Le 8 octobre 2013, le CEA de Fontenay-aux-Roses a déclaré un «événement significatif» loin d’être anodin puisqu’il concerne la découverte d’un dysfonctionnement du système de lutte contre les incendies dans un local de l’INB 166 où sont entreposés des solvants contaminés. En effet un incendie est l’une des causes pouvant entraîner le rejet d’éléments radioactifs dans l’atmosphère et l’environnement autour du site. Son classement au niveau 0 tel que proposé par le CEA pose problème d’autant que ce n’est pas la première fois qu’il y a des dysfonctionnements ou des insuffisances concernant la protection contre les incendies sur le site de Fontenay.


Échelle INES (source : IRSN)
Échelle INES (source : IRSN)
Dans un fax daté du 8 octobre 2013 que l’on peut lire sur le site de la cli-far, le CEA de Fontenay-aux-Roses a déclaré un «événement significatif impliquant la sureté, la radioprotection ou l’environnement » s’étant produit dans un local du bâtiment 10 de l’INB 166 où sont entreposés des « solvants » contaminés, c’est-à-dire des produits chimiques déjà nocifs en eux-mêmes devenus de surcroît radioactifs après usage ; ce local étant classé «élément important pour la sécurité ». Il s’agit d’une erreur sur la pression de fonctionnement de l’eau dans les « pré mélangeurs » des canons à mousse qui, comme leur nom l’indique, projettent une mousse servant à étouffer un incendie naissant. Dans les «pré-mélangeurs» qui forment la mousse il faut de l’eau sous une pression de 8 bars, elle était de 5 bars comme d’ailleurs le stipulait la notice technique, elle-même erronée. Cette pression insuffisante empêchait les canons de fonctionner. Et si par malheur un incendie s’était déclaré, il aurait pu prendre de l’ampleur, faute d’être combattu efficacement avec des appareils défaillants.
Qu’un tel sous dimensionnement ait pu exister pendant une durée indéterminée avant que le personnel le découvre est vraiment inquiétant puisqu’un incendie mal maîtrisé dans un bâtiment sensible comme celui-ci est l’une des causes principales pouvant induire une contamination radioactive affectant les populations et l’environnement autour des installations en voie de démantèlement du CEA-FAR.

Une action corrective trop longtemps différée ?

Le système d’extinction d’un incendie de ce local avait déjà attiré l’attention des inspecteurs de l’ASN comme en témoigne la lettre de suite d’inspection ayant eu lieu le 15 mars 2012, adressée par l’ASN à la directrice du CEA le 26 mars 2012. En effet, on peut y lire : «Demandes d’actions correctives: Local solvants S108 : traçabilité du contrôle technique pour les systèmes de détection et d’extinction d’un incendie.Les inspecteurs ont examiné par sondage les comptes rendus des essais des systèmes de détection d’un incendie et des systèmes d’extinction. Il s’avère que ceux relatifs au local solvants S108, systèmes classés EIS (Éléments Importants pour la Sûreté) au sens de l’arrêté qualité du 10 août 1984 doivent faire l’objet d’un contrôle technique requis au titre de l’article 8 dudit arrêté. La preuve de la réalisation de ce contrôle n’a pas pu être apportée. Demande A1 : je vous demande, comme exigé par l’article 8 de l’arrêté qualité susvisé, de définir, réaliser et tracer le contrôle technique requis pour les contrôles et essais périodiques concernant les systèmes de détection et d’extinction du local solvants S108. »
Au 15 mars 2012, «La preuve de la réalisation de ce contrôle n’a pas pu être apportée » pour cause ! Elle n’avait sans doute pas eu lieu. Sauf si les « pré mélangeurs » sont neufs ou du moins acquis très récemment, il apparaît que le CEA a tardé à satisfaire la «demande» citée puisque ce n’est que « le 19 septembre 2013 (que) la Formation locale de Sécurité (FLS) s’interroge sur la pression de fonctionnent des pré mélangeurs » et ce n’est que « le 3 octobre 2013 que des essais sont réalisés » (Description de l’événement, in « déclaration de l’événement significatif détecté le 4 Octobre 2013 », signée du directeur adjoint du Centre) Tout laisse donc à penser que le contrôle technique exigé par l’ASN n’a eu lieu que plus d’un an et demi après que la demande en ait été formulée. Les périodes entre deux de ces contrôles telles que les prévoit le CEA doivent être extrêmement longues ! En somme l’évènement significatif déclaré ce 4 octobre résulterait de la satisfaction TARDIVE de la demande de l’ASN concernant ces systèmes.

Quelles auraient pu être les conséquences de ce dysfonctionnement ?

