La plante à l'honneur
Maître Aliboron était un âne au sens figuré avant d’en devenir un au sens propre mais qu’était ou qui était aliboron à l’origine ? Une plante : l’hellébore. Mais de quel hellébore s’agit-il ? C’est à ces questions qui n’ont pas de réponse simple qu’est consacrée la dernière partie de cette étude sur les hellébores.
1 – La Fontaine et les ellébores
(a) Maître Aliboron ou l’ellébore est fait homme avant de devenir un âne.
C’est dans une fable pas très connue « Les voleurs et l’âne » que La Fontaine baptise ce sympathique quadrupède « Maître Aliboron » : « Arrive un troisième Larron / Qui saisit Maître Aliboron ». Il s’agit d’une sorte de plaisanterie puisque cette expression était censée désigner un humain, en mauvaise part à l’époque où écrivait le fabuliste mais ce ne fut pas toujours le cas.
Dans la première édition du dictionnaire de l’Académie française publié en 1694, un an avant la mort du poète, « Maîstre aliboron » est défini ainsi : « un homme qui veut se mesler de tout, qui fait le connoisseur de tout » écho du titre d’un monologue en vers Les Ditz de maistre Aliborum qui de tout se mesle et sçait faire tous mestiers, et de tout rien « composé peu de temps après la bataille de Fornove (1495) et popularisé par l’imprimerie dans les premières années du XVIe siècle. » (Antoine Thomas, 1919, p. 328 : c’est l’article de cet auteur qui est l’une des sources principales de cette partie).
Thomas montre qu’avant de désigner un sot ignorant l’expression désignait au contraire un savant, un « chirurgien » au service des princes et des rois. Selon Thomas, ce serait Anatole de Montaiglon qui avait réédité Les Ditz qui eut le premier l’idée de rattacher ‘aliboron’ à ‘ellébore’ à partir du latin elleborum corrompu en ‘aliboron’ dans un passage du Roman de Renart. Donc avant d’avoir signifié un âne grâce à La Fontaine, l’expression aurait désigné un homme, d’abord en bonne puis en mauvaise part mais à l’origine aliboron était le nom d’une plante : l’ellébore.
Il reste cependant à comprendre le pourquoi de ces métamorphoses et en particulier le passage de la plante à l’homme. Comment le terme désignant une plante en est venu à désigner un homme ?
(a) Maître Aliboron ou l’ellébore est fait homme avant de devenir un âne.
C’est dans une fable pas très connue « Les voleurs et l’âne » que La Fontaine baptise ce sympathique quadrupède « Maître Aliboron » : « Arrive un troisième Larron / Qui saisit Maître Aliboron ». Il s’agit d’une sorte de plaisanterie puisque cette expression était censée désigner un humain, en mauvaise part à l’époque où écrivait le fabuliste mais ce ne fut pas toujours le cas.
Dans la première édition du dictionnaire de l’Académie française publié en 1694, un an avant la mort du poète, « Maîstre aliboron » est défini ainsi : « un homme qui veut se mesler de tout, qui fait le connoisseur de tout » écho du titre d’un monologue en vers Les Ditz de maistre Aliborum qui de tout se mesle et sçait faire tous mestiers, et de tout rien « composé peu de temps après la bataille de Fornove (1495) et popularisé par l’imprimerie dans les premières années du XVIe siècle. » (Antoine Thomas, 1919, p. 328 : c’est l’article de cet auteur qui est l’une des sources principales de cette partie).
Thomas montre qu’avant de désigner un sot ignorant l’expression désignait au contraire un savant, un « chirurgien » au service des princes et des rois. Selon Thomas, ce serait Anatole de Montaiglon qui avait réédité Les Ditz qui eut le premier l’idée de rattacher ‘aliboron’ à ‘ellébore’ à partir du latin elleborum corrompu en ‘aliboron’ dans un passage du Roman de Renart. Donc avant d’avoir signifié un âne grâce à La Fontaine, l’expression aurait désigné un homme, d’abord en bonne puis en mauvaise part mais à l’origine aliboron était le nom d’une plante : l’ellébore.
Il reste cependant à comprendre le pourquoi de ces métamorphoses et en particulier le passage de la plante à l’homme. Comment le terme désignant une plante en est venu à désigner un homme ?
Pour A. Thomas, cela est dû à une erreur d’interprétation commise Jean Scot Érigène, un érudit, philosophe et théologien du IXe siècle, dans son commentaire de ce qui fut l’une des encyclopédies les plus utilisées pendant tout le Moyen-Âge Les Noces de Mercure et de la Philologie de l’écrivain latin Martianus Capella. Dans un passage où il traite de la dialectique, Capella écrit « Carneadesque parem vim gerat elleboro.» Comme le note A. Thomas, pour comprendre ce vers, il faut connaître une particularité du régime auquel se soumettait Carnéade, philosophe sceptique, le dixième successeur de Platon à l’Académie. Lorsqu’il devait affronter le stoïcien Chrysippe dans une joute oratoire, il se purgeait à l’ellébore. Aussi selon A. Thomas, doit-on traduire ce vers ainsi « « Et Carnéade, aussi fort que Chrysippe grâce à l’ellébore. » (p. 334) alors que Scot Érigène comprit ce vers comme affirmant que « Elléboron » était un philosophe grec de la même secte (parem vim) que Carnéade.
Pour A. Thomas « Cette erreur monstrueuse ne tarda pas à porter ses fruits. Dès la génération suivante, un autre commentateur de Martianus Capella, Rémi d’Ausserre, fondateur de la première école d’enseignement supérieur qui ait fleuri à Paris, emboîta résolument le pas, et, avec une imperturbable confiance, il écrivit : « En dialectique, les philosophes qui obtinrent le premier rang sont Aristote, Chrysippe, Carnéade et Elléboron » » (p. 334). Ainsi s’expliquerait la métamorphose de la plante en homme. Et c’est là que serait l’origine de l’expression « Maître Aliboron ». Ainsi pour A. Thomas, « il y a de l’ellébore dans le nom de maître Aliboron ; je dirai plus : qu’il n’y a que de l’ellébore, que maître Aliboron est proprement l’ellébore fait homme. » (p.333).
Cette étymologie proposée par A. Thomas n’explique pas comment l’expression en est venu à désigner non plus un savant, égal d’Aristote, Chrysippe et Carnéade mais un « sot » « qui de tout se mesle et sçait faire tous métiers, et de tout rien ». Un auteur postérieur Gunnar Tilander s’appuie sur cette insuffisance pour revenir à l’explication qu’avait proposée Eugène Rolland dans sa Flore populaire (que cite d’ailleurs A. Thomas) « « À une certaine époque l’helleborum, corrompu en aliboron, était la panacée par excellence, préconisée par les charlatans. Par suite, on a pu appeler maître Aliboron un charlatan, un mauvais médecin, un ignorant, un âne, au figuré d’abord et finalement au propre » (t. I (1896), p. 77, note 4). Contrairement à Thomas qui rejette l’emploi figuré de l’expression pour l’homme comme contraire « aux lois de l’esprit humain », Tilander (1946) s’efforce de montrer que cette métaphore est chose courante en prenant des exemples analogues dans différentes langues pour une autre panacée « l’onguent blanc » qui comme la panacée vendue sous le nom d’aliboron serait bonne à tout mais ne soignerait rien. En suédois, cet onguent « qui ne fait ni bien ni mal » désigne au sens figuré « une « personne faible, trop conciliante, niaise » « ignorante » (p. 180). En allemand l’onguent blanc serait devenu proverbial à cause de son inefficacité. En espagnol, une expression populaire à propos d’une personne dont on veut se moquer serait : « Él es como el ungüento blanco que se usa para todo y no sirve para nada.» qui est comme le décalque de la définition de Maître Aliboron. Il serait donc inutile d’avoir recours au contresens de Jean Scot Érigène pour rendre compte du passage de la plante à l’homme. Selon Tilander « Le parallélisme des langues française, espagnole, allemande et suédoise suffit à lui seul à démontrer l'évolution de sens de maître Aliboron, car il montre de quelle façon une panacée comme l'ellébore peut « être fait homme » pour citer les propres paroles de Thomas » (p. 183).
