Le Livre blanc sur le financement de la transition écologique (LB) met en évidence l’impact négatif sur la croissance et l’emploi que peut avoir à court terme un engagement dans « la transition écologique » contredisant ou à tout le moins relativisant les thèses de ceux qui voulaient voir dans un cet engagement le meilleur moyen de sortir de la crise dans laquelle il semblerait que la France, sinon l’Europe, est engluée.


Le Ministère de l’environnement et celui des finances ont chargé les technocrates du Commissariat Général du Développement Durable (CGDD) et ceux de la Direction Générale du Trésor (DGT) de trouver des solutions pour financer « la transition écologique » Le résultat de ce travail est couché sur les 38 pages du Livre blanc sur le financement de la transition écologique (LB). Telle que la conçoivent ces technocrates, et au regard des mesures proposées, on peut dire qu’il s’agit pour l’essentiel d’une transition qui serait gouvernée up to bottom dans une économie libérale mondialisée qui n’est guère congruente avec elle. Le but de cet article n’est pas d’analyser cet ouvrage dans sa totalité ni de discuter les financements proposés mais d’examiner les thèses développées sur l’impact de la transition écologique sur la croissance et l’emploi.

La transition écologique selon le Livre Blanc

Les auteurs définissent la transition écologique comme « la nécessité pour nos économies de rendre leur évolution compatible avec les ressources finies de la planète et le maintien des régulations naturelles indispensables à la vie telles que le climat ou le fonctionnement des écosystèmes. Elle recouvre tout processus de transformation de l’économie visant à maintenir ces ressources et régulations en-deçà de seuils critiques pour la viabilité de nos sociétés. » C’est donc tenter d’adapter l’économie aux ressources naturelles limitées d’un monde fini, faire qu’elle puisse s’insérer dans les régulations naturelles sans perturbations irréversibles. Les auteurs précisent que cette transition écologique « suppose donc non seulement un découplage entre la croissance économique et les prélèvements, en quantité et qualité, sur le capital naturel (habitats, ressources et régulations physiques, chimiques et biologiques), mais également l’adaptation du rythme de leurs utilisations à notre capacité à entretenir ces régulations et renouveler ces ressources » (p.3). On sait combien ce découplage entre les exigences de la croissance et celle de la préservation des richesses et régulations naturelles est illusoire. C’est l’illusion qui est à la racine de la conception canonique du développement durable, illusion que reconnaissent aujourd’hui beaucoup de ceux qui furent les chantres de cette notion comme Dominique Bourg, pour ne citer que l’un des plus influents d’entre eux. La sacro-sainte « croissance » ne sera pas remise, au moins explicitement, en cause dans ce livre blanc. Mais la croissance est-elle compatible avec la transition écologique ?

La croissance est-elle compatible avec la transition écologique ?

Aux dires même des auteurs, si l’on se place du point de vue de son financement, rien n’est moins sûr au moins pour le présent et le court terme. Ils écrivent : «L’équation économique de la transition écologique : des (sur)coûts à court terme, des bénéfices à moyen et plus long terme » (p.12) Pour l’économie capitaliste libérale, « notre » économie, cette équation est un défi difficile à surmonter. Le court terme est l’horizon des « acteurs » économiques donc de la plupart des gens et des « politiques » qu’ils élisent et qui souhaitent être réélus. En fait, la démonstration du livre blanc est implacable : la transition écologique ne peut se faire, à court terme, qu’au détriment de la croissance et de l’emploi même si on peut supposer qu’elle leur sera bénéfique sur le moyen et le long terme.

