain sont excessives et la situation empire rapidement.»(19)
L’esclave ne diffère en rien de son maître. Ils sont tous les deux de la même espèce et pourtant l’esclave n’est pas considéré comme une personne ni par son maître, ni par les hommes libres dans une société esclavagiste. Le neuropsychologue qui détruit des parties du cerveau d’un chat pour étudier le rêve ne considère pas cette pauvre bête comme une personne, du moins on peut l’espérer. Par contre le même individu s’interdirait sûrement de faire les mêmes manipulations sur le chat de la maison comme le remarque Yves Christen. Félix est alors considéré comme une personne, ce qui n’empêche pas évidement de mal se conduire à son égard. Mais cette conduite est alors répréhensible. Si le dernier né de la famille tire les moustaches de Félix au risque de se faire griffer, son père le grondera, lui qui détruit des parties du cerveau de son sujet de recherche. Les deux chats ne diffèrent pourtant en rien. Ils sont de la même espèce et peuvent même être de la même race. Ces exemples montrent bien que la question n’est pas de savoir si X ou Y est, de fait, une personne. Ce n’est pas une question de fait, mais une question sur ce qui doit être. Et nous savons depuis Hume que ce qui est ne permet en rien de décider ce qui doit être. On ne peut s’autoriser de la science pour décider si tel être vivant est ou non une personne, c’est-à-dire si l’on doit la considérer comme telle et se conduire envers elle en conséquence. Bien plus, la démarche scientifique est réductionniste par méthode. Elle se doit d’objectiver les sujets qu’elle étudie et si l’empathie est un outil heuristique, elle ne peut avoir valeur de preuve. Ses comptes-rendus ne doivent pas laisser place au sentiment et être rédigés dans un langage « objectif » et par là des plus artificiels, pauvres et abscons. Bref, loin de nous conduire à considérer les individus des autres espèces comme des personnes ou à tout le moins des êtres possédant une valeur intrinsèque, elle nous en détourne. Les Humains eux-mêmes, elle ne les considère plus comme des sujets lorsqu’elle s’avise d’en faire des objets d’études.
Justifier notre décision de considérer tel ou tel être vivant comme étant ou n’étant pas une personne, c’est justifier notre façon de se conduire à son égard et les jugements de type moraux que l’on peut porter sur cette conduite, qu’elle soit notre ou celle d’un autre. Ainsi comprise la question de considérer un tel et tel comme une personne suppose qu’il y ait interaction entre ce tel et tel et nous, les membres de l’espèce humaine. Il faut que nous fassions d’une façon ou d’une autre société avec ce tel et tel.
Vivre et laisser vivre
Chacun reconnaîtra facilement qu’un être sauvage ne peut être vraiment tel qu’en liberté. Un tel sauvage, c’est, par exemple, le loup de la fable de La Fontaine Le loup et le chien, libre, non domestiqué, ni apprivoisé. Entre un tel être et l’homme occidental actuel, les interrelations ne peuvent qu’être accidentelles. Le principe de non-intervention « vivre et laisser vivre » doit s’appliquer à ces êtres, ce qui est la seule façon de les respecter, ce qui signifie dans la majorité des cas éviter toute interaction avec eux, sauf observer sans déranger, voir sans être vu... La conclusion qui en découle est donc que, en règle générale, la question de les considérer comme des personnes ne se pose pas et ne doit pas se poser car elle signifierait que nous n’avons pas respecté leur sauvagerie. A la limite, considérer le loup de la fable citée plus haut comme une personne, ce serait lui manquer de respect, le considérer avec une familiarité qui, si elle a lieu d’être avec notre voisin, notre chat ou notre chien, ne doit pas avoir cours avec lui. Encore faut-il distinguer entre ces deux derniers, le chat a daigné être notre commensal et partager notre demeure, le chien lui a été domestiqué. En outre j’ai pris soin de préciser « l’homme occidental actuel » qui n’est plus un chasseur cueilleur et vit dans un monde que la science a désenchanté et que la technique a domestiqué et dénaturé.
