La civilisation occidentale a acquis le pouvoir terrifiant de s'autodétruire et de détruire toute vie sur la planète par l'utilisation d'armes atomiques. Elle altère les conditions de sa survie par ses modes de produire et de consommer, par son choix de développer sans limite les potentialités qu'elle se donne par les techniques qu'elle invente sans cesse. Ainsi l'avenir est-il gros de catastrophes irréversibles d'origine anthropiques. Mais de cet avenir, nous ne savons rien. L'objet de cet article est de montrer que dans une telle situation la posture catastrophique et la stratégie du « sans regret » telles que définies par Jean-Pierre Dupuy dans son ouvrage Pour un catastrophisme éclairé non seulement peuvent mais doivent être combinées et s'insérer dans le contexte d'une nouvelle sagesse qui prenne en compte nos limites comme celles de la planète.


Pour éviter le pire...
Posture catastrophique et stratégie du « sans regret ».

Dans son ouvrage Pour un catastrophisme éclairé, Jean-Pierre Dupuy remarque que notre conduite devant ces menaces ne pourra être que jugée rétrospectivement sur la base de ce que l'on saura lorsque « le voile d'ignorance »constitué par l'imprévisibilité de l'avenir sera levé. C'est sur cette rétroactivité du jugement qu'il fonde et justifie la posture catastrophique qu'il adopte. On ne peut anticiper ce que sera le jugement des générations futures sur nos choix actuels mais on peut être assuré qu'elles porteront ce jugement sur la base de la situation dans laquelle elles seront et de la connaissance de cet avenir que nous ignorons parce qu'il sera leur présent ou leur passé. Pour Jean-Pierre Dupuy « il est donc encore temps de faire que jamais il ne puisse être dit par nos descendants : « trop tard ! » » [Le seuil, Paris, 2002, p. 127] (souligné par l'auteur). Il poursuit en des termes très jonasiens « un trop tard qui signifierait qu'ils se trouvent dans une situation où aucune vie humaine digne de ce nom n'est possible ». C'est d'ailleurs à l'aide d' une citation de Jonas qu'il achève sa justification de la « posture catastrophique » : « Nous voici assaillis par la crainte désintéressée pour ce qu'il adviendra longtemps après nous – mieux, par le remords anticipateur à son égard »(ibid.).
En note, l'auteur présente une démarche qu'il juge d'inspiration opposée à la posture catastrophique : la stratégie « sans regret » qui estime qu'il faut « ne surtout rien faire que l'on regretterait d'avoir fait s'il s'avérait, une fois levé ce voile d'ignorance que constitue l'imprévisibilité de l'avenir, que les prophètes de malheur avaient eu tort » p. 128, note 100.
je noterai dans la suite de cet article PC la posture catastrophique et SR la stratégie « sans regret ».
Malgré leurs « inspirations opposées », il me semble possible et même nécessaire dans la plupart des cas de prendre des mesures qui satisfassent à PC comme à SR*. En effet, si PC s'impose parce que l'avenir est gros de catastrophes d'origine anthropique, SR a pour elle la modération et peut s'appuyer sur le sens commun. Il ne suffit pas d'espérer que les mesures prises seront jugées bonnes d'un point de vue éthique, il faut aussi qu'elles puissent être acceptées dans une démocratie. Je partirai d'un cas concret le changement climatique. Ce cas est paradigmatique parce qu'à la différence de l'épuisement des énergies fossiles, le changement climatique ne nous contraint pas à agir aujourd'hui, ni même dans un futur proche puisque les catastrophes induites ne sont censées se produire dans toute leur ampleur que dans un avenir encore lointain. S'il y a nécessité de « lutter contre le changement climatique, cette nécessité est d'ordre éthique. Il s'agit d'un souci du long terme que partagent, entre autres, le philosophe Hans Jonas et les écologistes.

Le cas du changement climatique.

