La première partie de cet article a été consacrée à des généralités sur le genre Helleborus et à une de ses espèces H. foetidus, la plus fréquente en France continentale. Cette partie s’attachera à H. viridis, l'hellébore vert.


Helleborus viridis subsp. occidentalis – allure générale de la plante. On remarquera les marges grossièrement dentées des feuilles
Helleborus viridis subsp. occidentalis – allure générale de la plante. On remarquera les marges grossièrement dentées des feuilles
Helleborus viridis L. 1753 Sp. Pl., 1 : 557

Pour le nom du genre voir la première partie de cet article. L’épithète viridis (vert) renvoie à la couleur des sépales pétaloïdes.

Nom français : Hellébore vert.

Pour les noms populaires et leur analyse, voir en fin de cette partie.

Cette espèce est présente mais assez rare en France, plus fréquente dans les Pyrénées, absente en Bretagne dans le Finistère et le Morbihan, absente ou disparue dans le centre de la France, très rare dans le Sud Est, absente en Corse.

C’est une espèce d’ombre ou de demi-ombre, mésophile*, qui préfère les sols calcaires. Elle pousse dans des milieux forestiers, forêts de feuillus, chênaies-hêtraies, hêtraies, plus en altitude, hêtraies‑sapinières, ripisylves en plaine. Elle est essentiellement collinéenne et montagnarde mais on  peut la rencontrer de 0 à 1500 (1600 – 2300).
La plante fleurit entre (janvier) mars – avril.
 

De haut en bas et de gauche à droite : Inflorescence ; les boutons floraux ne sont pas encore complétement ouverts. Remarquez les bractées sessiles et digitées, à comparer avec les bractées ovales et entières de H. foetidus. / Fruits avec les sépales persistantes / Corolle avec les pétales réduits à des nectaires et les nombreuses étamines entourant le pistil.
De haut en bas et de gauche à droite : Inflorescence ; les boutons floraux ne sont pas encore complétement ouverts. Remarquez les bractées sessiles et digitées, à comparer avec les bractées ovales et entières de H. foetidus. / Fruits avec les sépales persistantes / Corolle avec les pétales réduits à des nectaires et les nombreuses étamines entourant le pistil.
- L’allure générale de la plante est assez différente de celle d’H. foetidus et surtout elle est inodore. Elles se distinguent aussi au niveau racinaire. Alors que H. foetidus a une souche ligneuse, verticale et ronde, H. viridis possède un rhizome noirâtre, épais et court. Mais il est inutile de les déterrer, l’absence d’odeur de l’une et l’odeur prégnante de l’autre sont suffisamment distinctives.

- Plante glabre, vert foncé.
- Tige nue jusqu’aux premiers rameaux. 1 ou 2 feuilles basilaires vertes foncées qui se dessèchent en été et disparaissent en hiver à la différence de celles d’Helleborus foetidus, palmatiséquées***à 9 – 11 folioles lancéolés, profondément dentés.
- Les fleurs actinomorphe, de 2 à 5 cm de diamètre sont vert pomme et parfois rosées. Elles apparaissent au sommet de longs pédoncules concolores, annuels. Les sépales pétaloïdes sont ovales à elliptiques, étalés après la floraison. Les pétales sont réduits à des cornets nectarifères et masqués par une large couronne d’étamines, nombreuses et jaunâtres.
-  Les bractées sont situées vers le haut du pédoncule. Elles sont sessiles, palmatiséquées.
- Les fruits sont des follicules presque aussi longs que larges, bec égalant la moitié de la longueur.

[* Mésophile : se dit d’une plante ou d’une communauté végétale qui pousse sur un sol ayant un gradient moyen sur l’axe humidité / sécheresse.]
[** Géophyte : plante vivace qui passe la mauvaise saison avec ses bourgeons de renouvellement enfouis dans le sol.]
[*** palmatiséqué : se dit d’une feuille au limbe palmé et profondément divisé en segment bien individualisés et soudés seulement à la base.]