La plupart des chenilles de la plupart des espèces sont sauvages. Il faut cependant mettre de côté les vers à soie et autres chenilles de papillons d’élevage comme Ephestia küehniella qui ont un statut difficile à définir. La plupart de nos contemporains ne sont guère tentés de se montrer familier avec une chenille quelle que soit son espèce. Nos relations avec elles sont si limitées qu’en général, la question de savoir si elles sont des personnes est tout à fait saugrenue et ne se pose même pas. Mais il peut y avoir des exceptions. Pour tous ces animaux quels que soient l’espèce, la famille, le genre, l’ordre, la classe auxquels ils appartiennent, les respecter, c’est les laisser vivre, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, ne pas avoir des relations avec eux, quelle qu’en soit la nature. D’ailleurs certaines chenilles, notamment celles qui sont recouvertes de soies ont, grâce à ces soies, les moyens de se faire respecter et de nous tenir à distance. Elles ne sont pas fréquentables : leur contact provoque des démangeaisons douloureuses, des dermites et lorsqu’elles sont en colonies, des gènes respiratoires voire de graves crises d’allergie respiratoires. Les hommes sont leurs prédateurs potentiels. Elles savent se défendre et si colorées soient-elles parfois, elles sont dangereuses sinon pour notre santé, du moins pour notre bien-être.
C’est pour cela que les choses se compliquent. Elles se compliquent aussi avec Caleophora limosipennella et nombre d’autres chenilles qui attaquent nos arbres, nos légumes, nos fruits, nos provisions ou nos habits menaçant ainsi notre propre survie. L’occidental urbain peut estimer qu’en parlant de menace pour notre survie, j’exagère. L’agriculture est sans cesse en crise de surproduction… ce qui n’empêche pas la faim dans le monde. Que cet occidental moyen songe donc à la famine que peut provoquer ailleurs une invasion de criquets, à défaut de se souvenir de la consternation que produisait dans les campagnes une attaque de doryphores ou de hannetons. Il n’y a pas si longtemps, les préfets lançaient des ordres de réquisition pour le « hannetonnage ». C’est contre les colonies de chenilles de Cul brun (Euptoctis chrysorrhoea L. 1758) qu’a été prise en 1796 la première loi sur l’échenillage obligatoire. Caleophora limosipennella se contente de manger des feuilles d’ormes et peut sans doute être tolérée si elle ne pullule pas. Mais parfois, il faudra envisager de détruire un certain nombre d’individus de cette espèce. Cette situation advenant dans un conflit entre la nature et nos cultures.
James Olivier Curwood est connu pour ses romans d’aventure. Ils ont enchanté l’enfance de beaucoup d’entre nous. Qui n’a lu Barry Chien Loup ou Le fils de la forêt ? James Olivier Curwood fut aussi un grand coureur de bois à une époque où les territoires du nord du Canada comportaient encore des forêts et des montagnes inexplorées. Il était aussi un chasseur repenti. Dans un ouvrage paru en 1921, God’s contry – The trail to hapiness, il a posé la maxime non interventionniste «vivre et laisser vivre » et il a esquissé une sorte de philosophie de la nature panthéiste qui conduit à une morale dans laquelle toute parcelle de vie est respectable et a un droit équivalent à vivre mais qui ne signifie pas que tout être a un droit imprescriptible à vivre. Pour survivre, il faut parfois tuer : ma vie valant autant que celle des ravageurs qui la menace, j’ai le droit de la défendre et c’est le cas aussi de toute autre forme de vie. Voici ce qu’il écrivait dans l’ouvrage cité : « Toutefois je tiens à vous assurer que je n’ai pas perdu la tête et que je n’applique pas avec une étroitesse d’esprit ridicule ma maxime : « vivre et laisser vivre » Si cette (…) tribu de fourmis avait envahi ma cabane et dévoré les aliments indispensables à ma subsistance, je l’aurais détruite ou chassée. La nature me donne le droit de me protéger et de protéger mon bien. C’est également le privilège de toute autre étincelle de vie. Si je me tenais debout sur leur fourmilière, ces mêmes insectes m’attaqueraient avec la rage du désespoir. Mais à présent elles ne me font aucun mal, et je ne les moleste pas.»(13) Ce qui est présenté ici de façon intuitive et concrète est développé plus ou moins bien par des philosophes qui se rattachent au courant de l’éthique environnementale.