Quelle est l'origine du changement climatique? Le réchauffement constaté à la fin du siècle passé va-t-il se poursuivre? Est-il d'origine anthropique? Quel sera le climat dans les années à venir? Sur ces questions, il règne une totale confusion génératrice d'une grande incertitude. La majorité des climatologues pensent que le réchauffement est dû à un effet de serre d'origine anthropique et qu'il va se poursuivre et devenir catastrophique si nous ne faisons rien. Mais il y a parmi les climato-sceptiques des chercheurs renommés qui présentent de bons arguments et la vérité en science n'est pas affaire de majorité. Dans ces conditions il est judicieux de considérer qu'en définitive, nous ne savons pas quel sera demain le climat de la planète. Une telle assertion n'a rien de scandaleux, elle n'est que la reconnaissance de notre ignorance en ce qui concerne l'avenir. Face à ce réchauffement climatique les jugements que porteront les générations futures sur ce que nous aurons ou n'aurons pas fait seront rétroactifs, formulés sur la base de ce qu'elles sauront alors, les incertitudes sur l'évolution du climat étant levées puisque l'évolution future du climat pour nous sera pour elles une évolution passée donc connue et dont on peut supposer connues aussi les causes.
La posture catastrophiste nous oblige a prendre des mesures pour réduire l'impact supposé de nos activités sur le climat qui pourrait conduire à une élévation de la température génératrice de catastrophes irréversibles. La stratégie du « sans regret » nous oblige à une extrême circonspection quant au choix de ces mesures et à un examen pointilleux de leurs inconvénients. Existe-t-il donc des mesures pour lutter contre le supposé changement climatique d'origine anthropique satisfaisant à la fois PC et SR ?

  • Nécessité d'exclure le nucléaire.

Le nucléaire peut être exclu d'emblée. Couvrir la planète de chaudrons nucléaires serait lui faire courir un risque insensé et même en supposant un bilan carbone excellent pour cette filière énergétique, on voit bien que les catastrophes dont elle est grosse sont au moins aussi graves que celle d'un changement climatique et tout aussi irréversibles, pouvant aller jusqu'à rendre impossible toute vie sur Terre. Ainsi est fondé le ni..., ni... des écologistes. Ni nucléaire, ni effet de serre. Slogan auquel peuvent acquiescer les tenants de PC comme ceux de SR.

  • Renouvelables peut-être, douces pas toujours : le cas de l'éolien terrestre.

Le développement de l'éolien industriel terrestre n'est pas gros de catastrophes majeures comme le nucléaire. Il peut donc satisfaire ceux qui adoptent PC mais pas ceux qui veulent SR si le changement climatique ne se produisait pas de la façon redoutée où s'il se réduisait à des oscillations sur lesquelles l'activité humaine n'intervient que de façon tout à fait marginale. Couvrir le territoire d'éoliennes serait en effet porter gravement atteinte à la qualité de vie et à la valeur des biens de milliers de riverains. Cela pourrait être fatal à des espèces comme les chauve-souris. Les éoliennes sont aussi de redoutables hachoirs à volatiles. Enfin elles massacrent les paysages qui sont notre patrimoine commun. Tout cela de façon difficilement réversible. En effet, si en théorie on peut démonter sans problème une éolienne, d'un point de vue pratique et économique, l'abandon de l'éolien ne pourrait se faire que très progressivement s'il était majoritaire dans le bouquet énergétique en vigueur. De plus, il resterait beaucoup de traces que l'on aurait du mal à effacer, à supposer même qu'on le tente : lignes à haute tension qui renforçaient le réseau, pistes tracées en pleine nature pour desservir les « fermes » d'éoliennes, soubassements de béton, etc. Ce que l'on vient de dire pourrait s'appliquer à bien des filières énergétiques envisagées pour remplacer celles qui sont productrices de gaz à effet de serre comme l'hydraulique et ses barrages dévastateurs ** ou bien encore certains « biocarburants » dont la production a tellement d'effets pervers que certains écologistes n'hésitent pas à les appeler « nécrocarburants ». Les écologistes cohérents ne peuvent les accepter. S'ils nous étaient imposés par une attitude du type PC et que de nouvelles données montrent que les oscillations climatiques actuelles ne sont pas dues pour l'essentiel aux activités humaines, il y aurait là matière à regrets.