Confusions

Lorsque la plante est développée, il est difficile de la confondre avec des espèces appartenant à un autre genre ou à une autre famille. Mais lorsqu’il s’agit de jeunes pousses, l’identification est plus difficile. La littérature rapporte le cas d’une jeune femme de 38 ans qui s’est gravement intoxiquée en mangeant des pousses d’H. viridis qu’elle avait ramassées par erreur en les confondant avec des pousses d’asperges sauvages (Bossi et al. 1981). Elle présentait des symptômes semblables à ceux d’une intoxication à la digitaline : très grave arythmie cardiaque mettant en jeu son pronostic vital,  hypotension systémique (c’est celle que l’on mesure d’ordinaire avec le nombre le plus élevé) et gastro-entérite.  

Pollinisation & dispersion
 
La pollinisation se fait par les insectes, essentiellement hyménoptères et diptères, la dispersion par les fourmis. Des graines de cette espèce pourvues de leur élaïosome ont été observées trainées par des fourmis (cf. Servigne 2008, p. 143).

Plante à rhizome d’ombre ou de demi-ombre, myrmécochore, son rayon de dispersion est limité. On la trouve plus souvent dans les forêts anciennes et elle fait partie du cortège de plantes indicatrices de ce type de forêts. En ce qui concerne H. foetidus, c’est l’inverse. On la trouve plus fréquemment dans  les forêts récentes et dans bien d’autres milieux. Pourtant les deux espèces sont vivaces, ont le même type de dispersion ; elles poussent sur des sols ayant des caractéristiques quasi identiques. Elles différent surtout quant à l’exposition. H. foetidus est une plante héliophile ou de demi-ombre. C’est sans doute dans cette différence de caractère qu’il faut chercher la différence entre l’abondance de cette dernière et la relative rareté de H. viridis qui se voit cantonné à un milieu forestier peu répandu, même si globalement les surfaces forestières ont tendance à progresser avec la déprise agricole et les plantations de résineux qui sont certes des espaces boisés mais sont abusivement appelées forêts. Il s’agit de milieux moins propices à son implantation.

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Compléments

▪  Helleborus viridis : une espèce ou un groupe ?
Dans la flore Costes, et d’autres flores anciennes comme celle de Rouy et Foucaud ou de Grenier et Godron ainsi que dans la Flore des Renonculacées de France de  A. Gonnard, les feuilles sont décrites pédalées. La Flore forestière française les décrit palmatiséquées. C’est le parti que j’ai pris compte tenu de mes propres observations. Dans Flora Gallica, une note indique que « aucune description ne prend en compte la variabilité individuelle, notamment la forme des feuilles (…). Certaines populations des Pyr. et des Alp.-Maritimes, comme d’ailleurs la plupart de celles d’Italie, couvrent pratiquement à elles seules toute la variabilité foliaire et florale du groupe. » (p.946).

Rouy et Foucaud, Tome 1, page 117 et notes distinguaient cinq sous-espèces avec des formes de transition. On en retient d’ordinaire deux H. viridis subsp. orientalis (Reut) Schiffner (= H.occidentalis Reuter) et H. viridis L. subsp. viridis (= H. bocconi P. Fourn. = H. laxus Host = H.pallidus Host). Flora gallica ne distingue pas de sous-espèces. En attendant une révision taxinomique faut-il considérer que H. viridis  réfère plutôt à un groupe qu’à une espèce ? Je donne ici les caractéristiques distinctives de ces deux sous-espèces telles que précisées par Gonard (2010, p. 221)

De gauche à droite : feuille de H. viridis subsp. viridis ; feuille de H. viridis subsp. occidentalis
De gauche à droite : feuille de H. viridis subsp. viridis ; feuille de H. viridis subsp. occidentalis
˃ H. viridis subsp. occidentalis (Reut.) Schiffner : feuilles glabres à la face inférieure à segments grossièrement dentées, sépales étroits ovales à elliptiques.
˃ H. viridis L. subsp. viridis : feuilles pubescentes sur la face inférieure à segments finement dentés, sépales larges ovales.