Nous avons donc des interactions avec les chenilles de Caleophora limosipennella, de Euproctis chrysorrhoea ou autres « teignes ». À l’évidence, elles ne peuvent laisser place à des relations interpersonnelles quelconques puisque lorsqu’elles se produisent, c’est que nous voulons les détruire. Le reste du temps, nous les ignorons et elles passent inaperçues de tous, les entomologistes exceptés. Ce qu’il faut justifier dans ce cas, c’est notre droit de tuer des individus de ces espèces. Pour cela, il faut montrer que nous devons le faire parce que sont en jeu la préservation de notre intégrité physique et, de façon plus générale, notre survie. Cette justification ne remet en aucun cas le droit de vivre de chacune de ces petites chenilles, équivalent à tout autre et donc au nôtre. Conclusion certes contre-intuitive si nous restons dans une perspective anthropocentrique naturelle, mais qui cesse de l’être lorsque nous parvenons à nous en abstraire grâce à l’évidence de la manifestation du vouloir vivre de chaque individu de n’importe quelle espèce, évidence dont ne fera l’expérience que celui ou celle qui saura redevenir un sauvage, s’immerger dans la nature, une nature qui peut être tout à fait ordinaire, que l’on trouvera même en ville, si on sait la chercher auprès des « sauvages de [sa] rue » Les seules autres interactions que l’on peut envisager, ce sont celles que l’entomologiste peut avoir avec elles considérées comme objet d’étude et là encore, la relation est loin d’être celle que l’on suppose entre personnes.
J’ai donc le droit de tuer un ravageur lorsqu’il menace ma vie. Avouons que ce n’est pas, ou du moins que ce n’est plus, souvent le cas pour l’homme occidental. Mais la menace à l’égard de nos biens est plus fréquente et peut être interprétée de façon plus ou moins extensive. Il faut cependant que cette interprétation soit justifiée au cas par cas. La maxime « vivre et laisser vivre » n’équivaut pas à un simple « laisser vivre » interdisant de tuer même le moustique qui me pique. Elle ne nous dit cependant pas en quelles circonstances je suis fondé à exercer cet acte d’ôter une parcelle de vie que je sais avoir autant de valeur que la mienne. Cela est l’objet d’une « délibération morale » qui n’aurait pas lieu d’être si la réponse était donnée d’avance. Elle doit avoir lieu entre moi et ma conscience, mais elle peut – dans certains cas, elle doit – être objet d’un débat collectif. C’est par exemple le cas lorsque l’on a à décider du sort d’individus d’une espèce prétendue invasive ou bien encore lorsque l’on est en face de prédations d’animaux sauvages sur des animaux domestiques comme les loups sur les moutons, sur des cultures comme les sangliers sur les champs de pommes de terre ou comme beaucoup d’insectes sur des cultures diverses et parmi ces derniers les chenilles comme Caleophora limosipennella, Euptoctis chrysorrhoea et autres « teignes ».
Cette maxime n’entrera pas seule en ligne de compte dans la décision ou dans la justification de tuer mais étant donnée la façon dont elle oblige à envisager cet acte, elle le marque comme exceptionnel et de dernier recours. Non seulement la parcelle de vie supprimée équivaut en valeur à celle sauvegardée, mais l’injonction du « laisser vivre » présuppose a fortiori qu’il faut laisser en vie chaque fois que cela est possible et elle impose que cette possibilité ne doit pas être envisagée à la légère.
Conclusions
Résumons : telle ou telle chenille ne sera pas, le plus souvent, considérée comme une personne dans la vie de tous les jours, mais cela n’est pas nécessaire pour que j’ai l’obligation de la respecter, c’est-à-dire de la laisser vivre à sa guise sauf s’il advenait qu’elle me nuise gravement. Ce qui vaut pour la chenille vaut pour tout animal sauvage. De plus, en ce qui concerne les mammifères ou les oiseaux sauvages, non seulement il n’est pas nécessaire de pouvoir ou devoir les considérer comme des personnes pour les respecter mais il est impératif que l’occidental contemporain ne les considère pas comme tels. Les respecter, pour un occidental moyen, c’est n’avoir pas d’interaction avec eux ou en avoir le minimum.
Cette conclusion vaut pour les membres des espèces sauvages non anthropophiles, à l’exclusion de toute autre. Elle ne vaut pas non plus pour les animaux domestiqués, apprivoisés ou captifs.
