Dans son livre Flore et végétation des Alpes, Claude Favarger nous offre un traité de biologie botanique alpestre rigoureux tout en nous faisant partager sa passion pour ces fleurs de montagne qu’il décrit si bien. Ainsi en est-il de la potentille des frimas. Le portrait qu’il en trace lui donne l’occasion d’exprimer quelques craintes qui ne se sont révélées, hélas, que trop justifiées. Ce texte a été écrit en 1956.


« La potentille des frimas Potentilla frigida, nous dit-il, est une plante des altitudes élevées qui ne croît guère en dessous de 2500 m d’altitude. Elle a des feuilles divisées en trois folioles comme les fraisiers et comme la potentille à grandes fleurs mais les corolles sont de taille modeste et attirent peu le regard. Le feuillage pourtant est très plaisant avec ses poils soyeux qui paraissent le protéger du froid et surtout du vent. Et puis, elle a pour le botaniste l’attrait de ces végétaux peu fréquents qu’il n’est pas donné à tout le monde d’apercevoir et dont la conquête exige quelque effort. Je sais bien qu’à notre époque, des engins perfectionnés vous transportent en peu d’instants et sans la moindre peine à des hauteurs où vit la potentille des frimas. En supprimant l’effort, la machine ôte la joie de la conquête. L’homme ne prête qu’une attention distraite aux objets qui lui sont trop facilement accessibles. Chose curieuse en croyant maîtriser la création, il s’en aliène les richesses. Je frémis à la pensée de la cohorte grandissante des gens blasés qui ayant « fait » la montagne en téléphérique, ne sauront plus qu’inventer pour charmer leurs vacances. »

Hélas, parmi ces blasés partisans du moindre effort mais avides de sensations fortes en montagne pour tenter de tromper leur ennui, certains n’ont trouvé rien de mieux que, une fois hissés près d’un sommet par un télésiège, de faire du VTT en dévalant les pentes comme lorsqu’ils glissent sur des planches en hiver. . Passe encore lorsqu’ils se livrent à cette activité sur les pistes de ski, ils ne saccagent pas d’avantage la nature : le mal est déjà fait et bien fait par les aménageurs. Mais c’est aussi sur des pelouses et de petits sentiers de crête qu’ils pratiquent leurs acrobaties, encouragés et incités en cela par les dépliants publicitaires des offices de tourisme sur lesquels des « vététistes » sont photographiés en pleine nature… une nature réduite à un décor et à un vaste terrain de jeu. Une nature et des sentiers immémoriaux que ces barbares modernes saccagent comme cela, en passant, négligemment, sans même en avoir conscience. Les roues écrasent ou leurs embardées arrachent ces potentilles, des géraniums argentés, des pulsatiles, des graminées et bien d’autres plantes, rares ou communes, qui ont le malheur de se trouver sur leur trajectoire ; toute une végétation qui protège les sols de l’érosion et sert de gîte ou de plat de résistance à tout un peuple d’animaux, des petits insectes jusqu’aux élégants chamois sans oublier les gourmandes marmottes.
Selon la légende, Attila, roi de Huns, aurait dit : « Partout où mon cheval est passé, l’herbe ne repoussera plus ». Il se vantait. Les Huns n’avaient que des chevaux, pas de VTT.

Vendredi 19 Août 2011 Commentaires (0)

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