Cette dernière sous-espèce n’est présente  à l’état spontané en France que dans les Alpes Maritimes.

▪ A quoi sert la persistance des sépales après la floraison ?

L’Hellébore vert et l’Hellébore fétide ont tous les deux des sépales qui persistent et croissent après la floraison. Ceux de l’hellébore fétide restent en forme de cloche et forment presque un tube depuis l’éclosion jusqu’à la floraison et ne s’ouvrent totalement qu’au moment de la fructification et restent alors bien ouverts pendant toute la maturation du fruit. Par contre ceux de l’Hellébore vert sont ouverts dès l’éclosion et le demeurent jusqu’à la maturation du fruit. A ces différences dans le développement de la fleur s’ajouterait une différence curieuse et quelque peu inattendue dans la fonction des sépales de ces deux plantes.
Herrera (2005) a montré expérimentalement que si on supprimait les sépales d’une fleur d’Hellébore fétide qui accompagnent normalement la fructification jusqu’à sa maturation, le poids des graines diminuait sensiblement. Les sépales participent donc via la photosynthèse qu’elles effectuent  à la croissance de ces graines. Dans le cas de H. viridis, à partir d’une expérimentation du même type, Guitian et al. (2014) ont montré que la réduction plus ou moins complète du périanthe ne change rien au poids des graines, ce qui permet de penser, selon les auteurs, que les sépales ne contribuent pas au développement de celles-ci alors qu’elles-mêmes croissent pendant le développement des stades post floraison comme le font celles de H. foetidus. Ils en concluent que ce n’est pas la croissance des sépales qui peut contribuer au développement du fruit dans le cas de H. foetidus mais le fait qu’en s’ouvrant, ils pourraient participer à la photosynthèse plus efficacement : «  Par conséquent, l’apport des sépales au poids des graines pour H. foetidus pourrait être dû à l’ouverture des sépales qui augmente sans doute sa performance photosynthétique et non à la croissance des sépales. Cette dernière pourrait correspondre à un simple effet architectural de la croissance de la structure florale toute entière, à la fois pour H. foetidus et H. viridis. (The resource contribution of sepals to seed weight in H. foetidus, hence, could be due to sepal opening – which likely increases its photosynthetic performance  –  rather than sepal growth. The latter could respond to simple architectural effects of the growing of the whole floral structure, both in H. foetidus and H. viridis). » Comme le montre cette citation, c’est avec beaucoup de prudence que cette hypothèse est avancée.
Les auteurs écrivent : «Nos résultats prouvent que la persistance des sépales après la floraison de H. viridis ne contribue pas au développement des graines, de même que les manipulations sur la dimension du calice n’ont pas d’effet significatif sur le nombre et le poids des graines produites  (Our results provide evidence that the post-floral persistent sepals of H. viridis do not contribute to the development of seeds, as calyx size manipulation had no significant effect on the number and weight of seeds produced.) ». De ces deux propositions, seule la seconde est effectivement prouvée par les expérimentations rapportées. En affirmant la première, ils affirment plus que ce qu’ils ont vraiment prouvé. Ils ont montré que l’ablation des sépales après la floraison n’a pas d’effet significatif sur le développement des graines. Cela ne prouve pas que, lorsqu’ils sont présents, les sépales ne contribuent pas à ce développement. Puisqu’ils sont aptes à la photosynthèse, ce serait même étonnant qu’ils ne le fassent pas.
 Jusqu’à l’apparition des feuilles qui a lieu relativement tardivement dans le développement annuel de la plante, les sépales sont l’une des sources des produits de cette photosynthèse. Selon Aschan et al. (2005) : «  Comme les feuilles de la base apparaissent tard, pendant le développement du fruit, les sépales photosynthétiquement actifs sont au début du printemps la principale source des assimilats, contribuant à plus de 60% au gain de CO2 de la plante entière. (As the basal leaves emerge late during fruit development, the photosynthetically active sepals are a major source of assimilates, contributing more than 60 % of whole-plant CO2 gain in early spring. The ripening dehiscent fruits are characterized by an effective internal re-fixation of the respirational carbon loss and thus additionally improve the overall carbon budget) » (p. 55) L’appareil reproducteur de nombreuses espèces est quasiment autotrophe par son aptitude photosynthétique et sa capacité à refixer le CO2 endogène de respiration. (cf. Aschan et al. 2003)
Dans le cas où ils ont été ôtés artificiellement, ce sont les feuilles, ou le pétiole qui peuvent être mobilisés, au détriment peut-être du stockage de nutriments dans le rhizome pour la nouvelle pousse qui surgira au prochain printemps. La réduction totale ou partielle du calice n’ayant pas de conséquence quant au fruit, sa maturation et les graines obtenues, cela prouve simplement que H. viridis est capable de faire face à cette mutilation et « choisit » si l’on ose dire de mobiliser des ressources supplémentaires pour le développement de son fruit à partir des feuilles (elles sont grandes dans cette espèce) ou des réserves stockés dans le rhizome. H. foetidus ayant tout une structure aérienne à entretenir pendant la période hivernale ne peut peut-être pas se permettre une allocation de ressources suffisantes pour pallier complétement le manque induit par l’ablation des sépales lors du développement et de la maturation du fruit.