Pour A. Thomas « Cette erreur monstrueuse ne tarda pas à porter ses fruits. Dès la génération suivante, un autre commentateur de Martianus Capella, Rémi d’Ausserre, fondateur de la première école d’enseignement supérieur qui ait fleuri à Paris, emboîta résolument le pas, et, avec une imperturbable confiance, il écrivit : « En dialectique, les philosophes qui obtinrent le premier rang sont Aristote, Chrysippe, Carnéade et Elléboron » » (p. 334). Ainsi s’expliquerait la métamorphose de la plante en homme. Et c’est là que serait l’origine de l’expression « Maître Aliboron ». Ainsi pour A. Thomas, « il y a de l’ellébore dans le nom de maître Aliboron ; je dirai plus : qu’il n’y a que de l’ellébore, que maître Aliboron est proprement l’ellébore fait homme. » (p.333).
Cette étymologie proposée par A. Thomas n’explique pas comment l’expression en est venu à désigner non plus un savant, égal d’Aristote, Chrysippe et Carnéade mais un « sot » « qui de tout se mesle et sçait faire tous métiers, et de tout rien ». Un auteur postérieur Gunnar Tilander s’appuie sur cette insuffisance pour revenir à l’explication qu’avait proposée Eugène Rolland dans sa Flore populaire (que cite d’ailleurs A. Thomas) « « À une certaine époque l’helleborum, corrompu en aliboron, était la panacée par excellence, préconisée par les charlatans. Par suite, on a pu appeler maître Aliboron un charlatan, un mauvais médecin, un ignorant, un âne, au figuré d’abord et finalement au propre » (t. I (1896), p. 77, note 4). Contrairement à Thomas qui rejette l’emploi figuré de l’expression pour l’homme comme contraire « aux lois de l’esprit humain », Tilander (1946) s’efforce de montrer que cette métaphore est chose courante en prenant des exemples analogues dans différentes langues pour une autre panacée « l’onguent blanc » qui comme la panacée vendue sous le nom d’aliboron serait bonne à tout mais ne soignerait rien. En suédois, cet onguent « qui ne fait ni bien ni mal » désigne au sens figuré « une « personne faible, trop conciliante, niaise » « ignorante » (p. 180). En allemand l’onguent blanc serait devenu proverbial à cause de son inefficacité. En espagnol, une expression populaire à propos d’une personne dont on veut se moquer serait : « Él es como el ungüento blanco que se usa para todo y no sirve para nada.» qui est comme le décalque de la définition de Maître Aliboron. Il serait donc inutile d’avoir recours au contresens de Jean Scot Érigène pour rendre compte du passage de la plante à l’homme. Selon Tilander « Le parallélisme des langues française, espagnole, allemande et suédoise suffit à lui seul à démontrer l'évolution de sens de maître Aliboron, car il montre de quelle façon une panacée comme l'ellébore peut « être fait homme » pour citer les propres paroles de Thomas » (p. 183).
Pour que le parallèle entre l’ellébore et l’onguent blanc tienne, il faut supposer que les préparations à base d’ellébore ne feraient « ni bien, ni mal » et seraient totalement inefficaces. Or, ce n’est pas le cas, ou du moins pas toujours, ni même le plus souvent : les effets plus ou moins drastiques dépendent du degré de dessiccation de la plante comme l’ont souligné par la suite bien des auteurs de traités de « matière médicale » qui ont aussi regretté que sous le nom d’ellébore soient confondues et vendues des racines d’autres renonculacées voire d’apiacées comme Astrantia major. (cf. citations et références dans la partie consacrée à la rose de Noël). En outre mal administrée, l’ellébore de n’importe quelle espèce peut entraîner des accidents graves, voire mortels.
D’ailleurs dans les passages du Roman de Renart où il est question d’ellébore, celle-ci n’est pas du tout considérée comme sans effet, au contraire puisque administrée par Renart au Roi Lion, elle le guérit en le purgeant. Tilander cite d’ailleurs le texte où sont décrits les effets purgatifs et sternutatoires de l’ellébore sur le Roi Lion. Le roi parvient à éternuer, péter, suer puis se trouve guéri et reconnaissant à Renart, qu’il nomme conseiller et à qui il fournit une escorte pour sa sauvegarde lors de son retour chez lui. Il faut donc supposer que Renart avait su trouver (ou voler) la bonne plante, celle qui produit les effets désirés.
Enfin les expressions populaires concernant l’ellébore, ne sous-entendent pas que la plante est inefficace.
Quant au présupposé que l’ellébore était une « panacée » que seuls auraient proposée ou utilisée les charlatans, elle est fausse également. La première école de médecine du Moyen Age se développe à Salerne, en Italie. Elle a eu une énorme influence sur la pensée et la pratique médicale du IXe au XIVe siècle. L’enseignement se fondait sur l’étude de textes anciens latins, grecs et arabes qui font grand cas de médications à base d’ellébore (voir à ce sujet les textes cités dans la partie de cette étude consacrée à la rose de Noël).
D’ailleurs dans les passages du Roman de Renart où il est question d’ellébore, celle-ci n’est pas du tout considérée comme sans effet, au contraire puisque administrée par Renart au Roi Lion, elle le guérit en le purgeant. Tilander cite d’ailleurs le texte où sont décrits les effets purgatifs et sternutatoires de l’ellébore sur le Roi Lion. Le roi parvient à éternuer, péter, suer puis se trouve guéri et reconnaissant à Renart, qu’il nomme conseiller et à qui il fournit une escorte pour sa sauvegarde lors de son retour chez lui. Il faut donc supposer que Renart avait su trouver (ou voler) la bonne plante, celle qui produit les effets désirés.
Enfin les expressions populaires concernant l’ellébore, ne sous-entendent pas que la plante est inefficace.
Quant au présupposé que l’ellébore était une « panacée » que seuls auraient proposée ou utilisée les charlatans, elle est fausse également. La première école de médecine du Moyen Age se développe à Salerne, en Italie. Elle a eu une énorme influence sur la pensée et la pratique médicale du IXe au XIVe siècle. L’enseignement se fondait sur l’étude de textes anciens latins, grecs et arabes qui font grand cas de médications à base d’ellébore (voir à ce sujet les textes cités dans la partie de cette étude consacrée à la rose de Noël).
Il faut enfin souligner ou rappeler que « Les moines, les cocus et les médecins étaient, depuis le Moyen Âge, d’excellents objets de moquerie et de franche rigolade, sur les planches comme dans les fabliaux. » (Minard, 2006). C’est cela qui pourrait expliquer à la fois que l’expression puisse désigner un médecin réputé et sa caricature. C’est cette dernière, véhiculée par la littérature et le théâtre qui est restée.
Selon nous, l’objection que Tilander soulève contre la thèse de Thomas est facilement surmontable et sa propre interprétation qui suppose que seuls « les charlatans » proposèrent et/ou utilisèrent de l’ellébore est fausse comme est fausse la présupposition que cette plante est sans effet, présupposition qui légitime la comparaison avec « l’onguent blanc ». Faut-il pour autant se satisfaire de l’explication de Thomas ?
Rappelons que pour Jean Scot Érigène comme pour Rémi d’Ausserre, Aliboron, Platon et d’Aristote sont considérés comme les meilleurs philosophes dialecticiens et que les « Maîtres Aliborons » sont des médecins, chirurgiens ou pharmaciens. Comment donc un maître dialecticien a-t-il pu se transformer en un maître chirurgien ?
Une partie de la réponse se trouve, à notre avis, dans la façon dont étaient enseignées la médecine et toutes les disciplines, en particulier dans un type d’exercices auquel étaient soumis les étudiants : la disputatio. Sur une question donnée, maîtres et élèves devaient présenter et soutenir des arguments contradictoires, en général devant un public, donnant ainsi lieu à un débat qui ressemblait aux joutes dialectiques entre orateurs. On trouve de telles « disputatio » mises en scène en général pour les tourner en ridicule comme dans L’amour médecin de Molière. Pour triompher dans ce genre d’exercice, il fallait donc non seulement bien connaître les textes de anciens et notamment ceux d’Aristote mais aussi être un bon dialecticien, la disputatio étant le mode d’enseignement et de recherche utilisé pour toutes les matières et à tous les niveaux. En définitive être un bon médecin, c’était certes avoir une bonne pratique mais c’était aussi et peut-être surtout être un bon dialecticien comme le furent, selon Scot Erigène et Rémi d’Ausserre, Platon, Aristote et ….Aliboron !