Elle a son champ d’application dans l’habituel, le ὡς ἐπὶ τὸ πολύ d’Aristote, dans les situations ordinaires. Il est évident que dans les situations extraordinaires, les catastrophes telles que les marées noires par exemple, il faut soigner ou tenter de soigner les Cormorans, Sternes, Macareux, Fous de Bassan, Goélands, … De même, on se sent obligé de venir en aide à un animal blessé, un oiseau tombé du nid, un cerf pourchassé par une meute de chiens lors d’une chasse à courre… Dans ce dernier cas s’instaure une relation interpersonnelle et il s’agit de venir au secours d’une personne en danger. Le conflit avec le veneur éclate parce que lui ne considère le cerf aux abois qui s’est réfugié dans votre jardin que comme un gibier à tuer. Vous, vous le considérez comme une personne, pas comme une personne humaine bien entendu, comme une personne tout de même. Et c’est en cela que vous vous manifestez comme humain. On l’oublie trop souvent mais «inhumain» ne veut pas dire «non humain», mais signifie «cruel». Comme l’affirmait David Hume : « Il n’est pas d’humains, ni certes de créatures sensibles dont le bonheur ou le malheur nous touche en quelque mesure, quand ils sont proches de nous et qu’on les représente sous de vives couleurs : mais cela procède uniquement de la sympathie et ce n’est pas la preuve de la réalité d’une telle affection universelle pour l’humanité, puisque ce souci s’étend plus loin que notre propre espèce »(14) Ce souci, cette bienveillance dans le cas qui nous occupe renforce tout à la fois la maxime « laisser vivre » appliquée à un cerf dans les situations ordinaires et elle est un puissant motif pour lui venir en aide lors qu’il est en danger.
Mais tous les cas ne sont pas aussi nets et simples. Dans certaines situations, à elle seule la maxime «laisser vivre» sous-détermine notre conduite envers les animaux sauvages. Elle peut être déclinée en plusieurs versions pas toujours conciliables. Cela provient du fait qu’il n’y a pas dans la réalité de distinctions aussi tranchées que l’opposition sauvage/familier (domestique) pourrait le laisser entendre, que les milieux artificialisés et naturels s’interpénètrent et qu’il nous arrive de fréquenter des animaux sauvages, du moins de les observer vivre.
Parti herboriser tôt un matin d’été pour profiter de la fraicheur et des belles lumières, j’examinai un pierrier d’éboulis calcaire fin en voie de stabilisation colonisé par des touffes d’Allium narcissifolium Vill., 1779 [Ail à feuilles de narcisse] que survolaient des papillons du genre Erebia [Moiré], peut-être Erebia euryale Esper, 1805 [Moiré frange-pie] un papillon assez commun en montagne. L’un d’entre eux se prit malencontreusement dans la toile d’une araignée. Le malheureux se débattait désespérément et plus il se débattait, plus il se prenait dans les fils du piège. Je me suis empressé de libérer avant qu’il n’abime ses ailes. Le pauvre papillon resta quelques instants étourdi sur ma main secourable avant de reprendre son vol. Mais du coup, j’avais privé l’araignée de sa proie et, plus grave peut-être pour elle, endommagé sa toile sur laquelle elle s’affairait, pressée de la réparer. Je n’ai pourtant rien à reprocher aux araignées, ni d’aversion particulière pour ces bêtes contrairement à beaucoup de mes contemporains. Avais-je le droit de spolier l’araignée ? Peut-être pas. Devais-je venir en aide au papillon ? Sûrement, car si je ne l’avais pas fait, je l’aurai sans doute regretté… Sympathie spontanée contre une non-intervention réfléchie ? Mais pourquoi cette sympathie envers la proie plutôt qu’envers le prédateur ? Sensiblerie d’un occidental végétarien à ses heures, peu habitué à tuer pour manger, d’autres le faisant pour lui ? Les enfants sont souvent choqués lorsqu’ils sont les témoins d’une scène de prédation. Mais pas toujours. Ils ont parfois des réactions étonnantes. Ainsi cette petite fille qui plaignait ce pauvre lion qui venait de manquer une gazelle et n’aurait rien à manger. Pour revenir au papillon et à l’araignée de mon histoire, il faut souligner qu’il n’est rien arrivé de très grave ni d’irréversible à l’araignée. Elle aura réparé sa toile dans laquelle d’autres proies viendront se faire prendre, proies qui n’auront pas la chance de se faire piéger sous les yeux d’un promeneur sensible à leur détresse. Le papillon par contre allait perdre la vie, situation irréversible s’il en existe. Il n’est certain ni que les papillons aillent au paradis, ni qu’ils ressusciteront des morts à la fin des temps. Je ne peux croire que ce malheureux Moiré ne souffrait pas. Certes, il est impossible de s’imaginer ce qu’il ressentait mais cela devait être atroce. Ce sauvetage du lépidoptère tirait l’injonction du « laisser vivre » vers un « ne pas laisser mourir ». Valable sans restriction en ce qui concerne les animaux familiers avec lesquels nous faisons société d’une façon ou d’une autre, ce principe, ainsi décliné, ne peut valoir qu’exceptionnellement en ce qui concerne les espèces sauvages. En général, nous ne sommes pas présents lors des scènes de prédation et si nous le sommes, nous ne sommes pas pour autant en situation d’intervenir ou nous ne le souhaitons pas.