 ▪ Une lance pour percer la terre

 Dans un article, où il étudie l’émergence printanière des organes aériens des plantes vivaces des forêts, Edward James Salisbury (1916) classe H. viridis parmi les plantes nettement géophytes (pronounced geophytes). Toutes les espèces vivaces géophytes possèdent un type de pousse en forme de lance (spear shoot) dont la structure est plus ou moins spécialisée pour réussir cette émergence. Cette spécialisation est d’autant plus prononcée que la plante est plus nettement géophyte. Dans le cas de H. viridis, il s’agit d’une pousse robuste, pointue et dure protégée par des écailles foliaires. C’est à la paroi épaisse des cellules de l’épiderme et des tissus sous-jacents de ces écailles que la pousse doit sa dureté et sa rigidité propres à percer le sol.

Retourner les effets du poison contre l’empoisonneur ? Des tenthrèdes l’ont fait.

C’est en effet ce que réalisent les larves de deux espèces d’hyménoptères l’une vivant sur H. viridis et l’autre sur H. foetidus.

Les hellébores se défendent contre leurs prédateurs éventuels en métabolisant des composés chimiques toxiques. De ce fait, elles sont peu attaquées. Cependant en ce qui concerne H. foetidus et H. viridis ces poisons sont sans effet sur des espèces de larves d’hyménoptères du genre Monophadnus qui se nourrissent de leurs feuilles. Les imagos sont de petites bestioles ressemblant à des mouches de 5 à 6 mm de la famille des Tenthredinidae (mouches à scie). Les larves ressemblent à des chenilles de papillons. Ce sont de « fausses chenilles » qui ont six vraies pattes thoraciques comme les vraies chenilles mais quatorze fausses pattes abdominales alors que les vraies chenilles n’en n’ont jamais que de quatre à dix. En tout cas ces fausses chenilles sont de vrais ravageurs. Celles qui dévorent les feuilles de différentes plantes horticoles, potagères ou d’arbres sont bien connues et combattues pour cela. Par contre celles qui se nourrissent des feuilles des plantes sauvages ne sont pas toutes décrites. Cela serait le cas de l’espèce vivant et se nourrissant sur les hellébores fétides comme celui de l’espèce vivant et se nourrissant sur les hellébores verts selon José Prieto et ses co-auteurs qui ont établi comment l’une et l’autre utilisaient le poison qu’elles absorbaient en mangeant les feuilles de ces plantes  (Prieto et al. 2007).