(b) Le lièvre et la tortue
Selon nous, l’objection que Tilander soulève contre la thèse de Thomas est facilement surmontable et sa propre interprétation qui suppose que seuls « les charlatans » proposèrent et/ou utilisèrent de l’ellébore est fausse comme est fausse la présupposition que cette plante est sans effet, présupposition qui légitime la comparaison avec « l’onguent blanc ». Faut-il pour autant se satisfaire de l’explication de Thomas ?
Rappelons que pour Jean Scot Érigène comme pour Rémi d’Ausserre, Aliboron, Platon et d’Aristote sont considérés comme les meilleurs philosophes dialecticiens et que les « Maîtres Aliborons » sont des médecins, chirurgiens ou pharmaciens. Comment donc un maître dialecticien a-t-il pu se transformer en un maître chirurgien ?
Une partie de la réponse se trouve, à notre avis, dans la façon dont étaient enseignées la médecine et toutes les disciplines, en particulier dans un type d’exercices auquel étaient soumis les étudiants : la disputatio. Sur une question donnée, maîtres et élèves devaient présenter et soutenir des arguments contradictoires, en général devant un public, donnant ainsi lieu à un débat qui ressemblait aux joutes dialectiques entre orateurs. On trouve de telles « disputatio » mises en scène en général pour les tourner en ridicule comme dans L’amour médecin de Molière. Pour triompher dans ce genre d’exercice, il fallait donc non seulement bien connaître les textes de anciens et notamment ceux d’Aristote mais aussi être un bon dialecticien, la disputatio étant le mode d’enseignement et de recherche utilisé pour toutes les matières et à tous les niveaux. En définitive être un bon médecin, c’était certes avoir une bonne pratique mais c’était aussi et peut-être surtout être un bon dialecticien comme le furent, selon Scot Erigène et Rémi d’Ausserre, Platon, Aristote et ….Aliboron !
(b) Le lièvre et la tortue
Nous connaissons tous ce passage de la fable « Le lièvre et de la tortue » :« Ma commère, il faut vous purger / Avec quatre grains d’ellébore ». On sait qu’un «grain» est une unité de mesure équivalant à environ 0,05 gr. Mais qu’en est-il de l’ellébore ? Quelle est donc cette plante qui se métamorphosa en homme à cause du contre-sens d’un érudit puis en âne par la grâce d’un poète facétieux ?
Pour la botaniste Aline Raynal-Roques, l’ellébore de la fable « le lièvre et la tortue » serait en fait le (ou la) vérâtre (Veratrum album L.) de la famille des liliacées qu’il faut bien distinguer des Hellébores avec un h) qui appartiennent au genre Helleborus de la famille des renonculacées : « Les hellébores appartiennent au genre helleborus (Renonculacées). L’ellébore de la fable de La Fontaine est un nom vulgaire du Veratrum (Liliacées). » (1994, p. 208, note 1)
Elle s’accorde ainsi, au moins en ce qui concerne l’orthographe, avec Gaston Bonnier et Georges de Layens qui utilisent les mêmes graphies selon qu’il s’agit des Helleborus ou des Veratrum. Est-ce à dire pour autant que dans le cas de la fable, il s’agit bien de racine de vérâtre, partie de la plante utilisée en herboristerie ?
Littré mentionne comme premier sens d’ ‘ellébore’ : «Plante, dite dans l'Avranchin herbe enragée, très usitée dans la médecine des anciens comme cathartique et qui passait pour guérir la folie. Le plus célèbre des ellébores venait des campagnes d'Anticyre, île de la mer Égée dans le golfe Maliaque. L'ellébore des anciens est regardé comme appartenant aux veratrum (colchicacées). » Pour illustrer ce sens il propose les citations suivantes : « "Il n'est point d'ellébore assez en Anticyre...." [Régnier, Sat. X] ; "Ma commère, il vous faut purger Avec quatre grains d'ellébore", [La Fontaine, Fabl. VI, 10] ; "Y aurait-il assez d'ellébore pour une si étrange maladie ?" [Voltaire, Phil. ignorant, 50] »
Il mentionne ensuite que l’expression « avoir besoin d’ellébore » donc de vérâtre, signifie « avoir l’esprit troublé ». Et il propose pour en illustrer le sens les citations suivantes « "Vous le voyez, sans moi vous y seriez encore ; Et vous aviez besoin de mon peu d'ellébore", [Molière, Sgan. 22] ; "Elle a besoin de six grains d'ellébore ; Monsieur, son esprit est tourné", [Molière, Amphit. II, 2] ;"Il aurait bien besoin de deux grains d'ellébore", [Regnard, Distr. II, 12] »
Mais Littré donne comme second sens à ‘ellébore’ : « genre de plantes renonculacées, dont une espèce d’Europe (helleborus niger) sert en médecine. » Il mentionne pour ce second sens un usage en médecine vétérinaire : « Quand on met un exutoire aux animaux, on fait au bas de la panse ou sur la cuisse une incision dans laquelle on introduit un petit morceau de racine d'ellébore. »
Aline Raynal-Roques s’accorde avec Littré sur la plante à laquelle réfèrerait le passage de la fable mais pour Littré, le nom ‘ellébore’ sans ‘h’ réfère également aux renonculacées membres du genre Helleborus qu’Aline Raynal-Roques écrit avec un ‘h’. Un même nom donc pour deux plantes très différentes.
Si l’on s’en tient au dictionnaire de l’Académie. Il faudrait tirer une conclusion différente.
Pour la botaniste Aline Raynal-Roques, l’ellébore de la fable « le lièvre et la tortue » serait en fait le (ou la) vérâtre (Veratrum album L.) de la famille des liliacées qu’il faut bien distinguer des Hellébores avec un h) qui appartiennent au genre Helleborus de la famille des renonculacées : « Les hellébores appartiennent au genre helleborus (Renonculacées). L’ellébore de la fable de La Fontaine est un nom vulgaire du Veratrum (Liliacées). » (1994, p. 208, note 1)
Elle s’accorde ainsi, au moins en ce qui concerne l’orthographe, avec Gaston Bonnier et Georges de Layens qui utilisent les mêmes graphies selon qu’il s’agit des Helleborus ou des Veratrum. Est-ce à dire pour autant que dans le cas de la fable, il s’agit bien de racine de vérâtre, partie de la plante utilisée en herboristerie ?
Littré mentionne comme premier sens d’ ‘ellébore’ : «Plante, dite dans l'Avranchin herbe enragée, très usitée dans la médecine des anciens comme cathartique et qui passait pour guérir la folie. Le plus célèbre des ellébores venait des campagnes d'Anticyre, île de la mer Égée dans le golfe Maliaque. L'ellébore des anciens est regardé comme appartenant aux veratrum (colchicacées). » Pour illustrer ce sens il propose les citations suivantes : « "Il n'est point d'ellébore assez en Anticyre...." [Régnier, Sat. X] ; "Ma commère, il vous faut purger Avec quatre grains d'ellébore", [La Fontaine, Fabl. VI, 10] ; "Y aurait-il assez d'ellébore pour une si étrange maladie ?" [Voltaire, Phil. ignorant, 50] »
Il mentionne ensuite que l’expression « avoir besoin d’ellébore » donc de vérâtre, signifie « avoir l’esprit troublé ». Et il propose pour en illustrer le sens les citations suivantes « "Vous le voyez, sans moi vous y seriez encore ; Et vous aviez besoin de mon peu d'ellébore", [Molière, Sgan. 22] ; "Elle a besoin de six grains d'ellébore ; Monsieur, son esprit est tourné", [Molière, Amphit. II, 2] ;"Il aurait bien besoin de deux grains d'ellébore", [Regnard, Distr. II, 12] »
Mais Littré donne comme second sens à ‘ellébore’ : « genre de plantes renonculacées, dont une espèce d’Europe (helleborus niger) sert en médecine. » Il mentionne pour ce second sens un usage en médecine vétérinaire : « Quand on met un exutoire aux animaux, on fait au bas de la panse ou sur la cuisse une incision dans laquelle on introduit un petit morceau de racine d'ellébore. »
Aline Raynal-Roques s’accorde avec Littré sur la plante à laquelle réfèrerait le passage de la fable mais pour Littré, le nom ‘ellébore’ sans ‘h’ réfère également aux renonculacées membres du genre Helleborus qu’Aline Raynal-Roques écrit avec un ‘h’. Un même nom donc pour deux plantes très différentes.