1°) « L’adoption de technologies et de pratiques soutenables entraîne souvent des surcoûts à court terme qui s’imputent sur la croissance actuelle » (p.21) Cette affirmation on ne peut plus claire est étayée par des constatations peu discutables. Tout d’abord les auteurs remarquent que l’adoption de ces technologies suppose de déclasser une partie du capital productif pour le moderniser et évidemment, « cette destruction du capital physique à court terme [a]un coût pour la collectivité » Elle conduit aussi à «une obsolescence d’une partie des compétences des salariés » qui va nécessiter « des actions de formation et de reconversion, qui constituent là aussi un coût supplémentaire à court terme »

2°) Les surcoûts de différentes origines sont détaillés de façon assez précise dans le LB bien que l’on puisse toujours discuter de leur chiffrage qui est un exercice difficile. Beaucoup d’entre eux sont en fait liés à des investissements qu’il faudrait financer. Quelle que soit l’hypothèse choisie pour réaliser ce financement, le résultat sera pénalisant pour la croissance, au moins à court terme et peut-être à moyen terme.
(a) – Hypothèse de substitution des investissements
Ces surcoûts et d’autres comme les investissements nécessaires à la transition écologique immobilisent des capitaux sur un très long terme. Ils ont une rentabilité moindre pour cette raison même : « Investir dans la transition écologique est aujourd’hui généralement perçu comme insuffisamment rentable par la plupart des financeurs. En effet, plus l’horizon d’un investissement est lointain, ou plus le contexte est perçu comme mouvant, plus l’évaluation des risques associés est complexe et plus la probabilité de tenir les objectifs de retour sur investissement est faible» (p.18) En se substituant à d’autres investissements moins soutenables mais plus rentables, ces investissements nécessaires à la transition écologique auront un impact négatif sur la croissance telle que « mesurée aujourd’hui » c’est-à-dire telle qu’elle est conçue dans une économie capitaliste libérale et sans prendre en compte « des conséquences actuelles et futures liées à la détérioration des ressources naturelles »(ibid. p. 21).
(b) – Hypothèse dans laquelle les investissements de la transition écologique sont financés par l’épargne des ménages
Si les investissements nécessaires à la transition écologique ne se substituent pas à d’autres mais sont financés par l’épargne des ménages, « accroissant le volume total d’investissements dans l’économie, le taux d’intérêt qui est le prix de l’épargne devrait augmenter et ralentir l’activité » donc pénaliser la croissance.
(c) – Si, dernière possibilité« le financement transite par les administrations publiques, en l’absence d’endettement nouveau, celui-ci doit être financé par de la fiscalité qui là encore réduit la consommation et réduit l’activité à court terme » donc la croissance et l’emploi.

En bref, la transition écologique demande d’investir une part des capitaux des entreprises et de l’épargne des ménages, qui ne sera donc pas consacrée à la consommation ce qui impacte au moins à court terme la croissance et l’emploi. « La diminution de la croissance entraîne globalement une réduction du nombre d’emplois, même si cet effet peut être atténué par le développement de certaines filières « vertes » dont l’intensité relative en main d’œuvre serait plus élevée que les secteurs auxquels elles se substituent. » (Même page)

Les économistes de la Fondation Hulot ont bien perçu la difficulté. Dans sa contribution à la consultation sur ce livre blanc, la Fondation Hulot propose de financer les surcoûts et les investissements nécessaires à la transition écologique en « monnaie de singe », si l’on ose dire. Elle propose la création d’« une banque publique » qui permettait un financement à crédit, en creusant la dette mais d’une façon astucieuse qui permette d’avoir l’air de se conformer à la rigueur budgétaire décidée au niveau européen ! Cette « solution » tient du tour de passe-passe, un tour de passe-passe dangereusement inflationniste qui plus est. Le LB va un peu dans le sens des propositions des économistes de la Fondation Hulot, mais beaucoup plus prudemment dans sa proposition 6.26 « 6.26. Promouvoir le développement de nouveaux modes de financement comme l’émission d’obligations pour le financement de projets d’intérêt collectif pour la transition écologique, public ou privé éventuellement territorialisés (régionaux), à l’instar d’expériences déjà réalisées en France et en Europe. »