Non seulement les larves de ces deux espèces ne sont pas sensibles aux composés toxiques métabolisés par la plante mais l’une et l’autre stockent l’un d’entre eux (une saponine furostanol) dans leur hémolymphe qui présente des concentrations jusqu’à 200 fois plus élevées que celui des cellules des feuilles de la plante. En cas d’attaque la larve sécrète une gouttelette de son hémolymphe qui a un effet répulsif sur son prédateur, les ouvrières de la « Fourmi rouge » (Myrmica rubra). Elle peut ainsi continuer tranquillement de dévorer les feuilles de l’hellébore qui lui sert de repas. L’hellébore aura donc donné à son prédateur une des armes dont elle se sert pour s’en défendre. Il l'utilise pour se protéger après l'avoir affutée !

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Usages

Toute la plante est fortement toxique. C’est peut-être même l’espèce la plus toxique de toutes. Néanmoins les intoxications sont très rares chez les hommes comme chez le bétail. L’issue est souvent fatale.

En médecine humaine et vétérinaire on a utilisé principalement la racine, parfois les feuilles. Comme nous l’avons indiqué dans le chapitre consacré à H.foetidus, il est difficile de savoir quelle racine de quelle espèce d’hellébore, voire  de quelle espèce de renonculacée, était vendue dans le commerce et donc quelle plante était utilisée en fait. Donc, les indications que l’on a mentionnées pour H.foetidus valent aussi, sans doute pour H. viridis, comme  valent celles qui étaient traditionnellement attribuées à H. niger.
Après avoir tenté d’éclaircir la question des espèces employées, Mérat et De Lens (1837) estiment que c’est H. viridis qu’il faut utiliser de préférence compte tenu de la ressemblance entre cet Hellébore et celui qu’ils supposent avoir été réellement utilisé par les « anciens », c’est-à-dire principalement les médecins grecs de l’antiquité : « Ce serait celle qu’il faudrait employer de préférence à l’hellébore noir, puisqu’elle se rapproche le plus de celui des anciens, qu’elle a plus d’activité que le noir, d’après Allioni, et qu’on peut se procurer facilement ses racines ; tandis que le noir étant plus rare, on les a souvent falsifiées, au dire des auteurs. » (p. 384). Cette « activité » supérieure de l’Hellébore vert constatée empiriquement a été confirmée et expliquée par les analyses contemporaines de la composition chimique des différentes espèces d’Hellébores (Cf. Cornelia &. Dobrotă 2013). Ajoutons comme l’indique l’Atlas de la Flore d’Auvergne, qu’H. viridis a été cultivé comme plante médicinale dans les jardins des demeures féodales et des monastères. Ce sont souvent des échappées ayant fait souche que l’on retrouve dans la nature.

Les dénominations vernaculaires de cette plante suggèrent que l’on a dû y recourir abondamment en médecine vétérinaire populaire et empirique. Ce qui est confirmé par les études ethnobotaniques. Selon les recensions d’Iqbal et Jabbar in Katerere et al., Ch. 6 (2010), H. viridis ferait partie des 20 premières plantes parmi les plus utilisées dans le Monde. Il a été ou est utilisé pour soigner les blessures, comme antiseptique, comme analgésique, comme traitement des maladies métaboliques et de la reproduction, pour soigner les dermatoses de diverses origines…

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Questions de nomenclature à propos des noms vernaculaires d’H. viridis

Cet hellébore a reçu un grand nombre de noms vernaculaires. Ceux retenus dans la Flore forestière sont : ‘Herbe de Saint-Antoine’, ‘Herbe à sétons’,  ‘Herbe à la broche’, ‘Herbe à la bosse’ et ‘Pommelière’ ; auxquels on peut ajouter ‘Herbe à la broche’, retenu par Gonard (2010).