Si l’on s’en tient au dictionnaire de l’Académie. Il faudrait tirer une conclusion différente.
Le dictionnaire de l’Académie (dernière édition) ne désigne sous le nom d’ellébore que les plantes appartenant à la famille des renonculacées et ne mentionne pas celles appartenant à la famille des liliacées. L’Académie fait remonter cet usage au XIIIème siècle : « n. m. XIIIe siècle, elebore. Emprunté du latin (h)elleborus, du grec helleboros. BOT. Plante herbacée vivace de la famille des Renonculacées, dont une variété était employée autrefois en médecine comme purgatif, et que l'on croyait propre à guérir la folie. L'ellébore noir est aussi appelé rose de Noël. »
Selon les académiciens, le lièvre préconise donc de la racine de rose de Noël à la tortue comme médecine pour la guérir de ce qu’il croit être sa folie. Il l’invite même à en prendre le double de la dose habituelle. Il trouve donc la tortue complètement folle !
Que conclure : Vérâtre, Rose de Noël voire même une autre plante ?
Selon les académiciens, le lièvre préconise donc de la racine de rose de Noël à la tortue comme médecine pour la guérir de ce qu’il croit être sa folie. Il l’invite même à en prendre le double de la dose habituelle. Il trouve donc la tortue complètement folle !
Que conclure : Vérâtre, Rose de Noël voire même une autre plante ?
Il faut d’abord remarquer qu’en ce qui concerne le nom vernaculaire, il règne aujourd’hui encore parmi les botanistes une grande confusion.
Nombreux sont ceux qui acceptent indifféremment les deux graphies ‘hellébore’ et ‘ellébore’ pour toutes les espèces d’ Helleborus. Par exemple dans leur flore, Lambinon et all. (2008), p. 66. D’autres, par contre, utilisent la seule graphie ‘Hellébore’ pour toutes les espèces du genre Helleborus, excepté pour Helleborus niger (H)ellébore noir ou Rose de Noël, ainsi André Gonnard (2010), p. 218 qui donne « hellébore » et « ellébore » comme autres noms de cette plante, qui sont donc des synonymes vernaculaires équivalents du nom linnéen Helleborus niger.
Dans la Flore forestière française, tome 2, le nom vernaculaire de Veratrum album est orthographié ‘hellébore blanc’ avec pour synonyme Varaire, Varaire Blanc (1993), p. 2163.
Selon Tela botanica les noms vernaculaires « ellébore noir », « hellébore noir » et « Rose de Noël » sont également recommandés et typiques concernant Helleborus niger tandis que pour Veratrum album est recommandé en premier lieu comme nom vernaculaire « Vérâtre blanc » tandis que « Ellébore blanc » est considéré comme secondaire.
En Français contemporain, le nom d’(h)ellébore avec ou sans h désigne plus couramment les plantes appartenant à la famille des renonculacées et il semble préférable de leur réserver cette dénomination quelle que soit la façon dont on l’orthographie (avec ou sans ‘h’).
Cela ne résout pas pour autant la question initiale, la nomenclature vernaculaire étant dans ce cas source de confusion.
Les apothicaires utilisaient les rhizomes sous forme de poudre qu’il fallait peser avec le plus de précision possible, compte tenu de la dangerosité de la plante que celui-ci soit du(ou de la) vérâtre blanc ou de l’hellébore noir. Si les racines de vérâtre et les rhizomes d’hellébore ne se ressemblent guère à l’arrachage, il n’en est plus de même lorsqu’ils sont préparés pour la vente aux apothicaires. En outre, ils sont aussi toxiques l’un que l’autre, s’attaquent aux mêmes organes (cœur, tube digestif, système nerveux). Les symptômes de l’intoxication qu’ils provoquent sont eux aussi semblables avec la même issue fatale pour de très petites quantités.
L’intoxication par ingestion d’une partie quelconque d’une quelconque espèce d’hellébore se traduit par des grincements de dents, un pouls faible et intermittent, des difficultés respiratoires, des tremblements et convulsions. Le poison déclenche une gastro-entérite hémorragique avec salivation et vomissements. La diurèse est augmentée et on note des troubles de l’équilibre.
Dans le cas du Vérâtre, on observe également des troubles cardiaques avec un pouls faible, ralenti et irrégulier, des efforts de vomissements et des nausées accompagnés de salivation, des coliques avec diarrhées, des troubles respiratoires et des troubles nerveux : paresthésie de la langue et des lèvres, incoordination, ataxie. (source, inter alia : le site d’ Antoine Casteignau http://www.vegetox.envt.fr). Cependant dans le cas du vérâtre, il ne semble pas qu’il y ait augmentation de la diurèse.
En outre il y a « le fait que les indications communes sont nombreuses : épilepsie, mélancolie, dérangement mental, maladie des reins, maux de tête, etc. … qui invitent à la confusion » Deroux, 1976 qui renvoie en note à la table des matières de l’édition d’Hippocrate par Littré (Volume X), Dioscoride, Περὶ ὕλης ἰατρικῆς ou De Materia Medica (4, 148 et 162), Pline, Naturalis Historia (Histoire Naturelle)(25, 54 – 55 et 160).
Nombreux sont ceux qui acceptent indifféremment les deux graphies ‘hellébore’ et ‘ellébore’ pour toutes les espèces d’ Helleborus. Par exemple dans leur flore, Lambinon et all. (2008), p. 66. D’autres, par contre, utilisent la seule graphie ‘Hellébore’ pour toutes les espèces du genre Helleborus, excepté pour Helleborus niger (H)ellébore noir ou Rose de Noël, ainsi André Gonnard (2010), p. 218 qui donne « hellébore » et « ellébore » comme autres noms de cette plante, qui sont donc des synonymes vernaculaires équivalents du nom linnéen Helleborus niger.
Dans la Flore forestière française, tome 2, le nom vernaculaire de Veratrum album est orthographié ‘hellébore blanc’ avec pour synonyme Varaire, Varaire Blanc (1993), p. 2163.
Selon Tela botanica les noms vernaculaires « ellébore noir », « hellébore noir » et « Rose de Noël » sont également recommandés et typiques concernant Helleborus niger tandis que pour Veratrum album est recommandé en premier lieu comme nom vernaculaire « Vérâtre blanc » tandis que « Ellébore blanc » est considéré comme secondaire.
En Français contemporain, le nom d’(h)ellébore avec ou sans h désigne plus couramment les plantes appartenant à la famille des renonculacées et il semble préférable de leur réserver cette dénomination quelle que soit la façon dont on l’orthographie (avec ou sans ‘h’).
Cela ne résout pas pour autant la question initiale, la nomenclature vernaculaire étant dans ce cas source de confusion.
Les apothicaires utilisaient les rhizomes sous forme de poudre qu’il fallait peser avec le plus de précision possible, compte tenu de la dangerosité de la plante que celui-ci soit du(ou de la) vérâtre blanc ou de l’hellébore noir. Si les racines de vérâtre et les rhizomes d’hellébore ne se ressemblent guère à l’arrachage, il n’en est plus de même lorsqu’ils sont préparés pour la vente aux apothicaires. En outre, ils sont aussi toxiques l’un que l’autre, s’attaquent aux mêmes organes (cœur, tube digestif, système nerveux). Les symptômes de l’intoxication qu’ils provoquent sont eux aussi semblables avec la même issue fatale pour de très petites quantités.
L’intoxication par ingestion d’une partie quelconque d’une quelconque espèce d’hellébore se traduit par des grincements de dents, un pouls faible et intermittent, des difficultés respiratoires, des tremblements et convulsions. Le poison déclenche une gastro-entérite hémorragique avec salivation et vomissements. La diurèse est augmentée et on note des troubles de l’équilibre.