Soit un très jeune bouquetin, sa mère qui le défend vaillamment contre deux aigles affamés et un observateur à proximité. Pour ce dernier « il est des moments où l’on pense intervenir : ce chevreau est si mignon. Mais l’aigle lui aussi a son importance dans l’écosystème. Il faut se dire que la nature est bien faite et qu’une intervention, fût-elle minime, est malvenue. En intervenant, peut-être sauverais-je un chevreau, mais j’effraierais aussi des aigles et induirais automatiquement un changement dans leur comportement futur. Bien caché sur mon épaule rocheuse, je me contente donc du rôle de spectateur »(15) Une valorisation de la communauté biotique «la nature est bien faite» implique une non-intervention. La maxime « laisser vivre » se décline alors comme «ne pas interférer», « ne pas s’en mêler » : « Il importe de laisser chaque être vaquer à ses activités en respectant le mode de vie qui est le sien – même si ce dernier nuit à l’existence d’autres êtres, doués ou non de sensibilité »(16) quand il s’agit d’animaux sauvages avec lesquels nous n’avons pas d’interactions et que nous ne fréquentons qu’à distance, leur distance de fuite, où d’attaque.
Des décisions inverses auraient pu être prises dans chacun de ces cas. Les délibérations morales ne peuvent suivre des principes moraux avec autant de rigueur que les théorèmes des axiomes dans un système formel. Et c’est heureux ainsi car cela montre que la raison pratique n’est pas formalisable, qu’elle recèle une part d’intuition irréductible qui l’individualise.
Pour terminer, je vais répondre à deux objections. La première est celle qui estime qu’en refusant de considérer les animaux sauvages comme des personnes, on nuit à la cause animale. La seconde est le reproche de passivité.
Une des raisons de considérer tel ou tel animal comme une personne, c’est pouvoir exiger de ne plus le considérer comme propriété des êtres humains. Et tant qu’il n’en est pas ainsi, « l’animal en question sera toujours considéré comme « animal d’élevage », ou bien «animal de chasse », un «animal de rodéo», un « animal domestique » ou toute autre modalité d’appropriation des animaux réduisant ces derniers à n’avoir d’autre existence que celle que notre usage leur reconnaît, et à n’avoir d’autre valeur que celle que nous voulons bien leur conférer »(17) L’auteur, Gary L. Francione ajoute : « Tenir les animaux pour la propriété des êtres humains revient à leur dénier toute valeur inhérente ou intrinsèque, et autorise de façon générale à ignorer les intérêts (de quelque ordre que ce soit) qui peuvent bien être les leurs, pour notre plus grand profit. »(18) Même si le statut juridique des animaux sauvages est différent selon les états, on peut tout à fait souscrire à cette analyse comme à beaucoup de celles de cet auteur et soutenir son engagement en faveur des animaux. Pour autant, cela ne nous oblige pas à considérer les animaux sauvages comme des personnes. Leur témoigner le respect qu’implique la maxime « vivre et laisser vivre » est suffisant pour refuser que l’on puisse les considérer comme des objets qui nous appartiennent et qui n’ont d’autre valeur que de nous être utiles d’une façon ou d’une autre. Comme ils ne peuvent nous appartenir en aucune façon, le commerce de ces animaux, par exemple, ne peut qu’être interdit, de même qu’est interdit aujourd’hui le commerce d’êtres humains sous toutes ses formes. On évite toute une série de difficultés et de perplexités philosophiques et toute hiérarchie discutable entre les espèces car établie d’un point de vue humain. Ce qui ne veut pas dire que tous les problèmes sont résolus en ce qui concerne les chenilles. Une des espèces de papillon dont les chenilles sont mentionnées dans cet article, la teigne de la farine, Ephestia küehniella, est élevée pour ses œufs que l’on fait parasiter par Trichogramma brassicae Bezdenko, 1968, un micro-Hyménoptère, dans le cadre d’un procédé de lutte biologique contre la pyrale du maïs [Ostrinia nubilalis Hübner, 1796)]. Cette utilisation de ce lépidoptère et de ses œufs est un élément essentiel d’une technique de substitution à l’épandage de pesticides comme à l’utilisation de maïs génétiquement modifiés tels que le maïs Bt. Faut-il considérer la production massive et l’élevage de teignes de la farine et donc de leurs chenilles pour obtenir des œufs que l’on fera parasiter par un Trichogramme est moralement condamnable ? Le lecteur tranchera. S’il m’a suivi jusqu’ici, il a tous les éléments pour le faire.