‘Herbe à séton’ et ‘Herbe à la broche’ se comprennent, en référence à son usage en médecine populaire vétérinaire et/ou humaine, comme plante que l’on utilisait pour faire les dits ‘sétons’ (voir H. foetidus, rubrique « Usages » dans la première partie de cette étude). Les autres dénominations ne manquent pas d’étonner. On les retrouve de flore en flore sans explication, sans justification lexicographique de la sélection de ces noms parmi bien d’autres. On a l’impression que les flores se sont copiées entre elles. Dans ce chapitre, on essayera de comprendre le pourquoi de ces dénominations ou du moins de donner des pistes à ce sujet.

En ce qui concerne l’appellation ‘herbe de Saint-Antoine’, cela peut être, comme souvent, soit une allusion à son usage comme « simple », soit une allusion à la date de floraison. Cette deuxième hypothèse pose problème car si cette floraison peut avoir lieu en Janvier, elle a plutôt lieu entre Mars et Avril alors que la fête du Saint tombe le 17 janvier. Il reste qu’on ne peut pas être certain que cette appellation réfère spécifiquement à H. viridis et ne désigne pas plus vaguement le genre. Par exemple, les dates coïncideraient assez bien pour H. foetidus ou H. Niger.

Certes cet Hellébore ne figure pas dans les quatorze plantes qui entraient dans la composition du baume de Saint Antoine* utilisé dès le XVe siècle contre l’ergotisme encore nommé ‘mal des ardents’ et ‘mal de Saint Antoine’. On peut néanmoins se demander si la dénomination ‘Herbe de Saint Antoine’ n’a pas de rapport avec cette maladie qui a fait de gros ravages parmi les populations humaines et les cheptels, avant de disparaître en ce qui concerne les humains, au moins dans les pays dits développés**. Elle était due à la consommation de céréales infectées par l'ergot de seigle, un champignon groupe des ascomycètes, parasite du seigle et autres graminées***. Pour appuyer cette hypothèse on peut rappeler que ce champignon parasite contient de l’acide lysergique dont est dérivé le LSD, ce qui explique que la maladie a parmi ses symptômes, outre des sensations de chaleur brûlante alternant avec des sensations de froid intense qui lui ont donné son nom, des troubles psychiques avec délires, convulsions, troubles du comportement, altération des perceptions et de la conscience, manies et psychoses.

Cependant, c’est plutôt plus spécifiquement l’Hellébore noir ou l’Hellébore du levant qui étaient censés traiter ces maladies mentales et pas l’Hellébore vert.

Saint-Antoine et son cochon, église de Braize (Allier), sculpture en bois due à un artisan local
Saint-Antoine et son cochon, église de Braize (Allier), sculpture en bois due à un artisan local
Dans La flore populaire de Rolland on trouve plusieurs noms qui peuvent faire allusion à l’utilisation de l’Hellébore dans l’ergotisme en mentionnant le feu ou l’enfer (« herbe du feu, f., Luxembourg, wallon, Dasnoy. Dict. wallon, 1858. », « erbo daou fue, f., provencal mod., Lions, Végétaux utiles, 1863. », « herbe d'enfer, f., Aube, Des Etangs, Noms des pl. — Guenin, Stat, du canton des Riceys »(Tome 1, p. 79)) mais ces dénominations s’appliquent au genre et non à une espèce particulière de celui-ci. De plus la mention la plus nette concerne un usage vétérinaire : « Ainsi nommée [brandwortel en flamand], parce qu'on l'emploie pour guérir les cochons malades du feu de Saint-Antoine (brand = feu) » (Tome 1, p.82).

En ce qui concerne H. viridis spécifiquement, Rolland rapporte comme nom « herbe Saint- Antoïgne, f., Boulonnais, comm. par M. B. de Kerhervé » et indique que cet informateur lui a précisé  qu’« avec cette herbe les cultivateurs vaccinent les porcs contre les épidémies. » (Tome1, p. 87) Il fait aussi mention de l’utilisation de la plante contre la rage porcine (herbe à la rage, employée dans La Manche) mais là, le nom est commun à toutes les espèces d’Hellébores.