Dans le cas du Vérâtre, on observe également des troubles cardiaques avec un pouls faible, ralenti et irrégulier, des efforts de vomissements et des nausées accompagnés de salivation, des coliques avec diarrhées, des troubles respiratoires et des troubles nerveux : paresthésie de la langue et des lèvres, incoordination, ataxie. (source, inter alia : le site d’ Antoine Casteignau http://www.vegetox.envt.fr). Cependant dans le cas du vérâtre, il ne semble pas qu’il y ait augmentation de la diurèse.
En outre il y a « le fait que les indications communes sont nombreuses : épilepsie, mélancolie, dérangement mental, maladie des reins, maux de tête, etc. … qui invitent à la confusion » Deroux, 1976 qui renvoie en note à la table des matières de l’édition d’Hippocrate par Littré (Volume X), Dioscoride, Περὶ ὕλης ἰατρικῆς ou De Materia Medica (4, 148 et 162), Pline, Naturalis Historia (Histoire Naturelle)(25, 54 – 55 et 160).
On comprend dès lors qu’il est fort possible que les apothicaires aient utilisé indifféremment les rhizomes de l’une ou l’autre de ces plantes et peut-être même d’autres ayant le même aspect et les mêmes effets. Les historiens de la pharmacie citent d’autres espèces du genre : H. foetidus, H.viridis et d’autres renonculacées dont les racines étaient connues pour avoir des propriétés analogues notamment purgatives « par le haut et par le bas » notamment Adonis vernalis, Trollius europaeus, Actaea spicata, Astrantia major. Elles auraient été également utilisées sous la dénomination ‘ellébore’.
Enfin pour corser l’affaire, certains historiens philologues et botanistes refusent même l’indentification habituellement faite entre l’ellébore blanc des grecs et Veratrum album L.. C’est notamment le cas de Albert Carnoy dans son Dictionnaire étymologique des noms grecs des plantes (p. 159, cité par Deroux, 1976).
Il est donc à peu près certain que ni les profanes, ni la plupart des apothicaires ne devaient faire la distinction entre Veratrum album et Helleborus niger. En effet selon la plupart des auteurs, le (ou la) vérâtre est appelé ‘ellébore blanc’. Quant aux Helleborus, ils sont dénommés ‘ellébore noirs’ alors que dans l’expression courante on ne mentionne pas l’épithète comme c’est d’ailleurs aussi le cas dans de nombreuses occurrences des traités de « matière médicale » reprenant les médications des anciens grecs et latins et comme c’est aussi le cas chez ces auteurs eux-mêmes.
Il faut donc conclure que la question est indécidable ou plus exactement que la question n’a pas lieu d’être sous cette forme car dans l’expression reprise par La Fontaine « se purger avec quatre grains d’ellébore », le mot ‘ellébore’ ne renvoie pas à une plante mais à une drogue, un médicament exactement comme lorsque nous utilisons aujourd’hui le terme ‘aspirine’ par exemple, une préparation pharmaceutique dont seuls les spécialistes connaissent l’origine et la formule chimique précise.
Enfin pour corser l’affaire, certains historiens philologues et botanistes refusent même l’indentification habituellement faite entre l’ellébore blanc des grecs et Veratrum album L.. C’est notamment le cas de Albert Carnoy dans son Dictionnaire étymologique des noms grecs des plantes (p. 159, cité par Deroux, 1976).
Il est donc à peu près certain que ni les profanes, ni la plupart des apothicaires ne devaient faire la distinction entre Veratrum album et Helleborus niger. En effet selon la plupart des auteurs, le (ou la) vérâtre est appelé ‘ellébore blanc’. Quant aux Helleborus, ils sont dénommés ‘ellébore noirs’ alors que dans l’expression courante on ne mentionne pas l’épithète comme c’est d’ailleurs aussi le cas dans de nombreuses occurrences des traités de « matière médicale » reprenant les médications des anciens grecs et latins et comme c’est aussi le cas chez ces auteurs eux-mêmes.
Il faut donc conclure que la question est indécidable ou plus exactement que la question n’a pas lieu d’être sous cette forme car dans l’expression reprise par La Fontaine « se purger avec quatre grains d’ellébore », le mot ‘ellébore’ ne renvoie pas à une plante mais à une drogue, un médicament exactement comme lorsque nous utilisons aujourd’hui le terme ‘aspirine’ par exemple, une préparation pharmaceutique dont seuls les spécialistes connaissent l’origine et la formule chimique précise.
2 - A la recherche de l’hellélébore noir
Peut-on aller plus loin et tenter de dépasser cette conclusion quelque peu décevante en reformulant notre question initiale : quelle est la plante que la tradition médicale ancienne prescrivait sous le nom d’hellébore noir, capable de guérir certaines formes de folies et de bien d’autres choses encore ? Il y a en fait trois prétendants principaux : Helleborus niger L. (hellébore noir, rose de Noël), Helleborus orientalis Lam.(rose de Carême), Helleborus cyclophyllus (A. Braun) Boissier.
(a) Les voyages au Levant : Pierre Belon et Joseph Pitton de Tournefort
Pour des raisons pratiques – la médecine – et aussi théoriques – la connaissance du monde végétal, le besoin de savoir quelles étaient exactement les « plantes des anciens » est à l’origine en 1700 du voyage de Joseph Pitton de Tournefort en Grèce et en Asie, voyage qui devait se poursuivre en Afrique mais fut abrégé à cause d’une épidémie de peste qui sévissait en Egypte. Il était accompagné d’un médecin Allemand, M. Gundelscheimer et du peintre Aubriet : « Ce fut un bonheur pour les Sciences que l'ordre que M. de Tournefort reçue du Roy en 1700 d'aller en Grèce, en Asie & en Afrique, non seulement pour y reconnoistre les Plantes des Anciens, & peut-être aussi celles qui leur auront échappé» (Fontenelle, Éloge de Joseph Pitton de Tournefort, 1708, orthographe non modifié).
De ce voyage, Tournefort rapporta de nombreux échantillons de plantes : « Il rapportoit, outre une infinité d'Observations différentes, 1356 nouvelles Especes de Plantes, dont une grande partie venoient se ranger d'elles-mesmes sous quelqu'un des 673 Genres qu'il avoit établis : il ne fut obligé de créer pour tout le reste que 15 nouveaux Genres, sans aucune augmentation des Classes, ce qui prouve la commodité d'un sisteme, où tant de Plantes étrangères, & que l'on n'attendoit point, entroient si facilement. Il en fit son Corollarium Instutionum Rei Herbariæ, imprimé en 1703. » (Fontenelle, 1708)
Ainsi que le rappelle Fontenelle dans son éloge, il devait lors de ce voyage: « écrire le plus souvent qu'il pourroit à M. le Comte de Pontchartrain, qui luy procuroit tous les agrémens possibles dans son Voyage, & de l'informer en détail de ses découvertes & de ses avantures. » C’est ce qui explique que l’ouvrage est le recueil des 22 lettres que Tournefort avait écrites au Comte. Seul le premier tome de de ses relations minutieuses et détaillées de ce voyage fut publié de son vivant : écrasé contre un mur par une charrette dans la rue Lacépède à Paris en 1708, Tournefort devait décéder des suites de cet accident quelques mois plus tard, à cinquante-six ans. Les tomes suivants furent édités à titre posthume.