Cette analyse du LB est une réfutation en règle des thèses des écologistes, notamment d’EE/LV, qui soutiennent que la transition écologique sera créatrice de milliers d'emplois. Certain allant même jusqu'à estimer un rebond de la croissance, une croissance vertueuse, une croissance verte. A propos de la transition énergétique, une des composantes essentielle de la transition écologique, EE/LV affirme qu’« À court terme, un plan d’investissement public(en associant l’État, les acteurs locaux et des acteurs “mixtes”) dans la transition énergétique constitue une réponse sensée et efficace à la crise économique en cours. En effet, de tels investissements ont le pouvoir de casser le cercle vicieux dans lequel l’économie se trouve, en créant des emplois et en relançant l’activité. Le tout sans accroître notre pression sur les ressources mais en réduisant notre consommation d’énergie ! »
Pour EE/LV le financement des investissements requis par la transition écologique est simple : «Comment financer ces investissements alors que les États sont endettés ? Nous avons montré qu’il s’agit ici d’investissements rentables – l’argent investi aujourd’hui sera récupéré demain grâce à la baisse de notre facture globale. La transition énergétique peut donc contribuer à une sortie de crise, et doit être assumée comme une alternative crédible et souhaitable aux politiques d’austérité promulguées dans toute l’Europe. »
Malheureusement, tout n’est pas si rose, ou plutôt si vert ! L’argent investi aujourd’hui ne sera pas « récupéré demain » mais bien plus tard au terme d’un retour sur investissement bien trop long pour être intéressant financièrement, sauf renchérissement significatif de l’énergie. D’ailleurs s’il n’est pas du tout assuré aux yeux des investisseurs que ces investissements soient rentables, c’est en partie, comme mentionné ci-dessus, à cause de la lenteur du retour sur investissement et de la part de risque qu’ils recèlent : « dans le cas de projets liés à la transition écologique, ces risques peuvent être perçus comme élevés pour plusieurs raisons : les choix technologiques sous-jacents peuvent ne pas être les bons, l’environnement réglementaire peut évoluer, les marchés correspondants peuvent ne pas se développer au rythme envisagé » (LB, p.18).
Au rebours de la conclusion d’EE/LV, LB cite une étude de « Schubert et alii (2012)[qui] suggère que l’objectif facteur 4 ne serait atteignable à l’horizon 2050 qu’avec un très haut niveau de taxe carbone et/ou de subventions au progrès technique, sur un sentier de croissance plus bas que le tendanciel » (LB, p.19) donc très, très bas…
Dans un tel contexte, inutile de dire que ce « très haut niveau de taxe carbone » sera inacceptable pour les gens, quelles que soient les bonnes paroles qui l’enroberaient ; ce qui pose le problème de l’acceptabilité sociale du financement de la transition écologique.

Les mesures qu’ implique la transition écologique telle que conçue par les technocrates de Bercy et du MEDDE risquent d’être rejetées plus ou moins violement comme on vient de le voir pour l’écotaxe pourtant bien moins douloureuse que celles proposées dans ce LB comme par exemple le renchérissement conséquent du prix de l’énergie pour « inciter » voire contraindre les gens à entreprendre des travaux d’isolation de leur logement ; investissements qui pour eux n’auraient pas été prioritaires, qu’ils n’auraient sûrement pas réalisés sans cette contrainte fiscale et qui n’auraient pas été « rentables ». La transition écologique, si elle nécessite de telles mesures sera très impopulaire, inacceptable même dans le contexte actuel de crise, de baisse du pouvoir d’achat, de chômage, d’avenir incertain qui fragilise les gens, même parmi les classes moyennes, voire moyenne supérieure.

Est-ce à dire que la transition écologique est impossible ? Non, bien entendu ! Mais elle doit s’effectuer bottom to up, dans un contexte de transformation sociale, à partir des initiatives citoyennes et des communautés de base qui, à la marge de la société de consommation actuelle, inventent et expérimentent dès maintenant un autre avenir.