Enfin, il ne faut pas confondre la volonté de non intervention dans la vie sauvage avec de la passivité. Faire appliquer cette maxime suppose que l’on défende avec ardeur les lambeaux de territoires où la nature sauvage a été le moins dénaturée, que l’on milite pour rendre à cette nature des espaces suffisants où on la laissera faire, quoi qu’elle fasse. Ce qui signifie qu’il faudra moins d’humains occupant moins de place. C’est ainsi retrouver les principes de l’écologie profonde tels que définis par son fondateur Arnes Næss et notamment les points 4 et 5 de la «plateforme pour l’écologie profonde» : « 4. L’épanouissement de la vie humaine et des cultures est compatible avec une baisse substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non humaine exige une telle baisse» ; « 5. Les ingérences humaines dans le monde non-humain sont excessives et la situation empire rapidement.»(19)
Chenilles d'Inachis Io sur Grande ortie - Paon du jour
Notes
(1) 262d, trad. A. Diès, les Belles Lettres.
(2) 263c – e
(3) Les données de cet article sont en partie tirées de la somme que constitue l’ouvrage de Paul Portier, La biologie des lépidoptères. Cette synthèse, sans équivalent, date de 1949. Elle mériterait d’être actualisée. Néanmoins les observations et les résultats expérimentaux utilisés ici restent valables. Les progrès ultérieurs réalisés en entomologie ne les remettent pas en question.
(4) Portier, 1949, p. 96
(5) Portier, ibid.
(6) Potier 1949, p. 97
(7) Potier, ibid., p. 57
(8) Konrad Lorenz, Evolution et modification du comportement ; l’inné et l’acquis, trad. française, L. Jospin, Payot, Paris 1974, p.27 – 28.
(9) Cette question reste controversée. Au le chapitre 5 de son livre Taking Animals Seriously : Mental Life and Moral Status, Cambridge University Press, 1996, David DeGrazia essaie d’établir que les insectes ne n’ont pas de sensations. Mais ses données sont maigres et peu concluantes. On trouvera une mise au point comprenant de nombreuses données et une importante bibliographie dans l’article de l’entomologiste Jeffrey A. Lockwood « Not to Harm a Fly: Our Ethical Obligations to Insects » Between the Species (volume IV, n°3, été 1988, p. 204 – 211) comprenant notamment l’important ouvrage de M.S. Dawkins, Animal Suffering : The Science of Animal Welfare. Chapman and Hall, New York, 1980. Cet article apporte des éléments à notre moulin pour ce qui concerne la sensibilité des insectes et leurs capacités cognitives : « De très nombreuses données empiriques confortent l'idée que les insectes ressentent la douleur et sont conscients de leurs sensations. Dans la mesure où leur douleur leur importe, il est dans leur intérêt de ne pas y être soumis, et leurs conditions de vie sont aggravées par la douleur. De plus, en tant qu'êtres conscients, les insectes ont des projets concernant leur propre avenir (même s'il s'agit d'un avenir immédiat) et leur mort met fin à ces projets. » On trouvera une traduction française de cet article, due à Laurent Dervaux, dans Les Cahiers Antispécistes, n°23 (décembre 2003) sous le titre « « Ne pas faire de mal à une mouche » Nos obligations morales à l’égard des insectes. »
(10) Portier 1949, p.99
(11) Rémi Chauvin, Progrès récents de la physiologie de l’insecte, publications de la Société de Zoologie Agricole, Laboratoire de Zoologie de la Faculté des Sciences de Bordeaux, Talence, 1955, p.66
(12) D. R. Griffin, Animal Minds : Beyond Cognition to Consciousness, Chicago, University of Chicago Press, 2001, p. 274, cité par G. L. Francione, « Taking Sentience Seriously », Journal for Animal Law and Ethics, n°1, 2006, pp. 1 – 20, repris dans G. L. Francione, Animals as Persons : Essays on the Abolition of Animal Exploitation, New York, Colombia UP, 2008, trad. fr. Hicham-Stéphane Afeissa, o. c., p. 210.