Selon le CEA, « les conséquences potentielles » « sur la base d’un scénario réaliste » ( ?) seraient la «propagation d’un incendie avec risque d’endommagement des filtres TUE (Très Haute Efficacité) du bâtiment et rejet dans l’environnement de substances radioactives (Estimation de la dose maximale engagée en l’absence de filtres de l’ordre de 0,01 mSV à 200m du Bâtiment 10). » C’est peu, sans doute, bien que toute exposition, même aux faibles doses, soit néfaste pour un organisme vivant. En outre, il faudrait que le CEA précise en quoi consiste ce « scénario réaliste», et en particulier s’il suppose l’éclatement des fûts de solvants et d’éventuelles explosions.
En employant le terme «d’explosion» je ne noircis pas le tableau pas plus que je ne cherche à faire peur aux gens. En effet, dans la même lettre de suite de mission de l’ASN datée du 26 mars 2012, on peut lire : « Absence de réalisation d’une ronde spécifique prévue par les RGSE dans le local solvants S108. Le chapitre 8 des RGSE (Règles Générales de Surveillance et d’Entretien) relatif aux consignes générales de sécurité de l’INB n°166 indique qu’une ronde hebdomadaire spécifique est prévue au sein du local solvants S108 par du personnel équipé d’un explosimètre portatif. Lors de l’inspection, vous avez indiqué que cette ronde n’est plus effectuée. Demande A4 : je vous demande de vous mettre en conformité avec vos RGSE concernant la réalisation d’une ronde hebdomadaire au sein du local solvants S108. »

En résumé, le système d’extinction d’incendie était inopérant dans un local où il faut faire des rondes hebdomadaires avec un appareil détectant les risques d’explosion avec possible rejet dans l’atmosphère. Si le CEA avait satisfait à la demande de l’ASN dans de meilleurs délais, cette anomalie aurait été détectée bien plus tôt…. Malgré ces négligences et ces insuffisances dans l’application des procédures, il faudrait qualifier cet événement de niveau 0 (sur 7) de l’échelle INES (échelle internationale de gravité des incidents ou accidents nucléaires) selon le CEA !

Certes, il ne s’est heureusement rien passé de grave mais cet événement est un cas d’école où l’on peut voir comment peuvent conduire sinon à une catastrophe, du moins à un accident assez grave une suite de petites négligences : contrôles non réalisés en temps et en heure, notice technique d’un appareil inexacte peut-être à cause d’une simple erreur de frappe, etc. C’est ainsi que les petits dysfonctionnements relevés par les inspections de l’ASN, comme par exemple des délais anormalement longs pour remettre en état une bouche d’incendie, ne doivent pas être pris à la légère.
Si les comptes rendus des inspections de l’ASN sont rassurants en ce qu’ils mettent en évidence que la protection contre les incendies au CEA de Fontenay-aux-Roses est globalement satisfaisante, ils restent tout de même un peu inquiétants en ce qu’ils montrent des insuffisances plus ou moins prononcées, des négligences plus ou moins graves n’ayant aucune conséquence ou des conséquences négligeables mais qui pourraient en avoir de très graves par un enchaînement malheureux de circonstances.

Un précédent

D’ailleurs il y a eu aussi au CEA-FAR des événements plus préoccupants concernant les systèmes de détection et d’extinction d’un incendie. Notamment l’évènement déclaré le 21 mars 2011 et jugé suffisamment grave pour être classé au niveau 1 de l’échelle INES. À son sujet l’ASN avait publié le communiqué suivant : « Le 21 mars 2011, le CEA a déclaré à l’ASN un événement significatif concernant l’indisponibilité du système de détection et d’extinction automatique d’incendie des locaux d’entreposages des produits chimiques et des solvants du bâtiment 18 du 27 janvier 2011 au 16 mars 2011.
« Lors d’opérations réalisées sur ce système le 27 janvier 2011, une erreur de manipulation a conduit à la vidange de la bouteille d’amorce du système d’extinction automatique. La détection et l’extinction automatique d’incendie se sont retrouvées indisponibles. Des mesures compensatoires ont alors été mises en place pour pouvoir éteindre un incendie. En revanche, l’analyse menée de la situation n’a pas identifié que la détection était également indisponible. Le 10 février 2011, le remplacement de la bouteille d’amorce a conduit à la fin de l’indisponibilité de la détection incendie. L’extinction automatique a été remise en service le 16 mars 2011.
Cet événement n’a pas eu de conséquence ni sur le personnel, ni sur l’environnement. En raison de lacunes dans la culture de sûreté, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES. »
Lors de la séance plénière de la Cli-Far du 27 avril 2011, tous les intervenants, y compris la responsable de la cellule de sûreté du CEA/FAR ont jugé que cet incident aurait pu avoir des conséquences gravissimes. (Voir aussi ici-même )
Le dernier paragraphe de ce communiqué justifie le classement de l’évènement au niveau 1 sur l’échelle INES. Il peut tout à fait s’appliquer à la découverte des dysfonctionnements du système d’extinction d’incendie du local solvants S108 du bâtiment 10 de l’INB 166, objet de la déclaration du 8 octobre 2013 pour les raisons même qui y sont indiquées : lacunes dans la culture de sûreté. Espérons que ce sera ce que fera l’ASN pour donner au CEA un avertissement salutaire pour les populations riveraines et l’environnement.


Lundi 21 Octobre 2013 Commentaires (0)

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