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Addendum

Comment financer les surcoûts et les investissements de la transition écologique quand les caisses sont vides ?

La solution de la Fondation Nicolas Hulot : créer « Une banque de la transition » !

Les économistes de la Fondation l’expliquent sans ambages : « Une banque est une institution qui a obtenu du «souverain» une délégation dans le droit de frapper monnaie (c'est pourquoi tout le monde ne peut pas décider du jour au lendemain de créer une banque). Ce qui veut dire qu'une banque crée de la monnaie. Lorsqu'elle accorde un crédit à un de ses clients, disons, de 100, elle crée environ 90 qui n'existaient pas précédemment. Cette somme est inscrite au passif de la banque (où est comptabilisé le compte courant de son client) et simultanément à l’actif (c’est la créance du client). Le bilan de la banque gonfle ainsi des deux côtés sans se déséquilibrer. L'argent qu'elle octroie via un crédit ne correspond donc pas du tout à une somme d'argent qui dormait dans un coffre-fort; encore moins à un stock d'or enfoui au sous-sol de la Banque de France. Cet argent provient tout simplement d’une écriture comptable, matérialisée par un chiffre sur un écran, qui décrète que 90 viennent d'être créés ex nihilo. Certes, il existe des ratios qui limitent la quantité de crédit qu'une banque peut octroyer mais ces ratios sont assez facilement contournables (via la titrisation notamment) et, par ailleurs, lorsqu'une banque les dépasse (ce qu'elle constate toujours ex post), il lui suffit de se retourner vers la BCE pour se faire refinancer les réserves obligatoires qui lui manquent. »

Cette belle, pédagogique et quelque peu cynique analyse du fonctionnement des banques et des tours de passe-passe qu’elles s’autorisent est édifiante ! Mais sans doute pas pour un économiste puisque c’est un financement de cette sorte que la Fondation Hulot souhaite recourir en demandant la création d’une «banque de la transition». C’est-à-dire finalement en faisant « tourner la planche à billets » et donc en créant de nouvelles liquidités alors qu’il y a déjà surabondance, une surabondance alimentant une nouvelle bulle sur les marchés financiers qui tôt ou tard finira par éclater avec les conséquences que l’on sait. Ne serait-il pas plus pertinent dans ces conditions de réorienter ces liquidités pour financer la transition écologique ? Cela ne sera pas possible tant que les marchés financiers ne seront pas régulés par des mesures appropriées pour rendre la spéculation financière moins rentable afin que les flux financiers viennent abonder l’économie réelle et en particulier la transition écologique. Les économistes de la Fondation Hulot ont alors une argumentation étonnante. Il est possible que les autorités européennes et notamment la Commission mettent en place une telle régulation mais cela risque de prendre du temps. Or, selon eux, on ne peut pas d’attendre. Il faut agir immédiatement pour contrer le réchauffement climatique: « réorienter les trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre est une action de longue haleine qu’il faut donc accentuer dès maintenant si l’on veut éviter un réchauffement de +4 à + 5°C. Il nous reste en Europe sans doute moins de 20 ans dans le domaine énergétique pour restructurer l’appareil de production d’électricité encore trop émetteurs de CO2 ».

En bref, on fait marcher la planche à billets et on recourt à des tours de passe-passe financiers quelque peu suspects parce que le réchauffement climatique n’attend pas : « La maison brûle ! » Le réchauffisme climatique catastrophique nous conduira-t-il à la catastrophe financière ?

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Le Livre blanc sur le financement de la transition écologique est téléchargeable sur le site du Ministère de l'écologie du développement durable et de l'énergie (MEDDE) et fait l'objet d'une consultation publique jusqu'au 15 janvier 2014 (ici)

Lundi 30 Décembre 2013 Commentaires (0)
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