Toutes ces dénominations suggèrent donc que les plantes du genre Helleborus et en particulier H. viridis étaient utilisés en médecine vétérinaire populaire pour traiter le bétail, notamment les porcs. Elles étaient sans doute cultivées à cet effet car la plante n’est pas des plus communes.

C’est là selon moi que se trouve en fin compte la raison de cette appellation d’Herbe de Saint Antoine.Pour le comprendre, il faut se souvenir que dans l’iconographie du saint, celui-ci est représenté, dès le Moyen-âge, avec un petit cochon à ses pieds et que les suidés ont un rôle important dans sa légende. Rappelons également que l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Antoine, connus sous le nom des « Antonins » était spécialisé dans le soin du « Mal des Ardents ». Outre des médications comme le baume éponyme qui étaient mises en contact avec les reliques du saint censées guérir la maladie, les malades bénéficiaient d’une nourriture non contaminée à base de viande de porc, l’animal lié à Saint Antoine. De plus depuis la chute mortelle du fils du roi Louis VI le Gros, causée par un cochon, en 1131, les porcs étaient interdits en ville. Ceux des Antonins, indispensables pour la thérapie contre l’ergotisme et pour le régime des malades qui affluaient dans  leurs établissements, obtinrent une dérogation et purent ainsi être nourris, au moins en partie, par la population. Ils étaient marqués d'un T (croix de Saint Antoine) et reconnaissables aussi à la clochette qu'ils devaient porter suspendue à l’oreille. C’est donc bien en relation avec Saint Antoine et le mal des ardents que H. viridis a été nommé ‘Herbe de Saint-Antoine’ mais c’est par l’intermédiaire de son cochon !

Pour ce qui concerne l’appellation ‘Herbe à la bosse’, elle est d’autant plus curieuse que parmi les multiples usages des hellébores, leur emploi pour guérir les contusions ne sont pas mentionnés en priorité même si elles étaient utilisées pour pratiquement tous les maux et maladies chez les anciens. Dans l’énumération de Cazin 1868, cet usage n’apparaît même pas. 

On peut faire un rapprochement entre ‘Herbe à la broche’ et ‘Herbe à la bosse’, le second serait alors une déformation du premier.

On peut aussi avancer une autre hypothèse car ‘bosse’ n’a pas toujours eu le sens étroit que nous lui donnons aujourd’hui, celui d’enflure due à un coup. Il signifiait aussi « tumeur » au sens large de protubérance sur la peau, plus spécialement d’abcès. Littré dans la partie historique cite Jean de Meung (XIII Siècle) : « Car toutes boces [il] peut crever /Et son cuer jusqu’au vif caver, /Pour garir tout mors de serpent » Le terme ‘boce’ a  aussi été utilisé pour désigner les bubons des pestiférés. Dans le dictionnaire de Godefroy on peut lire à l’article  « Boce » : « Boce, boche, bosse, s. f. bouton de la peste, bubon » Et entre autres citations illustratives, Godefroy donne celle-ci : « Les Anglais avoient tres grande puyssance ; toutefois en leur armée se mist la boce, dont plusieurs moururent sans cop frapper (1431, Fragm. d’une version franç. Des Grandes Chroniq. de St-Denis, Bibl. elz) » (Godefroy, 1881, p. 668).

Il ne semble pas, cependant, que les Hellébores,  toute espèce confondue, aient été utilisés comme remède spécifique contre la peste, mais seulement à titre de purgatif parmi d’autres plantes car certains médecins croyaient que l’usage de vomitifs et purgatifs permettaient de traiter cette maladie en ses débuts, ce qui était contesté par d’autres, au motif de bon sens que ces purgations diminuaient la capacité de résistance du malade en l’affaiblissant. En ce qui concerne la peste, l’Hellébore (sans précision d’espèce) est mentionné aussi  comme pouvant servir, associé à d’autres plantes, à des fumigations préventives des locaux. (cf.  Jean-Jacques Manget, 1721).

Dans le Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW), on trouve comme sens retenu depuis 1867 « maladie du porc caractérisée par une tumeur à la gorge », sens que l’on retrouve  également dans le dictionnaire d’Emile Littré qui indique « maladie des porcs dite aussi soie » (1877).