(13) Trad. Fr. Louis Positif, p.1021, Laffont, Paris, 1992
(14) David Hume, A Treatrise of Human Nature, trad. française, André Leroy, Aubier – Montaigne, p. 598
(15) François Cardonne, Approcher l’animal en milieu naturel, Acte Sud, Pari, 2004, p. 97
Le combat a duré deux heures. Il a eu une fin heureuse pour la mère et son petit ; malheureuse pour les deux aigles qui se sont lassés devant la résistance de l’étagne et ont quitté la place le ventre vide alors qu’ils devaient être affamés. Leur survie était aussi en jeu. L’auteur a donc eu raison de ne pas intervenir. Entre les aigles et le chevreau, il ne fallait pas choisir. Le droit à la vie des aigles équivalait à celui du chevreau. Mais certaines personnes peuvent être choquées par une telle passivité devant un acte de prédation. Les herbivores sont si beaux, si mignons… Il est pourtant difficile en toute cohérence de condamner l’aigle ou de parler de cruauté dans la nature. C’est souvent le même individu qui a essuyé une larme de bon matin en voyant un petit chamois enlevé par un aigle, qui s’attable le midi devant une paire de côtelettes d’agneau après avoir dégusté en entrée une tranche de foie gras, la course en montagne lui ayant ouvert l’appétit.
(16) John Braid Callicott, o. c., p. 326
(17) G. L. Francione, « Taking Sentience Seriously », Journal for Animal Law and Ethics, n°1, 2006, pp. 1 – 20, repris dans G. L. Francione, Animals as Persons : Essays on the Abolition of Animal Exploitation, New York, Colombia UP, 2008, trad. fr. Hicham-Stéphane Afeissa, o. c., p. 197.
(18) Ibid., p. 197
(19) « 4. The flourishing of human life and cultures is compatible with a substantial decrease of human population. The flourishing of nonhuman life requires such a decrease.
5. Present human interference with the nonhuman world is excessive, and the situation is rapidly worsening »
Arne Næss, Ecology, community and lifestyle, Cambridge University Press, 1989, trad. fr. (modifiée par moi, JFD) C. Ruelle, Écologie, communauté et style de vie, Paris, « Dehors », Édition MF, p. 61
Photos
De haut en bas,
Anthere Wikicommons ;
A. M. Liosi, Wikicommons ;
CABI ;
© Jean-Yves Baugnée/Lepidoptera of belgium, où l'on trouvera d'autres photographies de Coleophora limosipennella
Sarefo Wikicommons ;
Frédérique Ehrhardt - Cernay (68) - 22/07/2007 /Papillons du Poitou-Charente où l'ontrouvera beaucoup de photographies de ces chenilles comme des stades antérieurs et postérieurs des métamorphoses de Inachis io ;
Korall,Un Paon-du-jour (Inachis io) à Lill-Jansskogen, Stockholm, Suède. Wikicommons.
(1) 262d, trad. A. Diès, les Belles Lettres.
(2) 263c – e
(3) Les données de cet article sont en partie tirées de la somme que constitue l’ouvrage de Paul Portier, La biologie des lépidoptères. Cette synthèse, sans équivalent, date de 1949. Elle mériterait d’être actualisée. Néanmoins les observations et les résultats expérimentaux utilisés ici restent valables. Les progrès ultérieurs réalisés en entomologie ne les remettent pas en question.
(4) Portier, 1949, p. 96
(5) Portier, ibid.
(6) Potier 1949, p. 97
(7) Potier, ibid., p. 57
(8) Konrad Lorenz, Evolution et modification du comportement ; l’inné et l’acquis, trad. française, L. Jospin, Payot, Paris 1974, p.27 – 28.