  • Il n'y a pas de repas gratuits

La géothermie, le solaire thermique ou photovoltaïque, les économies d'énergies pourraient satisfaire à la fois PS et SR. Certaines exploitations de la biomasse, des OM humides, les micro-algues, l'éolien de haute mer, les diverses formes de l'énergie des mers pourraient être des éléments d'un bouquet énergétique au bilan carbone favorable, donc permettant d'éviter l'emballement climatique tout en n'ayant pas de conséquences telles que nous regretterions amèrement de les avoir mise en place si les prophéties du GIEC étaient infirmées.
On notera que la manière dont la source d'énergie est exploitée, le « process » compte au moins autant que celle-ci pour l'acceptabilité par la population et quant aux conséquences concernant l'environnement et les milieux naturels. On remarquera également que choisir un bouquet énergétique et les process l'accompagnant qui satisfassent PC et SR n'est pas incompatible avec l'innovation technologique mais qu'au contraire, elle la suppose.
Il ne faudrait cependant pas en conclure que c'est par des mesures purement techniques, par un surcroît de technologie que nous pourrons freiner l'hypothétique emballement à la hausse du climat, à supposer bien entendu que cela dépende de nous ; nous, c'est à dire la civilisation occidentale prise globalement comme sujet. Ne nous faisons aucune illusion. Selon la formule imagée de Barry Commoner dans The closing circle, une des grandes règles de l'écologie énonce qu'il n'y a pas de « repas gratuit ». Elle s'applique notamment à la production d'énergie, quels que soient le process, la ou les sources retenues. Comme c'est et ce fut le cas du pétrole, leur exploitation à outrance sera nécessaire pour combler la boulimie d'énergie de la civilisation occidentale. Cela ne pourra se faire sans dommages sociaux et environnementaux graves dont les économies d'énergie, pour souhaitables et louables qu'elles puissent être, ne pourront qu'en retarder l'échéance.

  • Une nouvelle sagesse

On peut aussi remarquer que le caractère approprié des mesures techniques d'évitement prises aujourd'hui n'échappe pas au « voile d'ignorance » que constitue l'imprévisibilité du futur de telle sorte que le « trop tard » de nos descendants pourrait s'accompagner du regret que nous ayons fait le choix de mesures qui s'avèreraient rétrospectivement inappropriées***.
Il est donc évident que quels que puissent être les avantages du bouquet énergétique compatible avec PC et SR que nous choisirons, il faudra qu'il s'accompagne d'un changement de comportement né de la prise de conscience de nos limites comme de celles de la planète, d'une nouvelle sagesse qui nous permettra de passer sans regret de la société de consommation à celle d'une sobriété heureuse. S'engager dans la voie de la sobriété heureuse n'a pas les inconvénients d'une solution purement technique qui subit le « voile d'ignorance » tout simplement parce la sobriété heureuse ne prétend pas être une solution a un problème de développement durable : satisfaire les besoins sans cesse croissant en énergie sans augmenter le risque d'un emballement du réchauffement climatique. Elle ne cherche pas à le résoudre pour la bonne raison que si nous empruntons cette voie, il ne se posera plus.
Ce qui vient d'être dit à propos du changement climatique peut être généralisé. Ce n'est pas d'abord avec un surcroît de technique que nous pourrons faire face aux catastrophes qui s'annoncent à cause de notre choix de pousser le développement illimité de cette technique, c'est à une nouvelle sagesse****, un nouvel art de vivre que nous devons d'abord recourir, retrouver avec bonheur dans le suffisant le sens de la mesure face à la démesure du toujours plus de la société de consommation et à son éternelle insatisfaction. Sans cet engagement dans la voie de cette nouvelle sagesse que ce soit par la prise de conscience de nos limites ou d'une tout autre façon, le prophète de malheur risque, au mieux de prêcher dans le désert, au pire d'être lapidé. La mise en œuvre de la stratégie du « sans regret » conduirait quant à elle à ne rien faire et c'est le pire qui adviendrait.

Notes
* Le développement durable est l'exemple d'une telle conciliation : satisfaire aux besoins des générations présentes sans obérer la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Une croissance en somme qui n'épuise ni les ressources, ni ne porte des atteintes non auto-réparables aux écosystèmes. Malheureusement, le développement durable est conceptuellement un oxymore et il apparaît de plus en plus clairement que l'on ne peut découpler la croissance économique ni des atteintes irréversibles à l'environnement, ni de l'épuisement des ressources.
** Souvenons-nous des combats menés contre Serre de la Fare et les autres barrages prévus sur la Loire au nom de la préservation de l'environnement et du respect du dernier fleuve libre de l'hexagone.
*** Le moteur thermique pour équiper les véhicules particuliers est un assez bon exemple d'un choix malheureux de nos aïeux que nous pouvons déplorer aujourd'hui. Les historiens des techniques nous montrent que la voiture électrique avait au départ autant de potentialités techniques que la voiture à essence. Ce sont celles de cette dernière qu'ils ont choisies de développer et c'est dommage pour le climat peut-être, pour le bruit, la pollution atmosphérique sûrement.
****Elle renoue avec une autre, fort ancienne, qui dans la Grèce antique opposait la juste mesure des actions du sage à la démesure des actes de l'insensé.
Photo Combustion in the RainForest: Ecology, Energy and Economy for a Sustainable Environment

Mercredi 27 Octobre 2010 Commentaires (0)
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