Lors de son voyage, Pitton de Tournefort ne trouva pas de spécimen de la fleur que l’on nomme aujourd’hui, à la suite de Linné H. niger mais en abondance ceux d’une autre espèce dont aujourd’hui le nom valide est Helleborus orientalis, Lam. que l’on appelle « Rose de Carême » pour la distinguer de la « Rose de Noël ». Selon lui, c’est cette espèce qui était désignée sous le vocable d’hellébore noir par les anciens herboristes et médecins grecs:
« Ils [deux herboristes rencontrés à Pruse (aujourd’hui Bursa) au pied du mont Olympe de Mysie] nous fournirent des racines du véritable Ellébore noir des anciens, autant que nous voulûmes pour en faire l'extrait. C’est la même espèce que celle des Anticyres et des côtes de la mer Noire. Cette Plante — que les Turcs appellent Zopléme et qui est très commune — au pied du mont Olympe, a pour racine un trognon, gros comme le pouce, couché en travers, long de trois ou quatre pouces, dur, ligneux, divisé en quelques racines plus menuës et tortuës. Toutes ces parties poussent des jets de deux ou trois pouces de long, terminez par des œilletons ou des bourgeons rougeâtres ; mais le trognon et les subdivisions sont noirâtres en dehors, et blanchâtres en dedans. Les fibres qui les accompagnent sont touffuës, longues de huit ou dix pouces, grosses depuis une ligne jusques à deux, peu ou point du tout cheveluës. Les plus vieilles sont noirâtres en dedans, d’autres brunes ; les nouvelles sont blanches; les unes et les autres ont la chair cassante, sans âcreté ni odeur, et sont traversées d’un nerf roussâtre. » (Pitton de Tornefort, 1727, lettre XXI)
Que cette espèce H. orientalis soit l’une des deux espèces que les Anciens botanistes et médecins grecs et latins appelaient « ellébore noir » est une hypothèse partagée encore aujourd’hui par de nombreux hellénistes et historiens de la botanique. Il s’agirait de celle mentionnée par Théophraste comme l’hellébore « du Pont » (ancien état sur la mer Noire dans le NE de la Turquie actuelle), qui ferait partie des quatre de « qualité supérieure, ou du moins des plus utilisés » (Recherche sur les Plantes, Livre IX 10 – 3, trad. fr. Suzanne Amigues, p. 354)
Ainsi que le rappelle Fontenelle dans son éloge, il devait lors de ce voyage: « écrire le plus souvent qu'il pourroit à M. le Comte de Pontchartrain, qui luy procuroit tous les agrémens possibles dans son Voyage, & de l'informer en détail de ses découvertes & de ses avantures. » C’est ce qui explique que l’ouvrage est le recueil des 22 lettres que Tournefort avait écrites au Comte. Seul le premier tome de de ses relations minutieuses et détaillées de ce voyage fut publié de son vivant : écrasé contre un mur par une charrette dans la rue Lacépède à Paris en 1708, Tournefort devait décéder des suites de cet accident quelques mois plus tard, à cinquante-six ans. Les tomes suivants furent édités à titre posthume.
Lors de son voyage, Pitton de Tournefort ne trouva pas de spécimen de la fleur que l’on nomme aujourd’hui, à la suite de Linné H. niger mais en abondance ceux d’une autre espèce dont aujourd’hui le nom valide est Helleborus orientalis, Lam. que l’on appelle « Rose de Carême » pour la distinguer de la « Rose de Noël ». Selon lui, c’est cette espèce qui était désignée sous le vocable d’hellébore noir par les anciens herboristes et médecins grecs:
« Ils [deux herboristes rencontrés à Pruse (aujourd’hui Bursa) au pied du mont Olympe de Mysie] nous fournirent des racines du véritable Ellébore noir des anciens, autant que nous voulûmes pour en faire l'extrait. C’est la même espèce que celle des Anticyres et des côtes de la mer Noire. Cette Plante — que les Turcs appellent Zopléme et qui est très commune — au pied du mont Olympe, a pour racine un trognon, gros comme le pouce, couché en travers, long de trois ou quatre pouces, dur, ligneux, divisé en quelques racines plus menuës et tortuës. Toutes ces parties poussent des jets de deux ou trois pouces de long, terminez par des œilletons ou des bourgeons rougeâtres ; mais le trognon et les subdivisions sont noirâtres en dehors, et blanchâtres en dedans. Les fibres qui les accompagnent sont touffuës, longues de huit ou dix pouces, grosses depuis une ligne jusques à deux, peu ou point du tout cheveluës. Les plus vieilles sont noirâtres en dedans, d’autres brunes ; les nouvelles sont blanches; les unes et les autres ont la chair cassante, sans âcreté ni odeur, et sont traversées d’un nerf roussâtre. » (Pitton de Tornefort, 1727, lettre XXI)
Que cette espèce H. orientalis soit l’une des deux espèces que les Anciens botanistes et médecins grecs et latins appelaient « ellébore noir » est une hypothèse partagée encore aujourd’hui par de nombreux hellénistes et historiens de la botanique. Il s’agirait de celle mentionnée par Théophraste comme l’hellébore « du Pont » (ancien état sur la mer Noire dans le NE de la Turquie actuelle), qui ferait partie des quatre de « qualité supérieure, ou du moins des plus utilisés » (Recherche sur les Plantes, Livre IX 10 – 3, trad. fr. Suzanne Amigues, p. 354)
L’autre espèce serait Helleborus cyclophyllus qui a pour aire naturelle les Balkans et qui y est l’espèce la plus répandue. C’est principalement sur ce critère de répartition ainsi que sur des correspondances entre les descriptions anciennes et les caractères morphologiques de H. cyclophyllus que se fonde cette identification entre l’ellébore noire des anciens Grecs et cette espèce. La rose de Noël quant à elle est originaire d’Europe centrale, dans les forêts de pente des Alpes centrales et orientales entre 300 et 1800 m d’altitude. La plupart des auteurs en ont donc conclu que H. niger ne pouvait être en fait l’hellébore noir des anciens Grecs. Ainsi Deroux (1976) adopte la position dominante lorsqu’il écrit : « En Grèce ἐλλέβορος μέλας ne désignait pas Helleborus niger L. qui n’existait pas dans cette région, mais vraisemblablement Helleborus orientalis L. (sic) ou Helleborus cyclophyllus R. Br » (note 5, p. 876 / les noms d’auteurs sont incorrects : pour H. orientalis, il s’agit de Lamarck (Lm.) et non de Linné (L.) et pour H. cyclophyllus, il s’agit de Boissier, botaniste Suisse ((A. Braun) Bois.).
Dire que H. niger n’existait pas dans cette région (la Grèce, les îles grecques et l’Asie mineure), c’est tenir pour nul le témoignage de Pierre Belon.
En 1547 lors d’un voyage dans les mêmes contrées que celles visitées par Tournefort un siècle et demi plus tard, Pierre Belon avait trouvé des plants de H. niger sur le Mont Olympe (Olympe de Mysie ou Olympe de Bithynie) et dans les vallées du Mont Athos.
Belon voyageait dans l’empire Turc en qualité d’accompagnateur d’une mission diplomatique envoyée par François 1er auprès de l’empereur Soliman le Magnifique. Belon avait un grand projet : traduire les grands textes anciens, en particulier Dioscoride et Théophraste en établissant une concordance entre les dénominations anciennes et les modernes dans les trois règnes : végétal, animal et minéral. Dans ses nombreux voyages, il essaie de retrouver les noms grecs et latins attribués aux végétaux et animaux en comparant les descriptions latines et grecques avec ses observations et il tente de donner l’équivalent en français, en italien et en langues régionales françaises de ces dénominations.
Dans son ouvrage paru en 1553 relatant ses observations lors de ce voyage intitulé Les observations de plusieurs singularités & choses mémorables, trouvées en Grèce, Asie, Judée, Égypte, Arabie, & autres pays étranges, rédigées en trois livres il mentionne l’hellébore noir dans trois passages. Il indique qu’il ne l’a pas trouvé sur l’ile de Crète : « Ayant expressément cherché l’hellébore noir en Île de Crète, je n’en ai onc su trouver » (p. 99). Par contre au Mont Athos en Grèce « Hellébore noir y croît en plusieurs vallées » (p. 143). Enfin sur le Mont Olympe de Mysie : « L’hellébore y produit librement la fleur rouge et y croît en grande quantité. Ce fut le premier lieu où je le visse porter la fleur rouge » (p. 514).
Ces informations sont précises et circonstanciées. La remarque concernant la couleur de la fleur est à souligner. En effet après l’anthèse les sépales pétaloïdes de H. niger s’accroissent et deviennent verts s’il pousse à l’ombre, rouges s’il pousse au soleil (voir dans la troisième partie de cette étude sous la rubrique observation, texte, photo et référence). Cette remarque montre deux choses. Tout d’abord que Pierre Belon est un botaniste attentif et compétent, donc digne de foi et ensuite qu’il connaissait bien la plante mais avec une fleur blanche, d’où son étonnement. Il faut donc en conclure que contrairement à ce qui est répété de notes en notes et d’articles en articles, il y avait bien des stations de H. niger en Grèce et en Asie mineure (Bithynie, Pont) même si Pitton de Tournefort n’en a pas trouvé et si on en trouve plus.