(9) Cette question reste controversée. Au le chapitre 5 de son livre Taking Animals Seriously : Mental Life and Moral Status, Cambridge University Press, 1996, David DeGrazia essaie d’établir que les insectes ne n’ont pas de sensations. Mais ses données sont maigres et peu concluantes. On trouvera une mise au point comprenant de nombreuses données et une importante bibliographie dans l’article de l’entomologiste Jeffrey A. Lockwood « Not to Harm a Fly: Our Ethical Obligations to Insects » Between the Species (volume IV, n°3, été 1988, p. 204 – 211) comprenant notamment l’important ouvrage de M.S. Dawkins, Animal Suffering : The Science of Animal Welfare. Chapman and Hall, New York, 1980. Cet article apporte des éléments à notre moulin pour ce qui concerne la sensibilité des insectes et leurs capacités cognitives : « De très nombreuses données empiriques confortent l'idée que les insectes ressentent la douleur et sont conscients de leurs sensations. Dans la mesure où leur douleur leur importe, il est dans leur intérêt de ne pas y être soumis, et leurs conditions de vie sont aggravées par la douleur. De plus, en tant qu'êtres conscients, les insectes ont des projets concernant leur propre avenir (même s'il s'agit d'un avenir immédiat) et leur mort met fin à ces projets. » On trouvera une traduction française de cet article, due à Laurent Dervaux, dans Les Cahiers Antispécistes, n°23 (décembre 2003) sous le titre « « Ne pas faire de mal à une mouche » Nos obligations morales à l’égard des insectes. »
(10) Portier 1949, p.99
(11) Rémi Chauvin, Progrès récents de la physiologie de l’insecte, publications de la Société de Zoologie Agricole, Laboratoire de Zoologie de la Faculté des Sciences de Bordeaux, Talence, 1955, p.66
(12) D. R. Griffin, Animal Minds : Beyond Cognition to Consciousness, Chicago, University of Chicago Press, 2001, p. 274, cité par G. L. Francione, « Taking Sentience Seriously », Journal for Animal Law and Ethics, n°1, 2006, pp. 1 – 20, repris dans G. L. Francione, Animals as Persons : Essays on the Abolition of Animal Exploitation, New York, Colombia UP, 2008, trad. fr. Hicham-Stéphane Afeissa, o. c., p. 210.
(13) Trad. Fr. Louis Positif, p.1021, Laffont, Paris, 1992
(14) David Hume, A Treatrise of Human Nature, trad. française, André Leroy, Aubier – Montaigne, p. 598
(15) François Cardonne, Approcher l’animal en milieu naturel, Acte Sud, Pari, 2004, p. 97
Le combat a duré deux heures. Il a eu une fin heureuse pour la mère et son petit ; malheureuse pour les deux aigles qui se sont lassés devant la résistance de l’étagne et ont quitté la place le ventre vide alors qu’ils devaient être affamés. Leur survie était aussi en jeu. L’auteur a donc eu raison de ne pas intervenir. Entre les aigles et le chevreau, il ne fallait pas choisir. Le droit à la vie des aigles équivalait à celui du chevreau. Mais certaines personnes peuvent être choquées par une telle passivité devant un acte de prédation. Les herbivores sont si beaux, si mignons… Il est pourtant difficile en toute cohérence de condamner l’aigle ou de parler de cruauté dans la nature. C’est souvent le même individu qui a essuyé une larme de bon matin en voyant un petit chamois enlevé par un aigle, qui s’attable le midi devant une paire de côtelettes d’agneau après avoir dégusté en entrée une tranche de foie gras, la course en montagne lui ayant ouvert l’appétit.
(16) John Braid Callicott, o. c., p. 326
(17) G. L. Francione, « Taking Sentience Seriously », Journal for Animal Law and Ethics, n°1, 2006, pp. 1 – 20, repris dans G. L. Francione, Animals as Persons : Essays on the Abolition of Animal Exploitation, New York, Colombia UP, 2008, trad. fr. Hicham-Stéphane Afeissa, o. c., p. 197.
(18) Ibid., p. 197
(19) « 4. The flourishing of human life and cultures is compatible with a substantial decrease of human population. The flourishing of nonhuman life requires such a decrease.
5. Present human interference with the nonhuman world is excessive, and the situation is rapidly worsening »
Arne Næss, Ecology, community and lifestyle, Cambridge University Press, 1989, trad. fr. (modifiée par moi, JFD) C. Ruelle, Écologie, communauté et style de vie, Paris, « Dehors », Édition MF, p. 61
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Vendredi 23 Décembre 2011
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