Selon Robert Martin et Pierre Cromer (2015) dans le Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500) ‘bosse’ désignerait «toute protubérance naturelle » et notamment « grosseur », « tumeur », « abcès » ce qui renverrait également à la pratique des sétons. ‘Herbe à la bosse’ serait sans doute soit la désignation de la plante qui est censée soigner cette maladie du porc, soit l’abcès résultant de la pose d’un séton. Rappelons que dans sa Flore populaire, Rolland signale que dans le Boulonnais c’est avec cette herbe que les cultivateurs vaccinent les porcs contre les épidémies.

Quant à ‘pommelière’ ce terme est aussi le nom ancien de la tuberculose pleurale des bêtes à cornes (Meyer C., ed. sc., 2017). Des préparations contenant de l’hellébore étaient utilisées pour soigner cette maladie (Cf. Delafond, 1844, Ch. 7). Le choix du nom se fait ici en référence à la maladie traitée à l’aide de la plante.

[* Voici la liste de ces plantes : feuilles de choux, de noyer, de bette, de laitue, des deux sortes plantain, de sureau, de sanicle, de tussilage, de joubarbe, d’orties, de ronces avec leurs sommités]
 [** Sa dernière manifestation en France pourrait dater de l'été 1951, avec « l’affaire du Pain maudit », une série d'intoxications alimentaires qui frappe la France et dont la plus sérieuse a lieu à partir du 17 août à Pont-Saint-Esprit, où elle fait sept morts, 50 internés dans des hôpitaux psychiatriques et 250 personnes affligées de symptômes plus ou moins graves ou durables. Si l’on a fortement suspecté que « le pain maudit » contenait de l'ergot du seigle, on n’a pas pu en donner la preuve formelle.]
[*** Par contre, elle peut faire encore des ravages parmi le bétail.]                           

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Références

Complément pour H.viridis  aux références citées dans la première partie

Aschan G., Pfanz H., 2003. « Non-foliar photosynthesis – a strategy of additional carbon acquisition» Flora 198, p.p. 81– 97. DOI : 10.1078/0367-2530-00080

Aschan G., Pfanz H., Vodnik D., Bati F., 2005. « Photosynthetic performance of vegetative and reproductive structures of green hellebore (Helleborus viridisL. agg.). »  Photosynthetica  43, p.p. 55-64.


Bossi M., Brambilla G., Cavalli A., Marzegalli M., Regalia F., 1981. « Threatening arrhythimia by uncommon digitalic toxicosis (author,s transl) », G Ital Cardiol, 11, 12, 2254-7.

Cornelia M., Dobrotă C., 2013. « Natural compounds with important medical potential found in Helleborus sp. », Central European Journal of Biology, 8(3), 2013, pp. 272-285 DOI: 10.2478/s11535-013-0129-x

Delafond O., 1844. Traité de la maladie de poitrine du gros bétail, connue sous le nom de péripneumonie contagieuse, Libraire de la faculté de médecine, Paris.

Grenier C., Godron D. A., 1848-1856. Flore de France, ou description des plantes qui croissent naturellement en France et en Corse. Tome 1, - Librairie de l'Académie impériale de Médecine, Paris. Version numérique sur Archive.org

Godefroy Frédéric, 1881. Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle : composé ... Tome premier, A-Castaigneux, Vieweg édit., Paris.

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Photos : De haut en bas : H. Zell (Wikimédia commons);  E. Blasutto (Wikimédia commons)  pour chacun des éléments du composite ; Alain Bigou (Tela Botanica) feuilles d’H.viridis subsp. viridis ;  Javier Martinlo feuilles de H.viridis subsp. occidentalis ;  Soljj. (Wikimédia commons)  Saint Antoine et son cochon.
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Article modifié le 4/4/2017
 
 
 
 

Vendredi 24 Mars 2017 Commentaires (1)
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