En fait, les critères portant sur la morphologie et sur la présence ou l’absence de l’espèce à un moment donné ne sont pas très fiables. En ce qui concerne la morphologie, les descriptions des auteurs anciens sont bien trop imprécises et peuvent cadrer avec de nombreuses espèces du genre. Quant à la distribution, elle peut varier considérablement au cours du temps pour des raisons diverses et cela est particulièrement vrai pour l’environnement, le climat et la flore méditerranéenne. Parmi ces changements, on peut citer les variations climatiques naturelles ou induites, les variations d’altitude de l’étage nival, la déforestation, l’anthropisation, l’épuisement et l’érosion des sols, la disparition de plantes à cause de prélèvement excessifs, etc. de telle sorte que comme le soulignent Olivieri et al. (2016) on court un risque certain d’anachronisme en tentant d’identifier une plante citée par des sources anciennes à partir de la flore actuelle.
En bref, que l’on ne trouve pas d’H. niger aujourd’hui en Grèce et dans l’ancien état de Bithynie ou du Pont ne prouve pas qu’il n’y en avait pas à l’époque d’Hippocrate, de Platon ou de Théophraste. Que Pitton de Tournefort n’en ait pas trouvés dans la région où Belon en avait signalés un siècle et demi plutôt ne permet pas de rejeter les identifications de ce dernier.
(b) Le verdict de la phytochimie
Olivieri et al. (2016) proposent une nouvelle approche du problème : déterminer les propriétés pharmacologiques des plantes et comparer leurs effets médicaux avec les textes anciens. C’est à partir de la relation de l’hellébore avec le mythe de la guérison des Prœtides par Mélampus qu’ils vont argumenter.
Pour ces auteurs rattacher l’origine de l’utilisation de l’hellébore pour soigner des troubles mentaux et comportementaux à un mythe, montre que «the Greeks themselves traced the discovery of the neurological properties of hellebore as far back as to their own prehistory and considered the herb an age-old medicament for madness. (Les grecs eux-mêmes ont fait remonter la découverte des propriétés neurologiques de l’hellébore aussi loin que leur propre préhistoire et ils ont considéré la plante était un médicament contre la folie vieux comme le monde)» (Olivieri et al. p. 8). En outre les auteurs s’attachent à montrer que dans ce mythe, la description du comportement et des symptômes des Prœtides n’est pas « a pastiche of outlandish psychic conditions and outrageous actions (un pastiche de conditions psychiques étranges et d’actions scandaleuses) » mais sont la description littéraire de symptômes et de comportements de la vie réelle (real-life). Pour eux ces symptômes et comportements permettent de supposer que les Prœtides étaient atteintes de psychose maniacodépressive ; plus précisément on serait en présence d’un épisode maniaque dans un trouble bipolaire (bipolar disorder, anciennement nommé psychose maniacodépressive).
L’examen phytochimique comparé de Helleborus niger L., Helleborus orientalis Lam., Helleborus cyclophyllus (A. Braun) Boissier montre que les trois espèces sont toxiques mais que les deux les plus toxiques sont, à égalité, H. cyclophyllus et H. orientalis tandis que H. niger l’est bien moins. A la différence des deux autres, elle ne contient pas d’hellébrine, un composé hautement cardiotoxique et cytotoxique. H. niger et H. cyclophyllus ont des propriétés anti-inflammatoires mais H. niger est la seule à posséder des composés qui lui confèrent un effet hypnotique en plus des propriétés émétiques et laxatives communes au genre. Surtout elle seule contient des sarsasapogénines, composants qui ont des propriétés antipsychotiques et antidépressives (Olivieri et al., 2016).
Quant à H. orientalis, cette espèce est celle qui est la moins intéressante d’un point de vue pharmacologique. Non seulement elle est fortement cyto et cadiotoxique mais elle n’a par ailleurs que les propriétés émétiques et laxatives dues à des composés communs à tout le genre. (Olivieri et al. 2016, p.12).
Pour Olivieri et al., c’est donc H. niger qui doit être retenue comme l’espèce désignée par le vocable ellébore noir (ἐλλέβορος μέλας, μελαμπόδιον) dans les textes de l’antiquité grecque et latine lorsque la plante est citée pour ses bienfaits et lorsqu’elle fait partie d’un traitement contre la folie. Les auteurs supposent aussi que H. cyclophyllus devrait être la bonne identification pour les textes où l’accent est mis sur les effets débilitants de l’administration de la plante ou dans ceux où la plante est jugée trop dangereuse pour être utilisée.
On pourrait ajouter que ces analyses phytochimiques et pharmacologiques éclairent un passage du récit de Tournefort dans lequel il teste les propriétés de la plante qu’il pense être l’hellébore des anciens : « Trois Armeniens a qui nous en donnâmes, se plaígnirent tous d’avoir ete ſatiguez par des nausées, des tiraillemens d’entrailles, d’une impression de feu , & d’acreté dans l'estomac , le long de l’esophage, dans la gorge & au fondement; de crampes, de mouvemens convulsifs, joints à des élancemens violens dans la tête, qui venoient comme par fusées, & qui se renouvelloient quelques jours après. Ainsi nous commençames par rabbattre la moitie de l’estime que nous avions pour ce grand remede. » (p. 348). [Curieux texte tout de même où ces Arméniens servent de cobayes et qui conduit à s’interroger sur les pratiques de l’époque en matière de recherches médicales.] Quelques lignes plus bas, Tournefort cite un médecin qui déclare ne plus l’utiliser « à cause des accidens qu'elle cause aux malades. »
Il est tentant de suivre les conclusions d’Olivieri et al. car on peut supposer que l’espèce abondante jadis a disparu de la région pour une raison inconnue. Il y a un autre exemple de plante célèbre disparue au temps de Néron bien que très utilisée dans les périodes antérieures et citée dans les textes médicaux longtemps encore après sa disparition: le silphium même si la distribution très restreinte de cette espèce et, semble-t-il, l’impossibilité de la cultiver en fait un cas très particulier. Il montre néanmoins qu’une telle disparition est possible d’autant qu’il n’est jamais question dans les textes médicaux anciens de cultiver l’hellébore noir mais toujours d’arracher des spécimens sauvages puisque la partie la plus utilisée était la racine.
Dire que H. niger n’existait pas dans cette région (la Grèce, les îles grecques et l’Asie mineure), c’est tenir pour nul le témoignage de Pierre Belon.
En 1547 lors d’un voyage dans les mêmes contrées que celles visitées par Tournefort un siècle et demi plus tard, Pierre Belon avait trouvé des plants de H. niger sur le Mont Olympe (Olympe de Mysie ou Olympe de Bithynie) et dans les vallées du Mont Athos.
Belon voyageait dans l’empire Turc en qualité d’accompagnateur d’une mission diplomatique envoyée par François 1er auprès de l’empereur Soliman le Magnifique. Belon avait un grand projet : traduire les grands textes anciens, en particulier Dioscoride et Théophraste en établissant une concordance entre les dénominations anciennes et les modernes dans les trois règnes : végétal, animal et minéral. Dans ses nombreux voyages, il essaie de retrouver les noms grecs et latins attribués aux végétaux et animaux en comparant les descriptions latines et grecques avec ses observations et il tente de donner l’équivalent en français, en italien et en langues régionales françaises de ces dénominations.
Dans son ouvrage paru en 1553 relatant ses observations lors de ce voyage intitulé Les observations de plusieurs singularités & choses mémorables, trouvées en Grèce, Asie, Judée, Égypte, Arabie, & autres pays étranges, rédigées en trois livres il mentionne l’hellébore noir dans trois passages. Il indique qu’il ne l’a pas trouvé sur l’ile de Crète : « Ayant expressément cherché l’hellébore noir en Île de Crète, je n’en ai onc su trouver » (p. 99). Par contre au Mont Athos en Grèce « Hellébore noir y croît en plusieurs vallées » (p. 143). Enfin sur le Mont Olympe de Mysie : « L’hellébore y produit librement la fleur rouge et y croît en grande quantité. Ce fut le premier lieu où je le visse porter la fleur rouge » (p. 514).
Ces informations sont précises et circonstanciées. La remarque concernant la couleur de la fleur est à souligner. En effet après l’anthèse les sépales pétaloïdes de H. niger s’accroissent et deviennent verts s’il pousse à l’ombre, rouges s’il pousse au soleil (voir dans la troisième partie de cette étude sous la rubrique observation, texte, photo et référence). Cette remarque montre deux choses. Tout d’abord que Pierre Belon est un botaniste attentif et compétent, donc digne de foi et ensuite qu’il connaissait bien la plante mais avec une fleur blanche, d’où son étonnement. Il faut donc en conclure que contrairement à ce qui est répété de notes en notes et d’articles en articles, il y avait bien des stations de H. niger en Grèce et en Asie mineure (Bithynie, Pont) même si Pitton de Tournefort n’en a pas trouvé et si on en trouve plus.
En fait, les critères portant sur la morphologie et sur la présence ou l’absence de l’espèce à un moment donné ne sont pas très fiables. En ce qui concerne la morphologie, les descriptions des auteurs anciens sont bien trop imprécises et peuvent cadrer avec de nombreuses espèces du genre. Quant à la distribution, elle peut varier considérablement au cours du temps pour des raisons diverses et cela est particulièrement vrai pour l’environnement, le climat et la flore méditerranéenne. Parmi ces changements, on peut citer les variations climatiques naturelles ou induites, les variations d’altitude de l’étage nival, la déforestation, l’anthropisation, l’épuisement et l’érosion des sols, la disparition de plantes à cause de prélèvement excessifs, etc. de telle sorte que comme le soulignent Olivieri et al. (2016) on court un risque certain d’anachronisme en tentant d’identifier une plante citée par des sources anciennes à partir de la flore actuelle.
En bref, que l’on ne trouve pas d’H. niger aujourd’hui en Grèce et dans l’ancien état de Bithynie ou du Pont ne prouve pas qu’il n’y en avait pas à l’époque d’Hippocrate, de Platon ou de Théophraste. Que Pitton de Tournefort n’en ait pas trouvés dans la région où Belon en avait signalés un siècle et demi plutôt ne permet pas de rejeter les identifications de ce dernier.
(b) Le verdict de la phytochimie
Olivieri et al. (2016) proposent une nouvelle approche du problème : déterminer les propriétés pharmacologiques des plantes et comparer leurs effets médicaux avec les textes anciens. C’est à partir de la relation de l’hellébore avec le mythe de la guérison des Prœtides par Mélampus qu’ils vont argumenter.
Pour ces auteurs rattacher l’origine de l’utilisation de l’hellébore pour soigner des troubles mentaux et comportementaux à un mythe, montre que «the Greeks themselves traced the discovery of the neurological properties of hellebore as far back as to their own prehistory and considered the herb an age-old medicament for madness. (Les grecs eux-mêmes ont fait remonter la découverte des propriétés neurologiques de l’hellébore aussi loin que leur propre préhistoire et ils ont considéré la plante était un médicament contre la folie vieux comme le monde)» (Olivieri et al. p. 8). En outre les auteurs s’attachent à montrer que dans ce mythe, la description du comportement et des symptômes des Prœtides n’est pas « a pastiche of outlandish psychic conditions and outrageous actions (un pastiche de conditions psychiques étranges et d’actions scandaleuses) » mais sont la description littéraire de symptômes et de comportements de la vie réelle (real-life). Pour eux ces symptômes et comportements permettent de supposer que les Prœtides étaient atteintes de psychose maniacodépressive ; plus précisément on serait en présence d’un épisode maniaque dans un trouble bipolaire (bipolar disorder, anciennement nommé psychose maniacodépressive).
L’examen phytochimique comparé de Helleborus niger L., Helleborus orientalis Lam., Helleborus cyclophyllus (A. Braun) Boissier montre que les trois espèces sont toxiques mais que les deux les plus toxiques sont, à égalité, H. cyclophyllus et H. orientalis tandis que H. niger l’est bien moins. A la différence des deux autres, elle ne contient pas d’hellébrine, un composé hautement cardiotoxique et cytotoxique. H. niger et H. cyclophyllus ont des propriétés anti-inflammatoires mais H. niger est la seule à posséder des composés qui lui confèrent un effet hypnotique en plus des propriétés émétiques et laxatives communes au genre. Surtout elle seule contient des sarsasapogénines, composants qui ont des propriétés antipsychotiques et antidépressives (Olivieri et al., 2016).
Quant à H. orientalis, cette espèce est celle qui est la moins intéressante d’un point de vue pharmacologique. Non seulement elle est fortement cyto et cadiotoxique mais elle n’a par ailleurs que les propriétés émétiques et laxatives dues à des composés communs à tout le genre. (Olivieri et al. 2016, p.12).
Pour Olivieri et al., c’est donc H. niger qui doit être retenue comme l’espèce désignée par le vocable ellébore noir (ἐλλέβορος μέλας, μελαμπόδιον) dans les textes de l’antiquité grecque et latine lorsque la plante est citée pour ses bienfaits et lorsqu’elle fait partie d’un traitement contre la folie. Les auteurs supposent aussi que H. cyclophyllus devrait être la bonne identification pour les textes où l’accent est mis sur les effets débilitants de l’administration de la plante ou dans ceux où la plante est jugée trop dangereuse pour être utilisée.
On pourrait ajouter que ces analyses phytochimiques et pharmacologiques éclairent un passage du récit de Tournefort dans lequel il teste les propriétés de la plante qu’il pense être l’hellébore des anciens : « Trois Armeniens a qui nous en donnâmes, se plaígnirent tous d’avoir ete ſatiguez par des nausées, des tiraillemens d’entrailles, d’une impression de feu , & d’acreté dans l'estomac , le long de l’esophage, dans la gorge & au fondement; de crampes, de mouvemens convulsifs, joints à des élancemens violens dans la tête, qui venoient comme par fusées, & qui se renouvelloient quelques jours après. Ainsi nous commençames par rabbattre la moitie de l’estime que nous avions pour ce grand remede. » (p. 348). [Curieux texte tout de même où ces Arméniens servent de cobayes et qui conduit à s’interroger sur les pratiques de l’époque en matière de recherches médicales.] Quelques lignes plus bas, Tournefort cite un médecin qui déclare ne plus l’utiliser « à cause des accidens qu'elle cause aux malades. »
Il est tentant de suivre les conclusions d’Olivieri et al. car on peut supposer que l’espèce abondante jadis a disparu de la région pour une raison inconnue. Il y a un autre exemple de plante célèbre disparue au temps de Néron bien que très utilisée dans les périodes antérieures et citée dans les textes médicaux longtemps encore après sa disparition: le silphium même si la distribution très restreinte de cette espèce et, semble-t-il, l’impossibilité de la cultiver en fait un cas très particulier. Il montre néanmoins qu’une telle disparition est possible d’autant qu’il n’est jamais question dans les textes médicaux anciens de cultiver l’hellébore noir mais toujours d’arracher des spécimens sauvages puisque la partie la plus utilisée était la racine.
Références
Complément aux références citées dans les trois premières parties de cette étude
Complément aux références citées dans les trois premières parties de cette étude
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doi : 10.3406/pharm.1960.6710
http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1960_num_48_165_6710
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Tilander G., 1946. « Maître Aliboron », Studia Neophilologica, 19:1, p.p. 169-183. DOI : 10.1080/00393274608586987
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Illustrations
Page de l’album des Fables de La Fontaine du chocolat Menier ; Wikimedia ; Renart devant la justice du Roi Lion, enluminure du XIXe siècle ; Scan www.mincoin.com ; scan image de classe échangée contre 10 bons points ; Chaumeton : Flore médicale, tome 5, planche 156 ; Helleborus orientalis Kenpei/Wikimedia Commons ; Helleborus cyclophyllus Peter Billinghurst/ Wikiméedia Commons.
Vendredi 19 Mai 2017
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